Bob et Bobette : Cromignonne

Bob et Bobette : Cromignonne

Pour Yann, que vous pouvez écouter dans cette chronique, ce livre est un véritable hommage aux personnages de Vandersteen. Pour moi, cet album, de toute évidence, revisite avec une sorte d’humour iconoclaste et d’irrévérence une des bandes dessinées les plus emblématiques du Plat Pays !

Les éditions Standaard étonnent, et c’est tant mieux ! Après la réécriture, graphique comme scénaristique, de Bob et Bobette avec la série  » Amphoria « , voici que cet éditeur du nord de la Belgique décide de permettre à des duos inédits de reprendre à leur compte, une fois par an, les personnages mythiques créés par Willy Vandersteen. Et les premiers à se lancer dans l’aventure sont, pour le scénario, Yann, dont tout le monde connait l’humour et l’imagination, et, pour le dessin, un artiste peu connu du côté francophone de la Belgique, Gerben Valkema.

Pour ces deux auteurs, il s’est agi, d’abord et avant tout, de raconter une histoire  » dans le style  » des histoires traditionnelles de Bob et Bobette. C’est-à-dire une histoire d’aventure pimentée de rires, de sourires, et peuplée de personnages attachants et adorablement caricaturaux.

Au début du vingtième siècle, un être de Cro-Magnon a été découvert dans la glace. Faute de moyens financiers et de volonté politique, ce spécimen du passé de l’humanité est toujours prisonnier de la glace dans un congélateur de l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Bruxelles. C’est en lisant, par hasard, des vieux journaux servant à masquer une vitrine, que Jérôme découvre l’existence de cet être qui appartient au monde d’où lui-même vient. Et cet humain venu du fonds des âges se févèle, en se décongelant, être une femme des cavernes!… Il n’en faut pas plus pour que toute la bande, Bob, Bobette, Lambique, Sidonie et Jérôme décident d’en savoir plus… Et comment en savoir vraiment plus, si ce n’est en utilisant les talents du professeur Barabbas qui les envoie tous dans le passé !

Vous voyez, tous les ingrédients sont là pour que l’histoire corresponde aux codes habituels de cette série destinée à un jeune public.

Seulement, à partir de ces bases bien connues, Yann s’est amusé à revenir, certes, aux premières qualités de cette série, mais en y ajoutant un regard décalé que Vandersteen n’avait pas toujours !

Yann: les bases de la série Bob et Bobette

 

 

 

Les personnages eux-mêmes, ainsi, n’ont pas tout le côté lisse qu’ils avaient, le plus souvent, chez leur créateur. Lambique aime la bière, la vraie, pas celle qui, appartenant à de grandes industries déshumanisées, finit par créer des produits partout pareils. Il râle, il rouspète, il porte des jugements péremptoires sur un monde dans lequel, incontestablement, il se sent mal à l’aise, le monde d’aujourd’hui. Bobette, elle, qui, dans les albums originels, servait surtout de faire-valoir à Bob, devient ici la vraie meneuse. Sidonie a perdu son côté éthéré pour devenir une femme d’aujourd’hui, qui boursicote et a les deux pieds bien sur terre. Quant à Jérôme, personnage central tout compte fait de cet album, il reste ce qu’il a toujours été.

Yann, calmement, revisite donc les personnages de Vandersteen, il leur donne une autre réalité, à sa manière. Mais, ce faisant, il utilise les ficelles de la bande dessinée comme du cinéma, pour créer des personnages secondaires qui, de par leurs défauts, peuvent imprimer un vrai rythme au récit. Sans Haddock, Tintin serait mièvre, sans Lambique, Bob et Bobette seraient bien trop sages. Et c’est cette dichotomie que Yann accentue ici, avec un plaisir non dissimulé !

