Le Chalet Bleu

Le Chalet Bleu

Un des plus beaux albums de Jean-Claude Servais!

« C’est un trou de verdure où coule une rivière… » C’est un lieu caché où se vivent, de l’amour et de ses âges, toutes les poésies… C’est un chalet bleu qu’enchante Jean-Claude Servais… C’est un livre d’une beauté éblouie…

 

Le chalet bleu © Dupuis/Aire libre

 

Comment résumer ce livre?… Comment raconter en quelques mots l’intensité et la fluidité mêlées d’un récit qui parle des âges, ceux de la vie, ceux du désir, ceux de l’amour?…

Après nous avoir emmenés sur les chemins de Compostelle, des chemins sur lesquels s’entrecroisaient des personnages troubles, des secrets ésotériques, des meurtres, des éblouissements, Jean-Claude Servais nous revient, avec ce « Chalet Bleu » à ce qui fait, sans doute, certainement, sa passion la plus essentielle: l’humain profondément ancré dans l’univers naturel qui lui donne vie et auquel il insuffle une existence tantôt poétique, tantôt charnelle, tantôt douloureuse.

1947… Une petite fille, Alice, croit aux fées, aux mystères de l’ailleurs, et découvre, au-delà du monde des habitudes, un univers où elle se réfugie, celui de la vallée aux loups. Les animaux y vivent librement, quelques lutins y apportent la folie de leurs jeux et de leurs mots, un chalet bleu y devient une demeure presque intemporelle, et un jeune garçon va y accompagner les jours et les nuits de cette Alice qui grandit et vieillit.

 

Le chalet bleu © Dupuis/Aire libre

 

Prenant les saisons comme fil conducteur à son récit, Jean-Claude Servais se laisse aller à des descriptions graphiques variées, lumineuses, faisant de ce livre un livre d’abord d’ambiance avant d’être une histoire racontée. A ce sujet, il faut vraiment souligner l’osmose qui existe entre Jean-Claude Servais et son coloriste Raives : il s’agit ici, en guise de colorisation, d’un véritable travail artistique qui magnifie encore plus le travail artistique du trait… Un trait qui me semble plus « en mouvement », également, que dans les précédents albums de Servais.

 

Le chalet bleu © Dupuis/Aire libre

 

Bien sûr, il y a un vrai récit, dans cet album. La rencontre entre deux enfants, l’un né d’une légende, Jeantou, et l’autre, Alice, profondément enfouie dans ses rêves magiques. Une rencontre qui ressemble à un apprivoisement, et qui débouche sur l’amour. L’amour, l’étreinte, la vie à deux, la mise au monde d’une fille qui, elle, va fuir la vallée aux loups pour trouver l’amour dans le monde de la réalité. Il y a aussi les doutes d’Alice et de Jeantou, la quête de ce dernier pour retrouver un sens à ses errances.

Mais tout cela, linéaire pourtant tout au long de la narration, laisse la place, surtout, à la sensation, au sentiment. Et à ce que les saisons racontées soient aussi celles de la vie, de l’enfance à la vieillesse, de la naissance à la mort.

Jean-Claude Servais, tout en nous parlant des contes de l’enfance, de notre enfance, nous parle aussi de la place de la femme dans la société, au fil des années, depuis la fin de la guerre 40/45. Il nous parle de la puissance de la transformation, à tous les niveaux de la conscience. Et s’il s’amuse à trouver dans les contes de fées des références psychanalytiques, c’est au travers de la bouche inerte d’une statue qu’il le fait. Parce que, finalement, s’il fallait trouver un message à ce livre, il est extrêmement simple : pour vivre, il faut choisir la voie du rêve, quels qu’en soient les détours et les buts !

 

Le chalet bleu © Dupuis/Aire libre

 

Sans avoir l’air d’y toucher, Jean-Claude Servais, dans ce « chalet bleu », fait œuvre d’artiste mais aussi de moraliste, au sens le plus noble du terme. Au-delà des références qui jaillissent ici et là et se rapportent autant à son imaginaire qu’à ses réalités (l’école de la Vierge Fidèle, par exemple, mais aussi des vieilles recettes de grand-mère concernant les aphrodisiaques…), Servais nous parle de l’amour, de la pureté et de la sexualité. Si les contes pour enfants sont les premiers éducateurs de l’enfance, il se fait, lui, à l’instar de son héroïne, explorateur à la fois du visible et de l’invisible. Et il nous parle ainsi du bonheur qu’il peut y avoir à vieillir, à se souvenir aussi.

