Blanc Autour

Blanc Autour

Angoulême:

« Le Prix 2022 du Jury OECUMENIQUE est attribué à l’album « BLANC AUTOUR » de Wilfrid LUPANO et Stéphane FERT, chez DARGAUD, et la mention spéciale à l’album « GRAND SILENCE » de Théa ROJZMAN et Sandrine REVEL, chez GLENAT. »

J’ai eu le plaisir, à l’époque, de rencontrer les auteurs de « Blanc Autour », et d’en faire une chronique que je vous invite à (re)découvrir!… 

Chronique d’un racisme « ordinaire » aux USA en 1832

Un livre à lire, de 12 à 112 ans… Parce que l’Histoire nous construit, sans cesse, et qu’il faut s’en souvenir pour vivre debout, aujourd’hui !

Blanc Autour © Dargaud

Nous sommes en 1832, à Canterbury, une petite cité tranquille du nord-est des Etats-Unis. La guerre de Sécession n’aura lieu que dans une trentaine d’années, mais il existe déjà en Amérique un courant abolitionniste, qui veut la fin de la ségrégation raciale. A Canterbury, les quelques « Noirs » sont libres, mais n’ont aucun droit citoyen. Et c’est dans cette ville sans problème et pétrie de ses certitudes que Prudence Crandall, l’institutrice, décide d’accueillir parmi ses élèves blanches une élève afro-américaine ! Les élèves blanches quitteront l’école, et seront peu à peu remplacées par des élèves « de couleur » comme on dit, venant d’ailleurs. Cette aventure va durer deux petites années, pas plus !…

Blanc Autour © Dargaud

Et ce seront deux années riches, à bien des niveaux… Parce que l’histoire, la grande avec un H majuscule, nous rappelle que c’est cette aventure humaine qui est à l’origine, en quelque sorte, du quatorzième amendement de la constitution américaine, qui vise à garantir les droits des anciens esclaves afro-américains. A découvrir dans un dossier clair qui termine cet album. Un dossier qui éclaire avec sérieux mais sans lourdeur ce que fut, dans ce dix-neuvième siècle, la bêtise humaine érigée en vérité !

Wilfrid Lupano : la bêtise humaine

Mais ce n’est pas un livre historique pesant ! C’est un livre choral, avec en guise de personnage central un groupe de jeunes femmes, noires, et de leur institutrice, blanche. Ce sont leurs quotidiens et leurs différences qui font tout le récit, celui d’une lutte qu’elles mènent sans en avoir vraiment conscience. Une lutte, oui, celle de l’éducation face à la haine, la bêtise humaine et la violence d’une communauté blanche, ce fameux groupe humain « blanc autour » ! Pour Wilfrid Lupano, un récit doit prendre le temps de raconter, de faire de chaque personnage tout un monde, tout un univers dans lequel cohabitent la colère, l’amour, la tradition, la révolte, la soumission.

Blanc Autour © Dargaud

Wilfrid Lupano, par ailleurs scénariste de l’excellente série « anar » « Les vieux fourneaux », n’aime pas les scénarios qui oublient le temps présent. Et dans ce livre, les références à notre aujourd’hui sont nombreuses… Violence ou pacifisme, à l’instar de Malcolm X et de Luther King, par exemple… Féminisme avec les femmes appelées des « sorcières », comme dans la superbe chanson d’Anne Sylvestre…

Blanc Autour © Dargaud

Pour Lupano, un livre comme celui-ci, qui parle du racisme ordinaire (horrible expression), ne peut avoir d’intérêt qu’à partir du moment où il s’adresse à un large public, et un public actuel ! On pourrait sous-titrer ce livre d’une phrase qui s’y trouve : « ça commence ici » ! L’histoire des droits des afro-américains, l’histoire d’hier, l’histoire d’aujourd’hui, et ce que nous ferons de nos futurs.

Wilfrid Lupano : les leçons du passé

La puissance d’un livre qui s’intéresse à une période bien précise de l’Histoire, c’est qu’il en respecte les codes, donc aussi le langage… On parle dans ce livre de noirs, de nègres, parce que telle était la réalité, une réalité qu’il nous appartient aujourd’hui de ne pas reproduire, simplement.

Wilfrid Lupano : le langage

Le dessin de Stéphane Fert, non réaliste, poétique parfois, caricatural aussi quand il s’agit de dessiner les « méchants », réussit à estomper quelque peu un propos dur, mais sans en effacer la portée ! Il adore dessiner la nature, y plonger ses personnages, et son dessin est aussi un hommage à la femme, dans toute sa diversité. Dieu ne serait-il pas d’ailleurs, comme le dit une des personnages, une femme noire ?

Et ses couleurs, vives, presque stylisées, créent, en parallèle des actions et même du découpage, un vrai rythme narratif.

Stéphane Fert : le dessin

C’est un très bon livre, intelligent, sans manichéisme, et qui réussit à nous donner des tas d’informations, sous une forme parfaitement accessible… Et des tas de réflexions… Une très belle réussite !

