Les enfants de la Résistance : 6. Désobéir !

Les enfants de la Résistance : 6. Désobéir !

Cette série s’affirme de plus en plus comme une des créations bd-jeunesse les plus intéressantes depuis bien longtemps !

Voilà une série tous publics qui, d’année en année, séduit de plus en plus de lectrices et de lecteurs. Et tous les âges sont séduits, ce qui n’est pas fréquent, avouons-le !

Vincent Dugomier et Benoît Ers en sont au sixième tome de leur saga… Une aventure humaine, à hauteur d’enfance d’abord, à hauteur d’adolescence aujourd’hui, vécue pendant la guerre 40/45.

Eusèbe, François et Lisa vivent dans un petit village français, Pontain l’Ecluse. Ils vivent au rythme de l’occupation, de la présence des Allemands, mais aussi du pouvoir de plus en plus tangible des pétainistes, miliciens et adeptes des thèses raciales de l’Allemagne nazie et de la France collaboratrice.

Et ces trois enfants, réunis par l’amitié et par la guerre, se décident à résister… A leur niveau, certes, mais un niveau qui, d’album en album, fait d’eux de véritables combattants de l’ombre…

Les enfants de la résistance 6 © Le Lombard

Trois enfants perdus dans la tourmente de la guerre, dans la folie de quelques années qui ont changé le paysage de l’Europe et du monde. Trois enfants qui, dans leur « trou perdu » devenant soudain lieu stratégique, ne jouent pas à la guerre mais vivent les dangereux jeux de l’engagement humain, tout simplement.

L’intelligence narrative des auteurs, c’est que, au-delà de la deuxième guerre mondiale, ils nous montrent à voir nos propres réalités ! Ils nous poussent à réfléchir sur nos propres courages, sur nos propres lâchetés, en une époque où plusieurs bêtes immondes, comme pourrait le dire Pierre Perret, sont déjà bien réveillées, de l’Espagne aux Etats Unis, en passant par bien d’autres pays souvent démocratiques !

Les enfants de la résistance 6 © Le Lombard

Leur intelligence, également, c’est de faire vieillir leurs héros. Enfant en 40, avec des désirs et des jeux d’enfants, ils se laissent d’abord guider par les événements, avant de prendre la décision d’intervenir dans le déroulement de ces événements, donc de leur propre existence.

En basant leur récit sur des faits réels, sur la vérité de l’appartenance d’enfants aux réseaux de résistance pendant la guerre, Vincent Dugomier et Benoît Ers nous plongent dans une histoire universelle. La résistance, certes, aux diktats de toutes sortes… Mais aussi dans les méandres du temps qui passe, dans la construction des âges de la vie et de leurs mots, et de leurs attitudes, et de leurs jeux.

Les enfants de la résistance 6 © Le Lombard

De leurs jeux, oui, parce que ces trois enfants, Eusèbe, François et Lisa, s’amusent, jouent… Mais ils ont conscience de plus en plus, d’album en album, que le temps des jeux arrive à son terme.

Et dans ce sixième opus, c’est peut-être bien là que se trouve toute la force du récit. Le discours de ces trois enfants devient de plus en plus adulte, dans les mots et dans les actes.

Ils ne sont plus des enfants… Mais ce qu’ils ont fait de leur enfance, cette résistance dans laquelle, sans y réfléchir vraiment, ils se sont plongés, cet épisode puissant de leur jeune existence leur permet de passer outre les difficultés, simples, de la vie de tous les jours. Une fille, deux garçons, deux amours, et un qui doit s’effacer… La maturité est celle du partage, d’abord et avant tout. La maturité est aussi celle de Lisa dont le passé et les regards forgent une solidité différente de celle de ses deux amis.

Les enfants de la résistance 6 © Le Lombard

Voici venu, pour nos trois héros, l’heure de la grande et nécessaire désobéissance ! Et le portrait de ces trois jeunes, mêlé à celui des adultes qui les entourent, se construit à petites touches, en dialogues, en regards échangés. Rien n’est manichéen dans cette série, il y a de la haine, de l’amour, du courage, de l’aveuglement, des coups de sang, de la lâcheté. Il y a surtout le portrait réussi, de mieux en mieux d’album en album, d’une époque. 1943, c’est le temps du service du travail obligatoire… Ce STO qui forme la trame de fond de ce sixième album, et qui a créé, grâce à l’acte essentiel du « désobéir », les vrais débuts des maquis…

Parce que cette série continue aussi à se faire didactique, de manière à ce que les messages criés à corps perdu par trois enfants s’adressent aussi aux enfants d’aujourd’hui !

Les enfants de la résistance 6 © Le Lombard

Il y a, en bande dessinée, des albums indispensables. C’est le cas avec ces « Enfants de a Résistance ». Avec un résumé succinct mais extrêmement bien fait en début d’album, avec un cahier didactique simple et intelligent, historiquement fouillé, avec un texte qui mêle résistance quotidienne et voix off, avec un dessin tout en rondeurs qui permet d’éviter tout voyeurisme inutile, avec des couleurs aux tonalité douces qui créent des reliefs presque souriants de page en page, ce sixième volume, « Désobéir », est à ne rater sous aucun prétexte !

