Revoir Paris – Une nouvelle aventure d’Alphonse Madiba dit Daudet

Troisième épisode d’une aventure picaresque et colorée, cet album prouve que la bande dessinée est un langage universel et culturel, et encore plus lorsqu’elle se veut iconoclaste et joue avec des « clichés » pourtant peu sympathiques !

copyright l’Harmattan

Alphonse Madiba a vécu, de manière illégale bien sûr, en France. C’est de ce pays que lui est venu son sobriquet, « Daudet », lorsque, dans le deuxième épisode de cette série, il s’est retrouvé renvoyé dans son pays, la « Balaphonie ». Un deuxième épisode qui l’a vu sans vergogne user d’arnaques, de mensonges, d’attitudes prétentieuses parfois, pleurnichardes d’autres fois, tout cela pour retourner dans cette terre promise européenne, une terre dans laquelle, pourtant, on ne peut pas dire qu’il ait vécu la plus belle des harmonies ! Mais que voulez-vous, les mirages ont la vie dure !

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Dans ce troisième album, il est donc toujours en Afrique… On l’a accusé d’homosexualité, il s’est retrouvé en prison, mais il parvient à retrouver la liberté. Une liberté qui n’a de sens, pour lui, que pour arriver à ses fins, s’en aller, loin, aller retrouver Paris… Pour ce faire, il va encore une fois tout essayer, tout oser ! Il va même se faire assistant-élève d’un sorcier bidon… S’associer avec une ancienne gardienne de prison qui lui a permis de prouver qu’il n’était pas gay… S’acoquiner avec un policier pour lequel l’argent, d’où qu’il vienne, est toujours bon à prendre…

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Je parlais de clichés, et c’est bien de cela qu’il s’agit dans cette série, dans cet album. Tant au niveau du dessin que du texte, c’est le portrait vu d’Europe d’un continent qui ne fait plus rêver, et qui fait plus que friser le ridicule. Cette Europe, cette France surtout dans laquelle, un jour, Daudet s’est fait le chantre d’autres ridicules, à la peau claire, eux ! Et c’est ce que j’aime énormément dans les aventures de Madiba : si Al’Mata au dessin et Enomo au scénario usent de ces fameux clichés, ils n’en abusent pas, ils s’amusent même à en démonter, tranquillement, les mécanismes!

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Au contraire, ces clichés leur permettent de faire rire ou sourire, de nous dévoiler, en fait, que derrière les apparences grotesques se cachent à peine des réalités qui, elles, n’ont rien de risible… L’immigration est, bien évidemment, présente… Mais la corruption aussi… La misère… La politique avec, en fonds d’écran dirais-je, les bons conseils des Européens… Ces Européens qui, finalement, ont des « croyances » qui valent bien celles des sorciers africains, puisque, dans la ville où survit, en rêvant à des ailleurs enchanteurs, Madiba, un colloque est organisé avec des spécialistes français des elfes, des fées et « d’autres petits trucs »… Et Madiba, du coup, se définit tout seul comme spécialiste balaphonien des elfes africains, de façon à pouvoir, à son tour, aller en France pour en parler !

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C’est comme un miroir, finalement : le vieux pseudo-savant venu de France, pour retrouver la pureté d’une culture qu’il ne connaît pas, n’est pas moins ridicule que Madiba ! Cela dit, si le sérieux du propos est bien présent, comme toujours dans les productions de cette excellente maison d’édition, « L’Harmattan », il n’a rien de pesant, que du contraire ! Les aventures de Madiba, ses efforts à la Tartarin, ses mensonges à la Tarascon, c’est cela qui construit le livre, qui le rend souriant, endiablé, formidablement marrant, aussi… Et, de ce fait, tolérant, intelligent, et donc éminemment culturel… Humaniste…

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Le scénariste Edimo mêle, littérairement, avec talent l’art de la caricature à celui du mouvement, à celui du langage, aussi. Aucun temps mort dans son récit, on se trouve, sans aucun doute possible, dans une « comédie » qui pourrait n’être que dramatique et qui se révèle superbement amusante !

Quant au dessin d’Al’Mata, au fil des albums il a perdu son côté naïf, pour laisser la place à une sorte de semi-réalisme qui permet à la narration d’être à la fois très visuelle, très fidèle aux paysages africains, et à la fois suffisamment en recul de cette réalité pour pouvoir dessiner de la vie les folies, les dérives, toujours avec de grands éclats de rire !

Ses « trognes », celle du flic entre autres, sont fabuleuses… Tout comme est fabuleux son sens de la lumière…

Un livre, croyez-moi, à ne pas rater !

Jacques et Josiane Schraûwen

Revoir Paris – Une nouvelle aventure d’Alphonse Madiba dit Daudet (dessin : Al’Mata – scénario : Edimo – éditeur : L’HarmattanBD – 2024 – 71 pages)

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