Et puis, il y a dans ce livre une réflexion que je trouve absolument superbe, et totalement humaine. Pour vivre, pour vivre pleinement, et donc aimer, et donc désirer, charnellement aussi, il faut pouvoir ressentir la douleur et l’impatience du tremblement, du frisson, de la peur.

Et ce livre, ainsi, devient celui de tous les frissons, de l’envie au plaisir, et se fait chant d’existence, chant du monde, au rythme des saisons.

 

Le chalet bleu © Dupuis/Aire libre

 

Retrouver Jean-Claude Servais dans son propre univers, après son passage par le polar métaphysique, c’est un immense plaisir ! Et la parenthèse des chemins de Compostelle nous le restitue encore plus poétique, encore plus amoureux de la nature et de l’humain en accord l’un avec l’autre. Son dessin a gagné en souplesse, et son œil, comme son trait, tout en observations plurielles, font de cet album un de ses meilleurs, si pas LE meilleur !

 

Jacques Schraûwen

Le Chalet Bleu (dessin : Jean-Claude Servais – couleurs : Raives – éditeur : Dupuis/Aire Libre)

 

Le chalet bleu © Dupuis/Aire libre

 

Charlotte Impératrice : 1. La Princesse et l’Archiduc

Charlotte Impératrice : 1. La Princesse et l’Archiduc

Un livre qui s’attache aux pas de Charlotte Amélie Auguste Victoire Clémentine Léopoldine de Saxe-Cobourg-Gotha, princesse de Belgique avant de devenir impératrice du Mexique.

Charlotte Impératrice © Dargaud

 

C’est une partie de l’histoire de la Belgique que nous dévoile ce livre, oui.
Qui était cette fameuse Charlotte, fille du premier roi des Belges.
Une gamine, d’abord, presque comme toutes les petites filles de cette époque… Une enfant turbulente qui, pendant les dix premières années de son existence, va se révéler être une petite fille adorant bouger et occupant auprès de son père une place privilégiée, par ses sourires, sa bonne humeur, son entrain. Seulement, à l’âge de dix ans, elle va perdre sa mère et changer, devenir une adolescente peu encline à se livrer. Taiseuse, même. Mais toujours proche, très proche, de son père.
Et le premier intérêt de ce livre réside dans l’approche narrative des auteurs. Deux auteurs, incontestablement, qui se sont trouvé une façon de travailler apte à faire de ce livre, premier d’une série, plus qu’une simple mise en place des différents personnages, mais une véritable entrée en matière, une vraie ouverture vers la grande Histoire. Mais une histoire qui, au-delà de la mise en scène, se caractérise aussi par la volonté des auteurs de nous montrer le monde du dix-neuvième siècle au travers des yeux de cette princesse belge.

Ce qui ne va pas l’empêcher d’être convoitée par quelques prétendants de belle prestance. Mais c’est l’archiduc Ferdinand Maximilien d’Autriche que Charlotte va épouser, à l’âge de 17 ans, en 1857. Et c’est à partir de ce mariage que, lentement, son destin va se construire.

 

Charlotte Impératrice © Dargaud

 

MATTHIEU BONHOMME: SCENARIO

MATTHIEU BONHOMME: TRAVAIL MISE EN SCENE

 

Je soulignais, plus haut, le talent narratif des auteurs, donc de Fabien Nury, le scénariste. Un scénariste qui, tout comme Matthieu Bonhomme, prend quelques libertés avec la vérité historique. Et s’il est vrai que cela ne nuit ni à l’unité du récit ni à la véracité générale de la trame historique, je dois avouer que cela me gêne de voir Charlotte se faire courtiser dans les serres de Laeken qui ne furent construites que bien plus tard, tout comme cela me gêne de la voir tutoyer son père, dans une noblesse qui, à l’époque, évitait absolument ce genre de langage.
C’est là sans doute la liberté du raconteur d’histoires face au spécialiste de l’Histoire !

