Les Chemins Du Fantastique

Les Chemins Du Fantastique

Un livre à (s’)offrir: Les Chemins Du Fantastique de Guillaume Sorel – de charnelles fées aux paysages de l’ailleurs

Guillaume Sorel est auteur de bande dessinée… Mais il est bien plus, et la puissance de ses traits comme de ses couleurs crée dans cet album mille et un chemins qui font du fantastique une magie humaine à toujours redécouvrir…


Les Chemins Du Fantastique © Champaka/Dupuis

Guillaume Sorel fait partie de ces auteurs qui me fascinent, par le choix qu’ils font des sujets de leurs livres, par la puissance évocatrice, aussi, surtout, de leur graphisme.

J’ai déjà ici, d’ailleurs, chroniqué quelques-uns de ses albums: Le Horla, Bluebells Wood, Hôtel Particulier. Des livres qui à chaque fois emmènent le lecteur dans des mondes qui, c’est vrai, naissent au réel de nos quotidiens, mais pour mieux s’en échapper, pour mieux y créer des failles dans lesquels, tels des trous noirs du possible, toute réalité peut se transformer.

Son style graphique s’inspire, c’est certain, de dessinateurs exceptionnels comme Frazetta. Le « fantastique » à la comics, cependant, aime, chez Sorel, se distordre, se démesurer dans le geste comme dans l’idée. A ce titre, Sorel est résolument un artiste européen, et ses livres nous parlent comme nous parlaient, enfants, les contes tout sauf mièvres d’Andersen ou de Grimm!

Dans ce livre d’art, Guillaume Sorel nous livre des illustrations qui explorent tous les chemins du fantastique, des illustrations derrière lesquelles des souvenirs et des mots, souvent, ne demandent qu’à(re)naître… La Belle et la Bête, Wagner et Siegfried, Jules Verne et Peter Pan, Jean Ray, ils sont tous au rendez-vous de ce livre… et Baudelaire, également, pour une danse lascive dont en entend presque les bijoux s’entrechoquant : « La très-chère était nue et, connaissant mon coeur, elle n’avait gardé que ses bijoux sonores… »

Avec Guillaume Sorel, on se replonge aux sources mêmes de l’imaginaire, et si la Femme est omniprésente, ce n’est pas pour être magnifiée mais, bien plus, parce que, toujours différente, toujours changeante, elle est l’image même de la peur primale et de l’ailleurs…


Les Chemins Du Fantastique © Champaka/Dupuis
Guillaume Sorel

Derrière chaque dessin, c’est toute une histoire qui se devine… Derrière chaque histoire, ce sont d’infinies torpeurs qui s’éveillent… Derrière chaque torpeur, c’est le corps qui prend mouvement et recrée sans cesse l’univers et ses apparences…

Ce livre est une vraie merveille… Sorel est de ces artistes qui continuent à donner au neuvième art de bien belles lettres de noblesse!

Jacques Schraûwen

Les Chemins Du Fantastique (auteur: Guillaume Sorel – éditeur: Champaka/Dupuis)


Les Chemins Du Fantastique © Champaka/Dupuis

Mots, rêves et dessins…

Milo Manara

Milo Manara

Un nouvel album et une exposition à Bruxelles, une exposition faisant la part belle à ses illustrations érotiques !

Dans cette chronique, écoutez Milo Manara vous parler de la beauté, de l’érotisme, et du dessin… Une rencontre passionnante !

 

Milo Manara © Milo Manara

 

