Et la mort, camarde misérable, l’a emmené vers d’autres territoires que les nôtres, dans lesquels ses 51 printemps se feront éternels.
copyright paquet
Je l’ai rencontré quelques fois… Admirant sa prestance goguenarde en kilt… Aimant ses mots, ses enthousiasmes, les brillances de ses yeux quand il répondait à mes questions.
copyright schraûwen
Ce Belge est entré dans le monde du neuvième art en 2004. Et, très vite, il s’y est imposé par son talent, par ce dessin semi-réaliste qui lui a permis de se lancer dans des récits feuilletonnesques prenants, passionnés… Même dans ses scénarios les plus démesurés, les plus fous, il a toujours montré des personnages « vrais », des êtres de chair et de sang, des humains, tout simplement, perdus dans des situations et des univers qui leur permettent d’affirmer leurs différences.
copyright grandangle
Il aimait ces narrations au feu desquelles il nous plongeait dans des péripéties à la fois anciennes, très art déco, et dans des futurs imaginaires toujours tellement proches de ce qui se vit au quotidien. Il aimait aussi, énormément, avec une sorte de clin d’œil à Canardo et Black Sad, mettre en scène des animaux humanisés et, de ce fait, démesurant tout ce qui est sentiment humain…
copyright drakoo
Etienne Willem ne dessinera plus, il ne fera plus rêver, lui qui était, sans aucun doute possible, un des dessinateurs majeurs dans la puissance souriante de ses récits, dans le bonheur qu’il avait à créer, à même toutes ses pages, des mouvements qui faisaient presque penser à de l’animation palpable…
Etienne Willem
Replongez- vous dans ses livres. Il y est présent, avec sa gouaille, son talent exceptionnel, sa gentillesse et son regard lucide sur l’être humain et le monde qu’il se construit…
Vieille bruyère et bas de soie, Les ailes du singe, chez Paquet…
La fille de l’exposition universelle, les artilleuses chez Bamboo, Drakoo…
Et j’ai eu la chance et le plaisir de l’interviewer… Pour réécouter Etienne Willem, suivez ces liens, tout simplement
Hugues Labiano au sommet de son art dans cet album qui s’expose dans la Galerie de la Bande Dessinée – 237, chaussée de Wavre – 1050 Bruxelles
copyright glenat
Ce livre est, on peut le dire, d’une facture classique, dans son propos, dans sa thématique, dans le récit qu’il nous fait d’une tranche de vie sans morale ni compassion.
Le personnage central, Ethan, a trahi le chef de la pègre de Cleveland. Un truand qui s’est vengé en tuant la femme d’Ethan, de manière horrible, en la démembrant… Et le voilà, cet homme en costard et cravate, de retour dans sa ville. Pour s’y venger en utilisant la police et ses ripoux… Dans sa ville, oui pour y vomir sa haine.
copyright glenat
Cet album s’accompagne d’un dossier parfaitement illustré et consacré aux « films noirs ». Un peu pour nous dire, sans doute, que ce livre est un hommage à un univers cinématographique précis. Avec des références évidentes ou discrètes à Fritz Lang comme à Orson Welles, au mythe universel de la femme fatale, à Coppola aussi, sans doute. Au niveau du dessin, du découpage, du travail sur un noir et blanc qui n’est pas toujours ce qu’il a l’air, du travail sur la couleur et ses infinies variations presque abstraites.
copyright glenat
Mais, à mon (très) humble avis, je parlerais ici, en guise de filiation, de la littérature « noire » bien plus que du cinéma… Parce que Philippe Pelaez, le scénariste, nous plonge à sa manière dans un monde extrêmement écrit, celui de Chandler, de Hadley Chase, de Carter Brown. Mais aussi, à petites touches, au pendant français du roman noir ou policier, avec la trilogie noire du génial Léo Malet, voire même à Steeman et son fameux assassin vivant au 21…
copyright glenat
Oui, c’est bien de littérature aussi) qu’il s’agit. Et Philippe Pelaez s’est ainsi amusé à créer un univers très personnel tout en le nourrissant de milliers de détails que, lecteurs de polars, nous savons importants à la gradation d’un récit… Ce sont ce que d’aucuns appellent les poncifs du genre, et qui sont surtout des éléments essentiels au rythme d’une narration. Bien sûr, il y a une empreinte dans l’histoire racontée de la Grande Histoire… Cela se passe en 1936… On voit comment fonctionne la police, la traque que l’on fait aux homosexuels… Mais au-delà de cet enfouissement dans une époque précise, il y a le flic pas très malin qui se prend au sérieux, le chef de gang caricaturé, les commentaires sur les assassinats, les flics pourris, la corruption, les femmes… Et c’est cette trame-là aussi, traditionnelle ai-je envie de dire, qui fait tout l’intérêt et toute la réussite de cet album.
