L’Afrique de Papa

L’Afrique de Papa

L’Afrique de Papa, c’est celle d’aujourd’hui… Une Afrique que le regard occidental n’arrête pas de méconnaître…

 

          L’Afrique de Papa©Des Bulles dans l’Océan

 

On pourrait croire, au vu du titre de cet album, à un livre de plus sur la colonisation. Mais il n’en est rien, loin s’en faut !…

D’ailleurs, plus qu’une histoire linéaire, plus qu’un récit logiquement charpenté, c’est un carnet de voyage, d’une certaine manière, que l’auteur nous invite à feuilleter.

Un carnet qui, en photos et en dessins, rend compte des retrouvailles entre un fils et son père. Un fils, Hippolyte, l’auteur de ce livre, Français vivant en Réunion, et son père, Français vivant sa retraite au Sénégal. L’Afrique de Papa n’a donc rien à voir avec celle d’hier, ou d’avant-hier ! C’est celle d’aujourd’hui, mais vue à hauteur de regard d’un occidental voulant profiter pleinement de la vie. Et c’est aussi celle de son fils, observant, et restituant au papier ses impressions plus que le compte-rendu de retrouvailles dans une famille qui, sans doute, a dû se déchirer, mais dont, finalement, on ne sait rien.

 

          L’Afrique de Papa©Des Bulles dans l’Océan

 

Oui, c’est vraiment à un double regard que nous avons affaire ici…

Sans manichéisme, sans non plus de jugement… C’est un album qui a fait le choix, tout simplement, de nous parler d’émotion, de ressenti. De nous montrer des sensations…

Tout commence dans l’avion qui emmène Hippolyte au Sénégal, un avion dans lequel un clandestin est rapatrié dans son pays d’origine, ce qui provoque un sentiment mitigé à bord…

Et puis, il y a l’arrivée à Dakar : « l’Afrique est là, joyeuse et débordante, dans le bordel de l’aéroport, elle est là, autour de moi, dans mes narines, elle m’envahit… »

Et, finalement, il y a l’arrivée à Saly, centre touristique où l’attend son père.

Saly, où « l’européen a le pouvoir de l’argent, celui qui fait baisser les têtes, celui qui force les sourires, celui qui rend important le rêve ! »

Saly, l’Afrique de papa, l’afrique où le père d’Hippolyte n’arrête pas de répéter que la vie est belle…

Seul le père parle, pratiquement, le fils se contente de regarder, de dessiner, de photographier. D’écouter son père, mais aussi les Sénégalais qu’il croise et qui lui parlent du vrai Sénégal, celui de la prostitution, celui de la recherche de travail, celui de l’obligation de quitter sa famille pour survivre…

 

          L’Afrique de Papa©Des Bulles dans l’Océan

 

Et tout cela fait une bande dessinée… Mais une bd totalement atypique, dans laquelle se mêlent dessins et photos, dans laquelle se retrouvent, régulièrement, en clichés ou en esquisses, des lutteurs Sénégalais, un peu comme un symbolisme répétitif de la nécessité de la lutte pour exister vraiment dans un pays de soleil qui ressemble à un paradis mais qui n’est qu’artificiel…  Et comme le dit un des lutteurs : « c’est toujours ton corps qui t’aide… être un champion… ou un étalon… ». Au travers de cette phrase, oui, c’est l’Afrique d’aujourd’hui qui se révèle, une Afrique qui reste fière malgré une nouvelle forme de dépendance…

Et au total, c’est à un portrait en face à face qu’on assiste, un double portrait-vérité. Et, surtout, c’est un livre inclassable mais superbe que nous offre Hippolyte, avec son graphisme dans lequel l’aquarelle occupe une place lumineuse, dans lequel les photos prises par Hippolyte sont superbes, un livre dans lequel l’humain laisse la place, petit à petit, à un continent, à sa moiteur, à sa beauté, à la beauté de ses habitants, avant que cet humain ne redevienne, dans les dernières pages dessinées et dans le cahier de photos en noir et blanc, l’essence même de ce continent…

L’Afrique de Papa, ce n’est pas celle de nos grands-parents… C’est celle d’aujourd’hui, une Afrique que le regard des Occidentaux ne parvient toujours pas à comprendre !…

 

Un livre qui n’est pas sorti récemment, mais que vous pouvez commander chez votre libraire préféré… Un livre, assurément, qui pose des questions, et qui est une totale réussite !

 

Jacques Schraûwen

L’Afrique de Papa (auteur : Hippolyte – éditeur : « Des bulles dans l’océan »

Les Ailes Du Singe

Les Ailes Du Singe

Deux albums bd, et un artbook !

