Complainte Des Landes Perdues : Sorcières 2 – Inferno

Complainte Des Landes Perdues : Sorcières 2 – Inferno

C’est en 1993 que le premier album de cette saga est paru. Plus de vingt-cinq ans plus tard, nous en sommes au dixième album, et trois cycles d’aventures fantastiques, d’une mythologie sans cesse réinventée, par Jean Dufaux et ses complices dessinateurs (et, ici, dessinatrice).

Inferno © Dargaud

Il y a une forêt, un château, un roi, une reine cruelle, un être diabolique venu d’un improbable ailleurs, un monstre mort prêt à revenir à la vie, un fils naturel, un bâtard, et des sorcières. Il y a de la cruauté, du fantastique, du rêve, de la vengeance, des trahisons et de dangereuses, mais sans doute essentielles, initiatives personnelles de la part d’une des sorcières.

Résumer cette série, résumer chacun des épisodes, osons le dire, cela s’avère totalement impossible. L’univers de Jean Dufaux foisonne de personnages, de rebondissements, de lieux et d’ambiances, et il faut s’y plonger pour en découvrir toutes les richesses.

Jean Dufaux, c’est un scénariste (rare, tout compte fait) qui possède un monde personnel extrêmement riche, en effet, un univers nourri d’une culture particulièrement étendue. Un scénariste qui, dans ce cycle-ci, travaille avec une dessinatrice, Béatrice Tillier, dont le graphisme, d’une vraie  » préciosité  » mais également d’une présence onirique incontestable, sied à merveille aux mots de Dufaux.

On sent, de page en page, une belle complicité entre ces deux artistes, qui se complètent à merveille tout au long d’un récit baigné de magie.


Inferno © Dargaud

Jean Dufaux

Béatrice Tillier: le travail avec J. Dufaux

Béatrice Tillier a un dessin qui se différencie de celui de ses prédécesseurs dans cette série, Rosinski et Delaby. Tout en s’inscrivant dans une continuité de ce qu’étaient leurs constructions narratives. Il en résulte un livre parfaitement original dans sa forme, un livre dans lequel la dessinatrice prouve tout son talent de metteuse en scène. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, pour elle : être la réalisatrice des imaginaires de Dufaux, réussir, au travers de son dessin, à permettre plusieurs approches du récit, plusieurs lectures. Comment, par exemple, ne pas souligner l’omniprésence, dans cet album, de reflets, de brumes aux transparences presque sensuelles ? Comment ne pas souligner également le choix des couleurs, essentiel pour les ambiances, certes, mais aussi pour créer, à la lecture, des séquences qui permettent au lecteur de ne pas se perdre.


Inferno © Dargaud

Béatrice Tillier: La construction

Béatrice Tillier: la couleur

Jean Dufaux préfère, et de loin, l’imaginaire à la réalité. Ses scénarios, pratiquement toujours, contiennent une part importante de fantastique, de merveilleux, avec des inventions mythologiques qui, pour inspirées qu’elles soient de mythologies connues, réussissent malgré tout à s’en démarquer pour créer des récits multiformes.

Cela dit, et c’est aussi tout l’intérêt de ses scénarios, Jean Dufaux n’en demeure pas moins attentif, aussi, à ce qu’est notre société. Sans parler de « messages », ses scénarios ouvrent à des réflexions, toujours. Comme ici, où on parle de différence, de rêve, de volonté de se nourrir de ce qu’on a été pour se construire un avenir… D’amour, aussi, de désir, de passion… De tout ce qui, finalement, fait le quotidien de ses héroïnes et héros et le nôtre en parallèle !


Inferno © Dargaud

Béatrice Tillier: messages

Soyons honnêtes… la saga des Landes perdues, cette longue complainte presque religieuse, presque biblique même dans sa construction globale, n’est pas une série de divertissement pur, elle demande de la part du lecteur une approche réfléchie, une volonté de s’enfouir profondément dans l’univers des auteurs.

Mais soyons honnête aussi, ce dixième volume est d’un accès plus immédiat, plus facile. Grâce au scénario quelque peu plus épuré de Jean Dufaux, grâce aussi au dessin réaliste et magiquement poétique de Béatrice Tillier.

C’est donc un livre à conseiller, un livre qui vous donnera l’envie, j’en suis persuadé, de redécouvrir tous les épisodes précédents !

