Belge d’origine coréenne, Jung est un auteur dont les œuvres s’enfouissent au plus profond de ses quotidiens, de ses amitiés, de ses amours, de sa réalité « d’adopté »…

Et c’est bien le cas avec ce livre, « Destins Coréens », un album dessiné par Jung, avec la collaboration très proche de sa compagne, Laëtitia Marty. Pour eux deux, l’adoption est partie intégrante de leur vécu, et, ici, elle continue à rythmer profondément leur travail artistique, littéraire, graphique…

Aux débuts de sa carrière, Jung a peaufiné son talent dans des récits très souvent inspirés par l’Asie, par ses fables, ses légendes. Et puis, délaissant ces histoires qu’on pourrait peut-être appeler traditionnelles, il s’est un jour lancé dans une œuvre majeure, en quatre albums, « Couleur de peau : Miel ». Quatre livres qui parlent de ses questionnements, de ses sentiments, de ses angoisses, de ses souffrances, aussi, sans rien cacher du commerce que peut, souvent, devenir l’industrie de l’adoption. Une « série » qui parle aussi des « bien adoptés » et des « mal adoptés »… Ces quatre albums l’ont poussé également à devenir réalisateur, pour un film totalement fidèle à ses dessins, sorti sur les écrans au début des années 2010.

Et cette réalité multiforme de l’adoption est encore le thème de ce livre-ci, autobiographique également… Jung a vu son « couleur de peau » traduit en coréen. Il a été jusque dans son pays d’origine pour dédicacer cet album. Il y a rencontré une jeune femme, enceinte, une étudiante, qui lui a dit qu’après avoir lu son livre, elle avait décidé de garder cet enfant, de ne pas le donner en adoption. De retour chez lui, en Europe, Jung n’a plus eu de nouvelles… Cela le hantait… Et, à l’occasion d’un nouveau voyage au pays du matin frais, il cherche à la retrouver… Voilà la trame, simple, quotidienne, de cet album puissant…

C’est tout cela, oui, que nous raconte ce livre merveilleusement dessiné, avec des touches de couleur jaune moutarde qui illuminent la grisaille du propos… De la grisaille, oui, parce que la Corée du Sud est une société qu’on connaît peu, ici, en Europe, une société qui rejette les mères célibataires, et où la réussite sociale prime sur tout le reste… Et c’est cette Corée-là, sans masque, que Jung nous montre à voir… Avec, pour ces mères célibataires, la honte, avec, pour les enfants adoptés, le syndrome d’abandon, avec les gestes qu’on n’ose pas faire, avec le manque d’amour dont on ne guérit jamais, même si l’amour n’est pas une question de filiation, comme le dit Jung dans ce livre. C’est presque une auto-analyse que cet album… Presque, parce que c’est aussi le récit d’un combat contre un état d’esprit, contre une non-existence de la femme, le combat de cette jeune mère célibataire, Joy, et donc d’un horizon nouveau possible…

C’est un livre humain, intime, émouvant… Un récit « vécu » que les auteurs nous racontent par petits fragments de vie, avec simplicité… Un livre tout en émotion, oui, et en intelligence… Un livre parfaitement réussi, qu’on lit d’une traite…
Jacques et Josiane Schraûwen
Destins Coréens (dessin : Jung – scénario : Laëtitia Marty et Jung – éditeur : Delcourt – février 2025 – 135 pages)