BDM – Trésors de la Bande Dessinée 2021-2022

BDM – Trésors de la Bande Dessinée 2021-2022

La bande dessinée est devenue un « objet » de collection, comme le prouvent les nombreuses ventes aux enchères que répercutent à force de chiffres les médias. Voici donc un « catalogue encyclopédique et un argus » qui (re)vient à son heure !

BDM © Les Arènes BD

On dit souvent de ce « BDM », qui en est à sa vingt-deuxième édition, qu’il est la bible des collectionneurs de bandes dessinées.

On a cru pendant longtemps que ce livre paraissant tous les deux ans était mort de sa belle mort en 2018. Heureusement, les éditions « Les arènes BD » ont pris le relais, et voici, enfin, une nouvelle édition de ce panorama du neuvième art.

Aimer la bande dessinée, c’est souvent se découvrir plus ou moins collectionneur. Le plaisir de la lecture et de la découverte laisse ainsi une partie de sa place à des rayonnages de bibliothèque qui se remplissent. Et, tout compte fait, il est dès lors assez normal de se demander si, parmi les albums qu’on a achetés, qu’on a aimé lire et faire lire, il n’y a pas l’un ou l’autre trésor…

L’Ombre de Saïno © BDM

Prenons un exemple : Tintin ! Bien des gens qui ont acheté des albums du petit reporter sur une brocante, ou les ont conservés des temps anciens de leur enfance, pensent que leurs possessions ont une valeur immense. Dans ce BDM, ces lecteurs découvriront que définir la valeur d’un album de Tintin demande beaucoup de patience et d’observation : pas moins de 70 pages sont consacrées à toutes les éditions, rééditions, objets de marketing de l’œuvre majeure de Georges Remi. De quoi se perdre dans un labyrinthe de dates, de dates non indiquées, de quatrièmes de couverture, de tranches, de pages de garde…

En fait, au-delà du seul aspect « économique » de ce « catalogue », son intérêt se situe dans la possibilité qu’il permet à tout un chacun d’avoir un regard presque complet sur tout ce qui a fait et fait de la bande dessinée un média artistique extrêmement original.

Bien entendu, comme dans tout travail encyclopédique, il y a des oublis, il y a aussi des volontés qui vont gêner certains, comme celle de ne pas parler des mangas, pléthoriques il est vrai, alors que certains livres de Taniguchi, eux, se trouvent classés dans ce BDM.

Tardi © Tardi

Personnellement, j’ai relevé des erreurs d’ordre alphabétique qui, parfois, sont gênantes. Mais j’imagine que c’est l’informatique qui en a décidé ainsi…

Par contre, ce qui est aussi intéressant dans un tel ouvrage, c’est de découvrir les « valeurs » sûres, ces auteurs dont la cote ne baisse pas, ces artistes auxquels on s’intéresse toujours pour leur apport essentiel à l’évolution de la bande dessinée au fil du vingtième siècle.

Il n’y a pas que Tintin dans le plaisir de lire des « petits mickeys »… Il y a Tardi, Godard, Franquin, Forget ! Et bien d’autres !

Martin Milan © Godard

Le BDM permet de les (re)découvrir, de créer des envies de les collectionner également, de les remettre à une place qu’ils méritent, aussi, parfois…

Le BDM, c’est un livre qui nous fait voyager… Dans l‘Histoire de la bande dessinée, certes, mais aussi dans notre propre histoire, dans notre propre manière d’envisager le neuvième art, dans ce que sont nos goûts personnels.

Le BDM, c’est un livre à s’offrir, quand on a chez soi pas mal d’albums, c’est un livre à offrir à ceux qui, autour de nous, sont collectionneurs. A condition qu’ils ne l’aient pas déjà acheté !

Jacques Schraûwen

BDM – Trésors de la Bande Dessinée 2021-2022 (éditions Les Arènes BD)

Bella Ciao (uno)

Bella Ciao (uno)

Un regard sur l’immigration italienne.

