Curiosities

Curiosities

Un  » art-book  » consacré à un illustrateur/dessinateur/peintre extraordinaire !

Benjamin Lacombe, également auteur de bd, à moins de quarante ans, occupe l’espace de l’illustration française avec un talent exceptionnel. Et, dans ce  livre, ce sont tous les aspects de son art, de SES arts, comme de sa vie, qui sont révélés… Un livre à vous procurer, à feuilleter, à re-feuilleter, sans cesse !…

 

C’est un livre d’art, c’est une monographie qui, en quelques chapitres orchestrés par Benjamin Lacombe lui-même, visite toutes les inspirations emblématiques de son œuvre.

Loin d’être une sorte de rétrospective élogieuse du travail de Benjamin Lacombe, ce livre nous permet en effet de suivre son trajet, de suivre ses errances qui le mènent du noir et blanc à la couleur flamboyante, du clair-obscur aux soleils des regards, des apparences diaphanes aux motifs les plus  » incorrects « .

Ponctuées  par les propres mots de l’artiste, mais aussi par des textes qui le racontent, tout en lui rendant un hommage d’amitié, cet album est un voyage… Un voyage dans une existence soucieuse toujours d’évoluer, de découvrir de neufs horizons. Un voyage dans les quelques trente livres auxquels il a participé, de Carmen à Alice, en passant par Les contes macabres…

Tantôt  peintre, tantôt écrivain, tantôt illustrateur, tantôt metteur en scène de ses propres univers, Benjamin Lacombe prouve qu’aujourd’hui l’illustration redevient un art à part entière !

 

Cette monographie se partage en huit chapitres qui se suivent, certes, mais n’arrêtent pas de dialoguer les uns avec les autres.

Tout commence par l’enfance, qui, avec Benjamin Lacombe, est à la fois idéalisée, par le trait, par ses décors et ses jeux, et à  la fois restituée à ses folies par de nombreux détails graphiques qui se révèlent essentiellement narratifs.

Tout continue par la mémoire, sans laquelle aucun art ne pourrait innover…

Il y a ensuite un chapitre consacré, bien évidemment, à ce qui occupe une place prépondérante dans l’œuvre de Lacombe : les contes. Des récits qu’il dessine, qu’il illustre, parce que la fiction, la sienne et celle des autres, est toujours une porte ouverte à des libertés de ton, des liberté graphiques, des libertés de composition.

 

Ces  » chapitres  » qui se suivent dans ce livre n’ont rien de contraignant, que du contraire. Ils sont un récit, celui d’une vie, celui d’un art, celui d’un être humain sans cesse préoccupé de tout ce qui l’entoure, de tout ce qu’il rêve.

La Nature, par exemple, est partout dans l’œuvre de Lacombe. Une nature foisonnante, une nature qui, de par le fait qu’elle n’est jamais semblable à l’idée qu’on s’en fait, rompt avec toutes les routines, celles de l’inspiration comme du dessin. Une nature vivante, toujours à réinventer.

Il y a un chapitre consacré à l’Asie, également, lieu d’imaginaire, de préciosité et de précision.

 

Ce qui est remarquable, chez Benjamin Lacombe, c’est l’implication très humaniste, très profonde qui est la sienne dans chacun de ses dessins, de ses tableaux. Et cette implication dépasse, et de loin, ce qu’on pourrait qualifier de  » gothique  » dans son œuvre. Le gothique, l’ombre, le sombre, tout cela n’est qu’un décor qui lui permet de mettre en évidence les récits qu’il imagine et qui n’ont nul besoin de mots pour nous séduire.

L’Etrange (autre chapitre), ainsi, permet au regard du spectateur, tout simplement, de dépasser, avec naturel, le simple jeu des apparences. Et  quand Benjamin Lacombe s’intéresse à l’Histoire, la grande Histoire, c’est encore pour nous montrer différemment des personnages top souvent stéréotypés. Marie-Antoinette, Frida, Léonard de Vinci, par exemple… Un Léonard de Vinci qui a prouvé chez l’éditeur Soleil, que Benjamin Lacombe est aussi un extraordinaire auteur de bande dessinée !

