Du western… Mais pas seulement ! Une saga se termine en apothéose…
Nous voici arrivés au cinquième et dernier tome d’une série, La Venin : l’histoire d’une vengeance, celle d’Emily, l’héroïne, dont l’enfance a été faite d’abandons, d’horreur, de désespérance, mais aussi, et surtout, de haine…
Chacun des tomes de cette série la montre à la recherche et à la poursuite de ceux qui ont tué sa mère. Des êtres qui ont trouvé leur place dans la société américaine de ce tout début de vingtième siècle, alors qu’elle, pour survivre, pour se donner les moyens aussi de sa vengeance, elle a dû exister dans les bas-fonds de cette société.
Survivre, devenir forte, et condamner, de par son seul jugement, à la mort ceux qu’elle poursuit… Et dans ce cinquième opus, elle parvient, enfin, à la fin de sa quête, à la dernière de ses victimes. Et cette fin se fait aussi comme étant la fin d’une boucle… Tout commence par l’enfance d’Emily, tout se termine par une autre enfant qu’elle va devoir, et vouloir, assumer telle une mère, une mère quelle n’a jamais vraiment eue…
Il s’agit, vous l’aurez compris, d’un western classique de par sa thématique. Mais Laurent Astier, son auteur, même s’il use d’un dessin classique, dans une filiation revendiquée avec Giraud, a choisi une narration originale… D’abord par le choix de son personnage central et des autres personnages qui l’aident à parvenir à ses fins : des femmes… De petite vertu, mais actives, solidaires, vivant dans un univers d’hommes, de mâles, et obligées, dès lors, de lutter pour être autre chose que des objets, des éléments d’un décor machiste.
A ce titre, on peut parler d’un western social, également…
Et puis, il y a le choix de Laurent Astier de construire son récit en usant à la fois des codes du western, de ceux du polar presque classique, puisqu’il y a une vraie intrigue policière, avec ses rebondissements, ses explications de fin d’histoire, aussi… Du polar classique, mais du polar lui aussi social…
Et Astier mélange ces deux styles narratifs dans une construction qui fait penser aux feuilletons de la seconde partie du dix-neuvième siècle. Les personnages, d’album en album, apparaissent, disparaissent, reviennent, meurent, les destins s’entrechoquent dans une sorte de mélodrame à la fois très sanglant et très social, toujours…
Et c’est ce choix-là, de nous emmener dans une saga aux mille possibles, qui fait que cette série se révèle passionnante, de bout en bout, de livre en livre.
Avec tous ces personnages, tous ces « styles », on pourrait penser que le lecteur a toutes les chances de se perdre en route.
Pour être honnête, je dirais que le lecteur, en effet, a tout intérêt à (re)lire les cinq albums les uns à la suite des autres… Eugène Sue, en son temps, éditait un épisode toutes les semaines, ou presque… Ici, c’est un album par an ! Cela dit, chaque épisode étant une quête, une aventure d’assassinat de vengeance, on peut aussi les apprécier tels quels, mais il y aura un manque, c’est certain…
Parce que l’intérêt aussi de cette série, qui mélange habilement fiction et Histoire, se situe dans le fait que tous les personnages ont leur importance, qu’ils participent tous pleinement au récit, à l’action. Le tout dans un scénario qui se base véritablement sur l’Histoire, la grande histoire américaine, avec ses présidents, ses hommes de pouvoir, ses racismes…
Cela dit, une bande dessinée, c’est aussi, et surtout, du dessin…
Laurent Astier prend un vrai plaisir à jouer avec les plans, les perspectives, à nous dessiner de somptueux décors, à s’attarder aussi sur les visages, les expressions, allant presque jusqu’à la caricature, mais presque uniquement, pour souligner les émotions qui sous-tendent l’action.
Son frère Stéphane, maître des couleurs, parvient avec talent, lui, à créer des ambiances qui, du feutré à la violence pure, font de chaque séquence de ce livre un petit « tout » extrêmement agréable à lire.
Le western, c’est un genre littéraire qui peut réunir tous les autres, de la tragédie au mélo… Et Astier l’a bien compris, en une série classique qui mérite le détour… D’un classicisme, qui sous la plume de son auteur, ne manque nullement d’originalité !
Jacques et Josiane Schraûwen
La Venin : 5. Soleil de plomb (Auteur : Laurent Astier – couleur : Stéphane Astier – éditeur : Rue De Sèvres – janvier 2023 – 68 pages)