Pillard De Guerre – Un anti-héros dans les conflits de l’Histoire

Pillard De Guerre – Un anti-héros dans les conflits de l’Histoire

Ferdinand Terancourt, personnage ambigu, se trouve plongé dans une guerre mexicaine… Son destin ne serait-il pas, même révolté, qu’il subisse le monde et ses folies ?

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Ferdinand Terancourt, par les mots de Pelaez et le dessin de Porcel, vit dans cet album se troisième aventures Après avoir vendu (et trafiqué) du pinard dans les tranchées de la guerre 14-18, après avoir été arrêté et condamné au bagne, et s’en être évadé, le voici au Mexique, pillard pour pouvoir se payer le voyage vers San Francisco, lieu de toutes ses espérances de liberté.

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Ce qui est déjà une des grandes qualités de cette série, c’est que chaque album peut se lire (et se savourer) comme un one-shot, comme une histoire complète, tout simplement. Mais pour ceux qui ont lu les deux premiers opus, ils vont découvrir ici un Ferdinand Terancourt plus mûr, tant dans sa manière d’agir que dans celle de penser… On le savait intéressé plus par son portefeuille que par le monde qui l’entourait, avec un cynisme évident, on l’aperçoit ici capable d’amitié, capable d’émotion, capable même de réflexion politique.

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Outre le fait qu’il soit pillard sous le soleil du Mexique, Ferdinand, évadé de bagne, reçoit une mission du général Pershing : tuer Pancho Villa. Mais Ferdinand n’est pas homme du genre à recevoir des ordres et à s’y plier ! On va le voir, donc, dans cette aventure, jouer encore et encore avec le feu, aider le révolutionnaire mexicain… Ce faisant, il va affronter les troupes régulières mexicaines… Les imbroglios vont se multiplier, au long d’un scénario qui aime les coups de théâtre, qui aime aussi à ce que chaque protagoniste ait une vraie chair, une véritable personnalité. Philippe Pelaez est un orfèvre en la matière, et il ne perd jamais ses lecteurs en cours de route.

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Quant à Francis Porcel, il possède un sens presque architectural sans sa façon de construire ses planches, et il en résulte une lecture fluide et parfaitement rythmée. En outre, ses couleurs, ici, ont fait le choix de s’écarter des sentiers battus, et de ne s’attarder que très peu sur les tons ensoleillés, préférant créer des ambiances dans lesquelles le clair et l’obscur se mélangent intimement… Porcel et Pelaez forment, c’est évident, un duo de talent, et on sent, dans leur travail, une véritable complicité artistique.

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Je le disais : Ferdinand Tirancourt, dans cet album, se révèle à lui-même, comme si les vicissitudes de l’existence l’obligeaient, enfin, à mettre des mots sur ses sensations, ses sentiments, ses réactions, ses révoltes, ses colères. Cette trilogie (dont chaque album, j’insiste, peut se lire et s’apprécier tout seul) dresse, en fait, le portrait d’un anarchiste qui s’ignore. Un humain, et je cite le texte de Pelaez, « allergique à la race humaine, à tous ces empaffés au verbe haut et à la morale obscène, qui font du barouf dans l’assourdissant silence des abrutis qui les écoutent »… Et il continue, en disant : « l’humanité ne fait que passer pour laisser derrière elle les longues traînées rouges du sang »… Cette série de trois albums, construite en outre comme un mouvement qui, de France, retourne en France, se fait ainsi l’allégorie sombre de toutes les tyrannies, qu’elles soient guerrières ou politiciennes… Tous les côtés de la guerre, de toutes les guerres, empreintes de violences sanglantes, sont inacceptables, mais Ferdinand, lucide, ne peut leur échapper, malgré tout. Et dans ce livre-ci, à travers Ferdinand, Philippe Pelaez détruit tous les mythes héroïques, en lui faisant dire, par exemple, à Pancho Villa : « Tes exactions sont à la hauteur de tes exploits » !

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Notre époque aime, à nouveau, mettre en avant les armes, et peu nombreux sont celles et ceux qui n’applaudissent pas aux défilés militaires et aux discours belliqueux ! Ce trio de livres, et ce dernier encore plus que les deux autres, fait un bien fou à l’intelligence humaine, à ce qui en reste du moins !