Charlotte Impératrice © Dargaud

 

MATTHIEU BONHOMME: ANACHRONISMES

 

Cela dit, ne boudons pas notre plaisir. Ce livre est une belle réussite… Un album passionnant, tantôt très fleur bleue, tantôt nous montrant une Charlotte pétrie d’ambition, un album romanesque à souhait mais s’enfouissant en même temps dans les fonds les plus repoussants de l’âme humaine de la classe dominante européenne du dix-neuvième siècle. Mathieu Bonhomme, le dessinateur, a un talent fou. Quant à Fabien Nury, passionné de la grande Histoire, ses récits sont toujours extrêmement bien construits.
Un livre qui ressemble d’abord à un conte de fées, mais un conte de fées qui va, très vite, tourner à la grisaille… L’archiduc se révèle un piètre amant, sans doute, un piètre stratège, certainement, un mari infidèle aussi… Et sans ambition ! Et c’est Charlotte, finalement, qui va le pousser à accepter de jouer le jeu de son frère et de Napoléon III et devant empereur du Mexique, un pays dont le moins qu’on puisse dire est qu’il était ingérable…
Et c’est cette histoire-là que nous raconte ce premier volume d’une série qui devrait compter quatre albums.
Le scénario, tout comme la mise en scène graphique, se révèlent très cinématographiques. Il y a sans aucun doute des références aux films de Visconti, à « Ludwig » essentiellement, avec un portrait peu amène de l’éternelle Sissi ! Comme dans le cinéma italien, cette « Charlotte » passe du rire aux larmes, de la tragédie grecque au vaudeville de boulevard, et le talent des auteurs est de réussir à faire de ce mélange une histoire qu’on aime lire et regarder.Charlotte Impératrice © Dargaud

MATTHIEU BONHOMME: CINEMA ITALIEN

 

Matthieu Bonhomme, de livre en livre, évite tout ennui, tout ronronnement dans son métier. On est loin, ici, de son Lucky Luke, par le découpage comme par le trait. Par contre, il garde dans son dessin, et de manière encire plus approfondie ici, le besoin de faire passer les sensations, les sentiments, même les plus insignifiants, au travers des regards de ses personnages. Je ne vais pas aller jusqu’à dire qu’on se réfère là à Sergio Leone, mais, en tout cas, il y a de la part de Bonhomme la volonté de ne pas créer des effets « spéciaux » trop envahissants et qui, de ce fait, nuiraient à la fluidité du récit.

 


Charlotte Impératrice © Dargaud

MATTHIEU BONHOMME: REGARDS

 

Et puis, soulignons aussi la superbe mise en couleurs de cet album. Isabelle Merlet joue avec les ombres, les lumières, avec le papier même, et sa façon de coloriser l’histoire de Nury et Bonhomme n’est jamais gratuite. On parle d’ambiance, toujours, quand on se retrouve en face d’un livre dont la couleur est une réussite. Mais ici, il y a plus que l’ambiance… La couleur participe pleinement à la mise en scène des décors, des lieux, des atmosphères propres à ces lieux…

 

Charlotte Impératrice © Dargaud

 

MATTHIEU BONHOMME: COULEUR

 

Malgré les petits défauts que j’ai cités, cet album est un excellent livre ! On ne s’ennuie à aucun moment, on prend plaisir à découvrir à la fois la grande Histoire et les petites histoires qui s’y rattachent.
Un livre qui ne pourra que plaire aux Belges soucieux de mieux connaître leur passé, donc leur patrimoine culturel, mais qui ne pourra que plaire également à toutes celles et tous ceux qui aiment qu’une bonne histoire soit romanesque, triviale, poétique, parlant de pouvoir, d’amour, de désir et d’ambition !

 

Jacques Schraûwen
Charlotte Impératrice : 1. La Princesse et l’Archiduc (dessin : Matthieu Bonhomme – scénario : Fabien Nury – couleur :Isabelle Merlet – éditeur : Dargaud)

 

China Li

Maryse et Jean-François Charles, auteurs belges du neuvième art INTERVIEWÉS dans cette chronique, signent, avec ce premier volume d’une série qui n’en comprendra que trois, une de leurs meilleures créations, à tous les niveaux! A ne pas rater!

