La vieillesse : deux albums, deux visions du « placement », deux angles de vue différents… Deux livres à lire !!!

La vieillesse : deux albums, deux visions du « placement », deux angles de vue différents… Deux livres à lire !!!

Même en lisant beaucoup, force est de reconnaître que, pour mille et une raisons, on peut passer à côté d’albums de grande qualité… Cela dit, je prends le temps, très régulièrement, d’aller rechercher ces anciens albums… Et parfois, j’y découvre des œuvres humaines, profondément humanistes, importantes à bien des niveaux… Des pépites, oui… En voici deux, d’un même éditeur, et d’un sujet identique ! Deux albums extrêmement réussis à lire et à faire lire !

copyright bamboo

Prends bien soin de toi (auteur : Rudo – éditeur : Bamboo – 2021 – 72 pages)

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Geoffroy Rudowski, alias Rudo, est dessinateur de bd. On a pu voir son nom chez différents éditeurs. Seulement, même si la bande dessinée peut avoir l’air d’un paradis de liberté, pour ceux qui en vivent, qui essaient d’en vivre en tout cas, c’est tout sauf évident ! Une accumulation de dettes, une séparation amoureuse, et voilà ce jeune auteur obligé de « se réinventer » comme le disent les pouvoirs publics et imbéciles. Il se trouve obligé, plus simplement parlant, de se trouver un job qui ne soit pas artistique et qui lui permette de remplir son frigo et de rembourser ses dettes. Après bien des recherches, il accepte un emploi d’aide-soignant dans un home pour personnes âgées.

Le monde dans lequel il entre n’a, évidemment, rien à voir avec quelque ambition que ce soit. Mais il a, malgré tout, un rapport étroit avec ce qu’il est. Avec la relation qu’il a avec sa mère, rescapée du cancer et vivant avec une trachéotomie… Avec son père, mort du cancer, et qu’il aidait très intimement pour qu’il garde sa dignité… Cet univers n’est pas le sien, mais il en connaît les gestes, ceux de l’amour en quelque sorte. Il va en découvrir la réalité tangible, celle du boulot, celle de « l’entreprise ». Idéaliste, sans aucun doute, plein d’empathie, il va se lier, journellement, avec les résidents dont il s’occupe… Il va les aider, autant qu’eux l’aident lui. Il va les accompagner dans des excursions, il va approcher de tout près les soubresauts de la personnalité soumise à Alzheimer. Il va garder les yeux ouverts sur l’horreur véritable de ces lieux de fin de vie : la rentabilité… Economies dans les achats de couches, dans les repas, dans le nombre de membres du personnel, dans l’entretien des locaux…

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Et c’est ce monde de la vieillesse, ce monde dans lequel la dernière porte fait déjà un peu plus que s’entrouvrir, c’est avec ces gens qu’on traite comme des enfants et qui ne le sont plus depuis longtemps, qu’il va écouter sa propre voix au travers de celle de Colette qui lui dit : « On a toujours le choix. On a tous des revers dans la vie mais rien n’est définitif. Si tu as de l’or dans les mains, c’est dommage de tout laisser tomber. Ca vaut la peine de s’accrocher. Il y a tellement de gens qui n’ont pas cette chance. » Il va s’accrocher, quitter cet emploi, retrouver sa planche à dessin… Le résultat, c’est cet album, autobiographique, émouvant, souriant surtout… C’est cette manière qu’il a choisie, avec lucidité, de prendre soin de lui… Un livre dans lequel les réflexions sur ces homes, ces ehpad, qui devraient être des lieux de vie et qui ne sont que des entreprises aux mains d’actionnaires sans âme, ne portent pas à se réjouir, mais à réfléchir… Un livre plein d’humour et de tendresse, un livre sans provocation, un livre qui nous raconte un trajet de vie entouré de pleins d’autres trajets de fin de vie… Un retour à la bd d’un auteur au dessin tout en souplesse et en sourires…

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Le Plongeon (dessin : Victor Pinel – scénario : Séverine Vidal – éditeur : Grandangle – 2021 – 80 pages)

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Yvonne a 80 ans… Elle quitte sa maison, et s’installe dans un ehpad… Elle ne le fait pas parce qu’elle est malade, non, elle le fait, sans doute, par lassitude… Pour correspondre, probablement, à ce qu’on attend d’une femme vieillie, avec, comme elle le dit elle-même, de beaux volumes, mais tout est à refaire !

