Cathédrale

Cathédrale

Le génie d’un dessinateur exceptionnel !

Les collaborations « graphiques » de Jacques-Armand Cardon sont variées… Elles vont de « Hara Kiri » à « Bizarre », de « L’humanité » au « Canard enchaîné », de l’extraordinaire Jacques Sternberg à « L’écho des savanes ». Son art, depuis des années et des années, ne souffre aucune définition. Cardon dessine, et ses dessins nous racontent nos folies et nos rêveries autant que les siennes !

Cardon © Super Loto Editions et Editions du Monte-en-l’air

Et voici donc un album qui, comme tous ses précédents, prend ses distances avec ce qu’on appelle le dessin de presse, la bande dessinée, l’illustration. Un album qui, nous dit-on, s’inspire d’abord et avant tout de la mémoire de son auteur. Cardon, né en 1936, a vécu, enfant, la guerre… Se cachant pendant un bombardement, apeuré, mais, dès le lendemain, cherchant autour de la maison des éclats d’obus à garder en souvenir. Je pense que tous les enfants qui ont vécu une guerre, quelle qu’elle soit, où qu’elle soit, ont d’identiques souvenances, étrangement… C’est en tout cas ma réalité…

Cardon © Super Loto Editions et Editions du Monte-en-l’air

Tout au long de son existence, Cardon a côtoyé, consciemment ou pas, des lieux symboliques de ce qu’est l’architecture, de ce qu’elle peut signifier pour l’homme comme bonheurs, angoisses, envolées lyriques, enchaînements.

Et de toutes ces architectures, il en est une qui est encore plus symbolique que toutes les autres, celle de ces cathédrales qui peuplent les cités et les esprits, monuments à la gloire de la foi plus que d’un Dieu sans doute, démesures de pierre, d’angles, de vide construit, ce sont elles qui, dans ce livre, sont les héros d’une balade, d’une ballade même, dans les antres de la souvenance et de l’imaginaire de Cardon.

Cardon © Super Loto Editions et Editions du Monte-en-l’air

On nous dit que ce livre est, en quelque sorte, une autobiographie dessinée… Il est en effet évident qu’on y retrouve quelques moments clés de l’existence de Cardon, dont il nous raconte, par écrit, les fondations en introduction de cet album.

Mais, si autobiographie il y a, elle est aussi inventée, imaginaire, extrapolation de toutes les révoltes et de toutes les angoisses de son auteur.

Il y a par exemple la présence de quelques figures emblématiques dans l’univers de Cardon : Agnès Varda, Apollinaire, Chaplin, entre autres.

Cardon © Super Loto Editions et Editions du Monte-en-l’air

Il y a, au travers de ces personnages, la réalité de la mort inhérente à chaque voyage humain. Cardon nous parle, silencieusement, de la Commune et des cadavres exposés devant lesquels passent indifférents de bien braves bourgeois.

La démarche de Cardon est d’une vraie originalité, faite de réalité et de surréalisme, d’absurde et de réfléchi, d’humour et de désespoir. De par sa technique comme de par sa manière de traiter le monde en cherchant à disséquer le regard qu’on peut porter sur lui, il est le compagnon de route de dessinateurs come Chaval, ou, encore plus, Serre et Gourmelin.

Je parlais d’humour, oui, un humour grinçant, esthétique, qui nous montre à voir, par exemple, François Hollande et Donald Trump.

Mais le vrai thème de cet album reste celui de la vie… D’un voyage entre naissance et mort, voyage perdu dans des décors inanimés qui cherchent, sans cesse, à emprisonner plus qu’à émerveiller.

Cardon nous parle de lui, de la geôle du travail, de l’omniprésence de la religion et de ses travers, du Christ et de l’image toujours changeante que l’humanité en a d’époque en époque. Il nous parle de la guerre, de l’aveuglement, de l’envol, de la fuite.

Cardon © Super Loto Editions et Editions du Monte-en-l’air

Ce livre se regarde, lentement, se savoure, longuement, se réfléchit, inlassablement.

Et s’il me fallait en trouver, non pas une définition, mais une sensation, ce serait : « à la fin, seule reste la pierre »…

Oui, ce n’est pas de la bande dessinée…

Mais c’est un livre que doit avoir tout amoureux du dessin, dans ce qu’il peut avoir de plus parlant, de plus rêveur. A commander, croyez-moi, toute affaire cessante, chez votre libraire !

Cathédrale, c’est l’histoire d’un voyageur en des pays qui sont aussi les nôtres…

Jacques Schraûwen

Cathédrale (auteur : Cardon – éditeur : Super Loto Editions et Editions du Monte-en-l’air – 2020)

www.superlotoeditions.fr

www.monteenlair.wordpress.com

Cas D’École

Cas D’École

L’enseignement est en danger : témoignages !