Un personnage central désabusé, un environnement historique réel, mais une approche en uchronie, un dessin au découpage digne des films d’aventure des années 40 et 50… Découvrez Harry Faulkner, pilote d’avion casse-cou, et écoutez Etienne Willem, son créateur, en parler ici avec passion…

 

 

On peut faire de la bande dessinée, choisir de raconter des aventures endiablées, multiplier à plaisir des personnages hauts en couleur répondant à des codes de la littérature et du cinéma policier, utiliser un dessin qui va directement au but grâce à la manière de travailler les expressions, les faciès, on peut décider de faire sourire et d’amuser, cela n’empêche  nullement de construire un récit dans un environnement historique proche de la réalité.

Dans le premier volume de cette série, on découvre vite qui est Harry Faulkner : un ancien pilote militaire qui n’a  que peu de respect pour les règles et l’ordre établi et qui, dès lors, va se retrouver embarqué dans une mission de sauvetage de New York… Une mission qui va le mettre en porte-à-faux vis-à-vis du puissant Howard Hughes, et faire de lui, dans le deuxième tome, un cascadeur mettant le nez où il ne faut pas !…

Vous l’aurez compris, même si les faits relatés sont une invention pure, une invention soulignée par le fait que nous nous trouvons en présence d’une bd animalière, le canevas historique, lui, reste familier. Et, du coup, les thèmes abordés dans ces deux albums se révèlent ancrés dans des réalités qui, pour lointaines qu’elles soient (puisqu’elles s’inscrivent dans les années 30), ouvrent à des réflexions extrêmement actuelles…  » Les ailes du singe « , c’est un peu, à la manière de  » La Fontaine « , une fable à savourer…

 

 

Etienne Willem, l’auteur complet de cette série, aime ses personnages, c’est évident. Qu’ils soient méchants, et ils le sont profondément, qu’ils soient utopistes, et ils le sont avec des failles, il aime nous les montrer vivre, bouger, agir, en usant d’effets spéciaux démesurés que seule la bande dessinée peut offrir !

Les références au cinéma sont nombreuses, bien entendu, puisque le deuxième tome nous emmène totalement dans l’univers souvent glauque de Hollywood… L’actualité proche nous prouve que les choses, finalement, n’ont pas tellement changé dès qu’on passe à l’arrière des décors somptueux des grandes productions qui font rêver la foule !

Ce que l’auteur aime aussi, c’est jouer avec les perspectives et les couleurs, pour rendre compte, avec intensité souvent, de ce que sont les pauvretés provoquées  par la dépression économique, les désillusions face aux trahisons, les amours qui ne peuvent qu’être contrariées…

Et le révélateur de tout ce qu’il veut nous dévoiler, c’est son personnage principal, un anti-héros paumé, pas vraiment sympathique, mais osant, lui, ne pas croire que tout est définitivement écrit !

Politique, cinéma, économie font, dans cette série, un ménage difficile à vivre ! Et, finalement, très actuel !

 

Etienne Willem: les personnages et le scénario

 

 

Outre ces deux albums, qui peuvent se lire comme des one-shots, ou presque, Etienne Willem a les honneurs aussi d’un  » artbook « … C’est un peu la mode, ces éditions de livres qui soulignent le talent d’un dessinateur en dehors des normes précises d’une narration graphique.

En son temps, il y eut par exemple des livres superbes consacrés à Tardi…

Depuis, dans ce domaine de l’édition, il y a eu le meilleur et le pire… j’avoue que pas mal de ces pseudo livres d’art me sont tombés des mains… Et qu’ils ne servent souvent qu’à essayer de faire croire qu’untel est un grand, alors que ce n’est qu’un triste tâcheron inutile de la bd… Non, je ne citerai pas de noms !…

Mais je peux, par contre, vous dire qu’avec le livre consacré à  » l’art  » d’Etienne Willem, on n’est pas déçu. Dessinateur incontestablement issu d’une mouvance non-réaliste classique, avec des filiations qui jettent quelques clins d’yeux vers Sokal ou Giardino, Etienne Willem parvient à raconter des histoires, des débuts d’histoire en tout cas, avec un seul dessin qui, de ce fait, dépasse la simple illustration…

 

Trois livres, donc, qui peuvent honorer de leur présence votre bibliothèque…

De la bonne bd, de l’excellente aventure, de l’humour, de la réflexion : il y a tout pour plaire, en fait, chez Étienne Willem !…

 

Jacques Schraûwen

Les Ailes Du Singe (auteur : Etienne Willem – éditeur : Paquet)

À Coucher Dehors

À Coucher Dehors

à coucher dehors

 

à coucher dehors – © Bamboo/Grandangle

 

Une histoire réjouissante, complète, en deux volumes… Des personnages attachants… Et, dans cette chronique, une interview des auteurs !