Ce qu’elle laisse derrière elle, c’est sa maison, c’est son amour enfui, c’est tout son passé, toutes sa liberté, toute son existence… Ce dans quoi elle pénètre, c’est une antichambre qui conduit, elle le sait, tout le monde le sait, à la mort. C’est un monde, pourtant, dans laquelle la vie survit, étrangement, malgré les rides, malgré les handicaps, malgré les douleurs, malgré ou grâce aux souvenirs.

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Yvonne a toujours été indépendante. Et dans cet environnement nouveau, elle n’abandonne rien de ses ardeurs, de ses folies, de ses libertés ! Elle rue dans les brancards, tous simplement… Elle refuse d’être infantilisée, elle refuse que les autres pensionnaires le soient aussi… Elle refuse de n’être qu’en attente, et elle noue des liens, et elle redécouvre l’amour, le plaisir, la jouissance, la tendresse, la folie… Elle sait que la mort arrive, et elle vit, pleinement ! En révolte, aussi, face à une société dans laquelle les vieux se doivent de fermer leur gueule et de rester dans les clous !

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Cette bd n’a rien de violent, pourtant, elle nous raconte, elle nous montre… Yvonne devient, pour nous, lecteurs, le symbole de ce que, un jour ou l’autre, nous aurons à découvrir, toutes et tous : la réalité du mot vieillir… A 80 ans, le corps existe, et ses besoins, et ses beautés, et ses émerveillements… Et ses plongeons, et ses fugues pour ne pas devenir plantes dans un monde qui prend ses « aînés » pour des mourants. Cette bd est pleine d’une tendresse lumineuse, elle m’a fait penser à un vieux film belge de Benoît Lamy, « Home sweet home », qui montrait, avec des acteurs amateurs et âgés, une révolte dans un home pour vieillards… Il n’y a, ici, pas de révolte ouverte, il y a un hymne à la vie, à la beauté de vivre jusqu’au dernier instant ! Le scénario de Séverine Vidal est d’une finesse et d’une impudeur tranquilles… Quant au dessin de Victor Pinel, il est d’une exceptionnelle justesse de ton, de mouvements, de couleurs… Le tout pour un livre, oui, exceptionnel et qui devrait empêcher les jeunes cons de traiter leurs grands-parents de boomers !…

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J’ai toujours trouvé ridicule et stupidement mercantile que l’existence d’un livre ne dépasse jamais le temps restreint pendant lequel il a le droit de s’étaler au milieu des nouveautés… Si le fait de vous faire redécouvrir quelques vraies pépites leur donne une seconde vie, aussi petite soit-elle, j’aurai rempli ma mission de chroniqueur : défendre des livres que j’ai lus, que j’ai aimés, et que j’aimerais tant voir lus et aimés par d’autres !

Ces deux albums datent de quelques années… Mais ils restent d’une vérité et d’une actualité qui nous parlent à toutes, à tous, jeunes et moins jeunes ! Dénichez-les, ces deux livres, lisez-les, laissez-vous éblouir par tous les âges et tous les temps du verbe exister !

Jacques et Josiane Schraûwen

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Au Cœur Du Désert – Un western librement construit autour d’un livre de Joseph Conrad (et une exposition à Bruxelles!…)

Un homme à la poursuite de son frère, de son enfance, dans un monde dont les repères ne sont que violents… Une quête humaine racontée à petites touches !

copyright Charles

Comment vous parler de Maryse et Jean-François Charles, les auteurs de cet album ?

