Judith Vanistendael : Art Mouvant – Rétrospective au CBBD d’une artiste belge sans concessions ! A voir jusqu’en novembre 2023

Judith Vanistendael : Art Mouvant – Rétrospective au CBBD d’une artiste belge sans concessions ! A voir jusqu’en novembre 2023

Rarement titre d’une exposition n’a été aussi juste : tout l’art de Judith Vanistendael se caractérise, en effet, par son évolution d’album en album…

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Cela dit, l’affiche annonce une « rétrospective »… Un bien grand mot pour une carrière certes déjà imposante, mais pour une dessinatrice qui est loin, très loin, d’avoir terminé sa carrière !… Je parlerais plutôt d’un hommage… Un hommage, oui, rendu à une auteure dont les albums, peaufinés, marqués du sceau d’une véritable personnalité graphique, font d’ores et déjà partie des grands moments de l’édition dessinée de ces quinze dernières années !

la réaction de Judith Vanistendael à cette rétrospective

Le travail de Judith Vanistendael se caractérise, d’abord, par la nécessité qu’elle a de ne pas se répéter, de sans cesse évoluer. Et cette exposition permet, véritablement, de voir tout le cheminement de sa carrière, toute son évolution.

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La scénographie de cette rétrospective fait voyager le visiteur dans tous ses albums, chronologiquement, du noir et blanc simple sans être simpliste de « La jeune fille et le nègre » en 2007 au foisonnement de lumières, de couleurs, d’imagination de « La baleine bibliothèque », scénarisé par Zidrou.

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Dans cette exposition, on peut découvrir aussi tout le cheminement qui est celui de Judith Vanistendael pour arriver à une planche, voire à un dessin : les ébauches, les crayonnés, corrigés et recorrigés… C’est une dessinatrice prolifique, aux thèmes toujours très ancrés dans notre société et ses réalismes difficiles à vivre. Mais c’est aussi une dessinatrice qui prend vraiment tout son temps pour arriver à mettre sur papier ce qu’elle veut exprimer…

Judith Vanistendael : le dessin

Dessinatrice au style d’une véritable personnalité, ce qui est de plus en plus rare en notre époque où le style « blog » se généralise pour le pire plus que pour le meilleur, Judith Vanistendael aime varier les plaisirs… et les apprentissages!

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En travaillant, par exemple, avec des scénaristes. Parmi eux, Zidrou. Mais à chaque collaboration, ce qu’elle recherche, c’est ne pas rester immobile dans sa façon d’aborder le dessin, donc la bande dessinée.

Judith Vanistendael : les scénaristes

En rencontrant cette auteure, on ne peut qu’être séduit également par sa manière de considérer son métier, sa passion : avec une humilité tranquille, une certaine objectivité. Et même si on peut affirmer, sans se tromper, que dans les livres dont elle est l’auteure complète, certains dessins se suffisent à eux-mêmes pour « raconter », elle considère le texte comme essentiel, lui aussi…

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Le texte, oui, dont la construction ne lui est jamais spontanée, tant elle veut qu’il soit révélateur, lui aussi, de la narration.

Judith Vanistendael : le texte

Nous avons toutes et tous une approche très personnelle du plaisir pris à lire un livre. Quant à moi, et je l’ai déjà dit bien souvent, un livre, bande dessinée, roman, poésie, ne peut me plaire qu’à partir du moment où j’y retrouve, à quelque degré que ce soit, de l’émotion… De la poésie…

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Une poésie… Même dans des univers écrits qui en manquent cruellement, tant ils sont ancrés dans nos réalités quotidiennes de moins en moins poétiques.