 

 

Trois clochards sur les quais de la Seine… La tante de l’un d’eux, Amédée, meurt et lui lègue un pavillon de banlieue. Mais, pour y habiter, Amédée doit s’occuper du fils trisomique de cette femme. Et voilà nos trois compères embarqués dans des quotidiens qui n’ont plus rien à voir avec ce qu’ils connaissaient jusque-là, un peu comme si l’existence, soudain, décidait de leur sourire.

Mais la vie n’est jamais parfaite, surtout pour des individus comme eux, anarchistes, marginaux, non-conventionnels et complètement amoraux.

Prie-Dieu, un des trois amis sdf, devient mystique et affiche des symboles religieux issus de toutes les religions, attirant ainsi sur la maison des attentions dont Amédée se passerait bien. Et puis, Nicolas, le trisomique qui rêve de devenir cosmonaute, disparaît…

N’allez pas croire, cependant, qu’on se retrouve ici dans une histoire édifiante, larmoyante… C’est d’humour qu’il s’agit, d’abord et avant tout, même si cet humour naît de situations et d’observations qui pourraient être réelles.

Un humour sérieux, donc, aussi, puisque le fil conducteur du scénario d’Aurelien Ducoudray se construit autour des faux-semblants, des mensonges omniprésents et sans lesquels la vie ne serait peut-être pas vivable…

Aurélien Ducoudray: les faux-semblants…

 

Aurelien Ducoudray est un scénariste prolixe et éclectique. On peut retenir de lui  » Amère Russie « , par exemple, mais aussi  » Chiens de Pripyat « , entre autres. Des thèmes très différents les uns des autres, et qui ne conjuguent pas toujours l’humour social, comme dans ce  » à coucher dehors  » !

Mais ses scénarios ont cependant quelques points communs : ceux de prendre comme cible l’universelle bêtise humaine, de démarrer ses récits à partir de ce qui est toujours une observation du vécu, et écrire en faisant se confronter des personnages très différents les uns des autres, tant physiquement que moralement ou intellectuellement. Ses trames narratives, ainsi, qu’elles soient sérieuses ou humoristiques comme ici, y gagnent, incontestablement, en intensité et en véracité…

Aurélien Ducoudray: le travail du scénariste

 

 

Cette histoire, racontée en deux tomes, est de manière évidente une fable très contemporaine. C’est aussi et surtout une aventure humaine pleine de rebondissements, d’un optimisme qui n’a rien de béat, et qui fait penser à des films comme  » Boudu sauvé des eaux « , ou même à certains dialogues d’Audiard.

La bonté n’est peut-être qu’une façade, mais c’est elle, finalement, au travers d’un humour très politique (au sens originel du terme !), qui anime les situations et les personnages.

Des personnages qui, grâce au dessin et aux couleurs d’Anlor, ont une belle existence… Cette dessinatrice, qui a déjà collaboré avec Ducoudray pour  » Amère Russie « , a un dessin tout en démesure d’expressions, avec des trognes dignes de Michel Simon ou des superbes seconds rôles des films des années 50… Démesure de visages, démesure de mouvements, aussi, éclatement des perspectives et superbe utilisation des couleurs : ce sont les marques de fabrique d’Anlor, dans ces deux livres, et c’est ce graphisme, aussi, qui donne tout son sens visuel au scénario d’Aurélien Ducoudray.

Une très belle complicité, pour une histoire qui pourrait n’être qu’édifiante mais qui se révèle passionnante, passionnée, amusante, folle, attirante, intelligente !

Aurélien Ducoudray: le travail de la dessinatrice

 

J’aime beaucoup la maison d’édition  » GRANDANGLE  » qui réussit à publier des livres intéressants, à bien des niveaux, tout en restant dans un certain classicisme de forme, graphiquement. Et quand la réussite est au rendez-vous, ce qui est souvent le cas, ce qui est indubitablement le cas ici, elle est complète et crée un vrai plaisir de lecture !

 » A coucher dehors  » est, sous ses guenilles souriantes, un récit qui peut nous faire ouvrir les yeux, à toutes, à tous, sur les réalités qui sont les nôtres, et que nous acceptons trop souvent sans oser réagir…

 

Jacques Schraûwen

À Coucher Dehors (dessin : Anlor – scénario : Aurélien Ducoudray – éditeur : Bamboo/Grandangle)