Les contes Drolatiques

Les contes Drolatiques

Verve et paillardise, de Balzac à la BD !

Point n’est besoin d’être lexicologue pour comprendre, immédiatement, le sens évident du mot « drolatique ». Pour Balzac, en se lançant dans une telle écriture drôle, amusante, étonnante, il s’agissait de changer d’univers… Un univers que les frères Brizzi se sont approprié avec un talent exceptionnel !

Les Contes Drolatiques © Futuropolis

Honoré De Balzac, mort à 51 ans, a éclairé de sa puissance d’écriture la première moitié du dix-neuvième siècle, certes, mais aussi toute l’histoire du roman français ! Cela dit, loin de sa Comédie Humaine, il fut l’auteur de contes dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils furent lestes, endiablés, iconoclastes, réjouissants et jouissifs !

Balzac était un homme tout en démesure, en démesures plurielles même. Avec sa Comédie humaine, il a voulu dresser un portrait romanesque et documentaire tout à la fois, un portrait éminemment sociologique de son époque.

Les Contes Drolatiques © Futuropolis

Avec ses « Contes drolatiques », aurait-il cherché à se distraire lui-même ? Peut-être… Il a surtout, me semble-t-il, voulu montrer qu’aucun écrivain n’est neuf, et que toute écriture, toute littérature s’inscrit dans une continuité.

Continuité de genre, de style, d’inspiration…

Continuité d’hommage et d’admiration, aussi.

Certes, les contes drolatiques de Balzac font penser à toute cette littérature légère qu’on se partageait sous le manteau, au dix-huitième siècle, et qui brocardait avec sourire les ordres bien établis du sabre et du goupillon !

Mais c’est bien plus l’ombre de Rabelais que celle de Crébillon qu’on trouve dans ces fameux contes ! Rabelais, oui, et sa truculence, et son appétit de la vie, donc du plaisir, qui était aussi une des réalités de Balzac.

Les Contes Drolatiques © Futuropolis

Et donc, voici un album de bande dessinée qui est l’adaptation plus que réussie de quatre de ces contes drolatiques. Aux commandes de ce livre, les frères Brizzi, ces jumeaux surdoués qui, venus de l’animation, de Disney à Astérix, ont, dès leur entrée dans le monde du neuvième art, fait sensation par leur maîtrise, par le choix réfléchi de leurs sujets : un album au texte de Christophe Malavoy, racontant « la cavale du docteur Destouches », et deux adaptations de romans de Boris Vian.

Je parlais de la maîtrise de leurs choix littéraires. Il faut aussi parler de la maîtrise de leur graphisme. Ils se baladent à la frontière du réalisme, mais c’est toujours un réalisme onirique.

Les Contes Drolatiques © Futuropolis

Ils se baladent à la frontière de la caricature, mais c’est toujours une caricature au service total d’un expressionnisme essentiel à leur sens de la narration.

Leur technique est d’une éblouissante virtuosité, et derrière leur noir et blanc se devinent, par la magie de leur mise en scène, les ombres, les lumières et les couleurs. Leur « travail » se révèle ainsi l’art de faire participer le lecteur à leur propre création…

Le dessin de ces deux frères et le texte de Balzac sont en osmose, osmose paillarde et leste, souriante et dramatique, drolatique et amoureuse.

Les Contes Drolatiques © Futuropolis

Là où Balzac (qu’ils mettent en scène à l’entrée de chacun des contes qu’ils adaptent) use de mots légers et sans tabou, les frères Brizzi aiment à dessiner les décors, les expressions, les mouvements, les nudités… Et, surtout, les reliefs, les courbes, les chairs opulentes qui balancent et dansent, les mouvances des corps sous l’effet du désir…

Il est évident que l’art des frères Brizzi est un hommage, aussi, (ou une réminiscence) à des auteurs comme Dubout, voire Rops… Et que, littérairement, ils aiment créer des ambiances à la « Canterbury », à la « Décaméron »… Mais tout cela crée une originalité totalement assurée, maîtrisée, parlante… et joyeuse !

On peut, incontestablement, parler d’une vraie poésie graphique, comme on peut parler de poésie érotique chez des auteurs comme La Fontaine ou Voltaire ou Ronsard.

Leur dessin, tout comme l’agencement de leurs adaptations littéraires, tout cela participe pleinement, avec un plaisir évident, à une sensualité du récit, à une sensualité de la narration, à une sensualité véritablement amorale d’aventures humaines.

Oui, c’est bien d’a-moralité qu’il s’agit, d’historiettes dans lesquelles toute morale est simplement absente, de façon à contrer les règles et les codes d’une société soucieuse essentiellement de faire bonne figure. A ce titre, d’ailleurs, il me semble évident que les contes drolatiques de Balzac pourraient appartenir, eux aussi, à la construction de sa comédie humaine !