Ce qu’il fait aussi, dans cet album, c’est reprendre le côté fable de Vandersteen, qui, parlant à petites touches du monde et de la société, retirait toujours de ses récits une certaine  » morale « . Mais la morale de la fable racontée ici par Yann et son complice Valkema est aussi inattendue, finalement, que la trame même de l’histoire loufoque qu’ils nous racontent !

Cela dit, au-delà de tout cela, c’est bien d’un hommage qu’il s’agit ici, un hommage vécu en toute liberté par un scénariste sans complexe, et par un dessinateur qui s’inscrit pleinement dans le style  » Vandersteen « , tout en poussant la caricature bien plus loin que ce que faisait le créateur de Bob et Bobette !

Yann: Lambique
Yann: comme dans une fable, la morale … en guise d’hommage!

 

Il y a, dans ce  » Cromignonne « , des tas de références aux albums anciens de Bob et Bobette. Il y a également un côté typiquement bruxellois, dans le langage comme dans les décors. Il y a des jeux de mots que n’auraient pas désavoué un Dac ou un Goscinny (dura silex sed lex, Hanna et Barbarella…).

Et puis, il y a le thème lui-même qui, malgré son humour, se révèle extrêmement sérieux. Le voyage dans le temps, l’homme face à son propre passé, les sentiments passés au laminoir de la mémoire, et les distorsions temporelles qui ne peuvent que naître d’une intervention immédiate dans ce qui a été et ne sera, dès lors, plus de la même manière !

En lisant cet album, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à René Barjavel, l’auteur extraordinaire de l’extraordinaire  » Voyageur imprudent « . Le thème est le même, mais, ici, il fait sourire, alors que, chez Barjavel (ou Poul Anderson), il est source d’angoisse et d’horreur.

Et j’avoue apprécier que le neuvième art, ainsi, non content de se rendre hommage à lui-même, s’avère capable de rendre hommage également à une littérature qui mériterait d’être redécouverte !

Yann: Bob et Bobette et Barjavel

Les fans inconditionnels de  » Bob et Bobette  » seront sans doute déstabilisés par cette bd-hommage. Mais la démarche de créer une nouvelle série qui pourrait s’intituler  » Le Bob et Bobette de…  » ne manque ni d’ambition ni de possibilités imaginatives et créatives !

Et même si le dessin de Gerben Valkema n’est pas de ceux qui m’attirent dès le premier regard, il accompagne parfaitement le texte de Yann, dans cette aventure souriante, iconoclaste parfois, endiablée souvent, respectueuse à sa manière.

Un bon album qui, en outre, donne l’envie de relire les grands classiques de Vandersteen, comme le Diamant noir, le Teuf Teuf Club, Lambique gladiateur… Un album qui souligne l’importance que Bob et Bobette ont eue, et ont encore, dans la grande histoire de la bande dessinée !…

 

Jacques Schraûwen

Bob et Bobette : Cromignonne (dessin : Gerben Valkema – scénario : Yann – d’après Willy Vandersteen – éditeur : Editions Standaard)

Brian Bones, Détective Privé : Eldorado

Brian Bones, Détective Privé : Eldorado

De la bd classique, dans son dessin comme dans son scénario, un album  » franco-belge  » qui se lit avec plaisir… Et une interview de son dessinateur, Belge et souriant…

 

 

Brian Bones a l’avantage d’associer deux métiers très différents l’un de l’autre : mécanicien automobile, d’une part, et détective privé auprès surtout d’une compagnie d’assurances d’autre part. Ce qui lui permet de côtoyer deux univers qu’il aime par-dessus tout, celui des belles carrosseries, celui du monde du cinéma aussi, de ses acteurs, de ses producteurs, de ses actrices.

Et, dans cet album-ci, il peut admirer de près la Cadillac Eldorado, ses chromes, ses formes, et chercher à comprendre comment un producteur a pu assassiner sa femme dans un accident de voiture, alors que c’était lui qui conduisait. Embrouilles, fric, complicités nauséabondes, tous les ingrédients d’un bon polar sont au rendez-vous de cette bd de facture incontestablement  » classique « .