 

S’il  me fallait trouver un qualificatif pour l’œuvre de Benjamin Lacombe, je pense que je parlerais de  » sur-réalisme « … Il nous montre des réalités qui sont rêvées ou cauchemardées, et il en fait des récits dans lesquels la poésie prend vie. Mais rien n’est lourd ni ardu, dans son œuvre. Benjamin Lacombe peuple ses dessins de références, de clins d’œil, d’hommages, de sourires…

Et c’est ce qui fait aussi tout l’intérêt de cet  » art-book  » !

Jacques Schraûwen

Curiosities (auteur : Benjamin Lacombe – éditeur : Editions Daniel Maghen)

Claudine à l’école

Claudine à l’école

Le premier roman de Colette adapté en bande dessinée. Désuet, mélancolique, et formidablement actuel, également : une réussite sans faiblesse !


Claudine à l’école © Gallimard

Colette n’est probablement plus très lue de nos jours… Pourtant, cette femme de lettres avait un talent qui n’a jamais dépendu des modes et qui s’est toujours révélé dans une profonde liberté. Liberté de ton, liberté de vivre et d’aimer, d’abord, avant tout… Et Lucie Durbiano, en adaptant le premier roman de cette immense romancière gagne son pari : ne rien édulcorer des aveux que faisait, en demi-teinte, Colette dans son roman.

Un roman, rappelons-le, écrit à deux mains, puisque Willy, le mari de Colette, y a énormément participé… Ce « viveur », comme on le disait, possède la grande qualité d’avoir été le révélateur du génie littéraire de Colette, de lui avoir permis, en quelque sorte, de s’échapper de son emprise de mâle dominant pour laisser libre cours à son imagination et à la puissance évocatrice de ses souvenances.

Claudine à l’école © Gallimard

Pour une œuvre classique de la littérature mondiale, il fallait une narration tout aussi classique, et c’est bien le cas ici. Le découpage, un « gaufrier » traditionnel, rend la lecture simple, aisée, linéaire. On suit, de case en case, Claudine, dans sa vie de tous les jours. A l’école, bien entendu, avec des « copines » qui ressemblent à celles que l’on retrouve de nos jours dans les cours de récréation, très certainement. Avec des rêves amoureux, par contre, qui, à l’époque, et aujourd’hui encore, ne sont pas fréquemment avoués. Claudine, adolescente, élevée par un père libéral et rêveur, se révèle très tôt, à elle-même et à ceux qui l’entourent et qui savent regarder et observer, sexuellement attirée par ses semblables. On pourrait donc penser que ce roman, comme cette bd, sont des odes à l’homosexualité féminine, mais il n’en est rien. C’est de recherche de bonheur et de sentiments mêlés de sensations que Colette et Lucie Durbiano nous parlent, et, de ce fait, ce sont des réalités que tout un chacun a vécues, à sa manière.

Claudine à l’école © Gallimard

Le dessin de Durbiano, quant à lui, est extrêmement varié, tant dans le trait que dans la construction des cases et des planches, tant dans le mouvement que dans l’expression, tant dans les décors que dans l’utilisation du « vide » de temps à autre, tant dans l’apparente simplicité que dans le choix des couleurs.

Une lecture au premier degré du livre de Colette ne met en évidence qu’un ensemble de souvenirs joyeux, qu’une espèce de mémoire a posteriori dans laquelle la femme écrivain aurait la tentation de se réinventer. Une lecture plus attentive, plus ludique donc, permet au lecteur de comprendre que ces souvenirs d’adolescence ne sont pas une recréation, mais un véritable cheminement humain.

Et le talent de Lucie Durbiano rejoint celui de Colette : pudique sans doute, ce « Claudine à l’école » choisit la voie du langage et des mots plutôt que de l’apparence pour offrir au lecteur la chance de se sentir complice de l’existence d’une jeune fille devenant femme de désir, de folie, de liberté.

Claudine à l’école © Gallimard

Les adaptations de romans en bd ne sont pas toujours, je l’ai déjà dit, des réussites, loin s’en faut. Mais ici, aucune erreur de goût, aucune erreur de scénario, aucune erreur de langage! La fidélité à l’œuvre originelle est incontestable, mais elle n’empêche pas Lucie Durbiano de créer une œuvre bien à elle, originale et intelligente.

