Bluebells Wood : tout le talent de Guillaume Sorel !

Bluebells Wood : tout le talent de Guillaume Sorel !

Les amours d’une sirène et d’un peintre… Un récit fantastique qui s’enfouit dans les peurs enfantines qui nous habitent, toutes et tous, et qui nous rendent adultes… Un érotisme lumineux, somptueux, et d’une noirceur terrifiante! Un album BD qui justifie pleinement l’appellation  » neuvième art  » !…

Bluebells wood – © Glénat

On doit à Guillaume Sorel quelques-uns des albums les plus réussis de ces dernières années. Son adaptation de  » Le Horla  » de Maupassant était splendide. Son album totalement personnel,  » Hôtel Particulier « , était un chef d’œuvre d’impertinence, de beauté, de fantastique tranquille.
Toujours amoureux du fantastique, de cet art de l’imaginaire qui a créé les contes de notre enfance autant que les récits de Wilde ou de Lovercraft, le voici maître d’œuvre d’une histoire qui prend ses sources chez Andersen, certes, mais pour en gommer tous les enfantillages et ne garder, finalement, qu’une fable intimiste sur la vie, la mort et le deuil. Intimiste et terrifiante…

 

Bluebells wood – © Glénat

Pour résumer ce livre, on peut se contenter d’en décrire la trame narrative. William est un peintre qui cherche à oublier sa femme décédée dans une demeure perdue loin de tout, dans un endroit battu par la mer et situé sur l’île de Guernesey. De quoi faire un signe, à travers les siècles, à Victor Hugo dont les dessins aimaient, comme ceux de Sorel, à dépasser les apparences pour se plonger dans des univers où tout, même et surtout l’indicible, semble possible.
Solitaire, à l’exclusion d’un modèle qui, dénudée, vient poser pour lui, et d’un ami qui s’efforce de le sortir de sa dépression et de le pousser à peindre à nouveau, William se trouve un jour confronté à un assaut de sirènes… A la présence de l’une d’entre elles, qui le sauve et, ce faisant, se retrouve objet de la haine de ses sœurs…
Une sirène, qui n’a rien de petite, et dont la beauté, sculpturale, réinvente l’amour et le désir au plus profond des chairs et de l’âme de William.

Bluebells wood – © Glénat

C’est  » la petite sirène  » d’Andersen… Mais une sirène charnelle… Une sirène sans prince charmant… Une sirène qui, étrangement, rappelle certaines des héroïnes rimées de l’immense Baudelaire… Un poète de mots qui fut admirateur, et même plus, de Poe, comme Guillaume Sorel est un poète de l’image, amoureux de l’horreur et du fantastique lorsqu’ils créent, aux routines du temps qui passe, des mondes où tout peut être dit, même l’inacceptable.
Une des constantes dans l’œuvre de Sorel (oui, j’ose, et haut et fort, parler  » d’œuvre  » !…), c’est le monde animal. Un monde animal qui, comme dans Le Horla, est un danger à la fois pour l’intégrité de la vie et l’intégrité de l’intelligence. Un monde animal posé à côté du monde humain, et observateur plutôt qu’acteur, ou alors, quand il se révèle acteur, presque impalpable.
Une autre de ses constantes, graphiques comme littéraires, c’est la féminité et ses mille érotismes. Comme Baudelaire, encore, toujours…
Et ici, dans cet extraordinaire (au sens premier du terme !) livre, il allie ses deux constantes, ses deux obsessions pour nous faire entrer dans un monde extrêmement humain de par ses errements, celui de la mort, celui du rêve plus fort que l’ailleurs, celui de la beauté irrémédiablement dangereuse. Un monde dans lequel les animaux ressemblent d’abord à des personnages de chez Disney, avant de se révéler membres à part entière de la grande parade de la vie et de la mort ! Donc de l’espoir et de l’horreur…

Bluebells wood – © Glénat

Un livre comme celui-ci a la qualité des meilleurs romans du genre, ceux de Claude Seignolle, de Gérard Prévot, de Thomas Owen, de Jean Ray, de Marcel Béalu… Rien n’est gratuit dans cet album, et certainement pas non plus la préface signée de Pierre Dubois.
Et encore moins les clins d’œil graphiques qui parsèment ce livre de bout en bout, avec même quelques références à des peintres précis, comme Magritte. Le surréalisme n’est-il pas, finalement, le cousin germain du fantastique ?
Et puis, il y a la  » chute « , inattendue, puisqu’elle est un retour brutal dans la réalité, une réalité inavouée et pourtant, à la réflexion, sans cesse présente au long des pages…
 » Homme toujours tu chériras la mer…  » disait Baudelaire…
La mer, la nature, la nature humaine, la rêve et l’art, essences de l’humanité, voilà ce que nous dit de chérir Guillaume Sorel, dans ce livre qui se termine par quelques-uns de ses dessins, en pleines pages, des dessins qui, de bout en bout, privilégient la couleur et l’ambiance à la seule précision réaliste.
Cet album est une véritable œuvre d’art, littéraire, graphique, picturale. Un livre, en tout état de cause, qui se doit de se trouver dans votre bibliothèque!