Judith Vanistendael : émotion et poésie

En fait, ce qui, à mon avis, fait vraiment la valeur d’une œuvre artistique, tableau, photo, film, livre, c’est la chance qu’elle nous permet d’entrer, ne fut-ce qu’un peu, dans un univers qui n’est pas le nôtre, mais qui se révèle pourtant miroir d’une part de ce que nous sommes…

Judith Vanistendael : de la bd personnelle

Une exposition superbe, donc, consacrée à une artiste belge, une artiste flamande, et mise en scène avec une simplicité qui fait plaisir, elle aussi. Kurt Morissens, le commissaire de cette exposition, a fait, ma foi, un travail humble, également, pour laisser la place, le plus simplement du monde, à la découverte du talent de Judith Van Istendael. Un travail que Stéphane Regnier, au Centre Belge de la Bande Dessinée, a scénographié avec tout autant d’humilité.

le commissaire Kurt Morissens

Une exposition à voir, donc, qui nous montre frontalement une dessinatrice moderne dont les albums ne peuvent laisser personne indifférent…

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Et je garde en mémoire un dessin extraordinaire de pudeur et d’émotion, à découvrir dans cette exposition, un dessin issu de son livre « David les femmes et la mort » : un lit d’hôpital, un homme y est étendu, et, sur une chaise, une femme le regarde… Judith Vanistendael, c’est une artiste capable, ainsi, de saisir une émotion pure et de la partager…

Jacques et Josiane Schraûwen

Judith Vanistendael : Art Mouvant (exposition au Centre Belge de la Bande Dessinée, rue des Sables, à Bruxelles, jusqu’au 12 novembre 2023)

L’Incroyable Histoire de la Géographie

L’Incroyable Histoire de la Géographie

Avec cet album, dans une collection qui raconte les grandes histoires de l’Histoire, on sourit, on apprend, on s’amuse…

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Ce n’est pas un livre récent, mais il mérite le détour… Et je pense, depuis longtemps, que cette habitude éditoriale de laisser vivre pendant un temps limité les albums est un vrai irrespect à l’égard des auteurs.  

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Dessiné par Bercovici, dessinateur par ailleurs des femmes en blanc, cet album nous rappelle avec humour mais aussi fidélité historique que sans des vrais aventuriers, Google maps, le gps, les bonnes vieilles cartes routières, tout cela n’existerait pas…

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L’histoire de la géographie est incroyable, en effet, elle est le résultat d’hommes et de femmes, d’expéditions tumultueuses, d’aventures humaines, de découvertes de territoires et de gens, de cultures. Avec tout ce que cela comprend de manque de tolérance, de condescendance aussi.

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Ce livre, axé autour de l’exploration française, se partage en trois grands chapitres : le temps des explorateurs, le temps ces diplomates, et le temps des universitaires. De quoi nous faire remarquer, si besoin en était, que la géographie a toujours été également un moyen d’asseoir son pouvoir.

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C’est donc tout cela, animé par le dessin tout en vivacité de Bercovici, qui nous est raconté dans ce livre. Le bémol que j’ai, c’est que cet album est véritablement franco-français… Mais il reste cependant un excellent panorama d’une des réalités qu’on utilise le plus de nos jours : la localisation, le trajet, la mobilité, les vacances, les découvertes personnelles…

Jacques et Josiane Schraûwen

L’Incroyable Histoire de la Géographie dessin : Philippe Bercovici – scénario : Jean-Robert Pitte et Benoist Simmat – éditeur : Les Arènes BD)

Amours fragiles – 8. Le Pacte

Amours fragiles – 8. Le Pacte

Une grande fresque historique qui nous conduit de 1933 jusqu’à la fin de la guerre…

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Nous voici presque à la fin de cette série, avec un avant-dernier tome qui nous montre les derniers soubresauts d’une guerre à ne pas oublier.

Mais ne me demandez pas de vous résumer l’histoire de cette grande saga historique. Elle nous balade dans un ensemble d’aventures humaines pendant plus de douze ans, elle nous parle de l’amour entre un Allemand et une Française, elle nous parle de résistance, des deux côtés de la ligne de guerre.

