Blake et Mortimer – Le Dernier Pharaon

Blake et Mortimer – Le Dernier Pharaon

Une  » sortie  » remarquée… et remarquable !

Le dernier pharaon © éditions Blake et Mortimer

Quatre auteurs à part entière, quatre regards d’artistes… Un livre étonnant, bruxellois, à découvrir dans cette chronique… Une chronique à lire et à écouter, puisque les quatre auteurs y parlent de leur travail… Au-delà du  » produit culturel » et de tout le marketing qui l’entoure,  » Le Dernier Pharaon  » est un livre qui me semble exceptionnel !

François Schuiten
François Schuiten © Jacques Schraûwen

Blake et Mortimer… Une série culte qui appartient à l’histoire de la bande dessinée, d’un certain classicisme graphique et littéraire en même temps. Après E.P. Jacobs, ils sont nombreux à avoir repris le flambeau, avec une incontestable fidélité au style du créateur : Bob De Moor, André Juillard, Ted Benoît, Etienne Schreder entre autres.

Et aujourd’hui, ils se retrouvent à quatre aux commandes d’un album qui, certes, met en scène les personnages emblématiques de Jacobs, mais le fait d’une façon qui s’éloigne à la fois du dessin de Jacobs et à la fois de sa façon de raconter une histoire.

Un dessinateur, François Schuiten… Un cinéaste : Jaco Van Dormael… Un écrivain, Thomas Gunzig… Et un artiste de la couleur, Laurent Durieux… Comment quatre auteurs à part entière se sont-ils arrangés pour faire de cet album un  » tout  » ?

De leur propre aveu, c’est de rencontre en rencontre, en imaginant des situations et en les crayonnant tout de suite, que l’histoire de Dernier Pharaon a pris vie. Personnellement, j’y vois cependant une quadruple responsabilité, pratiquement cinématographique. Il y a un maître d’œuvre, un metteur en scène, un dialoguiste, et un chef opérateur. Quatre regards différents qui, par la magie d’un projet commun, deviennent, en osmose, une seule et même vérité narrative.

Jaco Van Dormael
Thomas Gunzig
Le dernier pharaon © éditions Blake et Mortimer

Du côté du dessin, François Schuiten n’a jamais été, sans doute, aussi inspiré. Son graphisme, aux noirs profonds, aux traits rappelant parfois ceux d’Andreas ou, dans un autre univers, de Pierre Joubert et de quelques grands illustrateurs du dix-neuvième siècle, ce dessin est éblouissant et mérite, de par lui-même, qu’on se plonge dans cette œuvre envoûtante.

C’est aussi, étrangement, alors que les personnages ne lui appartiennent pas, le livre de Schuiten qui lui est peut-être le plus personnel, par tout ce qu’il y a mis de lui-même, par la trame du temps qui passe et qui crée véritablement le récit, par les références et les détails qui ramènent un peu partout à tous ses univers (le train, le chien…).

François Schuiten: un livre très personnel
Le dernier pharaon © éditions Blake et Mortimer

François Schuiten n’a pas l’habitude, loin s’en faut, de laisser à d’autres le soin de la mise en couleurs de ses dessins. Ici, pourtant, il a donné carte blanche à Laurent Durieux. Cet artiste ne s’est pas contenté de compléter de sa palette les traits de Schuiten. Il dessine la couleur et réinvente le dessin, en lui offrant une autre profondeur, en lui imposant d’autres clairs-obscurs.

L’osmose entre les deux arts, celui du dessin et celui de la couleur, s’accentue encore par la qualité du papier choisi pour cette édition. J’ai toujours trouvé un vrai plaisir à toucher le papier d’un livre, à en découvrir la texture… Les anciennes bandes dessinées se lisaient sur papier prêt à froncer, un papier quelque peu rugueux sous le doigt. Ici, on retrouve la même couleur de papier, écru presque, mais le contact, lui, est celui d’un papier souple, lisse, glissant…

Pour qu’une lecture se révèle agréable, il faut que tous les sens, en quelque sorte, soient à la fête, et c’est vraiment le cas dans ce livre-ci…

Laurent Durieux
Le dernier pharaon © éditions Blake et Mortimer

Dans ce livre, le personnage central, c’est Bruxelles… Le Bruxelles du Palais de Justice, bâtiment dont les symbolismes, nombreux et variés, créent le récit… Un récit moins Science-fiction que spéculation et fiction. Un récit qui sans cesse oscille entre le rêve et la réalité, entre le cauchemar et la rémission. Un récit dans lequel le songe, quelle que soit la forme qu’il prenne, devient une porte, vers la connaissance, vers le mystère, vers l’imaginaire et le réel sans cesse mêlés.

