Le Banquier du Reich – tome 1

Le Banquier du Reich – tome 1

Nous sommes en 1951. Un avion de ligne atterrit à Tel Aviv pour une simple escale de ravitaillement. A son bord, Hjalmar Schacht et son épouse.

Hjalmar Schacht… Un personnage historique extrêmement ambigu. Il fut le banquier du Reich, et c’est son histoire que cette bande dessinée nous raconte.

Le Banquier du Reich 1 © Glénat

Un homme vient s’asseoir aux côtés de Schacht. Il s’appelle Jacob Lieber, et il se dit agent du Mossad. Et c’est lui qui va faire parler Hjalmar Schacht, en lui posant des questions qui prouvent qu’il connaît particulièrement bien la carrière et la vie de son interlocuteur. Des questions qui s’orientent, très vite, non seulement sur le métier d’économiste et de sauveur de l’économie allemande de Hjalmar Schacht, mais aussi sur un homme qui fut son proche, son adjoint, Rolf Lübke.

Le Banquier du Reich 1 © Glénat

Particulièrement bien documenté, ce premier album fait le choix du flash-back pour nous parler de la grande Histoire, et pour nous faire en même temps le portrait d’un homme, d’un milieu, d’un pays, de toute une époque. Cet outil de narration fonctionne ici à la perfection, ce qui, avouons-le, n’est pas toujours le cas en bande dessinée. Et il est d’une belle efficacité, malgré l’absence totale d’artifice de couleur, comme c’est le plus souvent le cas pour montrer la différence entre aujourd’hui et hier. Le passé et le présent, ainsi, restent intimement mêlés, de bout en bout. Et le lecteur a presque l’impression d’être un observateur, une oreille, et d’assister à des retrouvailles d’un homme avec ce qu’il fut. Des retrouvailles sans fioritures d’un humain qui a occupé une place importante dans l’histoire de l’Allemagne nazie, tout en restant dans son domaine, celui de l’argent, celui de l’économie.

Le Banquier du Reich 1 © Glénat

Avec un tel sujet, un tel thème, on aurait pu s’attendre à une construction narrative et graphique nous montrant de près les horreurs nazies. Mais il n’en est rien, et pas seulement parce que ce premier tome se déroule avant guerre. La volonté des auteurs est vraiment de tout centrer sur ce personnage de Hjalmar Schacht, un intellectuel seulement intéressé par son pays, à redresser après une première guerre mondiale qui l’a laissé exsangue, et par son métier. C’est ainsi qu’il nous est montré : personnage de bureau, de l’ombre en quelque sorte, personnage ambitieux et sûr de lui, personnage proche de Hitler, jusqu’à en être un ministre, mais haï par Goering et protégeant son adjoint, marié pourtant avec une Juive.

Le Banquier du Reich 1 © Glénat

Au-delà de ce portrait humain tracé au plus proche de son modèle, ce livre évite tous les pièges du manichéisme, et c’est vraiment à souligner. En nous racontant « Hjalmar Schacht », il nous raconte une grande part de l’histoire politique et économique de la vieille Europe, celle d’un vingtième siècle qui a perdu plus d’une fois son âme ! Mais ce que nous montre et nous raconte surtout ce livre, c’est comment une dictature telle que le nazisme a pu s’installer, au vu et au su du monde entier, et avec même l’aval non seulement de la population allemande mais aussi des pouvoirs de l’argent en Angleterre par exemple.

Le texte est sans excès, sans intellectualisme, les personnages n’ont rien de plus exceptionnel qu’eux-mêmes, dans la vérité de leurs existences montrées, dévoilées, révélées au jour le jour.