« Il n’existe pas un ailleurs qui soit paisible pour nous », dit une des jeunes femmes en besoin de connaissance, héroïnes de ce livre.

Un des plaisirs de ce livre, c’est de nous faire croire que cet ailleurs peut, aujourd’hui, être créé !

Blanc Autour © Dargaud

Jacques Schraûwen

Blanc Autour (dessin : Stéphane Fert – scénario : Wilfrid Lupano – éditeur : Dargaud – 143 pages – janvier 2020)

Ballade pour Sophie

Ballade pour Sophie

Un livre à offrir, à s’offrir, une réédition bienvenue! 

Un souffle d’air pur, d’émotion et de poésie

Il y a des livres qui méritent une existence plus longue que celle que les libraires réservent aux nouveautés… C’est le cas avec cette « Ballade » qui se révèle être un superbe petit bijou d’intelligence…

Ballade pour Sophie © Paquet

A Cressy-la-Valoise, petit bourg tranquille, vit un certain Julien Dubois, plus connu dans les médias sous le nom d’Eric Bonjour, star de la musique sirupeuse et passe-partout.

Mais ce pianiste ne fut pas toujours cet histrion parvenu à la notoriété et à la richesse en caressant dans le sens du poil un public sans culture. Jeune, il rêvait à la musique, la vraie, celle qui parle à l’âme plus qu’au portefeuille, celle qui n’apporte de notoriété que lorsqu’elle se révèle jouée avec passion et sincérité.

Ballade pour Sophie © Paquet

Pianiste débutant, il y a plus de 60 ans, Julien a gagné un concours dans cette même bourgade. Mais il l’a gagné par tricherie, de la part de ses parents. Il l’a gagné, ce concours, face à un jeune garçon de son âge, Frédéric Simon. Un génie de la musique, de l’interprétation…

Et pendant toute son existence, Julien Dubois va être déchiré entre deux sensations. L’admiration pour ce garçon qui va devenir une étoile de la musique classique, et une terrible jalousie à son égard.

Et c’est cela que va découvrir une jeune femme qui, se déclarant journaliste, vient interviewer le « maestro » vieillissant.

Ballade pour Sophie © Paquet

Et tout le contenu de ce livre se trouve dans cette rencontre.

Une jeune femme dont on devine très vite qu’elle cherche autre chose qu’une interview…

Un vieil homme qui s’est retiré du monde et de ses gloires imméritées…

Ballade pour Sophie © Paquet

Une gouvernante qui supporte en souriant les mauvaises humeurs de ce vieil homme dont la vie, inéluctablement, se prépareau néant…

Le pianiste génial, et ses courages qui ont toujours manqué à la star romantico-médiatique dont la mort est proche…

On découvre ainsi plusieurs destins, en parallèle, racontés au présent, racontés au passé, aussi, grâce à des flash-backs qui s’intègrent sans heurt à la narration.

C’est donc un livre qui parle de la souvenance. Mais là où, souvent, le souvenir est montré comme infidèle, il s’avère ici extrêmement accroché à la réalité, à la vérité.

C’est également un livre qui parle de la musique, de toutes les musiques, et de la magie éternelle qui naît, d’une part, de l’agencement de quelque sept notes, et, d’autre part, de l’interprétation d’un homme seul à son instrument.

Ballade pour Sophie © Paquet

C’est un livre qui parle de la gloire qui ne doit rien au mérite, au plaisir qui ne doit rien à la reconnaissance.

C’est aussi un livre qui parle de l’âge, de tous les âges, de désirs à accomplir en rêves déchus, de courages tranquilles en tristes lâchetés quotidiennes.

C’est un livre qui parle de la richesse, de l’ingratitude, du pouvoir, de la pauvreté, des rencontres humaines dont on ne découvre l’importance que bien plus tard, quand il est trop tard…

Ballade pour Sophie © Paquet

Et puis, surtout, c’est un livre qui parle, au sens le plus large possible, de l’amour, de la reconnaissance des âmes entre elles. C’est un livre qui nous raconte plusieurs vies au travers d’une seule existence qui ose se dévoiler.

Et, à ce titre, c’est un long poème, littéraire, graphique, musical, même. Un album qui se découvre comme une bd normale et au long duquel, au cours de la lecture, on se laisse entraîner par un rythme très personnel, parfois lancinant, s’ouvrant ici à des envolées lyriques violentes, là à des engourdissements souriants.

Le dessin de Juan Cavia ne cherche aucun effet spécial. Il s’attache, du plus près, aux visages des personnages qu’il dessine. Et ses couleurs, presque tramées à certains moments, donnent de la chair, en quelque sorte, à la musique qui reste le fil conducteur de cet album.

Cette « Ballade pour Sophie » est un poème symphonique et littéraire qui, tel un navire perdu sur l’océan de l’habitude, emporte à son bord toutes les émotions qui font de nous des êtres capables de sentiment, de regards, de mains tendues, de rages et de désespérances.

