Nous avons toutes et tous, un jour ou l’autre, écumé les disquaires de notre région à la recherche (vaine) d’un disque qui manque à notre collection. Eh bien, avec ce livre, partez à la recherche de ce que vous n’avez jamais trouvé, dans aucun bac, surs aucun site musical !
C’est que nous sommes dans le domaine de l’improbable disquaire Jean-Michel. Avec un éclectisme total, lui qui apprécie tous les styles musicaux, il vous accueille chez lui, de page en page, avec un catalogue exceptionnel, il faut le dire haut et fort !
Exceptionnel à plus d’un titre (humour), et qui, de ce fait, se révèle de plus en plus un rival incontournable de tous les sites de vente par correspondance, des plus vénaux aux plus vintage !
C’est que ce disquaire, grand maître de l’improbable, a déniché pour lui, pour vous, des « plaques » introuvables… Introuvables, oui, parce sans doute cachées au plus profond des greniers de quelques artistes honteux de leurs musicales déchéances !
Emmanuel Reuzé et Jorge Berstein se font, dans ce livre, les apologues d’un genre qui manque à la chanson sous toutes les latitudes, et que n’auraient désavoué ni Boris Vian, ni Boby Lapointe : le détournement de pochettes, de titres, d’attitudes de ces stars qui souvent encombrent tous les médias radiophoniques !
Acteurs plus que déjantés du magazine Fluide Glacial, nos deux complices s’en donnent à cœur joie. En nous montrant par exemple une couv’ d’une certaine Aretha Franquin, ou en nous révélant une certaine Patricia Krass chantant « Mademoiselle change de blouse ». Oui, ces iconoclastes s’amusent comme des ados boutonneux, et, ma foi, ils nous amusent aussi, et pas qu’un peu !
Contre la morosité ambiante, contre les obéissances, de pensée, de rêve, de vie, qui nous sont imposées, il existe désormais un remède : ce livre, dans lequel chaque disque déniché par nos deux explorateurs de l’impossible s’accompagne d’une notice particulièrement bien fouillée !
Ce livre nous parle, avec pudeur, avec tendresse même, des rapports entre une infirmière de maison de retraite et les résidents. Ce livre nous parle de l’âge, de la vie, de la mort, et de nous !
On pourrait croire à un livre surfant sur l’actualité, tant il est vrai que notre époque sanitairement instable a mis en avant cette profession trop souvent oubliée. Mais il n’en est rien ! Quentin Zuttion nous fait simplement le portrait d’une femme, passionnée par son métier, passionnante donc… Un portrait qui s’accompagne d’autres portraits, tout au long d’un livre discret, pudique, émouvant.
Cette thématique très particulière, celle d’une fin de vie dans un home pour personnes âgées, n’a, à ma connaissance du moins, jamais été traitée en bande dessinée… Pour vouloir aborder un tel sujet, il a fallu un déclencheur, bien évidemment… Un déclencheur qui, très vite, a laissé la place à la construction d’un récit de plus en plus profond et universel.
Quentin Zuttion : la genèse de ce livre
D’aucuns appelleront ce livre « roman graphique »… C’est, d’abord et avant tout, une bande dessinée, une excellente et inattendue bande dessinée ! Une chronique de vie quotidienne qui prend le temps de ne pas uniquement être anecdotique.
Le personnage central, axial ai-je envie de dire, la jeune Estelle, aime son métier. Trop peut-être. Elle se sent en quelque sorte responsable de rendre à ses patients leurs derniers jours vivables. Elle se sait, sans pouvoir vraiment l’exprimer, être complice de rêves et de souvenances, de réalités et de mensonges, de mémoires en destruction et d’éblouissements nostalgiques et mélancoliques.
