Les enfants de la Résistance : 5. Le Pays Divisé

Les enfants de la Résistance : 5. Le Pays Divisé

Il y a ceux qui résistent, il y a ceux qui collaborent, il y a ceux qui attendent. Et il y a l’enfance qui, inexorablement, vieillit…

Le pays divisé © Le Lombard

Cette année, le Prix Rossel va également couronner une bande dessinée ! Et parmi les sélectionnés, il y a ce livre intelligent et prenant…

Intelligent, parce qu’il évite tout manichéisme.

Cinquième volume d’une série qui nous montre des enfants amenés à devenir résistants totalement anonymes, ce « Pays Divisé », en effet, réussit à dresser une galerie de portraits qui, pour la plupart, ne sont ni blancs ni noirs…

Vincent Dugomier aime tous ses personnages, ou presque, et il parvient à nous attacher à eux, également. A nous faire participer à leurs émois, à leurs angoisses, à leurs doutes aussi.

La facilité eût été, certainement, de nous montrer les méchants Allemands face aux bons Français ! Mais l’honnêteté et le respect, simplement, de l’Histoire telle qu’elle s’est vécue, voilà ce qui amène les deux auteurs de ce livre à ne pas cacher le fait que toute guerre, de quelque côté que l’on se trouve, engendre sa part de barbarie.

Les actes de résistance de nos trois enfants pouvaient, pour eux et pour les lecteurs, ressembler à un grand jeu. Il n’en est rien, et ils se découvrent responsables de bombardements alliés et de représailles, sans l’avoir voulu, rien qu’en se voulant résistants !

Dans cet épisode, nous sommes en 1942, et la France, désormais, va être totalement « occupée » par les Allemands.

Nous sommes en 1942, et, comme le disait Renaud, il n’y a pas beaucoup de Jean Moulin. Et cohabitent ainsi en France des gens qui résistent, des gens qui collaborent, et des gens qui attendent. Et qui, donc, espèrent…


Le pays divisé © Le Lombard
Vincent Dugomier: pas de manichéisme

Vincent Dugomier: attendre, espérer

Prix Rossel :https://www.lesoir.be/220746/article/2019-04-27/votez-pour-les-prix-victor-rossel-de-la-bd-2019

Cette série nous parle, de la résistance, celle vécue pendant cette guerre mondiale que l’on continue d’année en année à commémorer. Avec une phrase que je me permets de mettre en exergue :  » C’était ça la résistance. Nous étions appelés à faire plus, toujours plus  » !

Mais le fait de prendre comme héros de cette résistance des enfants ne doit rien au hasard, bien entendu. D’abord parce que, historiquement, la chose est avérée. Ensuite, parce que l’enfance, ainsi mise au centre d’une réalité de vie et de mort sans cesse mêlées, et un moteur narratif qui permet à Dugomier de dépasser ce qui, autrement, pourrait n’être qu’une anecdote héroïque de plus.

Au-delà de l’amitié qui lie, profondément, les trois personnages centraux, axiaux, de cette série, il y a cette nécessité qui est la leur de vieillir, sans le vouloir, parce que la vie qu’ils ont choisie, ou qui les a choisis, le veut ainsi… L’enfance s’estompe, l’adolescence est là, l’âge adulte fait plus que se deviner. Dans le dessin comme dans le scénario, le temps se marque aux visages, aux gestes, aux mots de chacun, de chacune. Et cette année 1942 est un peu, pour ces trois personnages, la fin d’une enfance volée… Être adulte, c’est ne plus jouer, c’est avoir conscience de ce qu’entraînent les actes que l’on fait, c’est découvrir l’amour, le désir, la jalousie. Et comme le dit un des trois amis :  » J’avais oublié de m’amuser  » !… Douloureuse prise de conscience…


Le pays divisé © Le Lombard

Vincent Dugomier: l’enfance volée

Vincent Dugomier: vieillir

Le dessin de Benoît Ers, tout en rondeur, accompagne parfaitement un récit qui se construit d’abord et avant tout à taille humaine, à taille d’adolescence. Et même si le propos devient plus adulte, avec une Lisa qui, de plus en plus, occupe la place centrale de l’intrigue, même si la violence devient extrêmement présente, avec la mort en contrepoint des espérances et des combats, ce livre n’est jamais voyeur, ni dans le texte, ni dans le dessin.

