Un livre à offrir, à s’offrir, une réédition bienvenue!
Un souffle d’air pur, d’émotion et de poésie
Il y a des livres qui méritent une existence plus longue que celle que les libraires réservent aux nouveautés… C’est le cas avec cette « Ballade » qui se révèle être un superbe petit bijou d’intelligence…
A Cressy-la-Valoise, petit bourg tranquille, vit un certain Julien Dubois, plus connu dans les médias sous le nom d’Eric Bonjour, star de la musique sirupeuse et passe-partout.
Mais ce pianiste ne fut pas toujours cet histrion parvenu à la notoriété et à la richesse en caressant dans le sens du poil un public sans culture. Jeune, il rêvait à la musique, la vraie, celle qui parle à l’âme plus qu’au portefeuille, celle qui n’apporte de notoriété que lorsqu’elle se révèle jouée avec passion et sincérité.
Pianiste débutant, il y a plus de 60 ans, Julien a gagné un concours dans cette même bourgade. Mais il l’a gagné par tricherie, de la part de ses parents. Il l’a gagné, ce concours, face à un jeune garçon de son âge, Frédéric Simon. Un génie de la musique, de l’interprétation…
Et pendant toute son existence, Julien Dubois va être déchiré entre deux sensations. L’admiration pour ce garçon qui va devenir une étoile de la musique classique, et une terrible jalousie à son égard.
Et c’est cela que va découvrir une jeune femme qui, se déclarant journaliste, vient interviewer le « maestro » vieillissant.
Et tout le contenu de ce livre se trouve dans cette rencontre.
Une jeune femme dont on devine très vite qu’elle cherche autre chose qu’une interview…
Un vieil homme qui s’est retiré du monde et de ses gloires imméritées…
Une gouvernante qui supporte en souriant les mauvaises humeurs de ce vieil homme dont la vie, inéluctablement, se prépareau néant…
Le pianiste génial, et ses courages qui ont toujours manqué à la star romantico-médiatique dont la mort est proche…
On découvre ainsi plusieurs destins, en parallèle, racontés au présent, racontés au passé, aussi, grâce à des flash-backs qui s’intègrent sans heurt à la narration.
C’est donc un livre qui parle de la souvenance. Mais là où, souvent, le souvenir est montré comme infidèle, il s’avère ici extrêmement accroché à la réalité, à la vérité.
C’est également un livre qui parle de la musique, de toutes les musiques, et de la magie éternelle qui naît, d’une part, de l’agencement de quelque sept notes, et, d’autre part, de l’interprétation d’un homme seul à son instrument.
C’est un livre qui parle de la gloire qui ne doit rien au mérite, au plaisir qui ne doit rien à la reconnaissance.
C’est aussi un livre qui parle de l’âge, de tous les âges, de désirs à accomplir en rêves déchus, de courages tranquilles en tristes lâchetés quotidiennes.
C’est un livre qui parle de la richesse, de l’ingratitude, du pouvoir, de la pauvreté, des rencontres humaines dont on ne découvre l’importance que bien plus tard, quand il est trop tard…
Et puis, surtout, c’est un livre qui parle, au sens le plus large possible, de l’amour, de la reconnaissance des âmes entre elles. C’est un livre qui nous raconte plusieurs vies au travers d’une seule existence qui ose se dévoiler.
Et, à ce titre, c’est un long poème, littéraire, graphique, musical, même. Un album qui se découvre comme une bd normale et au long duquel, au cours de la lecture, on se laisse entraîner par un rythme très personnel, parfois lancinant, s’ouvrant ici à des envolées lyriques violentes, là à des engourdissements souriants.
Le dessin de Juan Cavia ne cherche aucun effet spécial. Il s’attache, du plus près, aux visages des personnages qu’il dessine. Et ses couleurs, presque tramées à certains moments, donnent de la chair, en quelque sorte, à la musique qui reste le fil conducteur de cet album.
Cette « Ballade pour Sophie » est un poème symphonique et littéraire qui, tel un navire perdu sur l’océan de l’habitude, emporte à son bord toutes les émotions qui font de nous des êtres capables de sentiment, de regards, de mains tendues, de rages et de désespérances.
Mais n’allez surtout pas croire qu’il s’agit ici d’une œuvre sombre… C’est tout au contraire, par le talent du scénariste Filipe Melo, un livre souriant, sans temps mort, passionnant parce que passionné.
N’hésitez pas à fouiller dans les rayonnages de votre libraire préféré pour dénicher ce petit joyau du neuvième art. Et à le commander, si vous ne le trouvez pas…
« Ballade pour Sophie » fait partie, croyez-moi, de ces livres qu’il faut remettre au premier plan, et qui n’attendent que votre bon plaisir pour vous faire découvrir un récit savoureux et merveilleusement humain !
Jacques Schraûwen
Ballade pour Sophie (dessin : Juan Cavia – scénario : Filipe Melo – éditeur : Paquet – décembre 2021)