Je ne suis pas, vous le savez, très « branché » prix…
Mais pour une fois, je veux me faire l’écho de quelques récompenses « différentes », qui, à l’instigation il y a quelque 14 années, de Chantal Montellier et Jeanne Puchol, mettent en évidence la production féminine dans le monde de la bande dessinée.
Je vous avoue ne pas avoir lu tous ces livres, mais je tenais vraiment à ce que ces prix intéressants, intelligents, aient quelques échos !
Le GRAND PRIX : Moi, Mikko et Annikki (auteure : Tiitu Takalo – éditeur : rue de l’échiquier)
D’inspiration autobiographique, ce récit passionnant se veut à la fois social et intimiste, historique et très personnel. Il nous fait partager la lutte menée par une petite communauté joyeuse et marginale afin de sauver l’îlot historique d’Annikki, dans la ville finlandaise de Tampere. Tiitu Takalo relate avec talent et précision le combat acharné que mènent les habitants de ces maisons de bois jadis habitées par une population ouvrière, entrés en résistance contre des promoteurs immobiliers aux énormes appétits, et des édiles locaux trop souvent complices.
PRIX SPECIAL : Sourvilo (auteure : Olga Lavrentieva – éditeur : Actes Sud)
Une grand-mère se souvient de ses années de jeunesse, passées entre Guerre mondiale, bombes, obus, purges politiques et privations de toutes sortes !
Cet album nous ramène un imaginaire russe dépaysant et des dessins poétiques dépourvus de toute artificialité. Une sincérité au service d’une réalité souvent douloureuse, mais très édifiante et ré-humanisante, à tous points de vue.
PRIX JEUNESSE : Melvina (auteure : Rachele Aragno – éditeur : (Dargaud)
Rachele Aragno entraîne son héroïne dans un univers étrange à la Lewis Carroll où l’on croise une reine à la tête coupée, des enfants qui attendent de naître, une abeille transformée en amulette, des pensées heureuses transformées en lucioles, des tigres sauvages de l’aurore et une sorte de croquemitaine résidant dans des marais métaphysiques.
PRIX ECOLOGIE : La Déesse Requin (auteure : Lison Ferné – éditeur : CFC)
Dahut, une belle et trop curieuse jeune fille qui ne craint pas de braver les interdits de sa mère, la déesse Boddhisatva, cherche à s’affranchir et à découvrir le monde par elle-même.
Un dessin totalement au service du vivant et de ses souffrances. Au plus près de ce réel-là que nous refusons trop souvent de voir.
PRIX SOCIÉTÉ : Hippie Trail (dessin : Elléo Bird – scénario : Séverine Laliberté – éditeur : Steinkis)
Ce roadtrip, en 4L, sur la célèbre Hippie Trail, nous plonge en plein cœur des seventies, nous invite à sillonner dangereusement les routes orientales, de la Yougoslavie de Tito jusqu’en Afghanistan en passant par la dictature des colonels grecs, là où est née la scénariste. Ces pérégrinations mêlent avec subtilité récit intime et immersion dans la grande Histoire.
COUP DE CHAPEAU : On baise (auteure : Catherine Beaunez – éditeur : La folle du logis) (un livre que j’ai chroniqué : https://bd-chroniques.be/index.php/2021/03/25/on-baise/
Des strips rapides, en quelques dessins, qui nous montrent comment une femme française comme toutes les femmes vit le confinement, ses obligations, ses trajets interdits, ses rêves éteints, ses solitudes assumées ou pas. Il en résulte, graphiquement, des tas de petites tranches de vie qui semblent presque dessinées, comme pour graver une mémoire immédiate dans un déroulement du temps totalement dérèglé…Catherine Beaunez nous parle ainsi de tout ce qui a fait l’existence, il y a un an, de tout ce qui, aujourd’hui encore, aujourd’hui plus, même, encadre les heures et les minutes de nos vies.
Jacques Schraûwen