Arthur Cravan

La biographie insolente et rythmée d’un poète provocateur !

Qui connaît encore Arthur Cravan, aujourd’hui ?… Trop peu de personnes, tant il est vrai que cet écrivain-boxeur fut un artiste aux mille provocations talentueuses ! (Re)découvrez-le dans cet album qui lui rend un hommage souriant et sans concession !

Arthur Cravan© Bamboo/Grandangle

Cela fait exactement 100 ans qu’Arthur Cravan a disparu, mystérieusement, en mer, au large du Mexique.
Il avait une trentaine d’années, et il avait marqué, à sa manière, l’histoire de la poésie et de l’art, en général, par son écriture, certes, par ses attitudes, surtout, par sa volonté pratiquement narcissique d’être sans cesse « en vue ».
Arthur Cravan, c’était d’abord et avant tout un « personnage ». Physique, d’abord, de par sa taille… Amoral, ensuite… Littéraire, également… Antimilitariste, toujours… Boxeur, peut-être… Aventurier, parfois… Contre l’ordre établi, surtout dans le monde des arts, enfin !
Arthur Cravan, en fait, a inventé sa vie, au gré de ses folies, au gré de ses amours, au gré des femmes qui, plus ou moins, ont compté dans sa vie.
On pourrait dire de lui qu’il fut une des grandes gueules de la poésie et, à ce titre, un être souvent antipathique… Voire même haïssable… Ce que l’auteur de cet album qui lui est consacré ne trouve absolument pas !…


Arthur Cravan© Bamboo/Grandangle

 

JACK MANINI – PERSONNAGE

 

Arthur Cravan… Etre multiple, passant de la beauté littéraire à la vulgarité la plus basse, il a été dadaïste avant Tzara, surréaliste largement avant Breton, et jamais, au grand jamais, doctrinaire !
Multipolaire, comme le dit Jack Manini, il a surtout aimé, tout au long de sa vie « publique », ne jamais correspondre à ce qu’on attendait de lui. Seul auteur, sous différents pseudonymes, des journaux qu’il a créés et qu’il vendait à la criée, il y vilipendait tout le monde de l’art, les reconnus comme les méconnus, les « pompiers » et les pseudo-classiques, mais aussi des novateurs comme Apollinaire.
Et ce sont toutes ces facettes qui ont séduit Jack Manini, qui lui ont donné envie de raconter la vie de cet olibrius étonnant, et de le faire en bande dessinée. Une bd de quelque 200 pages, partagée en chapitres, chaque chapitre abordant, en quelque sorte, une de ces fascinantes facettes de Cravan qu’aime et nous raconte Manini.


Arthur Cravan© Bamboo/Grandangle

 

JACK MANINI – FACETTES

 

Mais je pense, personnellement, qu’au-delà de la gageure (réussie) de raconter en bd la vie d’un personnage hautement littéraire (au sens presque pantagruélique du terme, mais mitonné d’un côté à la Oscar Wilde…), il y a eu, de la part de jack Manini, un vrai coup de foudre à l’égard d’un être humain que l’histoire a oublié, mais qui, pourtant, a fait partie intégrante de la grande Histoire, celle des arts comme celle des guerres… Arthur Cravan n’a jamais fui devant qui que ce soit, mais il a toujours réussi à fuir la guerre, l’engagement militaire. De par ses origines mêlées, de par les différents pays auxquels il aurait pu se dire attaché, il a toujours cultivé le dégoût de tout nationalisme. Et j’ai l’impression que c’est cet aspect-là qui a attiré Manini, en parallèle d’un regard sur l’art du début du vingtième siècle.
Plus qu’une biographie, c’est un véritable roman graphique que nous offre Manini, dont chaque chapitre s’ouvre à la fois à des réalités humaines, celles, sans cesse changeantes, de Cravan, et à la fois à la vérité historique d’une époque battue par mille et une nouveautés !

Arthur Cravan© Bamboo/Grandangle

 

JACK MANINI – ART ET BIOGRPAHIE

 

Sans des artistes comme Cravan, la littérature, la poésie n’évolueraient que très peu. Il est, dès lors, à inscrire dans la lignée libertaire de gens comme Villon, Scève, Baudelaire, Rimbaud…
Et le grand bonheur d’un livre comme cet album, c’est de nous restituer, aussi, la langue de Cravan. Le dessin de Manini, ses couleurs presque brumeuses, tout cela nous montre son personnage, sous toutes ses coutures, avec vivacité, avec un soin porté aux physionomies, aux regards. Mais Jack Manini nous fait aussi plonger dans les mots de Cravan… Auteur compet de ce livre, Manini varie ainsi sans cesse son dessin au rythme des épisodes qu’il met en scène, choisissant ici de peaufiner le décor, là de l’effacer presque complètement. Il fait œuvre, aussi, de dialoguiste, et ses propres mots, ajoutés à ceux de Cravan, forment la trame d’une biographie originale et diablement intelligente !


