Bob et Bobette : Le Reboutant Rebouteux

Bob et Bobette : Le Reboutant Rebouteux

Qui ne connait pas Bob et Bobette, ces héros tous publics créés par Willy Vandersteen en 1948 ? Série moralisatrice, tous publics, certes, mais série qui, depuis quelques années, s’ouvre aussi à des albums différents, des albums « hommage » qui osent se révéler parfois quelque peu iconoclastes !

Les aventures de Bob et Bobette en sont à leur numéro 348, rendez-vous compte ! 348 plus quelques titres hors collection, comme ce livre-ci, et qui est dû à l’association entre le scénariste prolifique Zidrou et le dessinateur qui dessine plus vite que son ombre, Jean-Marc Krings. Avec un titre que le Tibet des Chick Bill n’aurait pas désavoué : « le reboutant rebouteux ».

Bob et Bobette, c’est une série enfantine, familiale… Et cet album-ci n’est pas vraiment dans la même veine. Certes, les auteurs rendent hommage à tout l’univers de Vandersteen, en reprenant tous leurs personnages principaux, Lambique, Jérôme, le professeur Barrabas, entre autres. Mais avec Zidrou, on s’approche aussi de la parodie, voire même de l’album quelque peu iconoclaste. Et pour les deux auteurs, cet album a d’abord et avant tout fait par plaisir et pour le plaisir !

Jean-Marc Krings © Viviane Vandeninden
Jean-Marc Krings : un album fait par plaisir

Les auteurs revisitent le monde de Bob et Bobette, qui vont devoir se battre contre une association secrète, presque une secte, une association qui regroupe des personnages de bd exclusivement français, et qui refusent l’immigration dans leur pays de héros dessinés venus de l’étranger, venus, en l’occurrence de la petite Belgique. Donc, au-delà d’une aventure gentillette et moralisante, comme tous les albums traditionnels de Suske en Wiske, Zidrou et Krings nous racontent une fable qui rappelle des rejets d’aujourd’hui, des réalités peu ragoutantes qui s’opèrent aussi en France ! Il y a des thèmes sérieux, certes, mais il y a d’abord et avant tout un très agréable second degré. Les auteurs, comme les lecteurs, s’amusent, aux références nombreuses, aux clins d’œil nombreux (ceux qui liront le livre comprendront ce que je veux dire…), aux jeux de mots parfois très potaches de Zidrou. Je parlais de livre quelque peu iconoclaste, et c’est bien le cas, avec, par exemple, l’apparition d’un sein de tante Sidonie !

Le Reboutant Rebouteux © Standaard
Jean-Marc Krings : le sein de Sidonie

Le dessin de Krings, dans la lignée évidente de l’école de Charleroi, est fait de vivacité, de planches dans lesquelles le mouvement est toujours présent, de manière à rythmer le récit. C’est un graphisme qui ne cherche sans doute pas à éblouir, mais qui est d’une véritable efficacité, avec une multiplicité des plans, des « angles de vue », plongées, contre-plongées, plans larges, etc. Comme au cinéma !

Le Reboutant Rebouteux © Standaard
Jean-Marc Krings : de la mise en scène

Et puis, le dessin de Krings, tout comme celui de Vandersteen, d’ailleurs, ne se contente pas d’esquisser avec plus ou moins de présence et de justesse les décors. Ces décors appartiennent au récit, ils sont aussi des points de référence pour les lecteurs, des points de reconnaissance en quelque sorte. Comment ne pas être ébloui, par exemple, par la vue de la gare d’Anvers ! Ou par l’intérieur d’une taverne juste après la guerre 14/18.

Le Reboutant Rebouteux © Standaard
Jean-Marc Krings : les décors

Je sais que les fans purs et durs risquent de ne pas trouver ce livre intéressant. Mais pour les autres, tous les autres, oui, c’est un album rieur, amusant, à lire pour le plaisir, tout simplement. Et le plaisir, en toute liberté, n’est-ce pas un peu ce qui nous manque vraiment, de nos jours ?

Jacques Schraûwen

Bob et Bobette : Le Reboutant Rebouteux (dessin : Jean-Marc Krings – scénario : Zidrou – éditeur : Standaard – 48 planches – date de parution : novembre 2019)

Le Reboutant Rebouteux © Standaard
Berlin Sera Notre Tombeau : 1. Neukölln

Berlin Sera Notre Tombeau : 1. Neukölln

Focus sur les Français de la légion Charlemagne !

