Le chien de Dieu

Le chien de Dieu

 

Loin des clichés, des jugements qui ressemblent trop souvent à de simples préjugés, voici un des meilleurs livres de ces derniers mois. Un portrait de fin de vie d’un écrivain sulfureux, Louis-Ferdinand Céline… Un livre dont les auteurs parlent avec passion dans cette chronique !

Louis-Ferdinand Céline, dont on va bientôt, paraît-il, rééditer les textes les plus sulfureux, ses pamphlets antisémites, est un des écrivains essentiels du vingtième siècle, personne, même parmi ceux qui le haïssent, ne peut le nier !

Ce livre n’a rien d’une biographie traditionnelle ou attendue. C’est plus un ivre de mémoire subjective que de souvenances précises. C’est également un livre qui laisse la part belle à l’imaginaire, mais à un imaginaire qui aurait pu, sans aucun doute possible, être celui d’un Céline en fin d’existence, un imaginaire qui s’ouvre sur une des réalités de cet écrivain hors norme : une forme d’anarchie très axée sur la  » droite « … Mais une anarchie, quand même…

C’est la deuxième fois que Futuropolis s’ouvre à l’œuvre et à la vie de Céline. Et, comme avec Malavoy, mais dans un tout autre genre, c’est une réussite totale! Une réussite qui jaillit de la rencontre entre un dessinateur et un scénariste soucieux, tous deux, d’aller au-delà des apparences et du politiquement correct, soucieux, tous deux, d’une liberté essentielle à toute création… Et c’est ainsi que les mots de Jean Dufaux, mêlés à ceux de Louis-Ferdinand Céline, se complètent par le réalisme poétique du dessin de Jacques Terpant.

Jacques Terpant: la rencontre avec Jean Dufaux

Nous sommes à la fin des années 50, au tout début des années 60. Louis-Ferdinand Céline, toujours en bute à la société française, toujours en lutte contre ce monde qui a voulu et failli avoir sa peau, coule, à Meudon des jours qui n’ont pas grand-chose de paisible. La paix ne fait partie ni de son vocabulaire d’ancien troufion des tranchées de 14-18, ni de ses aspirations, encore moins de ses espérances. Le regard qu’il porte sur l’être humain, bien plus que sur l’humanité finalement, est un regard que l’on a dit haineux mais qui est surtout désespéré, et désespérant.

Dans ces mois qui précédent sa mort, Jean Dufaux l’imagine recherchant dans ses souvenirs des raisons de sourire et de survivre, des mémoires éparses du désir et de l’amour qui, malgré un parcours de vie pour le moins chahuté, ont permis à l’écrivain d’être un immense créateur. Mais il y a aussi les souvenances infiniment moins capables d’aviver pour lui un présent en déliquescence: la fuite en fin de guerre dans les ruines d’une Allemagne vaincue, par exemple!

Et puis, il y a les cauchemars… Céline a des angoisses, des colères aussi, encore et toujours. Et Dufaux l’imagine rencontrant et aidant, à sa manière bourrue, un jeune couple anarchiste annonciateur de ce que seront, quelques années plus tard, les Brigades Rouges et leurs organisations sœurs…

A force de retours dans le passé, de détours dans un présent qui ne tient pas les promesses faites par une après-guerre trop optimiste, c’est un portrait éclaté, mais d’une fidélité exemplaire, de Louis-Ferdinand Céline qui nous est offert. Un portrait qui le montre avec ses rages, ses tristesses, son antisémitisme inacceptable, son sens de l’humanisme et son amour des animaux et de la danse…

Jacques Terpant: l’antisémitisme de Céline
Jacques Terpant: Céline, les animaux, les humains…

Tout le monde connaît le talent, éclectique, toujours littéraire, de Jean Dufaux. Tout le monde connaît aussi le talent de conteur historique, et le goût de la couleur de Jacques Terpant.

Ici, en se (et nous) plongeant dans une histoire récente, en se glissant dans l’univers sombre de Louis-Ferdinand Céline, un univers au bord de l’ultime gouffre, il a fait le choix d’un dessin essentiellement en noir et blanc, traité en lavis, comme l’étaient, dans les années 60, les couvertures de magazines comme  » Détective « . Le texte de Dufaux évite le plus possible les points de suspension, cette ponctuation qui permet à la phrase de ne pas mourir, de continuer à vibrer, dans le silence du regard qui s’y pose.

Mais ces trois petits points sont là, et bien là, grâce au dessin de Jacques Terpant. Il continue le texte, il ne fait pas que l’illustrer, loin s’en faut. Là où Céline ne parle pratiquement jamais dans ses livres des décors, de l’environnement dans lesquels vivent et meurent ses personnages, Terpant les dessine, avec un réalisme presque photographique parfois. C’est dans le cinéma des années 50 qu’on se trouve, un cinéma fait de contrastes, d’ambiances, d’émotions. C’est, totalement, le dessin qu’il fallait pour nous montrer un Céline toujours rageur mais déjà prêt à la mort !