Les Contes Drolatiques © Futuropolis

Les quatre contes choisis par les frères Brizzi parlent d’amour… mais pas de chasteté ! Ils mettent tous aussi, chacun à sa manière, la religion au milieu des débats, des ébats même… Ils se font l’écho de ce que vivait Balzac avec les femmes, amoureusement ou haineusement parlant, érotiquement ou pornographiquement parlant aussi…

Les regards, auxquels les frères Brizzi attachent énormément d’attention, sont aussi ceux de Balzac, toujours changeants, toujours furieux des roueries féminines ou religieuses, toujours éblouis par l’inventivité humaine quand il s’agit d’amour, de vengeance, de haine, de mort…

Ces contes nous narrent des fautes… Et insistent sur le fait profondément humaniste que chaque faute est aussi un espoir de pardon !

Balzac et les frères Brizzi : un envoûtant mariage de déraison, merveilleusement graphique, superbement littéraire !

Jacques Schraûwen

Les contes Drolatiques ( auteurs ; les frères Brizzi – d’après Honoré De Balzac – éditeur : Futuropolis – 128 pages – septembre 2021)

Cuisiner à bord avec Corto

Cuisiner à bord avec Corto

Corto Maltese, épicurien et aventurier, pour quelques recettes réelles.

Ce livre est une réédition. Il est le résultat d’une conversation entre son auteur et Hugo Pratt, le créateur de Corto Maltese. Et cet album, avouons-le, met l’eau à la bouche !

Cuisiner à bord avec Corto © Casterman

Les grands auteurs littéraires laissent souvent, dans leurs livres, des traces discrètes de ce que sont leurs goûts, leurs existences plurielles, leurs réalités quotidiennes. Ce n’est pas vraiment le cas avec Hugo Pratt. Mais l’auteur de ce livre, Michel Pierre, a contourné cet obstacle avec intelligence et… plaisir !

Il a simplement imaginé, au travers des âges de Corto et des lieux qu’il a hantés, une sorte de bible gastronomique extrêmement variée.

Cuisiner à bord avec Corto © Casterman

Une bible tantôt terriblement exotique, tantôt ouverte à des plats vite reconnus.

Un recueil, tout simplement, de recettes de cuisine(s), oui, des recettes véritables, parfois aisées, parfois compliquées, mais qui, de bout en bout de cet album, ouvrent des appétits divers et variés.

« Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es », cette formule bien connue est ici complètement appropriée. Parce que le but, malgré tout, de ce livre, c’est de chercher, grâce au plus naturel des quotidiens, qui était Corto Maltese… Ce que furent ses goûts culinaires, ce qu’ils auraient pu être en tout cas, et les ancrer, ainsi, dans les péripéties flibustières de son existence.

Cuisiner à bord avec Corto © Casterman

Je le répète, dans l’œuvre d’Hugo Pratt, les références gastronomiques n’existent que très peu. Mais elles existent ! Elles sont toujours affaire de sensations, de souvenances, de plaisirs, de désirs de plaisir à vivre, de découvertes aussi : les cigares, les vins, les rhums… Et, à ce titre-là, ce livre s’inscrit parfaitement dans l’univers de Corto Maltese.

Ce livre est aussi un véritable ouvrage de cuisine, je le disais, avec des recettes faisables, explicitées pour quatre personnes, et accompagnées, même, de choix de boissons !

Et il y en a pour tous les goûts !

Cuisiner à bord avec Corto © Casterman

Du mouton au citron confit à la queue de taureau à la mode de Cordoue, de la salade de coques au Xérès à la sauce à l’huile de palme, d’un cocktail Singapore Sling à un cocktail Zombie, impossible de ne pas trouver dans cet album un plat qu’on a envie de réaliser, de goûter, de partager…

L’auteur, Michel Pierre, est Breton. Il est donc naturel qu’il fasse la part belle à des plats de poisson… Naturel, aussi, parce que c’est bien des itinéraires d’un marin qu’il s’agit aussi dans ce livre. Parfums de jeunesse, escales en Méditerranée, pacifique, Afrique, et Caraïbes bien évidemment, ce livre est un voyage. Un voyage immobile, mais un voyage goûteux. Un périple dans lequel on se laisse guider, en quelque sorte, par un personnage de papier, Corto Maltese.

Cuisiner à bord avec Corto © Casterman

Et aux côtés des recettes, il faut insister sur la perfection et la variété de l’iconographie. On accompagne Corto de plat en plat certes, mais on le fait sous l’œil rigolard, sans doute, d’Hugo Pratt toujours occupé, de continent en continent, à dessiner, en noir, en blanc, à l’aquarelle, pour offrir au monde ses regards lumineux…

Jacques Schraûwen

Cuisiner à bord avec Corto. Auteur : Michel Pierre – illustrations de Hugo Pratt – éditeur : Casterman – 2007/2021 – 152 pages)

Le Charme du Presbytère

Le Charme du Presbytère

Réalisme et mystère d’après Gaston Leroux

Les romans de Gaston Leroux, écrivain du début du vingtième siècle, appartiennent souvent à un genre bien précis de la littérature policière : les crimes dans des lieux clos. Avec, à la clé, des enquêtes qui aiment à se perdre dans les dédales d’un certain sens du fantastique.