En cette année où se multiplient, en commémorations de tout genre, les souvenances de la guerre 40/45, voici un livre qui, étonnamment, s’intéresse à des militaires français qui avaient choisi le camp allemand…

La mémoire ne peut être ni partiale, ni partielle, et la guerre, de quelque côté qu’on la regarde, n’est et ne sera jamais qu’une horreur !

Depuis la fin de cette guerre qui, qu’on le veuille ou non, continue à influencer notre présent, la manière d’en parler, de la montrer, a terriblement évolué.

Berlin sera notre tombeau 1 © Paquet

Il y a eu d’abord la nécessité, bien humaine, de parler d’héroïsme, de courage, de caricaturer en fait, avec les meilleures intentions du monde, les « bons » et les « méchants ». Les « bons » étant les vainqueurs, les méchants étant à l’image des pires des vaincus, ceux qui arboraient le « double s » sur leur uniforme.

Il y a eu ensuite, dans la littérature comme dans le cinéma, des œuvres plus construites, moins subjectives. Des œuvres nous montrant, de ci de là, comme dans « Le jour le plus long », des militaires allemands subissant, eux aussi, l’inacceptable d’un conflit qui dépassait les notions essentielles de « liberté » et s’aventurait dans les méandres de convictions autoritaires, pseudo-philosophiques, totalement égocentristes, terriblement économiques.

Berlin sera notre tombeau 1 © Paquet

Et puis, il y a eu, enfin, des films et des livres qui ont osé nous montrer l’envers du miroir du « politiquement correct ». Je pense à « Abattoir 5 », roman exceptionnel, film extraordinaire également. Je pense surtout au livre et au film : « Le Pont », nous montrant, avec une pudeur exceptionnelle mais d’une puissance rarement vue au cinéma. Manfred Gregor pour le roman et Bernhard Wicki pour son adaptation cinématographique, nous y montraient, avec une pudeur exceptionnelle et une puissance rarement vue au cinéma, la mort annoncée de jeunes hommes, très jeunes même, défendant un pont totalement inutile, face à l’assaut des Allliés.

Berlin sera notre tombeau 1 © Paquet

Ici, avec cet album de bande dessinée, c’est un peu dans cette veine-là qu’on se trouve. On suit, tout simplement, l’arrivée à Berlin, en pleine débâcle, de cette fameuse légion Charlemagne, formée de Français « collaborateurs », de Français soucieux de se battre contre le bolchévisme plus que désireux de défendre Hitler, sans doute. Sujet délicat, s’il en est… Peut-on, aujourd’hui, nous montrer de manière positive ceux qu’on continue à appeler, dans les livres d’histoire, les collaborateurs, donc les traîtres ?

Probablement qu’on ne peut pas le faire, et ce pour d’excellentes raisons, de manière très évidente ! Et ce n’est d’ailleurs pas le sujet de ce livre. Un livre qui nous fait accompagner quelques militaires perdus dans une guerre qui, ils le sentent, n’a jamais été la leur, perdus et certains de trouver, dans cette capitale allemande qu’ils défendent contre les Russes, une mort sans gloire et sans utilité !

Berlin sera notre tombeau 1 © Paquet

Michel Koeniguer, ainsi, se fait l‘auteur d’une fresque sans jugement, d’un album bd qui ressemble presque à un documentaire vu du mauvais côté de l’histoire. Son dessin, d’un réalisme très cinématographique, nous montre des hommes qui voient un monde s’écrouler. Leur monde… Leurs illusions… Et qui vivent leurs derniers moments humains en assistant à ce que la guerre peut avoir de plus répugnant, à savoir la négation de toute humanité, en prenant, par exemple, les civils comme cibles de toutes les horreurs !

Berlin sera notre tombeau 1 © Paquet

Ce livre qui appelle une suite est une vraie réussite. Koeniguer réussit à nous parler d’humanisme au long d’une construction qui ressemble presque à une tragédie grecque. Et pour ce faire, il bénéficie de la mise en couleurs de Fabien Alquier, une mise en couleurs qui a parfaitement compris, de bout en bout, ce que devait être cet album, ce qui devait y transparaître comme ambiances.

Un livre à vraiment découvrir !