Un livre qui plaira à tous les amoureux de la littérature, la vraie, celle dans laquelle les auteurs ne parlent que de ce qu’ils connaissent, que de ce qu’ils ont vécu… Un livre qui plaira à tous ceux qui aiment le neuvième art et ses éclectiques réussites !

Jacques Schraûwen

Claudine à l’école (auteure : Lucie Durbiano, d’après l’œuvre de Colette – couleurs : Jeanne Balas et Lucie Durbiano – éditeur : Gallimard)

Le Chemin Du Couchant

Le Chemin Du Couchant

Un western classique et lumineux… Avec de tels auteurs, ce genre littéraire prouve qu’il continue à occuper une place de choix dans l’univers du neuvième art !

Nous sommes au Canada, à la fin du dix-neuvième siècle. Britanniques, Indiens et Métis ne vivent pas vraiment en bonne harmonie. Dans un contexte de luttes incessantes et cruelles, un sergent de la police montée reçoit la mission de traquer et d’arrêter Louis Riel, le meneur de la révolte des Métis.

Ce livre, donc, nous montre et nous raconte cette traque, tout simplement.

Il s’agit incontestablement ici de classicisme dans la construction du récit. Cette histoire qui nous est racontée, malgré l’un ou l’autre retour en arrière, reste, narrativement, très linéaire. Les ressorts qu’utilise le récit sont également ceux que l’on connaît depuis toujours, au cinéma, dans les westerns américains traditionnels.

Mais à tout cela, qui pourrait paraître comme désuet, voire inintéressant, Corteggiani a l’intelligence, non de détourner les codes du western, mais d’y ajouter, de ci de là, des touches personnelles, des réflexions qui n’ont rien de convenu, des scènes qui refusent tout manichéisme dans la présentation des différents personnages, des différentes ethnies.

Il y a de l’action, dans son scénario, de l’Histoire, de l’amitié, de la  mort, du respect et de l’horreur. Et ce mélange est parfaitement réussi.

La réussite est au rendez-vous grâce aussi au dessin, somptueux, de Sergio Tisselli ! Là, on s’éloigne vraiment du classicisme du propos.

D’abord, il y a son trait. Un trait tout en finesse, un tait qui aime tantôt s’attarder sur les physionomies changeantes des personnages, tantôt sur des décors qui laissent la place à la  nature et à ses beautés, de jour comme de nuit, tantôt, enfin, à du mouvement, celui de la lutte, de l’action, celui de la mort et de la brutalité, de la torture et de la blessure…

Et puis, il y a sa couleur ! SES couleurs, lumineuses même dans les scènes qui se construisent, graphiquement, en clair-obscur, des couleurs en application directe sur la planche, des couleurs qui remplacent souvent les décors d’une manière presque abstraite, mais d’une abstraction qui, de par son lyrisme, devient extrêmement réaliste, réelle en tout cas.

Il y a donc, à la lecture de cet album, un double plaisir. Celui, d’abord, de se plonger dans une histoire sans vraie surprise mais impeccablement menée et dialoguée. Celui, ensuite, de se plonger dans un récit dessiné qui, lui, n’a rien de convenu, et crée une ambiance qui rend ce livre passionnant, passionnel, passionné!

Les codes du western, finalement, sont aussi ceux de la tragédie, de la tragédie grecque, avec un chœur, avec une unité d’action et de lieu. Ce sont des thèmes essentiellement humains, et cet album-ci nous prouve que le western dessiné, le western de qualité, a encore de beaux jours devant lui !… De Boucq à Hermann, de Serpieri à Tisselli, les aventures humaines vécue dans une Amérique en création auront toujours d’incomparables attraits!…

Ce  » Chemin du couchant « , aux personnages bien typés, aux lumières fabuleuses, est à ne pas manquer par tous les amateurs de bd classique, de bd superbe à regarder, de bd qui met au centre de l’intrigue des personnages d’os, de chair, et de souffrance! !…

 

Jacques Schraûwen

Le Chemin Du Couchant (dessin : Sergio Tisselli – scénario : François Corteggiani – éditeur : Mosquito)