Ecoutez, dans cette chronique, l’auteur de » Magasin Général » qui nous offre ici une autobiographie qui, certes impudique, se révèle surtout le portrait sans retouches d’une époque de l’existence qui va de l’enfance aux aubes de l’âge adulte.
JeanLouis Tripp se raconte… Il s’enfouit au plus profond de son passé pour nous montrer, au-delà des simples apparences, ce que fut son existence, ce que fut son passage de l’enfance à l’adolescence, de l’adolescence à l’âge adulte. Et son dessin comme ses mots ne s’encombrent pas de » politiquement correct « , de bienséant. C’est que toute histoire humaine, quelle qu’elle soit, est toujours, d’abord, avant tout, faite de chair. On ne se découvre qu’à partir de l’instant où le corps devient acteur à part entière, et plus seulement spectateur, de sentiments, de sensations, vus ou éprouvés.
Se raconter, pour Tripp, ne pouvait donc se faire qu’au rythme d’une mémoire assumant totalement sexualité, découvertes charnelles, désirs quotidiens ou fantasmes à l’amoralité sereine.
Le leitmotiv de ce livre pourrait être : » vivre, c’est assumer qui je suis… « . Et dans la mesure où Tripp s’assume, sans honte, avec lucidité, avec une honnêteté qui se fait frémissements tant au niveau des mots que des dessins, dans la mesure où il nous parle de ce que fut son éducation, de ce que furent, en parallèle de cette éducation, ses épanouissements artistiques, sexuels, amoureux, libertaires, dans cette mesure-là, tout homme ne peut que se reconnaître dans ce livre impudique et pudique en même temps, réaliste et onirique, trivial et poétique… Un livre qui, plus loin que la simple autobiographie, et grâce à une volonté de franchise sans enjolivement, devient en quelque sorte le miroir de nos propres apprentissages, de nos propres découvertes, de la nature même de ce que révèlent à l’esprit les soubresauts du corps…
JeanLouis Tripp: une autobiographie
JeanLouis Tripp: le sexe est naturel…
JeanLouis Tripp: le travail sur soi
Oui, c’est une autobiographie vue et montrée par le petit bout de la lorgnette, le début d’une vie en tout cas, le premier tome… Une autobiographie qui se conjugue autour du titre, totalement révélateur de tout ce que contient ce livre, cet album initial de ce qui va être une épopée sans héros, vécue et dévoilée à taille de quotidien.
» Extases « … Le pluriel de ce mot est important, essentiel, parce que JeanLouis Tripp se refuse à toute complaisance, et que si ce livre revêt une forme incontestablement érotique, il n’est nullement » voyeur « . On peut dire, en détournant un aphorisme bien connu, que » la chair a ses raisons que la raison se doit d’ignorer « . L’extase, à vingt ans, naît pour lui de l’amour, celui qui, à chaque nouvelle envolée du cœur, se croit et se veut unique, éternel, avant que de s’accepter moment d’existence, rien de plus. Les extases sont plurielles, parce que chaque rencontre humaine que vit Tripp porte en elle le germe de ce que le dictionnaire définit comme étant » l’état d’une personne qui se trouve comme transportée hors du monde sensible « . L’extase et les cieux qu’on dit septièmes peuvent se mêler intimement, mais ces deux réalités du bonheur et de la liberté restent toujours indépendantes l’une de l’autre !
JeanLouis Tripp: Extases au pluriel
Il y a dans ce livre mille et un thèmes abordés. Celui du temps qui passe, du vieillissement du corps comme de l’esprit… La nécessité, aussi, d’arrêter de penser pour pouvoir et vouloir « découvrir », dans la vie amoureuse comme dans la vie artistique… Le sentiment du péché, également, qui empêche trop souvent à l’être humain d’oser dépasser les limites fixées par une société essentiellement morale et moraliste… Il y a du romantisme, de la transgression, il y a l’essence même de ce qu’est une » première fois « , dans quelque domaine de l’existence que ce soit… Il y a de l’humour, des sourires, de la tendresse et de la frénésie. Il y a de l’amour, majuscule et minuscule…
Cet album est le portrait, dressé par un homme de soixante ans, de l’enfant, de l’adolescent, du jeune adulte qu’il a étés, un portrait montré au travers du prisme de la souvenance, une souvenance dont on sait qu’elle n’est jamais linéaire, ce qui donne à ces » Extases » une forme narrative très particulière et envoûtante.
Mais ce qu’est surtout ce livre, c’est le compte-rendu sans morale ni a priori, sans embellissement ni caricature, de ce qu’est la masculinité, vue de l’intérieur, une masculinité qui se vit autant sexuellement que mentalement, autant physiquement qu’intellectuellement.
JeanLouis Tripp: la masculinité
Pour se raconter aussi profondément, aussi impudiquement, et pour que ce récit de mémoire ne soit pas graveleux, il fallait que le dessin et les mots osent tout dire et tout montrer, mais avec une espèce d’éloignement tranquille…
Et le graphisme de Tripp, en noir et blanc, se révèle être ici une véritable écriture… Sa manière de s’approcher au plus près des visages pour y montrer le sentiment, sa manière de faire des dessins que Crumb ne renierait pas, son découpage tantôt tout ce qu’il y a de traditionnel, tantôt éclaté, avec, de ci de là, des pleines pages qui semblent presque animées de mouvement, tout cela crée un rythme à la fois visuel et littéraire qui fait de la lecture de cet album une expérience neuve dans l’univers du neuvième art !…
JeanLouis Tripp: le dessin et l’écriture
Évidemment, ce livre n’est pas, selon l’expression consacrée, à mettre entre toutes les mains… Mais cela ne veut pas dire, loin s’en faut, que c’est un album uniquement érotique ! C’est un livre qui parle de la vie, c’est un livre qui parle de l’amour, c’est un livre qui parle du temps qui s’enfuit, c’est un livre qui nous parle, finalement, de ce qui fait l’essence même de l’humanité : le désir, sous toutes ses formes, et donc pas uniquement sexuel, que du contraire !
Les » Extases » de JeanLouis Tripp ?…. Un éblouissement à découvrir sans aucune retenue !…
Jacques Schraûwen
Extases (auteur : JeanLouis Tripp – éditeur : Casterman)