Il y a de l’ésotérisme, bien sûr, de par le thème de l’histoire. Esotérisme de la pyramide et de ses énergies, ésotérisme d’une  » famille  » d’initiés. Mais cet ésotérisme n’est qu’un moyen pour construire des ponts entre différentes époques. A ce titre, on pourrait presque parler d’une aventure  » quantique  » : dans le passé se trouve déjà notre avenir, et toutes les réalités, finalement, se mêlent sans toujours se ressembler.

Et si ce livre se démarque de tous les autres titres des aventures de Blake et Mortimer, c’est aussi parce que les auteurs ont voulu qu’il soit contemporain, avec des symboles évidents : un mur autour d’une ville, quelques phrases, aussi, comme  » un jour ou l’autre ce problème va se rappeler à nous « , ou  » les  ordres sont stupides « …

Et malgré cela, la thématique centrale reste totalement fidèle à Jacobs : Blake et Mortimer sont des héros dont l’utilité est de sauver le monde !

Les puristes, me dit-on, vont regretter l’absence de l’infâme Olrik ! Ils auront tort, parce que les  » méchants  » sont bien présents, dans ce livre, mais ils ressemblent vraiment à ce qu’ils sont dans la vie, des êtres toujours ambigus…

François Schuiten: sauver le monde…
François Schuiten: les « méchants »
Le dernier pharaon © éditions Blake et Mortimer

Il m’est impossible de résumer ce livre, tant il foisonne d’histoires parallèles, de rencontres inattendues, de récits intimement mélangés. Mais ce que je peux, et dois dire, c’est que, à mon humble avis, on est en présence, ici, de ce qui pourrait être le meilleur de tous les Blake et Mortimer !

Jacques Schraûwen

Le Dernier Pharaon (dessin : François Schuiten – scénario : Fançois Schuiten, Jaco Van Dormael, Tomas Gunzig – couleur : Laurent Dutrieux – éditeur : éditions Blacke et Mortimer)

Brian Bones, Détective Privé : 3. Corvette 57

Brian Bones, Détective Privé : 3. Corvette 57

De la bande dessinée classique, un dessinateur belge, une intrigue souriante et animée, des personnages hauts en couleur : un bon moment de lecture à passer !


Corvette 57 © éditions Paquet

Nous sommes en 1959. Brian Bones, détective privé travaillant pour une compagnie d’assurances, va devoir enquêter sur une bien étrange disparition. Celle d’une voiture mythique, la Corvette 57, enlevée par des petits hommes venus de l’espace dans leurs ovnis lumineux !…

En fait, ce scénario correspond parfaitement à l’ambiance qui régnait dans ces années-là. Le monde se partageait entre deux blocs, les USA et leur libéralisme à outrance, et l’URSS et son communisme exacerbé. Il en résultait une peur de l’autre, au sens large du terme. Et la conquête spatiale qui commençait à faire plus que pointer le bout de son nez faisait rêver, certes, mais faisait aussi très peur. Le monde dit civilisé des Etats-Unis, et de tous les pays qui se blottissaient dans son giron, craignait une invasion venant de l’Est ou des étoiles !

Par son côté « sf », ce scénario, donc, colle à la réalité des années 50. Mais ce scénario est aussi, et surtout, une histoire policière qui mélange deux sortes de codes du polar, les codes français, avec des personnages qu’on pourrait trouver en toile de fond dans les romans de Léo Malet, et les codes américains, plus proches de Carter Brown que de Chandler.

A partir de ce mélange, Rodolphe construit une histoire efficace, vive, sans temps morts, un agréable divertissement. Un divertissement qui se poursuit, bien entendu, dans le dessin de Georges Van Linthout.