Le Banquier du Reich 1 © Glénat

Le dessin, tranquillement réaliste ai-je envie de dire, ne cherche à aucun moment à éblouir. Cela ne veut pas dite qu’il est simpliste, que du contraire. Des belles perspectives, des paysages, des décors, des plans rapprochés des personnages centraux, tout participe, dans ce graphisme, à rendre tangible ce qui est raconté. Le dessin est ici véritablement au service du scénario, et cela fait toute sa force…

Le Banquier du Reich 1 © Glénat

Il faut aussi parler de Céline Labriet, à qui on doit les couleurs. Elle s’est mise au service, elle, de l’époque racontée, montrée, telle qu’on l’imagine aujourd’hui : tout en grisaille ,mais avec quelques fulgurances lumineuses. Elle est d’un beau classicisme qui n’écrase aucun des personnages ni aucun des décors, et parvient à mettre en évidence les visages avec des ombres subtilement multipliées..

Ce livre s’arrête en 1939, et laisse, il faut bien le dire, le lecteur sur sa faim… Un lecteur qui, comme moi, veut connaître la suite de l’existence étonnante de Hjalmar Schacht…

Jacques Schraûwen

Le Banquier du Reich – tome 1 (dessin : Cyrille Ternon – scénario : Pierre Boisserie et Philippe Guillaume – couleurs : Céline Labriet – éditeur : Glénat – 56 pages – février 2020

Brigitte Bardot

Brigitte Bardot

Le portrait d’une femme passionnée, fascinante, parfois ambiguë.

Cette collection, intitulée « Les étoiles de l’Histoire », doit permettre de découvrir sans miroir déformant la vie de quelques stars de notre Histoire plus ou moins proche. Mission accomplie avec cet album consacré à B.B. !

Brigitte Bardot © Dupuis

Qui est réellement Brigitte Bardot, qui était-elle, qui est-elle aujourd’hui ? Pour répondre à cette question, Bernard Swysen, le scénariste de ce livre, s’est essentiellement fait biographe, avec un recul le plus objectif possible par rapport à son « sujet ». Et, reconnaissons-le, lorsqu’on aborde des personnalités comme BB ou Marilyn Monroe, être objectif tient presque de l’impossible ! La starification rend la compréhension d’un être humain extrêmement complexe, tant il est vrai que tout se mélange, le métier, la vie privée, les rêves, les déceptions, voire les désespoirs. Bernard Swysen ne s’est donc pas contenté de relayer ce que les journaux, en masse, ont dit et redit de Brigitte Bardot. Il les a lus, c’est évident, il en tient compte, comme il tient compte aussi des textes de Bardot elle-même, des confidences recueillies ici et là auprès de comédiens, de chanteurs qui l’ont approchée de près, de très près souvent même.

Brigitte Bardot © Dupuis

Pour commencer en beauté, ce livre nous offre une préface de Mylène Demongeot, une actrice qui aurait pu être star, elle aussi, à la manière de Brigitte Bardot, si ses engagements personnels et amoureux n’en avaient pas décidé autrement sans doute. Son regard sur ce qu’est une star mérite, assurément, d’être reproduit : « Je me suis aperçue d’une chose : les actrices remarquables, il y en a pas mal à travers le monde, mais les stars ? Dans les années soixante, je peux vous citer Marilyn Monroe, Brigitte Bardot, James Dean, Marlon Brando. C’est tout. Et quelle est la caractéristique de ces stars ? Eh bien, ces êtres d’exception émettent des vibrations sexuelles qui ne laissent personne indifférent. »

Et il est impossible, en effet, quand on parle de Brigitte Bardot, de parler d’indifférence, et de nier l’impact érotique que sa présence, son jeu, son phrasé a eu sur les millions de spectateurs à travers le monde. Avant même d’être une actrice, elle était déjà bien plus qu’une starlette, et c’est son image qui, en quelque sorte, a créé le mythe Bardot avant qu’il ne se révèle dans la lueur des projecteurs de cinéma.