copyright glenat
Enfin, quand je dis « toute », ce n’est bien entendu pas exact… Parce que Hugues Labiano, le dessinateur, nous livre ici, graphiquement, un de ses albums les plus aboutis… Avec, c’est vrai, des références cinématographiques nombreuses. Mais avec, également, des regards sur le neuvième art… On ne peut pas, en parcourant ce livre, ne pas penser à Chabouté, à Jean-Claude Claeys, par exemple. Et on ne peut pas non plus parler de ce livre noir sans en souligner la couleur, absolument époustouflante, due à Jérôme Maffre.
copyright glenat
Un polar, cela se lit, cela se savoure, ou pas…
Ici, la saveur est celle d’une plongée dans une horreur quotidienne proche, finalement, de toutes les tragédies que l’être humain est condamné parfois à vivre…
Jacques et Josiane Schraûwen
Quelque Chose De Froid (dessin : Hugues Labiano – scénario : Philippe Pelaez – couleurs : Jérôme Maffre – éditeur : Glénat – mars 2024 – 63 pages)
Il y a de ces livres dans lesquels, lorsqu’on réussit à s’y plonger, nous envahissent, totalement, intimement, parce qu’ils nous parlent, sans en avoir l’air, de nous, de nos propres vécus, de nos propres angoisses, de nos propres désarrois à venir…
copyright casterman
C’est le cas avec cet album, incontestablement. Je me dois d’avouer qu’il m’a fallu plusieurs tentatives avant de dépasser une dizaine de pages de lecture. Tout simplement parce que, étrangement, j’ai eu l’impression de lire ma propre existence, j’ai eu la sensation que ce que je vivais depuis deux ans était décrit avec vérité et justesse de ton par ce dessinateur, Matthieu Parciboula, un peu comme s’il avait vécu ces deux années à m’observer… C’est une sensation bizarre, oui, et, croyez-moi, terriblement porteuse d’une émotion puissante. Et lorsque j’ai dépassé les dix premières pages de cet album, cette émotion est restée la même… Elle ne m’a pas quitté un seul instant pendant ma lecture. Et j’ai compris qu’il s’agissait là, au travers d’une fiction, d’un tableau, intimiste et universel à la fois, qu’était parvenu à tracer au papier ce dessinateur, cet auteur complet…
copyright casterman
Il s’agit, oui, d’une fiction, assez simple. La compagne de Paul, Sofia, est morte depuis six mois. Un ami, désireux de le voir faire un peu plus que survivre, l’invite en Toscane. Et là, sous le soleil de l’Italie, Paul va accomplir un voyage pour se rapprocher encore un peu plus de celle qu’il a perdue, qui l’a perdu… Il va partir jusqu’au Stromboli, lieu de l’enfance de Sofia.
copyright casterman
Comment un dessinateur d’une toute petite trentaine d’années a-t-il eu l’envie d’inventer cette histoire, de se lancer dans le récit de ce qui se révèle le quotidien d’un désespoir ? Quel fut le déclic qui a poussé Matthieu Parciboula à oser cette aventure littéraire, graphique, et merveilleusement humaine ?
Matthieu Parciboula : le déclic
Le titre de cet ouvrage résume d’ailleurs parfaitement cette ballade poétique et silencieuse dans les contrées étranges de l’après, de l’ailleurs. Silence, comme les paysages ensoleillés et joyeux que traverse Paul… Silence comme les mots qu’il adresse à la disparue… Parce que ce livre est aussi la relation d’un dialogue qui ne s’arrête à aucun moment… Paul se parle, mais il parle sans cesse à Sofia… Elle est comme celle qui, seule, peut permettre à Paul de vivre encore, et pas seulement au travers du souvenir… Fantôme d’Amour ?… Femme de chair et de cœur avec qui le dialogue reste constant.
