La bande dessinée a comme qualité première de pouvoir librement (pour le moment, de moins en moins…) aborder mille et un sujets… C’est ce qui m’a attiré dans ce livre-ci, à découvrir, vraiment…
C’est un livre lourd de quelque 350 pages, une forme d’autobiographie de son autrice, JJ Lee… Une autobiographie sans fioritures, qui ne cache pas la réalité d’une existence qui, pour jeune qu’elle soit, s’est enfouie dans les méandres de la douleur de vivre.
L’héroïne de cet album est une jeune Coréenne du sud immigrée aux Etats-Unis avec ses parents. Une enfant encore qui ne parvient pas à se trouver sa place dans un monde qui n’est pas le sien, avec une langue qu’elle ne réussit pas à assimiler. Une jeune fille qui grandit, se choisit un prénom à l’américaine, mais continue à se sentir perdue, à se savoir emplie d’une absence qu’elle ne peut nommer. A n’avoir, finalement, qu’une identité égarée dans les limbes d’une existence de plus en plus lourde.
Elle se sent, totalement, différente, tant vis-à-vis des Américains que des Coréens… Elle veut être normale, simplement, mais pour elle, cela signifie se battre avec elle-même, avec une mère créatrice de conflits, aussi… Avec qui elle est, surtout, avec qui elle a été, avec qui elle veut être… Cela la conduit à se coincer dans un néant auquel elle veut résister. Mais le combat contre soi-même n’a rien, jamais, de facile, et se révèle souvent destructeur… Cela la conduit à des troubles mentaux, mais physiques également, jusqu’à une tentative de suicide…
Le dessin, en tonalités de gris, d’une réelle beauté formelle, crée de bout en bout une ambiance qui nous plonge, lecteurs, dans l’univers de cette jeune femme, tout en adoucissant, par la force de l’image, la tristesse fondamentale du récit. Ce n’est pas un livre « délassant », vous l’aurez compris ! Mais c’est un livre important, traité avec à la fois de la pudeur et une franchise immense… Un livre qui nous parle d’identité, et de nécessité à ne renier ni son passé ni son présent… Un livre qui nous révèle une face ignorée de l’immigration, aussi, et cette difficulté à réussir à se définir au-delà des exils, quels qu’ils soient ! Ne sommes-nous pas tous, finalement, des êtres exilés de nos enfances perdues ?
Jacques et Josiane Schraûwen
In Limbo (autrice : Deb JJ Lee – éditeur : Akileos – 352 pages)