Crimes Gourmands : une série policière et gastronomique !

Crimes Gourmands : une série policière et gastronomique !

Une journaliste, blonde, sans complexe, spécialisée dans les articles consacrés à la nourriture… Un photographe qui l’accompagne dans toutes ses pérégrinations… Et des crimes qui parsèment leur chemin et qu’ils vont résoudre en passant de restaurant en restaurant ! Une adaptation réussie de romans intelligents…

Bien sûr, cette série surfe sur une mode qui semble persister, celle de la bonne chère. Les émissions télé consacrées plus ou moins à la cuisine se sont multipliées et ne semblent pas vouloir ralentir leurs envahissements de petits écrans.

En bande dessinée, également, plusieurs séries ont vu le jour, essentiellement consacrées au vin, et, pour la plupart, intéressantes et didactiques.

A tout cela, on peut épingler des livres assez différents et, ma foi, autant passionnants que passionnés, des livres que j’ai par ailleurs chroniqués ici : « Le goût d’Emma » et  » Comme un chef « .

Avec ces crimes gourmands, dont deux albums sont déjà sortis, on se retrouve dans une démarche traditionnelle, tant au niveau du scénario que du dessin. Ce sont des enquêtes policières, menées par une journaliste, et qui se vivent et se résolvent dans des milieux bien précis. Le premier opus,  » Petits meurtres à l’étouffée « , nous entraîne à Lyon, de bouchon en bouchon, pour un scénario assez attendu, certes, mais bien mené. Un scénario qui fait la part belle à une manière de concevoir la cuisine qui fait partie, profondément, du patrimoine de la France.

Le deuxième volume, lui, s’enfonce dans l’univers des chefs étoilés de Paris, et nous dévoile quelque peu l’envers du décor, un décor dont les paillettes cachent d’abord et avant tout des rivalités, artistiques parfois, tant il est vrai que la gastronomie, à partir d’un certain niveau, c’est de l’art, mais des rivalités aussi et surtout d’orgueil, d’argent, de renommée !

Un chef étoilé meurt. On le retrouve, un couteau (de cuisine, bien entendu) planté dans le corps, mais caché aux regards par une toque de  » chef « .

Laure Grenadier, rédactrice en chef d’un mensuel consacré exclusivement aux plaisirs de la table, va vouloir comprendre ce crime, en découvrir les raisons, malgré et à cause de l’amitié qui la liait à ce grand chef assassiné.

Il y a peu de péripéties dans ce deuxième album, moins que dans le précédent. Mais c’est aussi ce qui en fait la qualité, puisque la trame narrative nous décrit, d’une façon à la fois didactique et quelque peu iconoclaste, les dessous d’un monde qu’on voudrait trop souvent, de guide reconnu en autre guide tout aussi reconnu, nous montrer comme idyllique.

La qualité de cette série réside aussi dans l’intérêt porté par les auteurs à la vie quotidienne. Celle d’une journaliste et de son photographe, au fil de leurs enquêtes, mais aussi celle d’une femme que l’adolescence de sa fille perturbe profondément.

Nous ne sommes pas ici en face d’un nouveau chef d’œuvre du neuvième art. Mais en présence, simplement, d’une série bien construite, bien élaborée, une série dont les personnages parviennent, très vite, à être attachants, se livrant petit à petit, à touches éparses dévoilant leurs vies en dehors des bonds et rebondissements de l’histoire racontée.

Le dessin, réaliste, n’a rien de passe-partout, et permet, sans aucun doute, à l’intrigue de prendre vie, de prendre mouvement. Le découpage est classique mais offre l’opportunité, dans certaines pages, en multipliant les vignettes  » quotidiennes « , de faire quelques raccourcis narratifs particulièrement réussis. Et soulignons le travail des décors d’un dessinateur qui se fait presque, parfois, illustrateur paysagiste !

Quant à la couleur, sans ostentation, elle ouvre des perspectives dans le dessin, elle se fait tantôt extrêmement présente, dans les scènes d’intérieur par exemple, tantôt faite essentiellement de lumière, dans les scènes de paysages urbains, entre autres.

 

 

Une série de bd de bonne qualité, donc, sans grands étonnements, sans éblouissements, mais qui se savoure… comme peuvent se savourer des huitres au champagne sur lit d’épinards à peine revenus au beurre…

Donc, de la bonne bande dessinée, traditionnelle mais parfaitement aboutie !