Le Charme du Presbytère © Une idée bizarre

Et cet album, dû aux talents conjugués de Rodolphe au scénario et de Leo au dessin, est une adaptation en noir et blanc d’un des livres les plus connus, les plus fameux de Gaston Leroux : « Le Mystère de la Chambre Jaune ». Une jeune femme se fait agresser dans une chambre fermée de l’intérieur, avec des barreaux solides aux fenêtres, sans aucun passage secret, et nul n’y retrouve l’agresseur ! Pour mener l’enquête, en parallèle de la police, un jeune journaliste, Joseph Rouletabille.

Le Charme du Presbytère © Une idée bizarre

Les romans policiers de cette époque, en France, se caractérisent par le plaisir qu’avaient leurs auteurs, à l’instar un peu de la littérature policière britannique, à multiplier les pistes, à démultiplier même les événements secondaires amenant, chacun, à des révélations, des découvertes qui peuvent aider à la résolution du mystère. Dans un roman, cet exercice de style est comme un jeu entre l’auteur et son lecteur. En BD, comme au cinéma, la chose est infiniment plus ardue, et l’important est de ne jamais baisser d’intensité, de peur de perdre le lecteur en cours de route.

Le Charme du Presbytère © Une idée bizarre

Rodolphe, en scénariste chevronné, a choisi, pour ce faire, la voie du classicisme, et son traitement d’un sujet qui pourrait filer dans tous les sens et qui reste cependant totalement linéaire est parfaitement réussi, je tiens à le dire !

Le dessin de Leo, classique lui aussi, d’un noir et blanc tranquille, nous plonge avec un vrai plaisir dans une époque révolue, grâce à des décors soignés, des vêtements et des objets qui, pour discrets qu’ils soient de page en page, contribuent à créer l’ambiance désuète mais d’une belle mélancolie de cette histoire qui parle d’amour, de violence, de science, de chasse, de bellâtre, et de journalisme.

Le Charme du Presbytère © Une idée bizarre

Les seuls reproches que j’ai, en fait, sont assez minimes… L’une ou l’autre faute d’orthographe (voir ou lieu de voire, par exemple), et de petites erreurs de perspective dans la mise côte à côte des personnages. Mais ces minuscules manquements n’enlèvent rien, croyez-moi, à l’intérêt de ce livre, tout simplement beau !

C’était la force de Leroux de parler de choses qu’il connaissait : il fut journaliste avant d’être écrivain, et tous les personnages de ses romans, de « Rouletabille » à « Chéri-Bibi », du « Fantôme de l’Opéra » à « La Poupée sanglante » s’inspirent, incontestablement, de réalités que le journaliste Leroux a rencontrés peu ou prou dans sa vie. Et cette véracité se retrouve parfaitement dans cet album.

Le Charme du Presbytère © Une idée bizarre

Je me dois d’avouer que je n’ai jamais été fan de Leroux, auquel je préférais la folie douce et libertaire de Leblanc et de son Arsène Lupin. Mais je me dois de reconnaître que cet album (à suivre !…), outre sa qualité intrinsèque et évidente, donne l’envie de se plonger dans les romans de Gaston Leroux !

Cette bande dessinée n’est pas neuve, mais inédite, pour différentes raisons explicitées en fin de volume.

Et grâce soit rendue à l’éditeur « Une Idée Bizarre » d’avoir enfin édité cette histoire, et de l’avoir fait d’une manière superbe : un grand format, des planches en noir et blanc, une reliure qui fait penser aux vieux albums du Lombard des années 50… Un vrai plaisir des yeux… et des doigts…

Le Charme du Presbytère © Une idée bizarre

Il ne s’agit certes pas d’une maison d’édition traditionnelle dont vous pouvez trouver les livres chez votre libraire. C’est un éditeur qui se veut associatif, et qui ne s’intéresse qu’à des livres inédits ou à des suites de séries interrompues pour différentes raisons. Un éditeur qui les édite avec un vrai respect de l’œuvre au niveau de la présentation (26 cm x 36 cm – dos toilé – noir et blanc du dessin), et, ma foi, à des prix qui ne sont pas prohibitifs. Des livres en vente exclusivement sur le site internet de cet éditeur. Un site que je vous engage à aller visiter, et qui met en évidence quelques albums qui méritent vraiment le détour, avec des noms comme Jean Dufaux, Luc Cornillon, Armand, Caza… (https://uneideebizarre.wixsite.com/accueil/albums)

Jacques Schraûwen

Le Charme du Presbytère (dessin : Leo – scénario : Rodolphe, d’après Gaston Leroux – éditeur : Une idée bizarre – 56 pages)

https://uneideebizarre.wixsite.com/accueil/albums