Jacques Terpant: l’influence du cinéma sur son dessin
Jacques Terpant: les décors

 

On peut se poser la question de savoir comment définir un bon livre. Quand il s’agit de bande dessinée, je pense que l’équation est simple : il faut une adéquation, la plus parfaite possible, entre le texte et le dessin, une osmose plus ou moins assumée et complète entre le scénariste et le dessinateur.

C’est le cas ici…

Mais ce l’est encore plus, peut-être, de par la personnalité de Jean Dufaux, un de ces scénaristes qui, de Jessica Blandy à Double Masque, de Giacomo C à Murena, de Sang de Lune à Santiag, en passant par Vincent de Paul, a toujours aimé varier les plaisirs, refusant de s’ennuyer et, ce faisant, refusant de lasser ses lecteurs.

Au fil du temps, Jean Dufaux approfondit ses scénarios, il les élague de plus en plus de tous les aspects  » spectaculaires  » qui pourraient détourner l’attention de l’essentiel des sujets qu’il traite. Des sujets qui, en bout de course, ont tous un point commun : la liberté ! Celle de rêver, de faire rêver, celle d’écrire, celle de partager ses passions et ses bonheurs, ses questions et ses chemins de mots.

Vieillir, pour Jean Dufaux, c’est, de plus en plus, remettre l’humain au centre de ses récits, et de nous le montrer tel que l’émotion et le sentiment peuvent, seuls, le créer et le rendre véritablement vivant !

Jean Dufaux: une belle carrière
Jean Dufaux: vieillir

Le monde de la bande dessinée brille, ces derniers temps, par une qualité qui évite -enfin- les imitations d’imitations d’albums ayant eu un petit succès de vente.

Mais, croyez-moi, des livres de la qualité et de l’intelligence de ce  » Chien de Dieu « , il n’y en a pas beaucoup ! Et le rater, pour un amoureux du neuvième art couplé à un amoureux de la littérature, ce serait, croyez-moi toujours, impardonnable !…

 

 

Jacques Schraûwen

Le chien de Dieu (dessin : Jacques Terpant – scénario : Jean Dufaux – éditeur : Futuropolis)

Chroniques De La Nationale 7

Chroniques De La Nationale 7

Thierry Dubois, l’auteur complet de cet album, est passionné de voitures d’une part, de la Nationale 7 d’autre part, cette route qui menait de Paris aux faubourgs de Marseille et dont Charles Trenet était amoureux, lui aussi…

 

Chroniques de la Nationale 7©Paquet

 

Oui, c’est bien d’amour qu’il s’agit, pour Trenet comme pour Dubois… Un amour irraisonné, déraisonnable, inexplicable.

Quoique….

Il y a dans l’histoire de cette route mythique quelque chose qui, incontestablement, appartient au patrimoine culturel, au sens le plus large du terme, celui qui fait de la culture également une composante populaire essentielle !

Cette route fut, pendant des années, un symbole de l’évasion, un symbole du besoin de découvrir des nouveaux horizons, un symbole de l’évolution de la société aussi : l’évolution de l’automobile, bien sûr, celle des mentalités, celle des lois, avec la création des congés payés, par exemple, une évolution qui vit se mourir des métiers comme celui de maréchal-ferrant, remplacé par celui de garagiste.

L’histoire de cette route se mêle également à la grande Histoire de la France, celle des infrastructures de plus en plus imposantes, celle d’une technologie sans cesse à la poursuite du progrès et du record, celle des guerres qui n’ont jamais totalement empêché cette route d’être véritablement un chemin de liaison entre deux lieux, entre deux mondes, le Nord et le Sud. Le travail, et les vacances…

 

        Chroniques de la Nationale 7©Paquet

 

C’est  à tout cela que Thierry Dubois s’attache dans cet album au style graphique très franco-belge, entre la ligne claire et ce qu’on a  appelé l’école de Charleroi. Des traits précis, une couleur en aplats, une stylisation des personnages, parfois, mais une vraie fidélité aux décors, aux lieux, et, bien évidemment, aux voitures !

Le titre de cet album est d’une clarté totale, également, puisque ce sont bien sept chroniques qui émaillent ce livre qu’on pourrait presque qualifier de « livre d’histoire », à la manière des écoliers d’antan !

Chaque chronique est un petit récit qui nous enfouit dans ce qui fut une des réalités de cette fameuse nationale 7. Il y a le récit du premier voyage entre Paris et Lyon. Il y a les moyens qu’utilisaient les  chauffeurs routiers pour tenir le coup en conduisant quelque 800 kilomètres d’affilée. Il y a la création des premiers garages modernes, les embouteillages dans les 150 villes traversées par cette route nationale, les nougats de Montélimar vendus à même ces embouteillages, et, bien sûr, l’aventure que représentait à la fin des années 50 un départ en vacances en voiture !