Jacques Schraûwen

Crimes gourmands :  » Un cadavre en toque  » et  » Petits meurtres à l’étouffée  » (dessin : Chetville – scénario : Raven, d’après les romans de Noël Balen et Vanessa Barrot – couleurs : Antoine Quaresma – éditeur : Delcourt)

Curiosities

Curiosities

Un  » art-book  » consacré à un illustrateur/dessinateur/peintre extraordinaire !

Benjamin Lacombe, également auteur de bd, à moins de quarante ans, occupe l’espace de l’illustration française avec un talent exceptionnel. Et, dans ce  livre, ce sont tous les aspects de son art, de SES arts, comme de sa vie, qui sont révélés… Un livre à vous procurer, à feuilleter, à re-feuilleter, sans cesse !…

 

C’est un livre d’art, c’est une monographie qui, en quelques chapitres orchestrés par Benjamin Lacombe lui-même, visite toutes les inspirations emblématiques de son œuvre.

Loin d’être une sorte de rétrospective élogieuse du travail de Benjamin Lacombe, ce livre nous permet en effet de suivre son trajet, de suivre ses errances qui le mènent du noir et blanc à la couleur flamboyante, du clair-obscur aux soleils des regards, des apparences diaphanes aux motifs les plus  » incorrects « .

Ponctuées  par les propres mots de l’artiste, mais aussi par des textes qui le racontent, tout en lui rendant un hommage d’amitié, cet album est un voyage… Un voyage dans une existence soucieuse toujours d’évoluer, de découvrir de neufs horizons. Un voyage dans les quelques trente livres auxquels il a participé, de Carmen à Alice, en passant par Les contes macabres…

Tantôt  peintre, tantôt écrivain, tantôt illustrateur, tantôt metteur en scène de ses propres univers, Benjamin Lacombe prouve qu’aujourd’hui l’illustration redevient un art à part entière !

 

Cette monographie se partage en huit chapitres qui se suivent, certes, mais n’arrêtent pas de dialoguer les uns avec les autres.

Tout commence par l’enfance, qui, avec Benjamin Lacombe, est à la fois idéalisée, par le trait, par ses décors et ses jeux, et à  la fois restituée à ses folies par de nombreux détails graphiques qui se révèlent essentiellement narratifs.

Tout continue par la mémoire, sans laquelle aucun art ne pourrait innover…

Il y a ensuite un chapitre consacré, bien évidemment, à ce qui occupe une place prépondérante dans l’œuvre de Lacombe : les contes. Des récits qu’il dessine, qu’il illustre, parce que la fiction, la sienne et celle des autres, est toujours une porte ouverte à des libertés de ton, des liberté graphiques, des libertés de composition.

 

Ces  » chapitres  » qui se suivent dans ce livre n’ont rien de contraignant, que du contraire. Ils sont un récit, celui d’une vie, celui d’un art, celui d’un être humain sans cesse préoccupé de tout ce qui l’entoure, de tout ce qu’il rêve.

La Nature, par exemple, est partout dans l’œuvre de Lacombe. Une nature foisonnante, une nature qui, de par le fait qu’elle n’est jamais semblable à l’idée qu’on s’en fait, rompt avec toutes les routines, celles de l’inspiration comme du dessin. Une nature vivante, toujours à réinventer.

Il y a un chapitre consacré à l’Asie, également, lieu d’imaginaire, de préciosité et de précision.

 

Ce qui est remarquable, chez Benjamin Lacombe, c’est l’implication très humaniste, très profonde qui est la sienne dans chacun de ses dessins, de ses tableaux. Et cette implication dépasse, et de loin, ce qu’on pourrait qualifier de  » gothique  » dans son œuvre. Le gothique, l’ombre, le sombre, tout cela n’est qu’un décor qui lui permet de mettre en évidence les récits qu’il imagine et qui n’ont nul besoin de mots pour nous séduire.

L’Etrange (autre chapitre), ainsi, permet au regard du spectateur, tout simplement, de dépasser, avec naturel, le simple jeu des apparences. Et  quand Benjamin Lacombe s’intéresse à l’Histoire, la grande Histoire, c’est encore pour nous montrer différemment des personnages top souvent stéréotypés. Marie-Antoinette, Frida, Léonard de Vinci, par exemple… Un Léonard de Vinci qui a prouvé chez l’éditeur Soleil, que Benjamin Lacombe est aussi un extraordinaire auteur de bande dessinée !