China-Li © Casterman

 

Il y a déjà bien longtemps que Jean-François Charles et Maryse occupent, dans le monde de la bande dessinée, une place de choix… Il y eut, chez l’éditeur Michel Deligne (un de ces personnages trop oubliés sans lesquels la BD ne serait peut-être pas tout à fait ce qu’elle est aujourd’hui), « Le bal du rat mort » et les premiers volumes des «Pionniers du Nouveau monde ».
Depuis lors, ce couple amoureux de la narration graphique et de l’Histoire, la grande mais vue par le petit bout de la lorgnette, s’est intéressé à l’Inde, au Congo de Léopold II, à l’après Mai 68 aussi.
Et aujourd’hui, les voilà aux commandes d’une série qui se déroule dans la Chine des années Vingt.
Le dessin, de facture classique, est absolument magnifique, et les aquarelles lui donnent à la fois de la profondeur, de la luminosité et de la transparence, de manière à ce que le récit soit véritablement rythmé par cette couleur. Quant au scénario, historiquement fouillé comme toujours, il se révèle être celui d’un dépaysement total, d’un enfouissement au plus profond d’une culture qu’ici, en Europe, on a trop souvent tendance à caricaturer, ou à simplifier. Et c’est tout cela qui fait de ce premier album une complète réussite !

China-Li © Casterman

La réussite de cet album

Entrer dans un monde…

 

 

Il y a, dans la culture chinoise, une ambivalence qui m’a toujours surpris, dans le bon sens du terme. La littérature, par exemple, mêle toujours la trivialité et la richesse poétique, la description de gestes quotidiens les plus naturels et les envolées lyriques inspirées par la Nature-reine. Mo Yan, dont je conseille la lecture à tout le monde, en est un représentant extraordinaire.
Et le couple Charles parvient à cette ambivalence, dans ce  » Shangai « , en passant entre autres de la retranscription, en mots en en images, de la castration d’un Eunuque à l’évocation de la peinture universelle et des regards que l’Art pose sur le monde et ses turpitudes.
L’histoire que nous raconte ce livre pourrait être un mélo d’aventure comme il y en a tant. China Li, est vendue à Zhang Xi Shun, à Shangai. Enfant de la campagne perdue dans cette ville, elle va découvrir avec cet homme, cet  » eunuque  » à qui elle appartient, un univers dont elle n’avait aucune idée. Celui de l’Art européen… Celui du dessin, de la photo, de la culture. China Li dessine, et c’est par le biais de ce langage universel qu’elle va, en quelque sorte, apprivoiser cet homme étrange, puissant, maître du trafic de l’opium à Shangai.
Il y a du romanesque, dans cette série naissante, il y a de l’aventure, il y a des décors somptueux, des pleines pages qui nous immergent dans la vie d’une grande cité chinoise… Entre les mains d’autres scénaristes, le récit se contenterait de choisir la voie du pouvoir, de la violence, de l’érotisme et du  » polar  » glauque.
Avec Maryse et Jean-François Charles, il n’en est rien, fort heureusement… Et tous ces éléments, bien présents, ne sont là qu’en trame de fond. C’est, finalement, de culture et de transmission à l’autre de ce que représente cette culture, l’essence même de ce que sont les racines humaines, qu’il s’agit.

China-Li © Casterman

Romanesque, dessin, art

 

Transmission et culture

 

 

Dans tous leurs livres, ce qui peut caractériser Maryse et Jean-François Charles, c’est le soin qu’ils prennent, toujours, à créer des personnages qui ont de la chair, de la présence, qui s’ancrent aux événements de leur époque mais en vivant leurs propres réalités personnelles, intimes. Avec le choix de l’époque historique des années vingt, en Chine, les auteurs nous parlent, bien évidemment, de Tchang Kaï-Chek, de la présence colonisatrice des Européens. Mais ils le font sans aucun manichéisme, s’attachant beaucoup plus à nous raconter des tranches de vie qu’une tranche d’Histoire !


China-Li © Casterman

 

En ce début d’année scolaire, les étals des libraires spécialisés en bande dessinée débordent de nouveautés, dans lesquelles il est parfois ardu de trouver une perle…
Eh bien, faites-moi confiance : ce  » China Li  » est une de ces perles ! Il y en a d’autres, dont je vous parlerai ici très bientôt… Mais plongez-vous dans  » China Li « , une bd classique, mais profondément adulte, et réalisée avec talent, intelligence, poésie ! Le meilleur des albums du couple Charles, à mon avis!…

Jacques Schraûwen
China Li: 1. Shangai (auteurs: Maryse et Jean-François Charles – éditeur: Casterman)

China-Li © Casterman