Jacques Schraûwen

Les enfants de la Résistance : 6. Désobéir ! (Dessin et couleurs : Benoît Ers – scénario : Vincent Dugomier – éditeur : Le Lombard – 56 pages- parution : janvier 2020

Les enfants de la résistance 6 © Le Lombard
Un enfant comme ça

Un enfant comme ça

La différence, l’indifférence, la solitude

L’éditeur « La Boîte à Bulles », de livre en livre, choisit de s’écarter les sentiers battus du monde de l‘édition BD. Et, avec ce livre-ci, sans aucun doute possible, il nous emmène dans un univers d’intelligence, de réflexion, de tolérance, et de poésie.

Un Enfant comme ça © La Boîte à Bulles

Charles est un enfant « particulier ». Il n’a commencé à parler qu’à six ans, provoquant ainsi chez ses parents une peur et un désarroi certains. Sa grand-mère, elle, disait qu’un enfant comme lui devrait devenir un artiste. Mais comme dans la chanson «Chez ces gens-là », de Brel, personne ne l’écoutait. Avec elle, c’était un peu l’enfance qui rejoignait la vieillesse ! Deux réalités que les adultes responsables ne reconnaissent pas comme faisant partie de leurs quotidiens !

Charles était un enfant déclaré par les spécialistes comme étant « bête ». Donc, sans avenir…

Pourtant, Charles, après une scolarité en enseignement spécial, devient adulte, marié, et il a un enfant, Julien, qui lui ressemble incontestablement.

Avec ce livre, on se trouve en présence d’un récit très prenant, sans tape-à-l’œil, un récit qui se nourrit de mots, des mots simples toujours, qui se nourrit de situations banales, quotidiennes. Un récit qui est celui d’une enfance usant du dessin comme moyen d’exister, un récit qui devient celui de l’âge adulte, de la paternité, avec comme une mise en abyme de l’angoisse la plus élémentaire : celle de vivre et de ne jamais savoir pourquoi !

Un Enfant comme ça © La Boîte à Bulles
Antoine Bréda : l’enfance, l’âge adulte, et leurs angoisses

Et ainsi, Antoine Bréda, l’auteur complet de ce livre, nous parle de l’enseignement et de ses manques quand il s’agit de prendre en compte la différence, sous toutes ses formes. Il nous parle de la solitude qu’entraîne dans notre société, immanquablement, le fait de ne pas être comme les autres. Il nous parle de la beauté qui ne peut être que subjective, toujours, puisque, pour chacun, ce qui est beau est ce qu’on aime… Il nous parle de l’esclavage du quotidien, de la mainmise de la société et du « politiquement correct » sur tous les gestes de l’habitude. Avec, en point d’orgue, cette question, à peine esquissée mais sans cesse présente : faut-il être comme les autres ou faut-il être heureux de ce qu’on est ?

Le dessin d’Antoine Bréda peut être qualifié de minimaliste, mais d’un minimalisme qui participe pleinement au rythme de l’histoire qu’il nous raconte. Les gribouillis enfantins sont là pour raconter ce que vivent et pensent les enfants… Le reste, consacré à Charles adulte, est dessiné avec un manque voulu d’expressivité, de manière à faire ressentir, de page en page, l’éloignement que ce personnage a vis-à-vis du monde qui l’entoure.

Antoine Bréda est un metteur en scène, un monteur, un acteur, aussi, on le sent, on le sait. Il est un auteur complet qui nous parle, le sourire aux lèvres et au bout du crayon, de ce qu’il connaît, de ce qu’il connaît très bien !

Un Enfant comme ça © La Boîte à Bulles
Antoine Bréda : mettre en scène ce qu’on connaît !

Ce livre m’a fait penser à Sempé et à ses personnages souvent « à côté ». Il m’a fait penser aussi au « Cancre » de Prévert, et au Petit Prince continuant éternellement à vivre dans les pays de l‘enfance.

Ce livre est surtout extrêmement personnel, empreint de poésie, et porteur de valeurs qui ne correspondent qu’à l’intelligence. Comme la femme de Charles qui, en fin de livre, comprend que les tests d‘intelligence imposés dans les écoles sont eux-mêmes extrêmement bêtes. Inutiles… Et j’ai particulièrement aimé cette phrase qui termine ce livre, une phrase dite par cette maman : « il a l’air content pour le moment ».

Parce que, et c’est le message essentiel de ce livre, pour peu qu’il ait voulu avoir un message : l’important, c’est de vivre au présent, tout… « bêtement »

Un livre, donc, que je vous conseille ardemment !