Un dessin qui se savoure dans ses détails : des animaux perdus dans les décors, des décors qui, urbains ou campagnards, donnent du rythme et de la profondeur de champ au récit, un récit dessiné qui adore représenter le quotidien des personnages, un réveil difficile, un verre que l’on prend à plusieurs, des mains qui se serrent… Le tout avec des couleurs qui, finalement, prennent peu de place…


Corvette 57 © éditions Paquet
Georges Van Linthout: le scénario et le dessin
Georges Van Linthout: les décors

Avec une série comme celle-ci, on se trouve, de manière flagrante, dans une bande dessinée qu’on ne peut que qualifier de « classique ». Van Linthout, à ce titre, est un dessinateur étonnant, capable de nous plonger dans des univers très graphiques, comme avec « Mojo », et de s’amuser, ensuite, à créer des personnages venus tout droit de ce qu’on peut appeler l’école de Charleroi, avec des femmes aux courbes évidentes, avec des amourettes souriantes, avec des rebondissements narratifs et graphiques simples sans être simplistes.

La BD est multiforme… Et passer un bon moment ou s’enfouir dans un récit qui fait réfléchir, ces deux pôles de la lecture font que cette multiplication des formes du neuvième art prouve toute sa qualité ! Et tout son intérêt !


Corvette 57 © éditions Paquet
Georges Van Linthout: de la bd classique

Ce qui, personnellement, m’a plu dans ce livre, c’est le côté presque nostalgique de l’époque qui y est racontée et dessinée. Bien sûr, il y a les personnages, bien typés, avec leurs caractères reconnaissables à chaque expression dessinée. Les personnages féminins, entre autres, méritent assurément le détour, tout comme l’Indien !

Mais ce que j’aime vraiment, dans un album bd, c’est que le regard du lecteur ne soit pas focalisé sur la seule action en cours. J’ai toujours pensé que lire une bande dessinée, c’était aussi laisser ses yeux, et donc son imagination, voleter dans tous les coins et recoins d’une page, d’une image. C’est ce que faisait par exemple Franquin, avec un génie total. C’est aussi ce que font Walthéry ou Lambil. Et c’est bien ce qui se remarque également dans ce Brian Bones qui promène son héros dans une Amérique rêvée, une Amérique aux pulpeuses passantes, une Amérique aux paysages variés, une Amérique des années 50 peuplée de voitures toutes plus belles les unes que les autres, toutes bien plus originales que celles d’aujourd’hui qui se ressemblent toutes !

Georges Van Linthout: les années 50

Brian Bones est un « privé » qui appartient à une vraie famille de bd, celle qui aime faire se rencontrer des récits « noirs » et un dessin souriant.

Et, dans ce style d’aventures policières, dans ce style d’histoires linéaires et sympathiques, Van Linthout et Rodolphe s’en donnent à cœur joie !

Jacques Schraûwen

Brian Bones, Détective Privé : 3. Corvette 57 (dessin : Georges Van Linthout – scénario : Rodolphe – couleurs : Stibane – éditeur : éditions Paquet)


Blue Thermal 01 – Candy & Cigarettes

Blue Thermal 01 – Candy & Cigarettes

Vous prendrez bien un peu de Manga?….

Une bluette sympathique et un excellent polar sombre et particulièrement bien construit… En guise de mangas, il y en a pour tous les goûts!… Les miens me portent, en tout cas, à vous conseiller vivement de vous plonger dans « Candy & Cigarettes » !

© Komikku © Casterman


Blue Thermal 01

(auteur : Kana Ozawa – éditeur : komikku)

Une des grandes tendances de la bd japonaise, c’est ce qu’on pourrait appeler la « romance ». Les histoires à l’eau de rose se multiplient en effet, pour le plus grand plaisir des adolescents et, surtout, des adolescentes. C’est que les ingrédients dans ces livres sont toujours un peu les mêmes, calqués, en quelque sorte, sur le mythe charmeur et, ma foi, charmant, du prince qui l’est tout autant !

Un genre qui, je l’avoue, ne m’enthousiasme jamais vraiment.

Un genre illustré, dans ce livre-ci, par une histoire gentillette. Tamaki s’inscrit à l’université. Véritable garçon manqué, sportive dans l’âme, ce qu’elle veut, c’est se dénicher, comme toutes les filles de son âge, un « petit ami ». Mais voilà, si le coup de foudre existe, si elle le ressent, c’est vis-à-vis du ciel, des nuages, du vent, et d’un planeur dans lequel elle s’offre le bonheur de voler au-dessus des choses, des sentiments, et de leurs apparences.

