Oui, les auteurs de ce livre sont des frères, des complices, Wilfrid Lupano, d’une part, et Rodolphe Lupano (pseudo Ohazar) d’autre part. Et, ma foi, on sent qu’ils se sont bien amusés en réussissant à nous amuser aussi !
Dans la mémoire collective, tellement infidèle, de plus en plus infidèle ai-je même envie de dire, le peuple Viking est un peuple sauvage, ayant besoin, pour se sentir exister, de rapines, de raids, de pillages, de tueries, d’incendies, d’horreurs sans nom !
Heureusement que la bande dessinée est là, depuis longtemps, pour en dresser un portrait différent ! Réaliste, sérieux, ésotérique, mythologique et sanglant, le plus souvent, bien entendu, tant il est vrai que la thématique de ces peuples du nord et de leurs dieux est porteuse, graphiquement, de bien des possibilités : Ragnar le Viking, Thorgal, Harald, Asgard en sont quelques fleurons incontestables.
Et puis, il y a eu aussi des bd infiniment moins sérieuses, avec Asterix, Johan et Pirlouit, entre autres, de manière assez classique. Mais également de façon plus absurdement jouissive avec Hultrasson, de Remacle et Hagar du nord, de Dick Brown…
C’est dans cette veine-là que se situent les deux frangins maîtres d’œuvre de cet album-ci !
Comme chaque année, des vikings fiers et belliqueux abandonnent les côtes plus ou moins hospitalières de leur Nord aux nombreuses divinités pour aller prouver leur virilité en allant porter la guerre et le sang plus au sud.
C’est le cas de Reidolf qui, cette fois, fier meneur de raid, emmène son fils Arnulf pour lui faire découvrir les saines joies de la rapine !
Oui, c’est bien d’une initiation qu’il s’agit, dans ce livre…
Seulement, avec Wilfrid Lupano aux commandes du scénario, il n’est jamais question de classicisme. Lui qui, avec Cauuet, a créé les ineffables Vieux Fourneaux, éprouve souvent le besoin d’ajouter son grain de sel, ou de poil à gratter, dans tout ce qui pourrait lui sembler trop sérieux ! Donc dans la grande Histoire aussi, et surtout!
Donc, Arnulf, comme tous les autres Vikings d’ailleurs, n’aime pas l’eau froide… Il a un tempérament plutôt écolo que guerrier, il a le mal de mer et est incapable de prédire l’avenir grâce aux runes…
En outre, les femmes, restées bien évidemment au village, prennent du bon temps, et, surtout, se sont converties au catholicisme, obligeant leurs époux et putatifs maîtres à ne pas piller ni brûler les églises au cours de leurs mâles amusements.
C’est la vie quotidienne de ces Vikings qui est au centre de cet album, construit en gags d’une demi-page. L’humour y est omniprésent, parfois bon enfant, plus souvent grinçant et quelque peu noir… C’est ainsi, par exemple, qu’on parle, au détour d’une page, d’un « pillage durable et écoresponsable » !
C’est dans cette forme d’humour, d’ailleurs, que réside le talent de Lupano : réussir à parler de notre monde, par une multiplication d’allusions, de petites « piques », de gags récurrents aussi (un canard et une oie…). Il le fait avec les Vieux Fourneaux, de manière frontale, directe, puisque ces vieux adolescents vivent leurs aventures dans notre présent, il le fait ici avec l’alibi souriant d’un passé lointain.
Un alibi, oui, puisque rien n’empêche le sieur Lupano de nous caricaturer des religions, celle des Vikings comme celle des chrétiens, religions dont un des personnages dit : « Tu n’as pas idée du pouvoir de la croyance. » D’un côté, neuf mondes plats agrémentés de dieux et de personnages mythiques, de l’autre, un seul monde symbolisé par un crucifié ! Pas de vainqueur, en finalité…
Je parlais des allusions, et elles sont nombreuses, avec ces Vikings tellement peu sérieux ! On y parle des experts et de leurs pouvoirs absolus et sans cesse inutiles, on nous parle de la lutte des classes, de la place de la femme… Mais toujours, bien évidemment, avec un humour qui se révèle à la fois gentillet et acerbe !
Le dessin d’Ohazar crée, quant à lui, cette brume du titre qui permet tous les flous historiques possibles et imaginables… Ce dessin participe pleinement, par sa façon d’étirer les personnages, ou de les écraser, à l’humour grinçant du scénario. D’une belle efficacité, une efficacité immédiate, ce graphisme se permet aussi quelques références, quelques allusions… Gratuites, certes, mais extrêmement agréables, comme à Hokusai…
Un livre agréable, avec une morale, pourtant, exprimée par un personnage : « Le monde change vers davantage de communication. L’Histoire dira si c’est une bonne chose. ».
Jacques et Josiane Schraûwen
Vikings Dans La Brume (dessin : Ohazar – scénario : Wilfrid Lupano – éditeur : Dargaud – mars 2022 – 64 pages)