Lisez-le… Lisez les trois albums de cette série… N’est-il pas temps, en effet, d’oser dire non, tout simplement, à cette connerie du pouvoir qui s’universalise tristement ?

Jacques et Josiane Schraûwen

Pillard De Guerre (dessin : Francis Porcel – scénario : Philippe Pelaez – éditeur : Grandangle – juillet 2025 – 56 pages)

Fuck Ze Tourists – Un titre qui dit tout !

Fuck Ze Tourists – Un titre qui dit tout !

Ah, le temps béni des vacances ! Ces heures pendant lesquelles on peut se reposer, se resourcer, découvrir !… Ou pas !

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Dans le magma des occupations humaines, les vacances occupent une place de choix. Un répit sociétal gagné de haute lutte en des temps où seul le travail se devait d’occuper toutes les journées… Les vacances… Quelques journées par an où l’humain peut oublier ses quotidiens grisâtres en allant voir ailleurs comment se passent la terre, la vie, les gens… Le monde, au long de quelques semaines, est à portée de tout le monde, ou presque, grâce à cette merveille que sont les progrès de l’aviation et ceux, conjoints, des agences de tourisme.

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C’est à cette réalité essentielle pour que l’âme humaine résiste aux diktats journaliers de la civilisation que deux complices, s’attaquent dans ce livre, sans vergogne, avec une méchante jubilation, extrêmement communicative !…

Parce que la chance des vacances est devenue au fil du temps le plaisir plus que fugace d’un tourisme de groupe… D’un besoin non pas d’aller à la rencontre d’une région, d’un lieu, mais simplement de pouvoir dire « cette année, j’ai fait la France… ou l’Italie… ou le Japon… » ! Oui, « j’ai fait », au sein d’un troupeau où chacun (et chacune…) est soucieux de photographier pour pouvoir, de retour sous le harnais du boulot, éblouir les voisins, les collègues… Photographier, de selfie en selfie, pour se sentir vivre, pour pouvoir avoir des souvenirs qu’on ne regarde plus jamais ensuite.

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Zidrou, le scénariste de cet album, est entré totalement dans l’humour noir, décalé, critique, révolté, de Fluide Glacial. Il se fait observateur du tourisme, de la vie donc, sous toutes ses formes, au microscope de ses révoltes. Maltaite, le dessinateur, l’accompagne dans ses délires tellement réels, et sort en liberté des sentiers battus qu’il suit trop depuis pas mal de temps. Ce sont deux auteurs de bd belges, qui vivent sous d’autres cieux que ceux de notre petit pays aux frontières internes, dans une Espagne qui n’est pas plus paradisiaque que Venise, ou le Machu Pichu, ou le ski, ou une île paradisiaque… Leurs regards mêlés égratignent, sans tendresse il faut le dire, avec un sens aigu de la caricature, les touristes pour qui, finalement, le fric reste le roi, les touristes qui finissent toujours par retourner chez eux en « EGOland », les touristes appartenant à une civilisation perdue visitant une autre civilisation perdue, les touristes qui ont comme bible le guide du routard…

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Et ces attaques frontales font rire, font peur aussi, parce que, qu’on le veuille ou non, on l’est tous, un jour ou l’autre, « touristes » ! A admirer le soleil couchant sur des plages protégées des autochtones par des vigiles souriants mais malabars. Des touristes qui pensent, à défaut de le dire, que « pour les catastrophes naturelles, les pauvres, ils savent y faire » (citation du livre…) !!!

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Maltaite s’écartant, bien mieux que d’habitude, des sentiers battus d’un art qu’il maîtrise très bien, Zidrou, toujours lucide et maître de ses regards, et adorant jouer avec les mots et les situations : un duo de choc, de chocs intelligents, un duo d’artistes qui ruent dans les brancards… Bon Dieu, cela fait du bien, cela donne envie de changer de regard, de prendre des vacances avec de nouveaux yeux !