Jacques Schraûwen
Bluebells Wood (auteur : Guillaume Sorel – éditeur : Glénat)

Boule à Zéro : 7. Goal ! Une série BD à ne rater sous aucun prétexte !

Boule à Zéro : 7. Goal ! Une série BD à ne rater sous aucun prétexte !

Non, il ne s’agit nullement d’un livre de plus consacré au football ! Mais de la suite, simplement, des aventures quotidiennes de Zita… Une petite fille qui vit à  l’hôpital et qui, tout en battant contre son cancer, y fait des rencontres émouvantes et essentielles !

boule à zéro – © Bamboo

Je l’ai déjà dit, et je le redirai encore bien souvent : cette série, véritablement ouverte à tous les publics, est une des plus intelligentes qui soient ! Et chapeau bas à deux auteurs qui ont osé aborder la réalité des enfants hospitalisés pour des maladies lourdes, et chapeau bas à l’éditeur qui a cru à ce projet insensé, un peu fou en tout cas !
Je viens de parler de la réalité des enfants hospitalisés… Et même si le dessin de Serge Ernst est un dessin profondément et résolument non réaliste, c’est bien de réalisme qu’il s’agit… De réalisme, de quotidien, celui de la souffrance, celui des soins de santé, celui des rencontres, surtout, toujours, ces rencontres humaines qui, seules, peuvent permettre au  » crabe  » de se taire, ne fut-ce qu’un tout petit peu.

boule à zéro – © Bamboo

Dans ce livre-ci, à la différence des albums précédents, on a droit à des petites histoires plus qu’à un seul grand récit. Mais des petites histoires qui ont, bien évidemment, une trame parfaitement construite.
Ce fil conducteur, ce fil rouge, c’est Moïse, un petit garçon noir qui se promène sans arrêt avec son ballon de football. Et qu’on impose à Zita comme compagnon de chambre.
Mais voilà… Zita, élément perturbateur de la vie bien organisée de l’hôpital, élément souriant, révolutionnaire, ouvert à toutes les amitiés, Zita, en adolescente qui se respecte, a envie et besoin de solitude, d’intimité. Surtout depuis que sa précédente compagne de chambre a abandonné définitivement la lutte contre la maladie.
C’est dire que l’arrivée dans son univers d’un petit garçon qui ne parle pas, qui s’accroche à son ballon comme à une ultime bouée d’un improbable sauvetage, c’est dire que la présence de Moïse ne peut pas bien se vivre par cette fille qui vit son adolescence dans un corps d’enfant.

boule à zéro – © Bamboo

Mais ne vous en faites pas !… Zita va vite retrouver le plaisir qui est sien –et qui est nôtre !- à se faire l’amie de tous ceux qui en ont besoin. Et, dans cet album, c’est à petites touches que cette amitié va naître entre Zita et Moïse. Avec, en toile de fond, les soucis familiaux du docteur Semoun, les cancans des infirmières, la vie de tous les jours, en fait, avec ses petites joies, ses petites victoires, et l’ombre de la mort toujours présente… Mais une ombre qui, par la magie et le talent des deux auteurs, Zidrou et Ernst, ne fait pas –ou plus- peur !

Nous sommes et serons toutes et tous confrontés, un jour ou l’autre, à la maladie, celle d’un proche, celle d’une personne aimée, celle d’un enfant…
Cette série  » Boule à Zéro  » nous montre, avec le sourire, que toute réalité, même la plus désespérante, mérite d’être vécue.
Une série qui, en outre, ne faiblit d’aucune manière, reste de qualité, d’intelligence, d’observation, d’optimisme et d’objectivité, une série qui ne se prend pas au sérieux tout en nous parlant de ce qu’il y a de plus sérieux au monde, la vie, ses espérances, ses abandons, ses nécessités de toujours regarder devant soi, et autour de soi, de toujours tendre la main et serrer les mains qui nous sont tendues.
 » Boule à Zéro « , ce sont sept albums à lire, à faire lire, à offrir, à partager, sept albums émouvants et amusants, sept aventures qui font du bien et qui, en nous révélant quelques envers de décor, nous offre la chance d’être moins idiots, toutes et tous, face à la souffrance des autres !

Jacques Schraûwen
Boule à Zéro : 7. Goal ! (dessin : Serge Ernst – scénario : Zidrou – couleurs : Laurent Carpentier – éditeur : Bamboo

 

Bonjour Tristesse

Bonjour Tristesse

Une adaptation réussie…

C’est en 1954 que Françoise Sagan est entrée avec fracas dans le monde de la littérature, avec un roman qui a éveillé, dès sa parution, bien des passions. Plus de soixante ans plus tard, en voici une adaptation inspirée, pour une bd qui mérite le détour.