Baru est de ces auteurs (rares) qui n’ont jamais renié leurs idéaux de jeunesse. Et ce livre est à placer dans la continuité de ses approches humanistes de notre société…

Bella Ciao 1 © Futuropolis

Avec un titre qui rappelle bien des choses, qui est à la mode grâce à une série télévisée à succès, on pourrait s’attendre à un livre de révolte. Eh bien, non ! Cet album n’illustre en aucune manière cette chanson qu’on dit « de résistance » ! Il va même nous permettre de découvrir quelle est la réelle histoire de ce chant qu’on dit de « partisans ».

Une chanson qui, d’ailleurs, sert surtout à l’ambiance générale d’un livre dans lequel Baru nous parle d’une immigration emblématique, celle des Italiens venus en France dès le dix-neuvième siècle pour y travailler, y vivre, y devenir petit à petit des Français à part entière, mais sans jamais renier leur culture.

Bella Ciao 1 © Futuropolis

C’est donc, en partie, un livre historique. Il commence en 1893, à Aigues-Mortes, avec un affrontement entre les travailleurs italiens, certains travailleurs français, et l’armée… Avec dix morts italiens en fin de compte. Pour Baru, l’Histoire, la grande, celle des manuels, ne peut être subjective. Mais lui n’est pas historien, et ce qu’il recueille dans cette Histoire, c’est une matière, un matériau qui lui permet de créer du romanesque, dans la grande tradition, à sa manière, des feuilletonnistes du dix-neuvième siècle.

Baru : l’Histoire

Et ce romanesque, Baru va le chercher dans ce qu’il connaît, lui qui est d’origine italienne. De ce fait, il construit son livre de manière non chronologique, au rythme simplement, de la mémoire, la sienne, celle des gens qu’il a connus, autour de lui, depuis son enfance. Il laisse vagabonder, oui, à la fois sa mémoire, la mémoire de ses proches, et son imaginaire.

Baru : l’immigration

D’aucuns trouveront le terme qu’il utilise réducteur, voire même inacceptable… Je parle du mot « transparent ». Mais il y a là, uniquement, le regard précis d’un fils d’immigrés sur les trajets humains, sociaux, intellectuels, qu’il a fallu accomplir, pour ses parents et leurs amis, afin de devenir parties prenantes d’une société dans laquelle, pour différentes raisons, politiques ou économiques, ils avaient choisi de vivre.

Bella Ciao 1 © Futuropolis

Il nous parle des hauts fourneaux, de la possibilité qui y fut offerte aux Italiens de grimper aux barreaux de l’échelle sociale, avant leur fermeture dramatique. Il nous parle de la guerre, de Mussolini et de son idéologie doctrinaire présente jusque dans les cités des Italiens. Il nous parle des foulards rouges, du sens de la famille, de l’amitié que tous les immigrés vivent en acceptant les ghettos qui leur sont imposés.

Bella Ciao 1 © Futuropolis

Il nous parle de gens, de personnages vivants, qui sont ceux auxquels, tout au long de sa carrière, il a voulu donner la parole.

Baru : les personnages

Et, avec cette volonté qui est la sienne de nous montrer vouloir vivre plus que survivre des « petites gens », il nous offre en même temps un panorama sans apprêts d’un quotidien qui restera toujours essentiel pour l’humain : celui de la solidarité.

Baru : la solidarité

Et pour ce faire, Baru a choisi une narration assez déconcertante : il s’adresse à nous sans chercher à créer un fil conducteur traditionnel à ses récits. Il nous immerge vraiment dans un monde qu’il connaît, et il reste totalement fidèle à ses thèmes de prédilection depuis les années 80 : l’humanisme, le monde ouvrier, l’importance de la culture populaire…

Bella Ciao 1 © Futuropolis

Et son dessin, proche des gens, parvient à ne jamais perdre le lecteur en cours de route, grâce à un mélange de styles, de techniques, parfaitement assumé.

Baru : la technique narrative et graphique

La mémoire, ce sont des prénoms, des visages, des mots. Baru est un voyageur, plus qu’un raconteur d’histoire, un enfant qui a grandi et qui, parce qu’il est grand, ne pleure plus.

La mémoire est toujours infidèle, on n’écrit jamais que pour soi-même, d’abord, et se raconter, ce n’est pas une affaire de nationalité, mais d’humanité.