 

S’il  me fallait trouver un qualificatif pour l’œuvre de Benjamin Lacombe, je pense que je parlerais de  » sur-réalisme « … Il nous montre des réalités qui sont rêvées ou cauchemardées, et il en fait des récits dans lesquels la poésie prend vie. Mais rien n’est lourd ni ardu, dans son œuvre. Benjamin Lacombe peuple ses dessins de références, de clins d’œil, d’hommages, de sourires…

Et c’est ce qui fait aussi tout l’intérêt de cet  » art-book  » !

Jacques Schraûwen

Curiosities (auteur : Benjamin Lacombe – éditeur : Editions Daniel Maghen)

Claudine à l’école

Claudine à l’école

Le premier roman de Colette adapté en bande dessinée. Désuet, mélancolique, et formidablement actuel, également : une réussite sans faiblesse !


Claudine à l’école © Gallimard

Colette n’est probablement plus très lue de nos jours… Pourtant, cette femme de lettres avait un talent qui n’a jamais dépendu des modes et qui s’est toujours révélé dans une profonde liberté. Liberté de ton, liberté de vivre et d’aimer, d’abord, avant tout… Et Lucie Durbiano, en adaptant le premier roman de cette immense romancière gagne son pari : ne rien édulcorer des aveux que faisait, en demi-teinte, Colette dans son roman.

Un roman, rappelons-le, écrit à deux mains, puisque Willy, le mari de Colette, y a énormément participé… Ce « viveur », comme on le disait, possède la grande qualité d’avoir été le révélateur du génie littéraire de Colette, de lui avoir permis, en quelque sorte, de s’échapper de son emprise de mâle dominant pour laisser libre cours à son imagination et à la puissance évocatrice de ses souvenances.

Claudine à l’école © Gallimard

Pour une œuvre classique de la littérature mondiale, il fallait une narration tout aussi classique, et c’est bien le cas ici. Le découpage, un « gaufrier » traditionnel, rend la lecture simple, aisée, linéaire. On suit, de case en case, Claudine, dans sa vie de tous les jours. A l’école, bien entendu, avec des « copines » qui ressemblent à celles que l’on retrouve de nos jours dans les cours de récréation, très certainement. Avec des rêves amoureux, par contre, qui, à l’époque, et aujourd’hui encore, ne sont pas fréquemment avoués. Claudine, adolescente, élevée par un père libéral et rêveur, se révèle très tôt, à elle-même et à ceux qui l’entourent et qui savent regarder et observer, sexuellement attirée par ses semblables. On pourrait donc penser que ce roman, comme cette bd, sont des odes à l’homosexualité féminine, mais il n’en est rien. C’est de recherche de bonheur et de sentiments mêlés de sensations que Colette et Lucie Durbiano nous parlent, et, de ce fait, ce sont des réalités que tout un chacun a vécues, à sa manière.

Claudine à l’école © Gallimard

Le dessin de Durbiano, quant à lui, est extrêmement varié, tant dans le trait que dans la construction des cases et des planches, tant dans le mouvement que dans l’expression, tant dans les décors que dans l’utilisation du « vide » de temps à autre, tant dans l’apparente simplicité que dans le choix des couleurs.

Une lecture au premier degré du livre de Colette ne met en évidence qu’un ensemble de souvenirs joyeux, qu’une espèce de mémoire a posteriori dans laquelle la femme écrivain aurait la tentation de se réinventer. Une lecture plus attentive, plus ludique donc, permet au lecteur de comprendre que ces souvenirs d’adolescence ne sont pas une recréation, mais un véritable cheminement humain.

Et le talent de Lucie Durbiano rejoint celui de Colette : pudique sans doute, ce « Claudine à l’école » choisit la voie du langage et des mots plutôt que de l’apparence pour offrir au lecteur la chance de se sentir complice de l’existence d’une jeune fille devenant femme de désir, de folie, de liberté.

Claudine à l’école © Gallimard

Les adaptations de romans en bd ne sont pas toujours, je l’ai déjà dit, des réussites, loin s’en faut. Mais ici, aucune erreur de goût, aucune erreur de scénario, aucune erreur de langage! La fidélité à l’œuvre originelle est incontestable, mais elle n’empêche pas Lucie Durbiano de créer une œuvre bien à elle, originale et intelligente.

Un livre qui plaira à tous les amoureux de la littérature, la vraie, celle dans laquelle les auteurs ne parlent que de ce qu’ils connaissent, que de ce qu’ils ont vécu… Un livre qui plaira à tous ceux qui aiment le neuvième art et ses éclectiques réussites !

Jacques Schraûwen

Claudine à l’école (auteure : Lucie Durbiano, d’après l’œuvre de Colette – couleurs : Jeanne Balas et Lucie Durbiano – éditeur : Gallimard)