Milo Manara… Un des grands noms du neuvième art, sans aucun doute… Cet Italien a commencé sa carrière, longue et abondante, en 1968, par des petits récits, marqués par leur érotisme.
Mais, très vite, c’est avec des histoires « sérieuses » qu’il se fait connaître : « Le Singe », plusieurs récits dans « L’Histoire en bandes dessinées », chez Larousse, et, enfin, les aventures de Giuseppe Bergman qui paraissent dans le mythique « A Suivre ».
Reconnu dès lors à la fois par les professionnels et par les lecteurs, Milo Manara va prendre un virage qui restera sa caractéristique première, celle de l’érotisme, un érotisme qui ose tout dire, tout montrer, s’enfouir dans les méandres du désir humain.
Et ce furent des livres comme « Le Déclic », « Le Parfum de l’Invisible », « Nouvelles Coquines »… Ce furent aussi des recueils d’illustrations, « L’Art de la fessée », par exemple.
En une époque où se multipliaient des livres marqués par une certaine pornographie dessinée sans beaucoup de talent, par un érotisme explicite et sans relief, Manara s’est lancé, lui, dans des livres qui, graphiquement, n’ont jamais eu peur de dévoiler le corps et l’âme au travers d’érotismes pluriels, créateurs de rêves, certes, mais également et surtout d’aventures s’écartant résolument des sentiers battus. L’érotisme des uns n’a véritablement pas grand-chose à voir avec celui de Manara…

 

Milo Manara © Milo Manara

 

Milo Manara: l’érotisme

 

Marcuse comme référence philosophique à une œuvre de plaisirs et de désirs sans cesse mêlés, excusez du peu !… Et c’est bien un érotisme transgressif et ludique, récréatif, oui, qui s’expose aujourd’hui à Bruxelles.
Il faut dire que, pour Milo Manara, l’acte gratuit, dans l’amour comme dans le dessin, se doit d’être source de sensations, de sentiments. D’esthétisme aussi… D’un esthétisme qui naît des propres rêveries, et donc fantasmes, de Manara, très certainement, et de sa formation… Une formation classique qui le pousse, de livre en livre, à dessiner en quelque sorte toujours la même femme, ou presque, une femme qu’on retrouve dans les illustrations accrochées aux cimaises de la galerie du Châtelain. Toutes les femmes de Milo Manara sont fines, élancées, avec des jambes qui n’en finissent pas, avec des courbes affriolantes, des sourires charmeurs, des regards très directs, aussi… Qu’on retrouve dans cette exposition, à l’exception d’une femme aux évidentes maturités, toute vêtue, qui donne à l’ensemble des œuvres exposées une certaine distance poétique.
Si Marcuse préside à son sens de l’érotisme, ce sont Platon et le monde classique qui éclairent sa notion de la beauté !

Milo Manara © Milo Manara

Milo Manara: La beauté

 

Cela dit, et pour rester objectif, cet auteur qui a travaillé avec des gens comme le génie Fellini ou l’exceptionnel Hugo Pratt n’a pas fait que des chefs d’œuvre, il faut le reconnaître.
Pendant une certaine période, il a même réduit au minimum les décors de ses récits, comme pour laisser la féminité de ses personnages occuper toute la place, d’une façon pratiquement intemporelle.
Mais, avec les Borgia d’abord, et avec « Le Caravage » aujourd’hui, Manara revient en arrière, avec un talent extraordinaire. Ses décors, encore plus qu’à ses débuts, font partie intégrante de ses intrigues, ils accompagnent et montrent le cheminement des personnages. Et ils prennent vie, de page en page, grâce aussi à un travail sur la couleur dans lequel excelle Manara, de plus en plus, une excellence que je ne peux que vous inviter à découvrir dans son dernier album, mais aussi dans cette exposition qui lui est consacrée !

 

Milo Manara © Milo Manara

Milo Manara: le décors

 

 

Mes souvenirs concernant Milo Manara sont nombreux. Comme bien des lecteurs de ma génération, il a accompagné la re-naissance de la bande dessinée, en osant, simplement, montrer et raconter le désir charnel. Et il l’a fait, toujours, avec un sens aigu de la mise en scène, et un sens littéraire (et cinématographique) du dialogue.
Fidèle à ce qu’il était il y a cinquante ans, Milo Manara continue à être le chantre de l’érotisme. Et à être, dans son album consacré au Caravage, chantre d’un personnage subversif, celui d’une œuvre picturale qui appartient au patrimoine mondial, et, surtout peut-être, chantre de décors et de paysages d’une extraordinaire facture classique.

Jacques Schraûwen
Milo Manara s’expose à Bruxelles – Galerie Huberty & Breyne, Place du Châtelain à Ixelles (Bruxelles), jusqu’au 5 janvier.
Milo Manara – Le Caravage, tome 2, paru chez Glénat.