Blue Thermal 01 © Komikku

Sans être exceptionnel, ce « Blue Thermal » se différencie malgré tout de la production habituelle de ce genre d’histoires. Par la personnalité de son héroïne, d’abord, qui, de gaffe en gaffe, se doit de trouver sa place dans une société japonaise extrêmement codifiée, une société dans laquelle le rôle de la femme n’a rien de féministe, que du contraire, et ce jusque dans les termes utilisés : après une ses maladresses, Tamaki s’entend dire, par exemple, qu’elle va devoir rembourser en nature… On parle de travail à fournir, certes, mais le double sens du langage n’a certainement, ici, pas grand-chose à voir avec le seul hasard !

La seconde différence se situe là, justement, dans le portrait d’un Japon toujours ancré dans des réflexes du passé, dépassés donc.

Cela dit, les codes habituels du manga (caricature des expressions, par exemple) sont bien présents, avec leurs lourdeurs évidentes. Mais le dessin réussit, cependant, à attirer grâce à l’attention qu’il porte aux regards des différents protagonistes.

Ce que j’ai apprécié, aussi, dans le dessin, c’est la symbolique des différentes représentations graphiques de l’héroïne, dessinée tantôt enfant, tantôt ado, tantôt presque adulte, selon les sensations qu’elle exprime.

C’est donc une bd manga sympathique, et qui s’adresse essentiellement à un public jeune, c’est évident !


Blue Thermal 01 © Komikku

Candy & Cigarettes

(auteur : Tomonori Inoue – éditeur : Casterman)

Avec ce manga-ci, on se trouve très loin du codifié, du conventionnel, à savoir même du « politiquement correct ». Jugez-en en découvrant le fil du scénario !

D’une part, il y a Raizo, un policier à la retraite qui voit son petit-fils atteint d’une maladie dont le traitement coûte une fortune.

De l’autre côté, il y a Miharu, une gamine de presque douze ans, adorant les bonbons, et n’ayant qu’un but, se venger de ceux qui ont assassiné ses parents.

Entre ces deux personnages qui ne devraient jamais se rencontrer, il y a une agence étrange, au sigle tout aussi étrange, SS, une agence qui dit travailler pour l’état et qui ne commandite que des meurtres.

Une agence qui engage le vieux policier… Une agence dans laquelle la gamine est une des tueuses les plus efficaces.

Candy & Cigarettes © Casterman

A partir de ce canevas, l’auteur garde le sens du rythme propre à l‘univers manga, mais il le complète par une construction narrative inspirée, elle, du comics à l’américaine. D’autres, avant Tomonori Inoue, ont déjà tenté la chose, c’est vrai, mais rarement avec réussite ! Et ici, le résultat est excellent! Moi qui ne suis pas vraiment fan des mangas, j’ai été ébloui et subjugué par ce livre.

Il faut dire que le regard y est critique sur le Japon d’aujourd’hui : la place des vieux dans une société axée sur des valeurs de profit et de rentabilité, le coût des soins de santé qui ne sont accessibles très souvent qu’aux plus riches, la corruption d’un système politique et policier, tout cela participe à un récit qui n’a rien, finalement, de gratuit.

Et, surtout, qui est passionnant, de bout en bout !

Nous nous trouvons en fait dans une théâtralisation tragique d’un polar inconvenant ! Un polar sombre, totalement amoral, traité, tout compte fait, sobrement, sans aucun excès, même dans les scènes de violence pure.

Pour moi, ce livre est à découvrir, absolument, par les amateurs de mangas, par les amateurs de BD européenne, par les amateurs de Comics… Par toutes celles et tous ceux, en fait, qui aiment la bande dessinée sous toutes ses formes, quand elle choisit les chemins de l’originalité, de l’intelligence et du talent !


Candy & Cigarettes © Casterman

« Blue Thermal » s’adresse résolument à un public jeune, et le fait sans surprise mais avec beaucoup d’honnêteté dans la construction. A réserver, à mon avis, aux adolescentes et aux adolescents… Après tout, il vaut mieux rêver au prince charmant en se sentant proche des nuages que s’accrocher au virtuel de son smartphone…

« Candy & Cigarettes », lui, est destiné à un public beaucoup plus adulte, c’est une évidence ! On y parle d’horreur quotidienne et de mort, on y parle de peur et d’indifférence… On y dessine le portrait d’un monde qui est, aussi, le nôtre. Et puis, il y a cette héroïne, qui reste une enfant malgré ses actes de tueuse, et qui se révèle profondément attachante ! A NE PAS RATER !

Jacques Schraûwen