Mais n’allez surtout pas croire qu’il s’agit ici d’une œuvre sombre… C’est tout au contraire, par le talent du scénariste Filipe Melo, un livre souriant, sans temps mort, passionnant parce que passionné.

Ballade pour Sophie © Paquet

N’hésitez pas à fouiller dans les rayonnages de votre libraire préféré pour dénicher ce petit joyau du neuvième art. Et à le commander, si vous ne le trouvez pas…

« Ballade pour Sophie » fait partie, croyez-moi, de ces livres qu’il faut remettre au premier plan, et qui n’attendent que votre bon plaisir pour vous faire découvrir un récit savoureux et merveilleusement humain !

Jacques Schraûwen

Ballade pour Sophie (dessin : Juan Cavia – scénario : Filipe Melo – éditeur : Paquet – décembre 2021)

Black Squaw – 2. Scarface

Black Squaw – 2. Scarface

Et une Henriet s’expose à Bruxelles jusqu’au 31 juillet 2021

Yann et Henriet, un duo d’auteurs passionnés pour une série passionnante ! Et une très agréable exposition dans la galerie Huberty & Breyne, place du Châtelain, à Bruxelles.

Black Squaw 2 © Dupuis

Envolons-nous pour les années 20, envolons-nous vers les nuages avec une héroïne, la belle Bessie… Une femme qui, dans un Texas où règne le Ku Klux Klan, éprouve bien des peines à réaliser son rêve, celui de voler ! Il faut dire qu’elle a la peau sombre, sa mère étant noire, et son père Cherokee… Elle réussit malgré tout à passer son brevet de pilote, en France, et devient, aux Etats-Unis, la pilote préférée d’un truand de haut vol, Scarface, qui donne son titre à ce deuxième tome… Nous sommes en pleine prohibition, et Saint Pierre et Miquelon, accessibles par avion, sont une plaque tournante de l’alcool de contrebande ! L’avion… Une passion pour le dessinateur de cette série, Henriet…

Alain Henriet : Faire « vrai »

Il s’agit donc d’une bonne bd d’aventure, mais pas seulement. Yann, le scénariste, certes passionné d’aviation, aime mêler à ses scénarios des échos sociaux, voire politiques. Avec Black Squaw, il met en avant le racisme, en comparant, par exemple, la situation en Amérique dans la première moitié du vingtième siècle, et celle en France, infiniment plus tolérante, du moins en apparence…

Black Squaw 2 © Dupuis

Et son plaisir à créer des personnages hauts en couleur rencontre, dans cette série, le plaisir d’Alain Henriet, le dessinateur, à donner vie, d’abord et avant tout, aux personnages, moteurs, toujours, de ses mises en scène.

Alain Henriet : les personnages

Mais Yann aborde aussi, par petites touches, et toujours avec un humour presque à l’anglaise, l’importance qu’ont, pour tout humain, les racines, le métissage, il nous parle aussi de la force des rêves de l’enfance, des compromissions qui ne réussissent cependant pas à détruire ces rêves… L’objet qu’est un avion devient ainsi, par la grâce de son scénario, un symbole presque guerrier de liberté…

Black Squaw 2 © Dupuis

Et la liberté, dans ces albums, est affaire de mouvement… De rythmes… De construction graphique qui, de page en page, donne vie aux personnages comme aux décors.

Alain Henriet : le mouvement

Alain Henriet, le dessinateur, a déjà collaboré avec Yann, pour l’excellente série Dent d’Ours… Les femmes qu’il dessine sont guerrières et obstinées. Les enfants ressemblent aux gamins que dessinait Poulbot, les décors sont somptueux, d’une véracité, d’une vie plutôt, qui mérite le détour.

Black Squaw 2 © Dupuis

Et son dessin prend un superbe relief grâce à sa coloriste, Usagi, dont les variations de tons, de lumières et d’ombres est d’une présence indispensable…

Usagi, la coloriste

Et pour mieux découvrir le talent réaliste et classique de ce dessinateur, pourquoi ne vous rendriez-vous pas dans la Galerie Huberty & Breyne, place du Châtelain, à 1050 Bruxelles ? Il y expose des originaux de son excellente série précédente, Dent D’Ours.

Alain Henriet: l’expo
Black Squaw 2 © Dupuis

Une excellente série, donc, due à deux joailliers de la bd qu’on peut appeler classique ! Dans le meilleur des sens… Celui qui permet de raconter des histoires passionnantes sans, pour autant, renier du présent les remous…

Jacques Schraûwen

Black Squaw – 2. Scarface (dessin : Alain Henriet – scénarsio : Yann – couleurs : Usagi – éditeur : Dupuis – 48 pages – avril 2021)

Exposition jusqu’au 31 juillet 2021 dans la galerie Huberty & Breyne à Bruxelles. https://hubertybreyne.com/fr/expositions/presentation/428/black-squaw-et-dent-d-ours

Alain Henriet © Alain Henriet