Milo Manara © Milo Manara

C’est pas du polar… mais ça craint quand même !

C’est pas du polar… mais ça craint quand même !

L’ombre de Simenon et celle de Jean Gabin planent sur ce petit livre iconoclaste, et bien plus sérieux que ce qu’il paraît être, finalement !…

C’est pas du polar… © Gallimard

 

Jean-Paul, loin de la ville et de ses aventures plus ou moins légales, vit à la campagne, et s’occupe de ses mirabelles et, surtout, du nectar alcoolisé qu’il peut en faire !
Et voilà que débarque dans son petit paradis campagnard un type à l’allure assurée, un journaliste qui s’avère être le mari de son ex. Et ce journaleux, Philippe, lui dit tout de go que Jacotte, cette femme qui leur est commune, est en pleine dépression et qu’il n’y a que lui, Jean-Paul, qui peut l’en sortir.
Et juste avant de partir, il lui propose de lire quelques polars, d’un certain Gaston Sidérac.
Dès lors, l’aventure peut commencer !

 

C’est pas du polar… © Gallimard

 

Gaston Sidérac, c’est le double de Georges Simenon. Un écrivain dont le personnage central, le commissaire Grosjules, est le héros, outre de ses romans, d’une série télé à succès.
Et Gaston Sidérac a décidé d’arrêter d’écrire !
Ce qui fait que l’acteur principal de cette série télé va se retrouver sans emploi. Ce qui fait aussi que la fameuse Jacotte, fan absolue de ces polars d’ambiance, perd un des repères essentiels de sa petite existence.
Jean-Paul va donc se retrouver embarqué dans une espèce de complot destiné à obliger l’écrivain à reprendre son métier !
Il y a de la dentelle fine, des sous-vêtements affriolants, une soubrette, un flingue, des caméras et des micros, un acteur sur le retour et un écrivain qui aime énormément les petites femmes de Paris (et d’ailleurs…) !
C’est un album iconoclaste, oui, mais qui, étrangement, parvient à rester fidèle à son modèle, le Simenon des « Maigret » mais aussi le Simenon grand amant devant l’Eternel !
Ce n’est pas du polar, ce serait plutôt du théâtre de boulevard, avec un possible cadavre, une épouse trompée, de l’amour sous-jacent, des faux-semblants et des faux-fuyants.

 

C’est pas du polar… © Gallimard

 

C’est, disons-le tout de suite, un livre amusant, qui fait sourire. Qui, sans avoir l’air d’y toucher, nous parle de ce qu’est l’acte d’écrire, donc d’inventer, donc de créer en tant qu’artiste. Qui réussit aussi à nous montrer que la culture ne se limite pas à une œuvre, mais à tout ce que cette œuvre ouvre comme horizons. Une simple histoire de Sidérac fait vivre des acteurs, des metteurs en scène, et fait rêver des millions de personnes, au travers des mots ou des images. La culture, oui, au sens le plus large du terme, et un des moteurs essentiels, en fait, de l’économie d’un pays !
C’est un livre amusant, oui, au dessin qui s’occupe peu des décors, au graphisme vif, rapide, s’attardant sur les attitudes et les expressions. On se croirait presque dans un vieux livre pour enfants des années 50, ou même d’avant. Mais un livre, surtout, qui détourne les idées et les codes pour construire une histoire qui, malgré tout, tient la route de bout en bout.

C’est pas du polar… © Gallimard

 

Vous avez envie de passer un bon moment, tranquille, avec des personnages quelque peu caricaturaux mais attachants ? Vous avez envie de sourire devant des gags éculés qui, pourtant, atteignent leur but ? Ce livre est donc pour vous ! Et il vous donnera l’envie, sans doute (au sens premier de cette expression…) de lire ou de relire ensuite quelques excellents romans du formidable Simenon !

Jacques Schraûwen
C’est pas du polar… mais ça craint quand même ! (auteur : Bruno Heitz – éditeur : Gallimard/Bayou)

 

C’est pas du polar… © Gallimard