Bonjour tristesse – © Rue de Sèvres

A 17 ans, Cécile passe ses vacances avec son père dans une villa de la Côte d’Azur. Avec son père, et avec la jeune maîtresse de celui-ci.
Dans ce trio, chacun, très vite, trouve ses marques, interprète un rôle qui lui convient : le père en Don Juan vieillissant, son amante en jeune starlette sans beaucoup de réflexion, et Cécile en jeune fille se croyant déjà adulte et souhaitant tout découvrir des sentiments qu’elle voit planer tout autour d’elle. A cela, il faut ajouter la relation fusionnelle qui unit Cécile à son père. Une relation fusionnelle qui, soudain, va imploser au moment où apparaît une femme de plus, la belle et mûre Anne. Une femme qui, même si elle appartient au même monde riche et éthéré, cultive d’autres valeurs et croit, elle, profondément, à l’amour majuscule et aux responsabilités que cet amour se doit de créer chez les amants.
Ce qui était un trio de comédie vaudevillesque va ainsi devenir un huis-clos dans lequel l’enfer, ce n’est pas seulement les autres.
Bien des thèmes sont abordés dans ce livre qui, bien avant les révoltes des années 60, a fait scandale pour sa liberté de ton, et pour cette volonté affichée par une jeune fille de pouvoir aimer en toute liberté !

 

Denis Westhoff, le fils de Françoise Sagan: le roman

 

Bonjour tristesse – © Rue de Sèvres

La littérature de Françoise Sagan est faite de lenteur, de vécus et de rêves racontés plus que décrits, d’indolence, de sensations désabusées, de dialogues qui ne se veulent que convenus, d’enfouissements dans des univers dans lesquels le manque de besoin d’argent permet d’occuper son temps avec fatuité, avec un sens évident du  » snobisme « , si bien chanté par Vian, cette littérature est faite aussi d’exacerbation, même silencieuse souvent, du sentiment amoureux.
Adapter une telle écriture, quel que soit le support choisi, cinéma, théâtre, bande dessinée, demande donc une attention toute particulière au rythme de cette écriture comme à son contenu, sans chercher d’effets spéciaux que Sagan a toujours évités avec soin. Cette auteure, à sa manière, a créé des codes précis quant aux sujets qu’elle a abordés et qui, le plus souvent, se vivent dans une haute société qui, de par son éloignement naturel avec les soucis dits quotidiens, peut se consacrer à quelques futilités qui se révèlent alors essentielles.
Et le talent de Frédéric Rébéna est d’avoir respecté tous ces codes, d’avoir respecté aussi le texte originel, parvenant finalement à imposer ses propres images aux mots de Sagan, à universaliser le propos de Sagan, en l’inscrivant, graphiquement, dans un monde plus contemporain. Et ce n’est pas rien, loin s’en faut, que de réussir ces deux paris difficiles…
Cette bd est, incontestablement, d’une belle fidélité à l’œuvre originelle, une fidélité qui a plu au fils de Françoise Sagan, Denis Westhoff.

Denis Westhoff: l’adaptation

 

Bonjour tristesse – © Rue de Sèvres

Vous l’aurez compris, c’est un livre que j’ai aimé. J’avais lu le roman, il y a bien longtemps, et je l’ai redécouvert avec intérêt de planche en planche.
Par contre, ce que je n’ai pas aimé, pas du tout, c’est la préface de Frédéric Beigbeder, qui prouve, encore une fois, qu’il ne suffit pas d’être  » people  » pour avoir du talent et de la clairvoyance !
Il parle, dans sa préface, de sacrilège, prouvant donc, soit qu’il n’a pas lu la bd, soit qu’il n’a jamais lu le roman originel. Il compare également le dessin de Rébéna à celui de Crepax, alors que, sans aucun doute possible, les styles graphiques de ces deux dessinateurs n’ont strictement aucun point commun !
J’avoue ne pas comprendre le pourquoi de cette préface, d’ailleurs… Cet album tout comme Françoise Sagan ne méritent vraiment pas de servir de vitrine à un écrivaillon soucieux d’être d’abord et avant tout à la mode !

 

Denis Westhoff et Frédéric Rébéna: la préface

 

Mais passons outre cette préface que je vous invite à ne surtout pas lire ! Par contre, plongez-vous dans cette bande dessinée au dessin résolument moderne, simple et clair, fidèle et littéraire, plongez-vous dans ces couleurs qui rendent compte des sensations vécues par les personnages, plongez-vous dans une histoire à la désespérance inéluctable.
Et, cet album terminé, pourquoi ne vous plongeriez-vous pas, avec autant de plaisir tranquille, dans le roman qui est à son origine ?….

Jacques Schraûwen
Bonjour Tristesse (auteur : Frédéric Rébéna d’après l’œuvre de Françoise Sagan – éditeur : Rue de Sèvres)