Remedium, l’auteur de ce livre A NE RATER SOUS AUCUN PRÉTEXTE, nous parle de qui devrait être un des métiers les plus essentiels de la civilisation, de toutes les civilisations, de toutes les sociétés. Et il le fait frontalement, de manière, on le sent, on le sait, vécue…

Cas d’Ecole © Equateurs

Remedium, l’auteur, est français. Cela ne signifie nullement que ce livre n’est le portrait que de l’enseignement hexagonal ! Pour avoir travaillé pendant dix-neuf ans dans une école, en Belgique, pour y avoir exercé le métier de « pion », qu’on appelait surveillant-éducateur, et qu’on doit sans doute aujourd’hui appeler d’une expression mensongère du genre « assistant d’éducation », j’ai pu assister « de l’intérieur » comme on dit, aux moyens humains et financiers rabotés, aux réformes que chaque nouveau ministre (et Dieu sait s’il y en a eu en Belgique !!!!) impose sans tenir compte du terrain que, par ailleurs, il ne connaît pas, aux difficultés de faire vivre des projets (certains de mes anciens collègues se souviendront de l’arrêt d’un ciné-club pour projection du film If), à la fonctionnarisation d’un métier qui devrait, d’abord, être une passion, par l’incompétence de pas mal de « décideurs »…

Cas d’Ecole © Equateurs

Donc, oui, ce livre n’est pas exclusivement réservé à la France. Remedium y livre 14 portraits, et ses propos, écrits simplement, simplement dessinés, sont des témoignages qui n’appartiennent nullement à la fiction. Ils sont la relation, presque froide, comme dans un procès-verbal, d’un malaise dont on parle peu, et mal…

Ce qu’il nous montre, c’est un univers qui n’a rien à envier à celui de « L’Employé » de Jacques Sternberg ou à celui du « Procès » de Kafka. C’est moins d’absurdité qu’il s’agit que de la hiérarchisation bureaucratique d’une profession qui se meurt de manque de liberté. De libertés plurielles…

Je le disais, ce livre est un recueil de portraits. Des petites histoires, humaines, tristes, désespérantes même parfois, mais qui sont la réalité vécue au jour le jour par des milliers d’enseignants en butte à l’inertie d’un pouvoir, d’une part, à la puissance de la rumeur, parfois, à la jalousie de ceux qui se sentent bien en suivant les ordres venus d’en haut…

Cas d’Ecole © Equateurs

14 portraits… Celui de Jean, d’abord, en ouverture, pour donner le ton, tout de suite. Un instituteur accusé mensongèrement de violences sur mineur et qui se verra harcelé par les parents des élèves dont il s’occupe. Un instituteur qui s’est suicidé et dont l’enterrement, après bien des tergiversations de « l’autorité » pourra être suivi par ses collègues…

Il y a le portrait de Christine Renon, également, directrice d’une école maternelle et se suicidant, elle aussi, le 21 septembre 2019. Avec, pour signature de son ultime lettre : « Christine Renon, directrice épuisée ».

Il y a aussi le portrait, totalement au vitriol, mais parfaitement documenté, d’un ministre qu’on a bien souvent vu, pendant cette pandémie, pérorer de télé en télé.

Cas d’Ecole © Equateurs

Remedium « attaque » tous azimuts, et dans les deux sens. Il met en évidence des enseignants détruits, désabusés, voire désespérés, par leurs collègues, parfois, par la hiérarchie toujours, par les parents démissionnaires, par celles et ceux qui savent bien qu’il n’y a pas de fumée sans feu, par l’administration scolaire qui fait penser à une construction proche de celle de l’URSS, par la médecine scolaire, incompétente, par les gestions « psychologiques » ridicules des événements exceptionnels comme un élève assassiné par son père…

Il nous montre aussi que cet abandon « officiel » et ce désespoir se vivent dans tous les milieux scolaires, ceux des « quartiers » comme ceux de la ruralité.

Et il le fait avec un dessin simple, frontal, sans décor, avec des visages qui expriment leurs souffrances du bout des yeux ou du bout des lèvres. Avec, aussi, symboliquement, le vide des visages de tous ceux qui, dans ce livre, représentent l’autorité… la hiérarchie… l’omnipotence de la politique, en fait !

Et on le sent, lui aussi, en porte-à-faux par rapport à son métier d’instituteur (un des portraits, sans doute, est le sien…). Avec cette phrase, au détour d’une page, qui résume à la fois la volonté de pas mal d’enseignants de se battre et la triste certitude qu’ils ont de le faire contre un monde politicien qui n’est plus que doctrinaire : « Un mort pour rien, un mort de plus ».

Cas d’Ecole © Equateurs

La bande dessinée se doit, je pense, d’être aussi le reflet de son époque et, ce faisant, de se faire cri, de colère, de désespérance, d’incompréhension face à l’inertie d’une population perdant ses valeurs de tolérance et d’humanisme.

