Dans un format bd traditionnel, Bastien Vives se révèle encore un peu plus comme un conteur capable d’explorer mille et un univers de l’imaginaire ! L’univers, ici, de l’aventure…

La première chose que j’ai envie de dire, en refermant cet album, c’est que j’en ai marre qu’on parle partout, de plus en plus, de romans graphiques ! Et ce pour des œuvres qui sont loin, très loin, graphiquement et scénaristiquement, de Will Eisner ! Pourquoi les éditeurs et certains auteurs ont-ils ce besoin imbécile de chercher un alibi culturel à ce qui est pourtant un art à part entière, le neuvième, celui de la bande dessinée !!!! Ce livre-ci, donc, « Lune De Miel », est un album de bd, pas un roman graphique, et un album particulièrement réussi !

Bastien Vives, son auteur, du haut de ses quarante ans, a derrière lui une vraie carrière. Il a été très vite considéré par la critique, et le public, comme une sorte de chef de file d’une bande dessinée franco-belge moderne, revendiquant les apports que l’animation, le manga, la bd dite « alternative » peuvent avoir dans une bd du vingt-et-unième siècle. Ce qui est remarquable dans le parcours artistique de Bastien Vives, c’est la joie presqu’adolescente qu’il a eue à mélanger les genres, à laisser l’imagination jouer son jeu, et même (surtout peut-être…) à s’aventurer dans des lieux que Dame Anastasie réprouve, suivie par des hordes qui, en d’autres temps, auraient brûlé Apollinaire, Louÿs, et bien d’autres, sur la place publique !

Et le voici plongé dans de l’aventure, au sens premier du terme, sans introspection aucune, sans besoin de s’approprier un univers qui n’est pas le sien, comme avec Corto Maltese. Bastien Vives, ici, s’amuse-t-il à changer de « genre », ou, tout au contraire, prend-il plaisir à montrer qu’il est capable de tout créer, de tout imaginer, de tout partager ? Et cela avec un sens de la narration qui lui appartient totalement…

Un couple, sur une plage grecque… Sophie et Quentin sont en vacances, loin de la ville, de leur boulot, loin des enfants, aussi, qui prennent (peut-être) du bon temps chez leurs grands-parents. Ils ont les questionnements que tous les couples amoureux et vacanciers ont : que faire après la plage, quel restaurant choisir ? Ils sont bien, simplement bien ! Et voilà que débarque Olivier, qu’ils connaissent à peine et dont ils ont le souvenir d’une soirée pour le moins pourrie… Olivier qui les invite pour le soir-même, à un repas sur son petit bateau.
Se sentant un peu obligés, et malgré leurs réticences, Sophie et Quentin vont au rendez-vous… Ce n’est pas d’un petit bateau qu’il s’agit, mais d’un immense yacht dont Olivier, en fait, est le gardien, pour le compte d’un certain Vermulen ! Et le repas n’est pas un petit en-cas entre intimes, mais une réunion de gens qui ressemblent à tout sauf à de paisibles vacanciers, même friqués. C’est alors, par les réflexions que nos deux héros se font qu’on commence, lecteurs, à deviner leurs professions… Et tout est en place pour que l’intrigue puisse, par petites touches, par le biais des dialogues comme des regards, se nouer. Et se faire tragique !

Sophie et Quentin ne se retrouvent pas dans une réunion d’amoureux de la drogue… Ils sont en présence d’une réunion de narco-criminels… Et, perdus en mer, impossible de s’échapper ! Ils se font petits… Admirent le bateau, un tableau de Vlaminck, une bibliothèque de bandes dessinées en éditions originales (avec, au passage, un petit hommage serein de la part de Vives à l’immense Hermann), chipotent un peu à tout… Jusqu’à ce que, d’un objet indéfinissable, s’échappe un sphinx… Un papillon aux couleurs souveraines qui va devenir le déclencheur de la tragédie en allant embrasser un des truands qui, en quelques secondes, meurt de ce baiser volant… On pourrait croire que l’histoire, dès lors, va se faire « fantastique », mais il n’en est rien… Tout va rester logique dans le récit, jusque dans l’horreur, et tout va permettre à Bastien Vives de se montrer à l’aise en dessinant un yacht qui explose, une plongée sous-marine à la « Poséidon » avec requins gourmands, tout lui permet, en effet, d’éviter les temps morts, de laisser, en quelque sorte, l’aventure l’envahir totalement, et nous subjuguer ensuite ! Aidé en cela, il faut le dire, par une coloriste extrêmement talentueuse aussi, Brigitte Findakly.

Vous l’aurez compris, j’aime beaucoup cet album… On nous dit qu’il s’agit là d’une histoire « qui rappelle les films d’action familiaux des années 80 et 90 » ! Je dirais, quant à moi, que ce livre nous rappelle à toutes et tous combien Bastien Vives est un auteur important ! Un artiste de qualité… Un dessinateur libre qu’on ne pourra jamais, je pense, cantonner dans une seule « case » !
Jacques et Josiane Schraûwen
Lune De Miel : 1. Le Baiser Du Sphinx (auteur : Bastien Vives – couleurs : Brigitte Findakly – éditeur : Casterman – mai 2025 – 48 pages)