Parce que ce qu’elle vit, au fil de ses jours de travail, au fil aussi de sa vie privée, de ses amours qui ne lui laissent qu’une sorte d’amertume, ce qu’elle vit, c’est l’opposition constante entre le réel et l’imaginaire. Cette opposition, c’est l’existence, désormais, des vieilles et des vieux dont elle s’occupe en usant de gestes et d’attitudes parfois très limites. Cette opposition est la sienne, aussi, elle est celle des visiteurs, toujours trop rares, de ces résidents pour lesquels Estelle se veut avoir le devoir de leur faire oublier le plus possible leurs solitudes toujours plurielles.
Quentin Zuitton : réalité et mensonge
La construction narrative de cet album est déconcertante, elle aussi, comme pour se faire le reflet des vécus des différents personnages. Ce sont des tranches de vie, éparses, qui se mêlent. Mais ce sont aussi des enfouissements dans les passés imaginaires ou partiellement vécus. Ce sont enfin des moments oniriques, symboliques, métaphoriques.
Cette narration, en fait, se fait la compagne, simplement, des peurs et des angoisses de tout un chacun. Des patients, bien évidemment, de leurs soignants qui savent l’inéluctable de leur accompagnement, des familles, aussi, et de leurs failles. Un des personnages importants dans ce livre, c’est la fille d’une résidente dont les souvenirs ne correspondent aucunement à ce qui fut leur vie commune. Elle se bat, cette femme mûre, pour que reviennent des bribes d’un passé que sa mère efface peu à peu. Elle se bat, parce qu’elle a l’angoisse, peut-être, de ses propres futurs… Parce que, tout simplement, dans une sorte de réaction à fleur de peau, une réaction égocentrique, elle se découvre « oubliable »… Et que sommes-nous, toutes et tous, si nous avons la certitude d’être un jour totalement oubliés ?…
Quentin Zuitton : « oubliable »
Disons-le franchement, ce livre n’est pas un ouvrage de « délassement ». Il n’est pas non plus une introspection facile et tant usée dans le nombrilisme de la grande majorité des « romans graphiques ».
Ce livre est un livre d’émotion et, à ce titre, un livre éminemment poétique. Baudelairien, à certains moments, lorsqu’on voit les personnages choisir la voie du gouffre pour nier au réel ses diktats, lorsque, aussi, le propos de l’auteur mélange la nécessité d’une beauté, d’une espérance et la trivialité d’un quotidien qui n’a rien de glamour…
On parle beaucoup, de nos jours, dans tous les médias, dans tous les tristes cénacles politiques, du besoin absolu que nous avons, collectivement, de « nous réinventer ».
Cette bd, dans laquelle se découvre une superbe mise en abyme, nous dit, calmement, en allant plus loin que les fleurs, les coquelicots, qui sont le symbole de cette maison de retraite, que toute existence ne mérite d’être vécue qu’en s’inventant, d’heure en heure, d’âge en âge, et, ce faisant, en inventant des vérités qui n’aident pas à vivre, mais qui sont le sel même de toute existence.
Pour ce faire, la virtuosité de Quentin Zuitton fait merveille. Son trait, avec un sens très particulier du flou, avec une approche extrêmement sensuelle des corps et, surtout, des regards, est lui-même porteur de toute la poésie de ce livre. Quant à l’utilisation qu’il fait de la couleur, avec parcimonie souvent, avec intensité parfois, elle ajoute encore à la beauté d’un récit qui nous touche toutes et tous.
Quentin Zuitton : le dessin
Sans aucun manichéisme, sans sacrifier aux canons de la mode et de la « bonne pensée », en refusant d’ancrer son récit dans l’actualité qu’on nous impose, loin de toute caricature aussi, en petites touches sensibles sans sensiblerie, Quentin Zuitton se révèle dans ce livre un auteur à part entière, un raconteur de vie, de vies au pluriel, les nôtres et celles de nos proches…
Jacques Schraûwen
La Dame Blanche (auteur : Quentin Zuitton – éditeur : Le Lombard – septembre 2021 – 206 pages)
Je ne comprendrai jamais cette politique éditoriale qui tend à ne donner un temps de vie que restreint aux livres… Je croirai toujours à l’importance de parler, encore et encore, des livres que l’on aime, qu’on a aimés. Et c’est, pour moi, le cas de ce « Déracinée » !