Georges Van Linthout, par ailleurs auteur de quelques excellents romans graphiques, aime les voitures, c’est évident, il aime aussi dessiner es jolies filles, et il adore se plonger, graphiquement, dans une Amérique où tous les rêves semblent possibles, où tous les rêves, finalement, peuvent aussi se détruire en se frottant aux angles de la réalité.

Georges Van Linthout: la bd « classique »

 

Georges Van Linthout: l’Amérique

 

 

Rodolphe, en vieux routier du neuvième art, sait parfaitement raconter une histoire, utiliser les codes du polar avec talent pour que l’ensemble tienne la route parfaitement, pour que l’intrigue soit de bout en bout plausible. Avec Georges Van Linthout comme complice, le plaisir est au rendez-vous, et cela se ressent au fil des pages. On est dans un univers de ligne claire, avec des références nombreuses, certes à l’Amérique que tous deux connaissent et retranscrivent avec le sourire, mais aussi à leurs aînés de la bd. Il y a ainsi un vrai clin d’œil à Gil Jourdan, par exemple… Mais aussi de nombreuses références au cinéma américain, celui des années 60 bien sûr, mais celui de Clint Eastwood également.

N’allez pas croire cependant que ce classicisme graphique et littéraire rend cet album pesant et exclusivement nostalgique. Il n’en est rien, et le scénario de Rodolphe est vif, vigoureux, avec tous les rebondissements nécessaires à construire une narration passionnante. C’est du vrai délassement que cet album, et c’est un album assumé et réussi !

 

Ce qui fait la réussite d’un tel album, c’est aussi, bien entendu, l’osmose entre le dessinateur et le scénariste. Au-delà de l’histoire racontée par Rodolphe, au-delà de son récit charpenté avec précision et parfaitement bien huilé, il y a tout ce que le dessin de Van Linthout apporte comme détails, comme sourires, comme décors soignés et attirant le regard. Sans démesure, mais avec simplicité, ce graphisme crée toute l’ambiance nécessaire à alléger le déroulement narratif, d’une part, à le rendre plus lumineux d’autre part. Et le fait de rendre la voiture omniprésente (il n’y a que 7 planches sur 47 où aucune voiture n’apparaît…) crée une dynamique originale et intéressante à l’ensemble du livre.

Finalement, ce qui fait la richesse d’un polar, ce sont les personnages, c’est vrai, mais aussi et surtout l’ambiance générée par l’histoire. Une ambiance qui, en bd, naît du dessin… Une ambiance, ici, qui, vous l’aurez compris, complète l’intrigue à la perfection !

Georges Van Linthout: l’intrigue et l’ambiance

 

Un livre simple, un livre agréable, un livre classique, un livre bon enfant, un livre  » dans la tradition « …

Un album, en tout cas, extrêmement agréable…

Ne boudons pas notre plaisir à aimer la bd classique quand elle ne se hausse pas du col et quand elle atteint son but : nous faire sourire, nous faire passer un bon moment !

 

Jacques Schraûwen

Brian Bones, Détective Privé : Eldorado (dessin : Georges Van Linthout – scénario : Rodolphe – éditeur : Paquet)

Batman : The Dark Prince Charming 1

Batman : The Dark Prince Charming 1

Un super-héros américain aux mains d’un dessinateur européen ! Un mélange de genres pratiquement sans faiblesse ! Et, dans cette chronique, circonstanciée, vous allez pouvoir écouter Enrico Marini, l’auteur à part entière de cet album que TOUS les amoureux de la bd se doivent de lire !

 

 

Batman est un de ces héros dont le monde entier a entendu parler. Né en 1939, dans la suite de la création de Superman, l’homme  » chauve-souris  » se différenciait de son aîné par son manque de super pouvoirs.