Jacques Schraûwen

Berlin Sera Notre Tombeau : 1. Neukölln (auteur : Michel Koeniguer – couleurs : Fabien Alquier – éditeur : Paquet – parution : juin 2019 – 48 pages)

Berlin sera notre tombeau 1 © Paquet
Loustal : un nouvel album et une exposition à Bruxelles

Loustal : un nouvel album et une exposition à Bruxelles

Jacques de Loustal est un auteur éclectique, certes, puisqu’il est autant, voire plus, illustrateur qu’auteur de bd, auteur de carnets de voyages comme de photos ou de livres pour jeune public… Et c’est une double actualité qui est la sienne aujourd’hui !

Loustal © Loustal

Bijou (dessin : Loustal, texte : Fred Bernard – éditeur : Casterman – 69 pages – parution : juillet 2019)

Deux dessins par page, qui accompagnent et complètent deux petites textes de Fed Bernard : une osmose entre deux auteurs pour nous raconter l’histoire d’un diamant qui se mêle à l’Histoire du vingtième siècle.

Nous ne sommes donc pas dans l’univers pur de la bande dessinée, ou alors dans un retour aux prémices de ce qu’elle fut au temps, par exemple, des images d’Epinal. Pas de « bulles », mais un récit dans lequel le dessin n’est pas la simple continuité du texte, dans lequel le texte n’est pas le simple support du dessin ! La narration en ressort grandie, et d’une belle efficacité !

Bijou © Casterman

Même si le dessin de Loustal appartient à ce qu’on peut appeler la « Ligne Claire », par la netteté des contours, par la mise en couleur faite de manière simple et homogène, il s’en différencie cependant par toute l’attention que Loustal porte à la fois aux expressions des visages et à l’importance des décors. Des décors qui, ici, dans ce livre, occupent une place prépondérante, puisque ce sont eux, d’une certaine manière, qui font évoluer l’histoire qui nous est racontée.

Un diamant est découvert par un ami de Jack London, à l’aube du vingtième siècle. Et cet objet de luxe va passer de main en main, de mort en mort, jusqu’à l’annonce du décès d’Alain Bashung, l’auteur de la chanson « Bijou »

Le thème de ce récit n’est pas neuf, c’est vrai. Mais sa construction, ici, en fait une fable lumineuse, merveilleusement colorée, une fable qui nous parle de la mort, de l’ambition, de la coïncidence… Une fable qui nous dit que la grande Histoire n’est peut-être qu’une succession de hasards et de jeux culturels emmêlés. Une fable dans laquelle l’idée prime sans cesse sur le réalisme, créant ainsi, dans un tissu narratif très littéraire, une histoire de néant peuplé d’un expressionnisme puissant.

Bijou © Casterman

Loustal illustre Simenon : une exposition jusqu’au 19 octobre 2019 à « HUBERTY & BREYNE GALLERY » 33, Place du Châtelain – 1050 BRUXELLES

Dans ce lieu spacieux, lumineux, je vous invite à aller voir de tout près le travail d’illustrateur de Loustal. Un illustrateur amoureux, depuis des années déjà, de l’œuvre du Belge Simenon. Et sur les murs de la galerie Huberty & Breyne, vous verrez ainsi que Loustal, maître d’une couleur parfois très « flash », peut également prendre un vrai plaisir au noir et blanc, au crayon, s’éloignant ainsi très fort de cette fameuse Ligne Claire à laquelle on le rattache le plus souvent.

Loustal © Loustal

Le style de Loustal, je le disais, est reconnaissable au premier coup d’œil. Souvent imité, cet auteur inclassable aime la vie, l’Histoire, l’être humain, dans tout ce qu’il peut posséder de contradictions, de terreurs, de routines, d’horreurs. L’univers qui est le sien, un univers de disproportions évidentes, et celui de Simenon, un univers de faux-semblants, ne pouvaient que se rencontrer, et se mêler. Ce sont ces deux univers-là que vous pouvez découvrir aux cimaises de cette galerie bruxelloise.

Loustal © Loustal

Loustal fait partie de ces auteurs qu’on peut aimer au premier regard, ou dans l’univers desquels, tout au contraire, on ne réussit pas à pénétrer.

Mais il fait partie intégrante de l’Art, au sens le plus large du terme, et sa double actualité devrait vous pousser, si ce n’est pas encore le cas, à le découvrir, à trouver chez lui des miroirs parfois déformants de nos mille réalités…

Jacques Schraûwen