Prenons, voulez-vous, une famille qui vit à la campagne. Une famille nombreuse : un père, une mère, et six enfants. Parmi ces six enfants, deux filles placées en famille d’accueil.
Et la vie coule, lentement, au fil des âges et du temps qui passe.
Billie, la fille aînée de cette famille s’en est allée vivre à Bruxelles, pour y suivre des études qui ne l’enthousiasment plus.
Un coup de téléphone de sa mère va précipiter les choses, pour elle : une de ses sœurs, Soledad, est repartie, sur décision de justice, chez sa mère biologique. Et Billie, dès lors, abandonne la grise capitale qui se pense et se voudrait européenne pour aller rejoindre sa « tribu ». Pour être aux côtés, simplement, de ses parents, de sa fratrie, de toute sa fratrie.
D’emblée, on se plonge ainsi dans le quotidien le plus banal d’une jeune femme, dans les gestes au jour le jour d’une famille, dans les interrogations de la jeunesse quant aux possibles de l’avenir, dans les angoisses et les failles, les éclats de rire et les larmes muettes.
Une famille d’accueil, c’est une famille qui s’occupe d’un enfant retiré à sa famille biologique par la justice. Une justice qui, en Belgique du moins, se soucie peu, finalement, de tout ce qui peut ressembler à un sentiment, pour ne s’intéresser qu’au seul aspect matériel d’une protection de l’enfance.
Ce livre ne nous parle de combat pour récupérer un être aimé, il ne nous parle pas de révolte, il ne nous décrit pas des colères et des désespoirs insoutenables.
Il nous raconte quelques tranches de vie, tout simplement.
L’auteur, Tiffanie Vande Ghinste parle de ce qu’elle connaît.
Ce livre, dans lequel elle se dévoile sans inutile retenue, c’est sa vie… Ou à peu près, comme elle le dit elle-même : « Cette histoire est vraie et n’est pas vraie. J’ai inventé tous les éléments que vous allez suivre, mais je n’ai rien inventé de toutes les émotions que j’ai pu ressentir. »
Et ce livre est, d’abord et avant tout, un livre d’émotion, oui. Tout en étant un portrait de cette famille, cette « autofiction » n’a pas peur de parler et de montrer les vrais problèmes, les vraies difficultés inhérentes à une construction psychologique en famille d’accueil.
L’auteure, ainsi, n’évite pas les difficultés relationnelles qui naissent dans une telle famille, entre les parents, entre frères et sœurs, également… Elle évite encore moins les véritables difficultés plus tristement et bêtement administratives qu’humaines et humanistes d’une justice qui, de papelard en papelard, de subjectivité d’un jugement rapide en manque de temps pour des réflexions en profondeur, se révèle aveugle, encore, toujours.
Très marqué de réflexions psychologiques, de celles que les familles d’accueil bénévoles vivent au quotidien, ce « Déracinée » est cependant un livre extrêmement lumineux. Un livre qui décrit plusieurs existences qui ne peuvent sourire qu’en se mêlant les unes aux autres, même au feu des conflits qui ne peuvent que naître, comme dans tout groupe humain.
C’est un livre lumineux, oui, par son traitement tout en douceur, tout en observations frontales, ai-je envie de dire. Par son graphisme, aussi, ensoleillé même sous la pluie, aux couleurs d’une belle transparence, au dessin simple sans jamais être simpliste.
C’est un livre qui pose des vraies questions quant à la place, dans notre société, pour les enfants, tous les enfants, ceux en difficulté comme les autres. Quant au sens même du verbe « éduquer », aussi.