Batman, ce fut, dès le départ, un être humain qui garde en lui une faille profonde due à l’assassinat de ses parents lorsqu’il était enfant, et qui va utiliser sa fortune à se créer comme justicier sans peur ni reproches. Un justicier qui, de méchant en méchant, va souvent user de violence sans, cependant, donner la mort à qui que ce soit…

Et le voilà de retour, aujourd’hui, dans une aventure endiablée qui le voit affronter, une fois de plus, le Joker, son ennemi le plus fidèle et le plus cruel.

Tous les ingrédients d’un vrai comics à l’américaine sont présents. De la violence, des méchants hauts en couleurs, de l’action, de l’aventure… Mais il y a aussi l’empreinte profonde d’Enrico Marini, l’auteur européen de cette nouvelle histoire. Un auteur qui fait partie des plus grands dessinateurs réalistes du neuvième art, c’est une évidence. On lui doit entre-autres  » Le Scorpion  » et  » Les Aigles de Rome « .

 

 

Et le voici donc plongé dans l’univers de la bd américaine !… Pour une histoire qui mélange différents récits, comme toujours chez Marini…

Il y a Batman, à qui on annonce qu’il est peut-être le père d’une petite fille… Une petite fille que le Joker kidnappe entre deux cambriolages et quelques meurtres particulièrement sanglants… Et il y a évidemment, surtout même, tous les efforts de Batman pour retrouver cette gamine qui est peut-être sa fille !

Marini aime surprendre ses lecteurs, les obliger, en quelque sorte, à chercher leur propre voie dans le labyrinthe d’un scénario qui peut ressembler à un puzzle. Mais qui reste de bout en bout lisible et passionnant!…

Et c’est sans doute à ce titre-là que ce Batman-ci se révèle véritablement neuf, dans son ton plus que dans son thème, dans sa construction narrative et jusque dans le travail des décors, des mouvements et des couleurs. Marini est un auteur complet, et il s’est amusé à adapter les codes de la bd d’outre-Atlantique à sa façon personnelle de construire un récit.

Enrico Marini: les codes des comics…

 

 

Au-delà de la virtuosité graphique de Marini, au-delà de sa manière presque expressionniste de rendre compte du mouvement, jusque dans ce qu’il peut avoir de plus violent, de plus démesurément violent même, au-delà de sa technique et de la qualité de ses couleurs, élément moteur, souvent, de ses planches, il y a dans ce Batman un nouveau regard sur un être humain pour qui la vengeance, qui a toujours été sa raison de vivre, laisse place à d’autres motivations. On peut presque, face à ce Bruce Wayne-ci, parler d’une quête nouvelle pour ce justicier qui, avec Marini, récupère une part d’humanité qui, reconnaissons-le, lui manque souvent dans les comics traditionnels.

 

 

Le côté européen, donc, de ce nouveau Batman, c’est d’utiliser les codes propres aux comics, pour les simplifier graphiquement tout en donnant plus de poids à la personnalité, ambigüe, des différents personnages.

L’aventure et l’action restent au centre de l’intrigue, mais elles sont menées par des vrais êtres humains!

Et le Joker de Marini, croyez-moi, fera date… Tout comme tous les personnages présents dans cet album, des personnages qui ont une vraie existence, même si cette existence, dans la proximité du Joker, ne peut que s’effacer vite fait bien fait !…

Enrico Marini: les personnages…

 

 

Je n’ai jamais été fan des comics américains… sauf du Surfer d’Argent… Mais ici, avec ce nouveau Batman, me voici tout prêt à changer d’avis !… C’est vraiment un livre duquel on attend la suite, prévue pour le printemps prochain, avec une vraie impatience ! Et le dessin de Marini est aussi démesuré que l’est son personnage !

Plongez-vous dans le nouvel univers de Batman, et redécouvrez un super-héros de plus en plus attachant ! Vous ne le regretterez pas!…

 

 

Jacques Schraûwen

Batman : The Dark Prince Charming 1 (auteur: Enrico Marini – éditeurs: DC et Dargaud)