Un texte qui, pour alléger le poids de l’Histoire, aime poser, ici et là, des références, des petits signes que le lecteur s’amusera à décoder… Ne parle-t-on pas de trio amoureux, comme dans Jules et Jim ?… Ne parle-t-on pas aussi, en filigrane, de jeux interdits ?… Et croiser, quelque part, au détour d’une page, l’espiègle Lili, c’est un peu comme un clin d’œil au passé, également, de la bd…

Mais la base même de cette série, et de cet album-ci encore plus, cela reste la résistance. Et là, les ponts entre l’hier et l’aujourd’hui sont évidents. Résister, c’est se battre contre l’émergence de la peur, c’est se vouloir accéder à la liberté, celle d’être, celle de penser, c’est vouloir créer une société où tout remettre à plat, où être bien né ne donne pas ou plus de privilège… Une société, peut-être, sans lignes de démarcation, sans murs…


Le pays divisé © Le Lombard

Vincent Dugomier: références

Vincent Dugomier: d’hier à aujourd’hui

Cette série est véritablement une série pour tous les publics, une série d’albums qui, sous le biais d’une aventure parfaitement maîtrisée, tant au niveau du dessin, de la couleur, que du scénario, peut être lue dès dix ans. Une série sans aucune mièvrerie, une série sans temps morts, une série, en outre, parfaitement fidèle à la grande Histoire de cette guerre superlative qui continue à influencer notre présent.

Et il me faut aussi, ici, souligner la qualité « simple » du dossier pédagogique qui termine ce livre, et qui parle de liaisons radios, de ligne de démarcation, entre autres…

Jacques Schraûwen

Les enfants de la Résistance : 5. Le Pays Divisé (dessin : Benoît Ers – scénario : Vincent Dugomier – éditeur : Le Lombard)

Edmond

Edmond

Du théâtre à la bande dessinée…

Une pièce, d’abord… Qui est l’objet d’une seconde pièce… Et, enfin, une bande dessinée…. Et au rendez-vous de tout cela, une belle réussite!


Edmond © Rue de Sèvres

Qui ne connaît pas Cyrano de Bergerac ? Personnage emblématique du théâtre français, ce héros bretteur et poète en même temps appartient au patrimoine culturel, c’est une évidence.

Pourtant, Edmond Rostand, son auteur, a mis pas mal de temps pour percer, comme on dit, en une époque où les pièces en vers n’étaient pas, ou plus, particulièrement appréciées.

Cet album de BD prend le parti de nous raconter la genèse de cette pièce de théâtre, mais de le faire avec humour, avec une espèce de folie virevoltante que Feydeau ou Courteline n’auraient pas dénigrée !

En fait, ce  » Edmond  » est une parfaite mise en abyme d’un des textes les plus connus de la littérature française ! Au départ, il y a, comme je le disais, la pièce de théâtre de Rostand, tant de fois jouée, au cinéma également, par Gérard Depardieu ou Jacques Weber. Ensuite, il y a une autre pièce de théâtre, contemporaine, elle, et due à la plume et l’imagination d’Alexis Michalik. Une pièce de théâtre qui aurait dû être un scénario de film (et qui le sera peut-être, d’ailleurs…), et qui, aujourd’hui, sert de base à un album de bande dessinée construit par Léonard Chamineau.

Un album qui réussit le pari d’être une œuvre parfaitement originale tout en restant fidèle, totalement, à l’esprit d’Edmond, à son écriture, aussi, à la puissance qu’il insufflait aux mots, à la poésie qu’il parvenait à rendre tangible malgré la forme très codifiée d’une pièce écrite en rimes…


Edmond © Rue de Sèvres

NOUVELLE ŒUVRE, HISTOIRE

Léonard Chemineau

PUISSANCE DES MOTS ET POÉSIE


Léonard Chemineau

Je parlais d’une mise en abyme.

Ce livre est aussi une modification totale de l’œuvre originelle, un drame poétique, en quelque sorte, devenu, par la magie des auteurs de cette bd, une sorte de vaudeville dans lequel les personnages arrivent, partent, reviennent, dans laquelle les quiproquos se multiplient, quiproquos amoureux, quiproquos de situation, aussi…

Edmond Rostand, en écrivant la pièce qui allait le rendre célèbre à tout jamais, se voit obligé, à son tour, d’aider un ami à séduire une femme… Une femme dont sa propre épouse va être jalouse… Quand je vous disais qu’il y a des portes qui claquent, des mauvaises fois évidentes, mais toujours traitées avec un vrai respect de la trame historique… On parle de Sarah Bernhardt, on parle du Paris d’une époque qu’on allait bientôt appeler  » belle « , on y rencontre Coquelin, grand cabot applaudi par tout le monde et qui a créé Cyrano…

Et puis, au-delà de l’aspect vaudevillesque, il y a aussi un petit côté  » tragédien « , par la présence de quelques personnages qui ressemblent, par leurs commentaires, à un chœur antique… C’est ainsi qu’un personnage secondaire, Honoré, à la peau d’ébène, occupe dans ce livre une place importante et, ma foi, formidablement humaniste.


Edmond © Rue de Sèvres

HONORÉ


Léonard Chemineau

Cela dit, même si ce  » Edmond  » nous pousse à retrouver tout le canevas d’une pièce réjouissante à tous les niveaux, ce Cyrano épique et humain, tragique et romantique, même si, comme je le disais, Rostand, héros de cet album, est totalement respecté, force est de reconnaître que le principe premier de ce livre est l’humour…

Humour de situation, comme dans les films muets du début du vingtième siècle… Humour de langage, celui de Rostand, restitué au dessin, de page en page.