Avec tendresse… Parce que, au-delà de leur métier d’artistes du neuvième art, ils sont tout simplement gentils… Humains… Ils peuvent se révéler d’une profonde amitié en des moments où la nécessité d’une main tendue se fait sentir, et je sais de quoi je parle !

copyright charles

Avec souvenance, aussi, parce que leurs livres, depuis bien des années, occupent une place de choix dans les albums qui m’ont fait aimer la bd sous toutes ses formes. Les « Pionniers du nouveau monde » fut (et reste encore, avec un autre dessinateur aux commandes) une série « western » à la fois classique dans sa forme et originale dans son propos. Michel Deligne, éditeur, ne s’est pas trompé en éditant cette série, en demandant aussi à Jean-François d’illustrer quelques couvertures de « Casey Ruggles », en s’inspirant du dessin étonnant de modernité de l’Américain Warren Tufts. Du western, encore…

copyright deligne

Et les voici de retour dans cet univers aux codes bien établis qu’est celui des aventures vécues dans l’Ouest américain. Avec un pari osé : adapter dans ce monde-là une histoire écrite par Joseph Conrad, « Au cœur des ténèbres », se déroulant dans une tout autre réalité que celle du western. Ils ont donc pris la liberté de s’inspirer du récit originel de Conrad, sans le dénaturer, loin de là, mais en le confrontant à des situations différentes. Cela dit, cette démarche à partir du roman de Conrad n’est pas neuve… Coppola avait fait de même avec son somptueux « Apocalypse now »… De même, oui, et avec une réussite tout aussi évidente !

Le récit que nous livrent Maryse Charles au scénario, et Jean-François Charles au dessin (et au scénario aussi…), suit, à la fois de près et de loin, le déroulé du livre de Joseph Conrad, en changeant de lieux, certes, en changeant de moments de l’Histoire, bien évidemment, mais en ne changeant rien de l’aspect terriblement universel d’une quête humaine indispensable. Nous sommes donc, avec les Charles, dans l’ouest américain, en une époque où, la guerre de Sécession terminée, il restait aux pouvoirs de l’argent à récupérer les territoires que des « sauvages » croyaient être les leurs. Un jeune lieutenant, Norman Pyle, reçoit pour mission de retrouver son frère aîné, un héros de guerre qui a tourné les talons et pris la tête d’un groupe d’Indiens en révolte. Le retrouver, et lui rendre la raison… De quelque manière que ce soit…

copyright charles

Cette mission devient vite, pour ce jeune homme pétri de certitudes militaires, un chemin qui le conduit à lui-même, en une sorte de quête inattendue qui va obliger ce militaire aux obéissances bien apprises à regarder le monde tel qu’il est, à regarder les gens dans toute la démesure de leurs quotidiens si rarement enchantés. Et, ainsi, Les Charles nous proposent un portrait de ces Etats-Unis qui ont tant fait rêver et que la grande Histoire, depuis « Little Big Man » ose nous montrer tels qu’ils étaient. Un portrait étrange, puisque ne s’attardant nullement sur les détails des découvertes du jeune Norman…

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Parce que c’est de cela qu’il s’agit, pour ce militaire : traverser un monde, en observateur, graver au fond de sa mémoire une femme battue par son père violeur… Y graver aussi ce racisme que la guerre de Sécession n’a nullement supprimé, loin s’en faut… Y graver le mélange de deux époques, entre les convois de gens espérant trouver ailleurs le bonheur qu’ils n’ont pas, et le chemin de fer apportant peu à peu un progrès sans âme… Y graver les mille injustices d’une société dans laquelle les armes tuent les mots… Y graver les paysages démesurés cachant la démesure des Indiens abandonnés et haïs… Y graver l’omniprésence de la violence, une violence qui n’a même pas besoin de haine pour exister… Y graver aussi les souvenances les plus personnelles, et découvrant ainsi que toute aventure, sordide ou sublime, commence dans l’enfance… Y graver cette évidence que, dans cet Ouest tellement de fois imaginé, la femme n’avait pratiquement aucune existence propre…

copyright charles

On peut, je pense, être étonné par cette manière dont, scénaristiquement et graphiquement, ce livre se déroule… Mais il y a là, sans doute, la vraie fidélité au roman de Joseph Conrad : suivre simplement les regards d’un homme tout au long d’une ballade qui, finalement, est d’abord et avant tout intime et, donc, solitaire… Le roman (comme le film, comme cette bd) n’est pas formaté… C’est ce qui en fait le succès qui ne se dément pas au fil des années. Ce roman, ce film de Coppola, ce somptueux album des Charles, tout cela se construit, avec une sorte de poésie cruelle, autour d’histoires ébauchées puis abandonnées, pour laisser la place, en définitive, à l’évolution du personnage central… Pour laisser la place, finalement, à la mort, bien évidemment… Conrad comme Charles nous parlent de l’inéluctable évidence de tout trajet humain.

