Un livre de plus sur la guerre 40-45 et ses massacres ?… Non, un premier album d’une histoire dans laquelle cette guerre nous est montrée à hauteur d’enfance…
Nombreux sont les livres consacrés à la guerre, à la résistance, à l’horreur de la shoah… Parmi eux, nombreux sont les vrais chefs d‘œuvre d’intelligence et d’émotion, comme « Irena », ou « Les enfants de la résistance ». D’autres livres, un peu trop nombreux à mon goût, nous racontent des histoires héroïques… Certes, l’héroïsme a existé, mais je ne pense pas qu’il soit de bon ton, aujourd’hui, d’essayer d’en refaire une valeur ! D’autres livres, aussi, dressent un portrait froid de cette époque, un portrait sans âme, purement historique. A mon humble sentiment, ces livres me semblent assez inutiles, comme « Oradour » de Miniac et Marivain.
D’autres livres, enfin, sacrifient à une mode, à un mouvement de l’actualité, comme toutes ces bandes dessinées consacrées à Oradour, ou aux résistants de l’Affiche Rouge… Même si, parmi ces derniers albums, certains sont des vraies réussites, je pense que d’autres sont simplement l’essai de quelques-uns de se donner une bonne conscience !
Ce livre-ci, que j’ai décidé de partager avec vous, est étonnant de lucidité, d’émotion, oui, ingrédient essentiel à la réussite de toute réalisation artistique… C’est un livre de mémoire, construit comme l’est la mémoire humaine, avec des allers-retours incessants entre ce qui fut et ce qui est… Avec des souvenirs qui sont tantôt ceux d’images, de lieux, de bruits, tantôt ceux de peurs, de fuites, de douleur, tantôt encore de visages, de noms, de gestes…
Ce livre nous raconte les souvenances de Gisèle Flachs qui fut enfant en Pologne et puis en Ukraine, Juive sous le pouvoir absolu d’une idéologie dont la répugnance n’arrête pas de vouloir ressurgir (et y arrive bien trop aux quatre horizons de notre planète, sous l’œil indifférent de l’ONU et de toutes les « démocraties » bien-pensantes) ! Gisèle Flachs, une petite fille à qui l’Histoire a volé son enfance… Une petite fille qui a survécu, envers et contre tout, et qui a raconté son histoire, bien plus importante que l’Histoire majuscule, dans un livre extrêmement simple, extrêmement puissant.
David Peeters, l’auteur de cette « adaptation », en trois volumes je pense, nous parle, en fait, de la non-disparition du chagrin… De la nécessité, pour exister plutôt qu’être, de refuser les mémoires officielles, fonctionnarisées… De ces cimetières qui sont parfois la conscience du temps qui passe… Du déni des gens bien-pensants, aussi : « Les camps ?… Jamais entendu parler ! »… De la peur, de l’espoir, de la désespérance devenant une nécessité de vie…
Ce faisant, David Peeters évite la facilité d’un récit linéaire chronologiquement parlant. Il dessine au rythme d’une mémoire qui n’est pas la sienne, mais qu’il s’approprie avec une véritable amitié, ai-je envie de dire. Il remet les choses en place, et nous parle des gens normaux, de ces civils, aussi, qui furent des masses à accepter la haine comme conduite quotidienne, des civils oui, qui ne furent pas moins dégueulasses que les hommes en uniforme nazi.
David Peeters a derrière lui une existence bien remplie, dans le monde de la cuisine, de la peinture, de l’érotisme, de l’édition, de la bd. Ici, avec un dessin qui évite toutes les caricatures, toutes les démesures, avec un récit qui, totalement, s’inscrit dans une volonté d’humanisme, il arrive à une maîtrise de son graphisme en noir et blanc imposante… Bien sûr, on y trouve des références, une filiation, avec des auteurs comme Comès ou Chabouté. Mais sa façon de construire son histoire, de la découper, de créer des planches aux perspectives proches du style des comics américains, tout cela rend son travail, artistique mais aussi humain, d’une belle originalité.
Un excellent livre, vous l’aurez compris. Un de ces livres qui provoque chez les lecteurs des interrogations, des remises en question, des moments de silences réfléchis… Un livre que, je pense, on ne peut pas « critiquer », mais bien « chroniquer »… C’est-à-dire en parler comme un simple lecteur qui, face à une œuvre, quelle qu’elle soit, se décide de parler de lui, de ses sensations, de ses idées.
Un excellent livre, oui… Intelligent et graphiquement abouti… Un livre qui devrait, je pense, se retrouver bien vite en bonne place dans votre bibliothèque…
Jacques et Josiane Schraûwen
Sous Terre Pour Survivre : 1. Pogrom (auteur : David Peeters – éditeur : Lamiroy – avril 2024 – 114 pages)