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Oui, c’est une série, une grande série comme la bande dessinée n’a plus vraiment l’habitude de nous montrer… Un pari un peu fou, peut-être, mais particulièrement bien réussi, il faut le dire, même si le lecteur peut, ici et là, se perdre en cours de route dans un foisonnement de personnages comme de situations. Philippe Richelle…

C’était donc une gageure, véritablement, pour les deux auteurs de ces amours fragiles, que de se lancer dans cette saga pendant laquelle prennent chair des hommes et des femmes qui, vieillissant peu à peu, évoluent sans aucun manichéisme dans un long récit, ma foi, bien charpenté. La fragilité est celle d’un amour qui, pourtant, n’est pas impossible…

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Et puis, finalement, l’important dans cette longue aventure éditoriale, c’est justement cet ensemble de personnages tous, à leur manière, attachants. Tous importants… Tous prenant chair de tome en tome, prenant vie au gré du temps qui passe de désespérance en éblouissement, de courage en lâcheté. Philippe Richelle…

Tout autour du personnage central, Martin Mahner, tout est fragile… D’album en album, on assiste à la montée du nazisme, son avènement, son expansion, la guerre, jusqu’à ce tome 8 qui voit la destruction de cette idéologie nauséabonde… Le monde se fragilise, les convictions de chacun se fragilisent, et les émotions, les sentiments, se vivent sans d’autres espérances que le moment présent. Ces années de guerre étaient en fait sans avenir, et les protagonistes de cette série le sentent toutes et tous, à leur manière.

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Amours fragiles, c’est la longue histoire, traitée presque sociologiquement, d’humains se perdant et se retrouvant, sans cesse… Amours fragiles, c’est comme un pendule oscillant entre amour et guerre, entre mort et paix, entre homme et femme, entre courage et lâcheté, entre engagement et indifférence, entre Histoire et intimité. Avec, d’album en album, des portraits féminins particulièrement réussis… Jean-Michel Beuriot et Philippe Richelle.

Ce n’est pas une fable, c’est un portrait, oui, qui nous parle du destin, de l’héroïsme, de la trahison, de la compromission, du quotidien aussi… Pendant la guerre, tout n’est-il pas, en définitive, spontané, comme l’amour ?…

Philippe Richelle, photo de Fabien Van Eeckhaut

Et ce huitième opus, « Le Pacte », nous plonge en pleine débâcle. Ce pacte, vous le découvrirez, est, comme tous les pactes, une sorte de démission…

Jean-Michel Beuriot

Cela dit, pour qu’une telle série dessinée tienne dans la durée, il faut une osmose entre le scénario et le dessin. Et c’est le cas ici, avec un graphisme réaliste et particulièrement fidèle au réel de l’époque dessinée, quant aux vêtements, aux gestes, aux attitudes. Un dessin, de Jean-Michel Beuriot, qui reste discret, dans ce huitième épisode, quant à cette débâcle. Certes, il laisse deviner les ambiances qui, du côté allemand, deviennent totalement défaitistes… Mais là où, dans les albums précédents, le décor prenait une importance capitale, se révélant être un lien entre les différentes séquences du récit, ici, il se fait plus discret… Mais, ce faisant, il s’approche peut-être bien plus intimement des personnages… Jean-Michel Beuriot…

Ajoutons à tout cela la qualité tranquille, sereine, sans tape-à-l’œil inutile, de la couleur… Oui, cette série est réussie, elle est passionnante… Elle est sans manichéisme, aussi, et cela fait du bien en une époque où le manichéisme devient monnaie courante… « Amours Fragiles », c’est une fresque, une vraie fresque, dont les fragilités sont d’une belle présence… Et sont, finalement, les reflets de nos propres fragilités…

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Jacques et Josiane Schraûwen

Amours Fragiles – 8. Le Pacte (dessin : Jean-Michel Beuriot – scénario : Philippe Richelle – couleur Dominique Osuch – éditeur : Casterman – mars 2023 – 56 pages)