Brigitte Bardot © Dupuis

Et une des qualités de cette bande dessinée, c’est de nous montrer Brigitte Bardot telle qu’elle était, c’est-à-dire multiple, presque indéfinissable. Source d’adoration et de haine, elle se savait actrice et on ne voulait d’elle que comme petite comédienne. Pendant des années, elle a eu « des grands rôles dans des petits films et des petits rôles dans des grands films ». Elle était cette icône que les journaleux et les pseudo-photographes poursuivaient jusque dans ses moments intimes, et, en même temps, elle était cette actrice qui, devenue « la Bardot » grâce à Vadim et son « Et Dieu créa la femme », crevait l’écran, selon l’expression consacrée, par la sensualité et le modernisme de son jeu. Femme libre, femme amoureuse, femme infidèle, femme symbole, femme volontaire, femme aux détresses évidentes, femme aux opinions tranchées, en une époque où le rôle de la femme était sociologiquement révolu au service de l’homme, Brigitte Bardot ne pouvait qu’être scandaleuse. Et provoquer, en étant elle-même simplement, ce mépris qui reste le titre d’un de ses films essentiels.

Et puis, au sommet d’une gloire incontestable, elle a été la star décidant d’arrêter le cinéma, et, surtout, se tenant à cette décision malgré les propositions dotées qui lui furent faites. Pas par lassitude, non, par un engagement pour la cause animale qui lui a offert quelques vraies réussites, quelques douloureuses désillusions, et, surtout, une image médiatique souvent mise à mal.

Brigitte Bardot © Dupuis

Brigitte Bardot a vécu mille vies, mais à partit du jour où elle a quitté irrémédiablement le monde du septième art, elle n’a jamais abandonné son combat pour les animaux. Tout en continuant, aussi, à être ce qu’elle a toujours été, une femme en nécessité d’amour. Une femme se refusant, également, à la langue de bois, à hurler avec les loups. Et c’est là qu’elle a vécu quelques nouvelles attaques contre elle, au travers de ses déclarations, qui ont pu être taxées de racistes, d’extrémistes, au travers de ses écrits.

Cet album ne cache rien de tout cela, de tout ce qui forme la silhouette de Brigitte Bardot. Mais Swysen le fait presque comme un historien, en respectant une linéarité temporelle et en laissant son avis se vivre dans une sorte de distanciation respectueuse et tranquille. Son but n’est pas de juger, mais de montrer, et il y parvient avec une belle efficacité.

Une efficacité rendue encore plus possible grâce au dessin de Christian Paty. Sans se laisser aller à des effets spéciaux faciles, il a voulu s’approcher du plus près possible de Bardot, physiquement ai-je envie de dire, et, de ce fait, d’oser pour tous ceux et toutes celles qui l’entourent, une forme gentille de caricature. On sent ainsi son plaisir de graphiste à dessiner Bécaud, Trintignant, Gainsbourg, Birkin… Son dessin fait sourire, sans jamais effacer cependant l’émotion du scénario.

IL faut souligner aussi la simplicité de la couleur de Sophie David, dont la présence, « à l’ancienne », sied parfaitement à la ligne narrative de cet album.

Brigitte Bardot © Dupuis

Un excellent livre, donc… Et je vous conseille également, des mêmes auteurs, le tout aussi bon livre consacré à Marilyn Monroe. Avec, en clin d’œil, une petite scène similaire dans les deux albums, celle d’une rencontre entre ces deux stars immortelles du septième art !

Jacques Schraûwen

Brigitte Bardot (dessin : Christian Paty – scénario : Bernard Swysen – couleurs : Sophie David – éditeur : Dupuis – 135 pages – avril 2020)

Bob et Bobette : Le Reboutant Rebouteux

Bob et Bobette : Le Reboutant Rebouteux

Qui ne connait pas Bob et Bobette, ces héros tous publics créés par Willy Vandersteen en 1948 ? Série moralisatrice, tous publics, certes, mais série qui, depuis quelques années, s’ouvre aussi à des albums différents, des albums « hommage » qui osent se révéler parfois quelque peu iconoclastes !