copyright charles

En lisant cet album, en me laissant emporter par le rythme très particulier de sa narration, me sont revenus, comme pour le personnage central, des souvenirs… Ceux des premières lectures faites des œuvres de ces deux auteurs intimement confondus, du plaisir à lire leurs premiers livres, mon épouse et moi, sur les étals de chez Michel Deligne… Mais je me suis souvenu aussi d’autres lectures, qui avaient passionné l’adolescent que j’étais : Dylan Stark, de Pierre Pélot… Des romans d’une intensité exceptionnelle, de la vraie littérature intelligente pour adolescents… Les code du western, comme dans « Au cœur du désert », sont omniprésents… Mais ils n’existent que pour montrer que tous les destins humains ne peuvent se faire qu’avec révolte, qu’avec humanisme en même temps… Et, à ce titre, ces romans et cette bd se font totalement universels…

copyright pélot-joubert

Cette réminiscence m’amène à vous parler du dessin de Jean-François Charles. Les couvertures des romans de Pierre Pélot étaient dessinées par l’immense Pierre Joubert… Les illustrations des textes de Pierre Pélot paraissant dans le magazine Tintin étaient, elles, du tout immense Hermann… Et le dessin de Jean-François Charles réussit à ce qu’on y retrouve les souffles de Joubert comme de Hermann, mais avec une évidente et essentielle personnalité… Charles, ici, mène à son accomplissement une démarche qu’il avait entamée avec « China Li » : laisser le dessin, souvent, parler seul… Se faire illustration… En pleines pages, aussi… Il fait œuvre de dessinateur mettant des dessins sur des mots,  il fait aussi œuvre de peintre, laissant la trame des toiles rythmer les traits de ses pinceaux sur les planches de cet album…

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Vous l’aurez compris, ce livre est une superbe réussite… Que vous pouvez, en outre, regarder de tout près dans la Galerie Champaka, jusqu’au 17 mai, au 27 de la rue Allard, à 1000 Bruxelles.

Et je pense que c’est dans des livres comme celui-ci, des one-shots, que Jean-François Charles exprime pleinement l’étendue de son talent… Pour son plaisir, celui de sa scénariste et épouse, et le nôtre…

Jacques et Josiane Schraûwen

Au Cœur Du Désert (dessin : Jean-François Charles – scénario : Maryse Charles et Jean-François Charles – éditeur : Le Lombard – mars 2025 – 90 pages et un dossier)

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Blateman & Bobine – Bd délirante pour adolescents amusés

De la bd pour adolescents, oui, avec deux tomes parus d’une série consacrée à un super héros plutôt proche de la super-nullité!

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Sa tenue, déjà : celle d’un cafard ! D’où son nom : Blateman. Heureusement que son assistant, Bobine, lui, est futé, débrouillard ! Ce jeune garçon est là, en fait, pour apprendre à devenir à son tour super-héros ! Avec Blateman en guise de maître de stage, cela n’est pas évident ! Deux albums sont déjà sortis. Le premier, Zombie-Attack, nous conduit dans un village au nom de « Loindetout ». Un village que des zombies, entre autres, hantent… Et que Blateman et Bobine vont, bien évidemment vaincre…

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Le deuxième tome s’intitule Gouda City. On y parle de disparitions qui sèment la terreur… et Blateman et Bobine vont avoir fort à faire pour démanteler un réseau criminel dirigé en partie par un certain Ronald Dump… Vous l’aurez compris, on se trouve ici en présence d’une série bd sans prise de tête… Un dessin extrêmement simplifié, mais plein de mouvements, des couleurs flashy, un découpage délirant, des jeux de mots en veux-tu en voilà…

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De la bd de divertissement pur pour des adolescents d’aujourd’hui… Avec, comme dessinateur, Vhenin, qui fit, si je ne m’abuse, en son temps, ses classes dans l’équipe de Jacques Martin… Ici, son graphisme s’éloigne totalement de l’univers de Martin… Et, ma foi, cela fonctionne bien, au premier degré…

Jacques et Josiane Schraûwen

Blateman et Bobine, deux volumes… Vhenin au dessin, Tarek au scénario, et c’est paru chez l’éditeur aba-academy… 2025