Jacques Schraûwen

Complaintes des landes perdues : Sorcières 2 – Inferno (dessin : Béatrice Tillier – scénario : Jean Dufaux – éditeur : Dargaud)

Les Chemins Du Fantastique

Les Chemins Du Fantastique

Un livre à (s’)offrir: Les Chemins Du Fantastique de Guillaume Sorel – de charnelles fées aux paysages de l’ailleurs

Guillaume Sorel est auteur de bande dessinée… Mais il est bien plus, et la puissance de ses traits comme de ses couleurs crée dans cet album mille et un chemins qui font du fantastique une magie humaine à toujours redécouvrir…


Les Chemins Du Fantastique © Champaka/Dupuis

Guillaume Sorel fait partie de ces auteurs qui me fascinent, par le choix qu’ils font des sujets de leurs livres, par la puissance évocatrice, aussi, surtout, de leur graphisme.

J’ai déjà ici, d’ailleurs, chroniqué quelques-uns de ses albums: Le Horla, Bluebells Wood, Hôtel Particulier. Des livres qui à chaque fois emmènent le lecteur dans des mondes qui, c’est vrai, naissent au réel de nos quotidiens, mais pour mieux s’en échapper, pour mieux y créer des failles dans lesquels, tels des trous noirs du possible, toute réalité peut se transformer.

Son style graphique s’inspire, c’est certain, de dessinateurs exceptionnels comme Frazetta. Le « fantastique » à la comics, cependant, aime, chez Sorel, se distordre, se démesurer dans le geste comme dans l’idée. A ce titre, Sorel est résolument un artiste européen, et ses livres nous parlent comme nous parlaient, enfants, les contes tout sauf mièvres d’Andersen ou de Grimm!

Dans ce livre d’art, Guillaume Sorel nous livre des illustrations qui explorent tous les chemins du fantastique, des illustrations derrière lesquelles des souvenirs et des mots, souvent, ne demandent qu’à(re)naître… La Belle et la Bête, Wagner et Siegfried, Jules Verne et Peter Pan, Jean Ray, ils sont tous au rendez-vous de ce livre… et Baudelaire, également, pour une danse lascive dont en entend presque les bijoux s’entrechoquant : « La très-chère était nue et, connaissant mon coeur, elle n’avait gardé que ses bijoux sonores… »

Avec Guillaume Sorel, on se replonge aux sources mêmes de l’imaginaire, et si la Femme est omniprésente, ce n’est pas pour être magnifiée mais, bien plus, parce que, toujours différente, toujours changeante, elle est l’image même de la peur primale et de l’ailleurs…


Les Chemins Du Fantastique © Champaka/Dupuis
Guillaume Sorel

Derrière chaque dessin, c’est toute une histoire qui se devine… Derrière chaque histoire, ce sont d’infinies torpeurs qui s’éveillent… Derrière chaque torpeur, c’est le corps qui prend mouvement et recrée sans cesse l’univers et ses apparences…

Ce livre est une vraie merveille… Sorel est de ces artistes qui continuent à donner au neuvième art de bien belles lettres de noblesse!

Jacques Schraûwen

Les Chemins Du Fantastique (auteur: Guillaume Sorel – éditeur: Champaka/Dupuis)


Les Chemins Du Fantastique © Champaka/Dupuis

Mots, rêves et dessins…

Milo Manara

Milo Manara

Un nouvel album et une exposition à Bruxelles, une exposition faisant la part belle à ses illustrations érotiques !

Dans cette chronique, écoutez Milo Manara vous parler de la beauté, de l’érotisme, et du dessin… Une rencontre passionnante !