Et je rêve, j’imagine des milliers de corps étendus sur les plages du sud et lisant tous ce livre qui leur renvoie leur propre image !

Je rêve, oui… Mais j’espère surtout que, loin de ces plages encombrées, vous, lecteurs, vous savourerez comme je l’ai fait cet album jouissif !

Jacques et Josiane Schraûwen

Fuck Ze Tourists (dessin : Maltaite – scénario : Zidrou – éditeur : Fluide Glacial – juin 2025 – 55 pages)

Chiens De Prairie – une réédition bienvenue, une rencontre avec Philippe Foerster

Chiens De Prairie – une réédition bienvenue, une rencontre avec Philippe Foerster

Le « fantastique » a toujours fait partie intégrante de mes plaisirs de lecteur, depuis ma découverte, adolescent, de Jean Ray, de Gérard Prévot, de Marcel Béalu, de Claude Seignolle… Et, dans le cadre de la bande dessinée belgo-française, Philippe Foerster en est le héraut incontestable !

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Mais Philippe Foerster fut aussi scénariste, de temps à autre, en une époque lointaine où, avec Cossu, Andreas et Berthet, ils partageaient un atelier. Et la rencontre, ainsi, s’est faite, tout naturellement, entre l’imaginaire extrêmement large de Foerster et le graphisme au réalisme original de Berthet. Le résultat : un western dans lequel le fantastique, cher à Foerster, n’est pas présent !

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Ce western, paru initialement il y a une trentaine d’années si je ne m’abuse, joue avec les genres et les codes pour nous parler de Calamity Jane, de Hickok, d’un truand tueur se baladant avec le cercueil d’un ami, avec des chasseurs de prime, avec un gamin sourd-muet sans doute. Je le disais, tous les codes y sont : l’Histoire de l’Ouest américain en fond d’écran, avec Little Big Horn, par exemple, la violence gratuite, l’alcool, la mort, la légende et la réalité triviale…

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Mais les genres, eux, multiplient les références et les accents : il y a du gore, il y a des ambiances glauques et moites, il y a du western pur et dur, il y a de la grande Histoire, et même des envolées presque bibliques. Du Tarentino dessiné, en quelques sorte, avant Tarentino ! C’est, vous l’aurez compris, un excellent album que celui-ci, dans lequel la couleur occupe une place essentielle. Une réédition vraiment réussie, avec un dossier de Charles-Louis Detournay qui ne manque pas d’intérêt… Avec un scénariste d’un talent évident, que j’ai eu le plaisir de rencontrer…

Philippe Foerster

J’ai déjà parlé de Philippe Foerster dans mes chroniques, à l’occasion, entre autres, de la sortie d’un album paru chez mes amis Eliane et Cédric, de Forbidden zone, « Noir c’est Noir« .

J’ai déjà parlé avec lui de cette passion qu’il a du genre fantastique, de cette faculté qui est la sienne de créer l’horreur avec des sourires stridents, de mêler à l’innommable quelques étranges tendresses.

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Rencontrer Philippe Foerster, c’est toujours rencontrer quelqu’un qui a une vue de son métier qui manque parfois cruellement à certains auteurs mis en évidence par des médias quelconques. C’est toujours un moment de choix, comme perdu dans les méandres du temps…

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Et je n’ai pas résisté, bien évidemment, cette fois encore, à l’envie de le faire parler de ce fantastique à la belge qui est le sien, de l’écouter parler de ses influences, de Gotlib aussi…

Philippe Foerster

De nouvelles aventures dessinées par Foerster sont à venir, m’a-t-il dit. En attendant, se plonger ou se replonger dans ses livres, comme dans ceux de son complice Philippe Berthet, cela fait partie totalement du plaisir de lire, du plaisir d’aller à la rencontre d’univers extrêmement personnels et originaux…

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Et ces « Chiens De Prairie » qui unissent leurs deux talents, croyez-moi, en une réédition réussie, méritent véritablement le détour !

Jacques et Josiane Schraûwen

Chiens De Prairie (dessin : Philippe Berthet – scénario : Philippe Foerster – couleur : Dominique David – éditeur : Anspach – mai 2025 – 64 pages)