Arthur Cravan© Bamboo/Grandangle

 

JACK MANINI – CE QUI RESTE

 

Plus qu’une biographie traditionnelle, « Arthur Cravan » est un recueil d’anecdotes, de situations, de mots, de poèmes, de jugements à l’emporte-pièce, d’images, de folie, de rencontres, de portraits.
Les images, par la magie de Manini, s’animent, au fil des pages, et les mots dessinent toutes les apparences, toutes les présences d’Arthur Cravan !
Cet album est la preuve que poésie et bande dessinée, littérature et existence peuvent cohabiter avec talent, avec bonheur, avec plaisir !

Jacques Schraûwen
Arthur Cravan (auteur : Jack Manini – éditeur : Bamboo/Grandangle)

Alexandrin – L’art de faire des vers à pied

Alexandrin – L’art de faire des vers à pied

Quelle est la place de la poésie en cette époque chahutée où seule la technologie semble encore pouvoir tisser ce qu’on continue à appeler un tissu social ?…. Entrez dans ce livre où tout quotidien se rime, en vers et contre tous…

 

Alexandrin©Futuropolis

 

Alexandrin est un poète, un poète itinérant. De village en village, de banlieue en centre urbain, il s’en va, personnage dégingandé comme venu d’un autre siècle, sonnant aux portes pour proposer aux inconnus ses sourires et ses mots rimés en vers plus ou moins de douze pieds.

Ses rimes sont celles du quotidien, il parle comme sans doute devaient parler, au jour le jour, les troubadours et les trouvères. Le temps qui passe, le soleil qui sourit, le ventre qui crie famine, le bonheur d’une liberté qui n’a besoin que d’elle-même pour exister, voilà ses messages.

Des messages qui lui permettent de survivre plus que de vivre, mais de survivre dans un univers où l’art des mots transforme tous les horizons de la routine humaine.

Et voilà qu’il rencontre sur son chemin un jeune garçon, Kevin, fugueur et tout aussi affamé que lui.

 

Alexandrin©Futuropolis

 

Entre ces deux êtres aux antipodes de l’âge, de l’éducation, du langage et de la culture, des liens se nouent, rapidement. Les mots du vieil homme deviennent pour le jeune garçon des chemins nouveaux à explorer, dans la découverte du monde, sans doute, dans la découverte, surtout, de son propre univers de gamin mal dans sa peau.

Ce livre, suit ainsi l’existence commune bien qu’éphémère, on le sent très vite, de ces deux êtres, l’un à la dérive dans un monde qu’il ne connaît pas encore, l’autre en dériveur sur l’océan de ses nostalgies et de ses plaisirs tout en simplicité.

On assiste ainsi à toutes leurs rencontres, bonnes ou mauvaises, aux coups de fusil, aux morsures des chiens, aux sourires inattendus, aux mots partagés.

Le texte de Pascal Rabaté, comme à son habitude, ne cherche pas à éblouir gratuitement. Il est fait, dans ce livre-ci, de rythme mêlés d’images, le tout de facture extrêmement classique, c’est vrai, comme un dix-neuvième siècle où la poésie, avant Baudelaire, avant Rimbaud et Lautréamont, se cherchait de nouvelles voies sans encore vraiment les trouver. Mais c’est ce classicisme, en parallèle d’une réalité qui perd doucement la mémoire de ses passés poétiques, c’est cette opposition entre deux mondes qui semblent ne plus pouvoir se côtoyer qui fait de ce livre un petit bijou poétique.

C’est le texte de Rabaté, oui, c’est aussi, et de manière très délicate, le dessin d’Alain Kokor qui font de cet « Alexandrin » un livre qui est également un long et très humain et humaniste poème graphique.

 

Alexandrin©Futuropolis

 

L’histoire de cet homme pour qui la poésie est le seul moyen de substance dans une société où les mots, à force d’être dénigrés, ne veulent plus dire grand-chose, ce récit qui, on le sait, on le ressent, ne peut que mener au néant, cette narration aurait pu être désespérée et désespérante… Mais il n’en est rien ! La poésie, aujourd’hui comme hier, celle des phrases comme ces regards, des silences comme des musiques, cette poésie reste probablement la seule véritable magie humaine !

Et j’ai beaucoup aimé le côté désuet, voire obsolète, de l’ensemble de ce livre qui, finalement, débouche, dans les dernières pages, sur de nouvelles envolées lyriques possibles, puisque le petit Kevin, retourné à sa famille, a découvert avec Alexandrin que la poésie, d’époque en époque, ne meurt jamais. Tout au plus change-t-elle de nom pour prendre le nom, dans les rues de nos cités, aujourd’hui, de « slam »…

 

Jacques Schraûwen

Alexandrin – L’art de faire des vers à pied (dessin : Alain Kokor – scénario : Pascal Rabaté – éditeur : Furutopolis)

Ar-Men – L’Enfer Des Enfers

Ar-Men – L’Enfer Des Enfers

Un vrai chef d’œuvre du neuvième art, tant au niveau du scénario que du dessin. Et Emmanuel Lepage, son auteur, répond dans cette chronique à mes questions avec un sens aigu de son métier… Un livre à ne rater sous aucun prétexte !