Jacques Schraûwen

Un enfant comme ça (auteur : Antoine Bréda – éditeur : La Boîte à Bulles – 80 pages – date de parution : août 2019)

El Comandante Yankee

El Comandante Yankee

Cuba, Castro, Guevara et un Américain… Une tranche d’Histoire!

Le quotidien d’une révolution qui fut un des moments clés de l’Histoire du vingtième siècle.

El Commandante © Dupuis Aire Libre

Dans l’imaginaire collectif, la révolution cubaine occupe une place de choix, c’est évident. « Pour » ou « contre », les prises de position, depuis des années et des années, mêlent politique et humanisme, liberté et dictature, pour des avis qui, le plus souvent, oublient de prendre en compte l’élément moteur de cette révolution, comme toutes les révolutions d’ailleurs : l’être humain !

C’est sans doute ce qui a motivé Gani Jakupi lorsqu’il a décidé de se lancer dans l’aventure, longue, étonnante, qui l’a conduit à cet album qui utilise les codes de la bd tout en étant également un reportage à la fois journalistique et historique.

Mais ce qui l’a surtout poussé à cette quête très personnelle, ce sont ses propres souvenirs, l’ombre puissante de son adolescence.

El Commandante © Dupuis Aire Libre
Gani Jakupi : Les origines

Et le biais qu’il a choisi pour parler des rêves qui furent siens ne manque ni d’ambition ni d’originalité. Il a voulu d’abord et avant tout se mettre à hauteur d’homme, à hauteur de combattant, même, et c’est ainsi qu’il nous offre à découvrir un personnage hors du commun, William Alexander Morgan. Un personnage réel… Un ancien soldat américain qui, par idéal sans doute, par ennui peut-être, s’est fait guérillero aux côtés des guérilleros, prenant fait et cause pour Castro, certes, pour Che Guevara surtout, pour une idée qu’il se faisait de la démocratie.

El Commandante © Dupuis Aire Libre
Gani Jakupi : Morgan

Une idée de la démocratie que partage sans doute Gani Jakupi. Tant il est vrai que le fait de se lancer dans la création d’un livre comme celui-ci ne peut se faire sans prendre position, sans faire intervenir ses propres certitudes, ses propres idéaux. Mais la force de Gani Jakupi, entre autres, réside dans le fait qu’il ne fait preuve d’aucun manichéisme, et qu’à aucun moment il ne cherche à convaincre, à tenter de mettre en avant des opinions purement politiques imposables à ses lecteurs. S’il est évident que Gapi Jakupi n’est pas un homme de « droite », il est tout aussi évident que son but, dans cet album qui ressemble à un roman graphique et biographique, est avant tout de montrer ce qu’était le quotidien de ceux qui croyaient, avec certitude même, se battre pour la liberté. Et c’est là, dans ce mélange foisonnant d’idéologies le plus souvent sanglantes, que Gapi Jakupi se révèle observateur minutieux des gestes de tous les jours, porteurs de sens par les antagonismes et les partages qu’ils représentent aussi. Il ne nous parle pas d’héroïsme, mais, au travers du portrait d’un homme, c’est celui de toute une époque, de ses espérances et de ses désillusions qu’il trace.

El Commandante © Dupuis Aire Libre
Gani Jakupi : l’idéal personnel

Construit en chapitres, construit également comme une suite d’instantanés, ce Comandante Yankee est un livre qui ne ressemble à aucun autre, et c’est là une de ses qualités. C’est un livre très personnel, certainement, mais qui s’ouvre aussi à tout un chacun. La multiplication des personnages pourrait être un frein au plaisir de la lecture, mais il n’en est rien, puisque tous ces personnages, jusqu’à Hemingway, sont réels ou le deviennent sous la plume de Gani Jakupi. Réels et symboliques, en même temps, de mille courants d’idée qui appartiennent à l’Histoire.

Ce qui est remarquable aussi, c’est le travail de la couleur. En larges aplats ici, en transparences brumeuses, là, ces couleurs restituent, tout autant que le récit, la réalité et les sensations d’un pays qui a vu, dans les années 50, les certitudes libérales vaciller…

El Commandante © Dupuis Aire Libre
Gani Jakupi : La couleur

Ce n’est pas un livre militant. C’est un livre-regard, c’est un livre-portrait, c’est un livre-miroir dans lequel tout un chacun peut retrouver une part de ses rêves de jeunesse.

En se plongeant, avec Gani Jakupi, dans les années 50, sous le soleil écrasant et somptueux de Cuba, c’est vraiment dans ce qui fut à l’origine de nos réalités actuelles que nous nous plongeons. A ce titre, ce livre n’est pas un roman graphique, mais une suite d’instantanés dessinés, une fresque qui restitue une époque à l’initiale de la nôtre !

Jacques Schraûwen

El Comandante Yankee (auteur : Gani Jakupi – éditeur : Dupuis Aire Libre)

El Commandante © Dupuis Aire Libre