A ce titre, ce livre est important. Ne faisons pas du silence la force première de ces idéologies qui nous renient toute liberté, et qui se multiplient de jour en jour…

A commander, à faire commander, donc, par votre libraire…

http://www.editionsdesequateurs.fr

Jacques Schraûwen

Cas D’École (auteur : Remedium – éditeur : Equateurs – 78 pages – septembre 2020)

Le Culte De Mars

Le Culte De Mars

Un jour, les humains les plus riches se sont envolés vers la planète rouge. Pour les survivants restés sur une terre inhospitalière, l’espérance de pouvoir s’en aller aussi est devenue plus qu’un mythe : une forme de croyance, une dérive de religion …

Le Culte de Mars © Delcourt

Les récits postapocalyptiques ne manquent pas, ni dans la littérature ni dans la bande dessinée. Les artistes ont toujours voulu exorciser les angoisses et les erreurs humaines en leur cherchant, non une rédemption, mais une voie nouvelle.

Les récits postapocalyptiques se construisent souvent autour de deux axes opposés : l’optimisme, d’une part, celui de voir le monde toujours renaître de ses cendres, le pessimisme, d’autre part, celui de dire et de montrer que tout est vain.

Cette bande dessinée de la dessinatrice Mobidic réussit l’amalgame de ces deux essentielles pulsions de l’humanité. A la fois extrêmement lumineux et terriblement sombre en s’enfouissant dans les horreurs de la pensée et de l’action, le récit qu’elle nous livre oscille sans cesse entre l’émerveillement et la haine, entre le possible et l’inacceptable. Mais toujours en nous montrant un monde dans lequel survivent peu ou prou les réalités d’aujourd’hui.

Le Culte de Mars © Delcourt

Le culte de Mars, c’est cette foi inébranlable que les habitants de la terre, vivant en communautés indépendantes les unes des autres, ont d’un futur voyage possible vers le paradis que ne peut qu’être la planète Mars.

Et cette foi est aussi celle que portent les humains en Hermès, voyageur souriant, messager, dit-on, des dieux.

Mais Hermès n’est ni messager, certainement pas messie. Il est voyageur, oui, et il recueille au long de ses errances tout ce qui a rapport à ce que fut l’Homme. Il a un grand livre dans lequel il note tout, qu’il le comprenne ou pas… Avec la certitude tranquille qui est la sienne qu’un jour, tous ces vestiges découverts trouveront une signification. Comme les téléphones portables, les ordinateurs…

Le Culte de Mars © Delcourt

Un jour, sur son chemin, chemin de hasard toujours, il croise une jeune femme qu’on dit folle, et qui ne répond à aucun de ses mots. Une jeune femme grâce à laquelle il va comprendre une de ses découvertes : la langue des signes. Et c’est à partir de cette jeune femme sourde, c’est autour d’elle que la narration va s’agencer, une narration qui, d’éblouissement en partage de sourires, va plonger dans la violence et la mort, comme, malheureusement, dans toute dérive sectaire d’un groupe de femmes et d’hommes prêts à croire n’importe quoi, n’importe qui, pour ne plus avoir peur d’eux-mêmes !

Ce livre aborde, vous l’aurez compris, bien des thèmes. On y parle de religion, religions plurielles même, on y parle d’espérance folle et de la folie de n’attendre que le futur, on y parle du langage et de ses innombrables possibles, on y parle d’handicap, de différence, on y parle de la nature loin de tout sectarisme idéologique. Mobidic, l’auteure de cet album, nous parle de nous, tout simplement, de nos rêves et de nos départs qui ne sont pas toujours des fuites.

Le Culte de Mars © Delcourt

Son dessin, qui m’avait déjà ébloui dans « Roi Ours », prend ici une dimension plus importante encore. On le sent en osmose, dès son ébauche, avec un jeu de couleurs d’une unité et d’une efficacité exemplaires. Je ne peux m’empêcher, en refermant ce livre, de positionner Mobidic dans la lignée de deux dessinateurs exceptionnels, Jean-Philippe Stassen et Ruben Pellejero.

Ce livre est une fable, un conte à l’ancienne, qui n’a pas peur de faire peur, de parler de mort pour émerveiller la vie. Et j’ai particulièrement aimé sa fin, une fin ouverte, certes, mais qui s’ouvre à autre chose que la stérilité d’une nostalgie inutile. La dernière planche voit une enfant jeter vers les étoiles

un téléphone portable, définitivement, enfin, inutile ! On peut y voir la chance d’une neuve intelligence… Ou, simplement, l’acceptation lucide de la vie telle qu’elle est, sans cesse à construire, sans cesse à réinventer…

Le Culte de Mars © Delcourt

« Le Culte De Mars » est un des livres les plus intéressants de ces derniers mois, et il va falloir retenir le nom de son auteure, à tout prix : Mobidic !

Jacques Schraûwen

Le Culte De Mars (auteure : Mobidic – éditeur : Delcourt – 111 pages – février 2020