 

 

           Chroniques de la Nationale 7©Paquet

 

On pourrait penser que cet album est ce qu’on pourrait appeler une « bd de niche », pour utiliser un langage très branché…

Et il est vrai que tout au long des 48 pages qui composent ce livre, la nostalgie est omniprésente, nostalgie de lieux, nostalgie d’une existence qui, bien plus qu’aujourd’hui, prenait le temps, par obligation sans doute, mais par plaisir aussi peut-être.

Il y a aussi la nostalgie des belles voitures d’avant-hier, à une époque où  les constructeurs cherchaient, dans la forme, à être reconnaissables, à créer un objet utilitaire mais aussi esthétique, ce qui, avouons-le, n’est plus de mise aujourd’hui où toutes les bagnoles se ressemblent.

Mais au-delà de ces nostalgies, il y a un vrai travail d’érudit, et chaque chronique, ainsi, est précédée d’un texte explicatif clair, précis, et sans emphase.

Et il y a, au rythme du dessin et des dialogues, des moments d’humour, des instants qui s’avèrent même pratiquement sociologiques dans la description des réactions humaines face aux vicissitudes de la vie.

Ces chroniques, donc, plairont à tous les amoureux de vieilles voitures, mais aussi, et surtout qui sait, à celles et ceux qui savent que la culture ne peut exister sans mémoire, et que toute civilisation se doit, pour persister, de se souvenir de ce qui l’a construite !

 

Jacques Schraûwen

Chroniques De La Nationale 7 (auteur : Thierry Dubois – éditeur : Paquet)

Les Cochons Dingues

Les Cochons Dingues

Un livre à glisser sous le sapin pour tous les enfants plus ou moins sages !…

Face à ce titre, ne nous trompons pas ! Même si cela fait penser aux « Lapins Crétins », c’est une tout autre démarche que celle de ce livre qui conjugue un aspect ludique, amusant, souriant, et un aspect didactique particulièrement bien fait… Les enfants, et leurs parents, se régaleront à sa lecture, croyez-moi…

 

          Les cochons dingues©Delcourt

 

Cochons d’Inde ou cobayes : ces animaux, tout comme leurs petits cousins les hamsters, font partie du monde de l’enfance. Combien sommes-nous à avoir joué avec ces animaux domestiques, lors de nos années enfuies ?…

Ici, dans cet album qui leur est destiné, ce n’est pas en cage que vivent ces animaux familiers… C’est, dans une maison humaine, à un véritable parc à leur taille qu’ils ont droit !

Dans cet environnement tranquille, sans remous, chacun vit sa petite vie sans se poser de question… Jusqu’au jour où arrive César, capturé sans doute en pleine campagne, et que la captivité, d’emblée, hérisse. Non seulement il ne rêve que d’évasion, mais, en outre, il n’arrête pas de poser et de se poser des questions auxquelles personne ne peut répondre !

 

          Les cochons dingues©Delcourt

 

Le dessin est volontairement simple, puisqu’il s’adresse, d’évidence, à un jeune public. Simple, sans jamais cependant être simpliste, loin s’en faut ! Les humains sont en quelque sorte réduits à une simple apparence souriante, jusque dans leurs gestes les plus quotidiens : en s’affalant dans un canapé devant la télévision, en jouant à dieu sait quel jeu vidéo…

Par contre, les animaux, eux, n’ont rien d’une simple apparence ! La dessinatrice Miss Prickly nous fait le portrait, dans ce livre, de différentes races de cobayes. Il y a celui dort tout le temps, il y a l’hirsute, le renfrogné, l’amusé, le chevelu… Il y a aussi des couleurs différentes pour chaque animal, et leurs attitudes, et leurs mimiques. C’est vraiment une bd animalière pour jeune public, mais une bd animalière qui ne pourra que faire sourire également les parents !

          Les cochons dingues©Delcourt

 

Ce qui fait la réussite d’une bd pour jeune public, c’est, au-delà du dessin qui se doit, évidemment, d’être parfaitement lisible, c’est la présence d’un scénario qui, lui aussi, ne peut qu’être accessible sans difficulté. Mais il est important également que le « discours » ne soit pas infantile, qu’il s’ouvre à des réalités autres qu’au seul amusement éphémère.

Et, à ce titre, Laurent Dufreney atteint son but, c’est évident. Elle utilise, en quelque sorte, les trucs et ficelles des fables chères à Esope ou La Fontaine pour faire de ses petits animaux les symboles vivants de ce que sont les sentiments humains, les réactions humaines, les bêtises humaines.

En outre, l’album proprement dit de bande dessinée se complète d’un dossier consacré à l’univers des cobayes. Qui sont-ils, comment se nourrissent-ils, comment faut-il les traiter pour qu’ils se sentent bien… Autant de questions que tous les enfants pourront, désormais se poser en y trouvant des réponses souriantes, illustrées avec un humour tranquille par Dufreney. Et il y a même une page d’autocollants pour illustrer cahiers, livres ou murs de la chambre à coucher !…

Un livre vraiment tous publics, attendrissant, souriant…

 

Jacques Schraûwen

Les Cochons Dingues (scénario  : Laurent Dufreney – dessin : Miss Prickly – couleur : Magali Paillat – éditeur : Delcourt)