Les aventures de Bob et Bobette en sont à leur numéro 348, rendez-vous compte ! 348 plus quelques titres hors collection, comme ce livre-ci, et qui est dû à l’association entre le scénariste prolifique Zidrou et le dessinateur qui dessine plus vite que son ombre, Jean-Marc Krings. Avec un titre que le Tibet des Chick Bill n’aurait pas désavoué : « le reboutant rebouteux ».

Bob et Bobette, c’est une série enfantine, familiale… Et cet album-ci n’est pas vraiment dans la même veine. Certes, les auteurs rendent hommage à tout l’univers de Vandersteen, en reprenant tous leurs personnages principaux, Lambique, Jérôme, le professeur Barrabas, entre autres. Mais avec Zidrou, on s’approche aussi de la parodie, voire même de l’album quelque peu iconoclaste. Et pour les deux auteurs, cet album a d’abord et avant tout fait par plaisir et pour le plaisir !

Jean-Marc Krings © Viviane Vandeninden
Jean-Marc Krings : un album fait par plaisir

Les auteurs revisitent le monde de Bob et Bobette, qui vont devoir se battre contre une association secrète, presque une secte, une association qui regroupe des personnages de bd exclusivement français, et qui refusent l’immigration dans leur pays de héros dessinés venus de l’étranger, venus, en l’occurrence de la petite Belgique. Donc, au-delà d’une aventure gentillette et moralisante, comme tous les albums traditionnels de Suske en Wiske, Zidrou et Krings nous racontent une fable qui rappelle des rejets d’aujourd’hui, des réalités peu ragoutantes qui s’opèrent aussi en France ! Il y a des thèmes sérieux, certes, mais il y a d’abord et avant tout un très agréable second degré. Les auteurs, comme les lecteurs, s’amusent, aux références nombreuses, aux clins d’œil nombreux (ceux qui liront le livre comprendront ce que je veux dire…), aux jeux de mots parfois très potaches de Zidrou. Je parlais de livre quelque peu iconoclaste, et c’est bien le cas, avec, par exemple, l’apparition d’un sein de tante Sidonie !

Le Reboutant Rebouteux © Standaard
Jean-Marc Krings : le sein de Sidonie

Le dessin de Krings, dans la lignée évidente de l’école de Charleroi, est fait de vivacité, de planches dans lesquelles le mouvement est toujours présent, de manière à rythmer le récit. C’est un graphisme qui ne cherche sans doute pas à éblouir, mais qui est d’une véritable efficacité, avec une multiplicité des plans, des « angles de vue », plongées, contre-plongées, plans larges, etc. Comme au cinéma !

Le Reboutant Rebouteux © Standaard
Jean-Marc Krings : de la mise en scène

Et puis, le dessin de Krings, tout comme celui de Vandersteen, d’ailleurs, ne se contente pas d’esquisser avec plus ou moins de présence et de justesse les décors. Ces décors appartiennent au récit, ils sont aussi des points de référence pour les lecteurs, des points de reconnaissance en quelque sorte. Comment ne pas être ébloui, par exemple, par la vue de la gare d’Anvers ! Ou par l’intérieur d’une taverne juste après la guerre 14/18.

Le Reboutant Rebouteux © Standaard
Jean-Marc Krings : les décors

Je sais que les fans purs et durs risquent de ne pas trouver ce livre intéressant. Mais pour les autres, tous les autres, oui, c’est un album rieur, amusant, à lire pour le plaisir, tout simplement. Et le plaisir, en toute liberté, n’est-ce pas un peu ce qui nous manque vraiment, de nos jours ?

Jacques Schraûwen

Bob et Bobette : Le Reboutant Rebouteux (dessin : Jean-Marc Krings – scénario : Zidrou – éditeur : Standaard – 48 planches – date de parution : novembre 2019)

Le Reboutant Rebouteux © Standaard