 

De livre en livre, de bande dessinée documentaire (Tchernobyl, par exemple) en album d’imagination (Le voyage d’Ulysse entre autres), l’œuvre d’Emmanuel Lepage se caractérise par un souci constant de qualité et de fidélité au sujet traité. Pas question, pour lui, d’emmener ses lecteurs au profond de la jungle amazonienne sans, auparavant, y avoir été lui-même. Et il en va de même, ici, avec le voyage qu’il nous propose dans l’enfer des enfers, un phare perdu dans les vagues et les vents de l’océan au large de l’île de Sein. Ce voyage, nous l’accomplissons avec plusieurs êtres humains, avec plusieurs histoires, aussi… L’histoire de la construction de ce phare, d’abord, l’histoire d’un gardien qui y choisit de fuir ses fantômes, l’histoire de son aidant qui, lui, a tout fait pour apprivoiser ses passés, et, enfin, la légende de la ville d’Ys, cité de liberté  engloutie par l’intransigeance d’une religion déshumanisée.

La narration, du simple fait de ces trois sujets intimement imbriqués les uns dans les autres, ne pouvait bien évidemment qu’être éclatée, mélangée.

Pour Emmanuel Lepage, je pense, vraiment, que l’important est le plaisir. Celui de raconter une aventure à taille humaine, celui de partager le jeu de construction qu’est la création en puzzle d’une histoire qui reste toujours parfaitement lisible !

Emmanuel Lepage: une narration éclatée

 

Emmanuel Lepage: la construction

 

La grande caractéristique de l’œuvre de Lepage, depuis ses tout débuts, c’est de toujours, d’une part, refuser la facilité, de toujours refuser également les grands discours et les jugements péremptoires, et d’ainsi privilégier la vérité de ses personnages à tous les faux-semblants que pourrait revêtir une histoire trop vite fabriquée, usinée sans âme, en quelque sorte.

Quand je parle de personnages, je ne parle pas seulement, d’ailleurs, des êtres humains. Je parle aussi, et surtout peut-être, des lieux dans lesquels l’humain se doit de se regarder en face pour mieux se découvrir, je parle des fantômes que tout un chacun possède sans toujours le savoir, je parle des légendes sans lesquelles aucune culture ne peut survivre au temps qui passe.

La motivation première d’un artiste n’est-elle pas, finalement, de vouloir s’adresser de front à celui qui le lit, qui le regarde qui l’écoute ? Et cela n’arrive, en un partage d’intelligence, qu’à partir du moment où les sujets traités sont proches des aspirations, des attentes, des espérances, voire des désespoirs, de tout le monde.

A ce titre, Emmanuel Lepage a toujours voulu nous montrer vivre des personnages pour lesquels la motivation essentielle est une quête. Une quête identitaire, une quête de liberté, aussi, une quête qui, finalement, est celle de l’humanité. Les livres de Lepage sont tous, sans exception, humanistes, mais sans lourdeur, sans jamais oublier que tout message, pour qu’il porte, soit centré sur l’homme et ses attentes. C’est ainsi qu’une véritable œuvre d’artiste se révèle un miroir tendu aux vérités cachées de celui qui la regarde, qui s’y enfouit.

 

Emmanuel Lepage: les personnages
Emmanuel Lepage: la quête de la liberté

 

 

Vous l’aurez compris, ce livre relève incontestablement d’un certain intimisme, un intimisme plongé dans différentes époques de l’histoire de la Bretagne et de sa lutte avec les éléments. Mais il relève aussi d’une manière extrêmement réfléchie de concevoir et de créer une œuvre de bande dessinée, même si la spontanéité est sans cesse de mise chez Lepage, tant dans son graphisme que dans ses mots.

Ses mots, oui, parce que ce livre est aussi une œuvre littéraire. La bande dessinée, celle que pratique Emmanuel Lepage, est une alchimie réussie de littérature, de graphisme, de graphismes pluriels, aussi, dans une même narration. Et la force et le talent de Lepage résident dans l’intelligence de sa conception de la bande dessinée, une conception qui réussit à allier l’ancien et le moderne et qui jamais ne lasse ni le regard ni l’intelligence de ses lecteurs !

Emmanuel Lepage: les mots et le dessin
Emmanuel Lepage: variations dans le graphisme

 

Écouter parler Emmanuel Lepage, c’est le suivre dans un univers où toutes les histoires peuvent être racontées, c’est découvrir, au-delà de son œuvre, un personnage qui vit au quotidien l’aventure du créateur. Et le plaisir qui fut mien à le rencontrer, le plaisir qui est mien, à chaque fois, à me laisser emporter par les musiques de ses livres, ce plaisir, je tiens ici à le partager avec vous tous.

Son  » Enfer des enfers  » est une fresque qui met en évidence les talents de raconteur et de peintre d’Emmanuel Lepage, et vous serez comme moi, j’en suis certain: vous aurez envie de rester de longs moments devant certaines planches qui, chacune, est un voyage en tant que tel aux pays variés de l’art qu’on dit neuvième…

 

Jacques Schraûwen

Ar-Men – L’Enfer Des Enfers (auteur : Emmanuel Lepage – éditeur : Futuropolis)