Humour, aussi et surtout, du graphisme, du dessinateur qui, choisissant la voie du non-réalisme, s’amuse à s’amuser, à nous amuser, en osant la caricature, parfois, souvent, en usant d’un découpage traditionnel qui, peu à peu, explose et distord les attitudes comme les cases, les perspectives comme les gros plans. Le tout avec une couleur qui joue avec les lumières et les expressions pour nous rendre proches tous les protagonistes de cette histoire qui, finalement, nous parle à tous de nous-mêmes, de nos angoisses en face du mystère de l’amour…

Edmond © Rue de Sèvres

DESSIN, HUMOUR


Léonard Chemineau

Le personnage de Cyrano de Bergerac est pour moi un des héros de théâtre les plus intéressants, aussi intéressant qu’Alceste ou que Monsieur Jourdain.

Et réussir, ainsi que le font les auteurs de ce  » Edmond « , à nous en faire sourire sans pour autant dénaturer en quoi que ce soit sa force et sa vérité, ce n’était pas chose évidente. C’était un pari, oui, un pari réussi !

Jacques Schraûwen

Edmond (auteur : Léonard Chemineau, d’après la pièce d’Alexis Michalik – éditeur : Rue de Sèvres)

Edmond © Rue de Sèvres

Emilio Van Der Zuiden : Male Call Club

Femmes de papier aux érotismes évidents.

Emilio Van Der Zuiden est un auteur de bande dessinée auquel on doit, entre autres, quelques aventures de Margot, celles du détective McQueen aussi. Dans cet « art-book », il se révèle illustrateur de la féminité impudique !

Emilio Van Der Zuiden © Paquet

 

Plonger le regard dans un « art-book », c’est se plonger dans l’œuvre d’un auteur, d’un dessinateur, d’un graphiste… Pour certains d’entre eux, il s’agit d’une rétrospective, d’un hommage, presque, à une carrière riche et reconnue. Pour d’autres, il s’agit, plus simplement, de la mise en évidence d’un travail graphique, à un moment donné de l’histoire de son auteur. Et c’est bien devant ce deuxième cas qu’on se retrouve ici, avec Emilio Van Der Zuiden qui, sans complexe, nous avoue, sans aucun mot, son amour du dessin quand il se fait érotique !

 

Emilio Van Der Zuiden © Paquet

 

Il est vrai que, dans ses livres « tous publics », on pouvait déjà se rendre compte de tout l’intérêt qui était le sien pour les héroïnes. Il y avait même, dans le traitement graphique qu’il en faisait, qu’il en fait toujours d’ailleurs, comme une espèce de retour en arrière, dans le monde du cinéma des années 50 et leurs vamps si peu farouches, ou même dans l’univers des pin-up.
Ces deux axes d’un érotisme tout compte fait bon enfant, même s’il n’est pas à mettre entre toutes les mains, sont bien présents dans cet art-book. On y retrouve margot, bien entendu… Mais aussi l’iconique Betty Page, les amies de McQueen, mais aussi Mata-Hari… On y retrouve des crayonnés, des mises en couleur lumineuses, des profonds contrastes entre noir et blanc, quelques planches de bd aussi… Mais on y côtoie surtout des jolies filles, toutes plus souriantes les unes que les autres, même dans des situations parfaitement scabreuses, des filles libertines, certainement, et vivant dans des décors variés, de la jungle au bureau, d’un ouest américain sauvage à la tranquillité d’une salle de bains.

 

Emilio Van Der Zuiden © Paquet

 

Trouver une définition au mot « érotisme » s’avèrera toujours chose impossible, tant cette réalité profonde de l’âme humaine, qu’elle soit féminine ou masculine, évolue selon les époques de l’Histoire, mais aussi selon les moments de l’existence, tout simplement.
L’érotisme d’Emiio Van Der Zuiden est un érotisme léger, mais qui n’a pas peur, ici ou là, de s’aventurer dans des territoires de désirs sans aucune ambigüité. C’est un érotisme de mouvements, souvent, mais aussi de corps immobiles pour mieux s’offrir au rêve. Et puis, c’est surtout un érotisme de regards, des
regards pluriels que toutes les femmes présentes dans ce livre posent sur le lecteur… Ce sont des regards qui ne sont jamais agressifs, qui ne sont jamais vulgaire ni gratuitement provocateurs non plus. Ce sont des regards amusés, oui, des regards de partage de sentiments, de sensations…
Et ce livre est un livre qui ravira ceux qui aime qu’un artiste n’ait pas peur de perdre toute sagesse !…

Jacques Schraûwen
Emilio Van Der Zuiden : Male Call Club (éditeur : Paquet)

 

Emilio Van Der Zuiden © Paquet