Matthieu Parciboula : dialoguer
Un dialogue qui est celui de l’Amour, aussi, surtout, parce que c’est de cela que ce livre nous parle, véritablement : l’Amour, que la souvenance des quotidiens et des habitudes (une brosse à dent qui reste inutilisée, par exemple) rend majuscule, immensément majuscule. Et donc, universel, oui… Voire éternel…
Matthieu Parciboula : le deuil de l’Amour
Ce que je trouve extrêmement réussi, c’est qu’à aucun moment, dans ce livre, il n’y a de larmoiement, de mélo facile. C’est un livre à la sensibilité à fleur de peau, à fleur de dessin. C’est un livre aussi qui évite totalement tous les clichés, et qui réussit, de ce fait, à raconter vraiment ce qu’est le deuil… Les amis qui ne savent pas très bien ce qu’ils peuvent ou doivent faire, les invitations qu’on accepte pour passer le temps et auxquelles on regrette de se rendre, les regards des enfants que l’on croise et dans lesquels on recherche, inconsciemment, vainement, la présence souriante du regard qu’on aimait tant…
copyright casterman
L’ennui, aussi, qu’on découvre comme une blessure dont on ne se doutait pas qu’elle pouvait exister et faire autant mal… On ne fait pas son deuil, malgré ce que les psys de toutes sortes nous disent à chaque occasion… Non, on est en deuil, simplement, rien de plus… Comme dans un pays qu’on est obligé de découvrir et dont on ne s’échappe pas. Le peut-on, d’ailleurs ?… S’échapper des territoires du deuil c’est sans doute renier en partie l’Amour, seul sentiment essentiel de l’existence.
Matthieu Parciboula : le deuil
Il y a dans ce livre des moments magiques, croyez-moi… La façon dont l’auteur nous raconte cette fiction dont on sent qu’elle le touche au-delà de l’anecdote, c’est un pas qu’il fait vers chacun de ses lecteurs. Et, ce faisant, il parvient à être vrai, à être juste… Le pilotage automatique de son personnage, par exemple, pendant les quelques jours qui ont suivi le décès de son amour… L’ennui qui devient ennui de vivre… L’écriture comme échappée splendide et tellement inutile… L’envie et le besoin de s’absenter à soi-même, de n’être plus rien… La symbolique d’un crucifix que l’on enlève du mur… Survivre, en sachant que ce n’est qu’une manière de faire semblant de vivre… L’appropriation presque égocentrique de la douleur, une douleur que personne d’autre ne peut ressentir…
copyright casterman
Il y a tout cela dans ce livre, et bien plus ! Ce n’est pas un album de plus qui se prend au sérieux, ou qui suit les modes imbéciles de l’édition, des modes qui, aujourd’hui, adorent « vendre » des comptes-rendus du cancer qu’on a eu, des soucis de la prostate, de l’Avc, que sais-je encore… C’est un livre fort, extrêmement et superbement fort… Et dont le propos, pour sombre qu’il soit, pour désespéré et désespérant qu’il se révèle, ne glisse à aucun moment dans la déprime, dans la noirceur… Le dessin de Matthieu Parciboula, après des premières planches aux tonalités peu lumineuses, devient vite, et jusqu’à l’ultime dessin en pleine page, d’une clarté éblouissante, d’une couleur somptueuse. Matthieu Parciboula est dessinateur, il est coloriste, et ce livre est une réussite complète !
Matthieu Parciboula : le dessin
Peut-être ne suis-je pas totalement objectif, tant il est vrai que dans ce livre je me suis croisé bien des fois… Mais ce que je peux et veux dire, c’est que cet album n’est pas l’œuvre d’un « faiseur »… C’est le livre d’un artiste, d’un auteur complet, c’est une œuvre dans laquelle l’émotion et toutes ses sensations se retrouvent à chaque page, dans chaque vignette…
C’est une totale réussite, je le redis… C’est un album que vous devez lire, relire, faire lire, offrir, parce que l’intelligence de Matthieu Parciboula, cela se doit d’être partagé à tout va !