Bella Ciao 1 © Futuropolis

Et tout cela fait de ce livre un grand moment de lecture intelligente… Pratiquement sociologique, même… Et universelle, tant il est vrai qu’en parlant de l’histoire de l’immigration italienne, Baru nous parle aussi de TOUTES les immigrations…

Baru : parler d’immigration, c’est être « universel »

A l’instar de Tardi, à qui il rend, vite et bien, un petit hommage, au détour d’une case, Baru garde aujourd’hui les mêmes passions de sa jeunesse, les mêmes engagements. Et le résultat, c’est ce premier tome de ce qui devrait être une trilogie, une longue bande dessinée à ne pas rater !

Jacques Schraûwen

Bella Ciao (uno) (auteur : Baru – éditeur : Futuropolis – 130 pages – septembre 2020)

Baru
Brian Bones, Détective Privé – DS 29

Brian Bones, Détective Privé – DS 29

De la bande dessinée classique, tant au niveau du découpage que du dessin, du scénario que de son traitement graphique… Classique, et efficace, ouverte à tout un chacun !

DS 29 © Paquet

Brian Bones est mandaté par son employeur, une compagnie d’assurance, pour conduire, des Etats-Unis jusque chez Citroën en France, une voiture, la mythique DS, équipée d’un moteur révolutionnaire à base de jus de betterave.

C’est la quatrième aventure de ce « privé » qui, même s’il vit aux States, a quand même une vision du monde plus européenne qu’américaine. Comme, en d’autres temps, Felix débarquant à New York… Comme les personnages racontés par Simenon pendant sa période américaine.

Avec Brian Bones, on retrouve des références à Tillieux, bien évidemment. Et d’aucuns le reprochent au dessinateur, Georges Van Linthout, le taxant d’imitation trop évidente.

Or, c’est oublier ce qu’est la carrière de Georges Van Linthout. Il a toujours été, c’est vrai, très proche, graphiquement, de ce que faisaient les grands (et moins grands) anciens. Rappelons quand même qu’il est aussi le dessinateur de l’excellent « Falkenberg », du très musical « Mojo » et du très sombre « Braquages et bras cassés ». Une carrière qui, on le remarque, a toujours refusé de se vivre dans le « ronronnement » tranquille et routinier.

DS 29 © Paquet

C’est d’ailleurs une qualité partagée par le scénariste Rodolphe, vieux routier du neuvième art, un art dans lequel il s’est plongé dès les années 70, avec un bagage littéraire et culturel important. Pour lui aussi, même si le polar, au sens large du terme, fait partie de ses références essentielles, la routine n’a jamais vraiment existé… Il est le scénariste du Commissaire Raffini, une série policière qui lorgne, certes, du côté de Tardi, mais qui tient extrêmement bien la route… S’il fallait trouver une constante dans l’œuvre de Rodolphe, ce serait le plaisir, je pense… Celui de raconter des histoires sans se prendre la tête, le plaisir de se vouloir populaire sans crétinisme, le plaisir de ne pas être dans un tiroir, dans un moule, comme l’aime tellement la critique surtout parisienne.

DS 29 © Paquet

Et Brian Bones est un peu un personnage à leur image. Aventurier, aimant les femmes, pas toujours très malin, hâbleur, il prouve encore une fois dans cet album-ci que seul le hasard, finalement, peut changer une aventure humaine. Cela dit, même si ce livre est tous publics, un moment de délassement sans intellectualisme, cela ne signifie pas que ce qui y est raconté manque de consistance. Et d’actualité ! On y parle de carburant non polluant, de multinationales qui n’en veulent pas, d’amour et de désir, de racisme et de politique. Des thèmes d’aujourd’hui traités avec légèreté.

Un livre agréable à lire, dessiné et scénarisé avec efficacité : voilà ce qu’est cette DS 29 qui vous fera découvrir bien des péripéties, bien des surprises assez bien amenées.

Jacques Schraûwen

Brian Bones, Détective Privé – DS 29 (dessin : Georges Van Linthout – scénario : Rodolphe – éditeur : Paquet – 48 pages – juillet 2020)