 

Milo Manara © Milo Manara

 

Milo Manara… Un des grands noms du neuvième art, sans aucun doute… Cet Italien a commencé sa carrière, longue et abondante, en 1968, par des petits récits, marqués par leur érotisme.
Mais, très vite, c’est avec des histoires « sérieuses » qu’il se fait connaître : « Le Singe », plusieurs récits dans « L’Histoire en bandes dessinées », chez Larousse, et, enfin, les aventures de Giuseppe Bergman qui paraissent dans le mythique « A Suivre ».
Reconnu dès lors à la fois par les professionnels et par les lecteurs, Milo Manara va prendre un virage qui restera sa caractéristique première, celle de l’érotisme, un érotisme qui ose tout dire, tout montrer, s’enfouir dans les méandres du désir humain.
Et ce furent des livres comme « Le Déclic », « Le Parfum de l’Invisible », « Nouvelles Coquines »… Ce furent aussi des recueils d’illustrations, « L’Art de la fessée », par exemple.
En une époque où se multipliaient des livres marqués par une certaine pornographie dessinée sans beaucoup de talent, par un érotisme explicite et sans relief, Manara s’est lancé, lui, dans des livres qui, graphiquement, n’ont jamais eu peur de dévoiler le corps et l’âme au travers d’érotismes pluriels, créateurs de rêves, certes, mais également et surtout d’aventures s’écartant résolument des sentiers battus. L’érotisme des uns n’a véritablement pas grand-chose à voir avec celui de Manara…

 

Milo Manara © Milo Manara

 

Milo Manara: l’érotisme

 

Marcuse comme référence philosophique à une œuvre de plaisirs et de désirs sans cesse mêlés, excusez du peu !… Et c’est bien un érotisme transgressif et ludique, récréatif, oui, qui s’expose aujourd’hui à Bruxelles.
Il faut dire que, pour Milo Manara, l’acte gratuit, dans l’amour comme dans le dessin, se doit d’être source de sensations, de sentiments. D’esthétisme aussi… D’un esthétisme qui naît des propres rêveries, et donc fantasmes, de Manara, très certainement, et de sa formation… Une formation classique qui le pousse, de livre en livre, à dessiner en quelque sorte toujours la même femme, ou presque, une femme qu’on retrouve dans les illustrations accrochées aux cimaises de la galerie du Châtelain. Toutes les femmes de Milo Manara sont fines, élancées, avec des jambes qui n’en finissent pas, avec des courbes affriolantes, des sourires charmeurs, des regards très directs, aussi… Qu’on retrouve dans cette exposition, à l’exception d’une femme aux évidentes maturités, toute vêtue, qui donne à l’ensemble des œuvres exposées une certaine distance poétique.
Si Marcuse préside à son sens de l’érotisme, ce sont Platon et le monde classique qui éclairent sa notion de la beauté !

Milo Manara © Milo Manara

Milo Manara: La beauté

 

Cela dit, et pour rester objectif, cet auteur qui a travaillé avec des gens comme le génie Fellini ou l’exceptionnel Hugo Pratt n’a pas fait que des chefs d’œuvre, il faut le reconnaître.
Pendant une certaine période, il a même réduit au minimum les décors de ses récits, comme pour laisser la féminité de ses personnages occuper toute la place, d’une façon pratiquement intemporelle.
Mais, avec les Borgia d’abord, et avec « Le Caravage » aujourd’hui, Manara revient en arrière, avec un talent extraordinaire. Ses décors, encore plus qu’à ses débuts, font partie intégrante de ses intrigues, ils accompagnent et montrent le cheminement des personnages. Et ils prennent vie, de page en page, grâce aussi à un travail sur la couleur dans lequel excelle Manara, de plus en plus, une excellence que je ne peux que vous inviter à découvrir dans son dernier album, mais aussi dans cette exposition qui lui est consacrée !

 

Milo Manara © Milo Manara

Milo Manara: le décors

 

 

Mes souvenirs concernant Milo Manara sont nombreux. Comme bien des lecteurs de ma génération, il a accompagné la re-naissance de la bande dessinée, en osant, simplement, montrer et raconter le désir charnel. Et il l’a fait, toujours, avec un sens aigu de la mise en scène, et un sens littéraire (et cinématographique) du dialogue.
Fidèle à ce qu’il était il y a cinquante ans, Milo Manara continue à être le chantre de l’érotisme. Et à être, dans son album consacré au Caravage, chantre d’un personnage subversif, celui d’une œuvre picturale qui appartient au patrimoine mondial, et, surtout peut-être, chantre de décors et de paysages d’une extraordinaire facture classique.

Jacques Schraûwen
Milo Manara s’expose à Bruxelles – Galerie Huberty & Breyne, Place du Châtelain à Ixelles (Bruxelles), jusqu’au 5 janvier.
Milo Manara – Le Caravage, tome 2, paru chez Glénat.

Milo Manara © Milo Manara