La Fleur dans l’atelier de Mondrian

La Fleur dans l’atelier de Mondrian

Un album envoûtant, une exposition qui fait rêver à la beauté !

Pour tout découvrir de cet album, rendez-vous à Bruxelles, à la Galerie Champaka… Une exposition qui, assurément, mérite tous les détours ! Du 8 décembre 2017 au 7 janvier 2018.

 

Mondrian, dans un cimetière parisien, dessine une fleur, la montre à une jeune femme, et voilà ce qu’il en dit :  » C’est le mot : joli…  »

Et c’est en partie à partir de cette phrase, qui dénie à la seule représentation de la réalité l’adjectif « beau », à partir de cette rencontre que les auteurs de cet album d’une envoûtante pureté, imaginent qui était Piet Mondrian, et ce que furent ses élans humains. Et les auteurs, Peyraud et Lapone, nous racontent ainsi une vie imaginée du peintre venu des Pays-bas.

Une vie imaginaire, oui, mais d’une vérité évidente…

 

 

Tout le monde connaît l’art de Piet Mondrian, de nos jours… Plages blanche cernées par d’épais traits noirs, géométries colorées qui se plongent dans l’infini du regard, son abstraction mathématique fait partie depuis de longues années maintenant du quotidien de la mode, du design, de la rue donc. Il n’en fut pas toujours ainsi, loin s’en faut, et Piet Mondrian, dans l’après-guerre de 14/18, dessinait des fleurs à Paris pour payer son loyer. La folie des années d’oubli des horreurs de la der des ders ne lui était pas joyeuse, loin s’en faut, et l’amour se vivait essentiellement tarifié.

Ce qui, par contre, n’avait rien de mercantile pour lui, c’était la danse, la musique, le jazz, et les soirées et les nuits vécues loin de la réalité, voyageant à deux tout au long de notes virevoltantes, avec une partenaire amoureuse elle aussi de la danse.

Pour raconter Mondrian, autrement qu’au travers de ses œuvres, les auteurs ont choisi une narration extrêmement originale et particulière. Ce sont des petits moments d’existence, des minuscules tranches de vie qu’ils nous montrent, avec des titres, parfois, qui ne définissent rien d’autre que des ambiances :  » Le Lapin »,  » Vert », « Francine »…

Et, d’une certaine manière, ce sont ces touches d’existence juxtaposées qui réussissent à nous montrer le trajet humain et artistique qui a conduit Mondrian à devenir ce qu’il est aujourd’hui, un des plus simples et intéressants des peintres abstraits.

 

Comme le dit un des personnages, Francine, les toiles de Mondrian ressemblent à des vitraux. Des vitraux qui n’ont nul besoin de lumière pour étinceler de mille silences sereins.

Personnage peu amène, habité par sa seule peinture, Mondrian n’aime ni le vert ni l’amour. Aime-t-il la vie ?… C’est un peu la question que Lapone et Peyraud posent dans ce livre, sans vraiment y apporter de réponse d’ailleurs.

En fait, ce livre est l’hommage d’un artiste sans cesse à la recherche du  » beau  » à un autre artiste pour qui la beauté ne pouvait qu’être non-humaine, non-descriptive.

Le style graphique de Lapone rappelle, c’est vrai, l’esthétisme de la toute fin des années 50, du début des années 60… Son dessin est parfois à la limite de l’épure, parfois rempli de détails qui, pour insignifiants qu’ils paraissent, se révèlent nécessaires pour créer une ambiance et un mouvement. Et l’exposition de ses dessins originaux est là pour montrer tout le travail, sans doute, qui conduit à une planche de bande dessinée mais, surtout, à laisser le visiteur, le spectateur, voyager en compagnie de l’artiste dans un monde où la recherche de la beauté, quel que soit le sens qu’on puisse donner à ce terme, est un but en soi. Le but d’une vie. Celle de Mondrian, sans aucun doute, celle de toutes celles et de tous ceux qui, au travers de tous les arts, ont voulu dévoiler au monde une part de ses vérités…

Antonio Lapone

 

Ce livre, d’un format peu habituel, permet d’apprécier pleinement le dessin de Lapone. Il se termine par un petit dossier dans lequel les épures, les esquisses, les travaux préparatoires à certaines planches, à certaines vignettes, montrent l’itinéraire artistique de Lapone dans la construction qu’il fait d’une bande dessinée.

Et pour mieux savourer encore ce travail qui n’en est jamais totalement un, allez admirer, de tout près, les originaux de Lapone, dans une galerie bruxelloise qui ouvre ses cimaises depuis bien longtemps aux trésors de la bande dessinée contemporaine…

 

Jacques Schraûwen

La Fleur dans l’atelier de Mondrian : un album envoûtant et une exposition (dessin : Antonio Lapone – scénario : Jean-Philippe Peyraud – éditeur : Glénat

 

Une exposition à la Galerie Champaka de Bruxelles, jusqu’au 7 janvier 2018 : rue Ernest Allard 27, 1000 Bruxelles)

Les Fantômes de Katyn – 1940

La grande Histoire est faite d’événements dont l’horreur ne peut se mesurer !… C’est le cas de ce massacre de Katyn, que cet album remet en mémoire tout en le replaçant totalement dans son contexte historique…

 

 

 

C’est en 1940 qu’eut lieu un véritable assassinat de masse, celui de plusieurs milliers de Polonais, dans un village russe.

Cette tuerie n’avait rien de gratuit, puisqu’elle décapitait l’élite polonaise, en supprimant des militaires, certes, mais aussi et surtout des intellectuels, des ingénieurs, des médecins. Les  forces vives et jeunes, en fait, de la population de la Pologne.

C’est en 1941, après la fin du pacte qui unissait Hitler et Staline, que ce massacre fut connu. Et, immédiatement ou presque, imputé aux Allemands.

Il a fallu ensuite pratiquement 50 ans pour que les vrais responsables, les Russes et leur police politique, soient enfin désignés, par l’aveu même d’une Russie désireuse, en fin de guerre froide, de se couper d’un stalinisme par trop pesant.

C’est cette saga que nous raconte ce livre. En faisant part de toute l’évolution historique de cette atrocité, en analysant les philosophies et les politiques qui en ont été à l’origine, mais en s’attardant, avant tout, sur les êtres qui ont vécu, de près ou de loin, cette horreur indicible dont le but était d’anéantir en Pologne toute résistance aux idées du communisme stalinien !

 

 

 

             Les fantômes de Katyn 1940 @ éditions du Triomphe

 

Très fouillé historiquement, parfois même un peu trop, cet album peut se découvrir comme un devoir de mémoire. Il peut aussi, par sa construction narrative construite comme un puzzle mêlant sans cesse  les époques et les lieux, il doit même s’envisager comme un regard lucide trop peu connu sur une époque de la guerre 40/45 trop peu connue sans doute.

Le scénario de Patrick Deschamps entre réellement dans les enjeux politiques de cette époque, et n’hésite pas à se plonger dans les réalités allemandes  comme dans celles des soviétiques.

Ce n’est pas de l’Histoire racontée, mais de l’Histoire vécue et racontée par ses témoins que nous livre le scénario de Deschamps.

Un scénario historique, un scénario extrêmement réaliste, et il lui fallait, bien évidemment, un graphisme solide et tout aussi sérieux quant à son réalisme.

C’est le cas avec Philippe Glogowski qui, incontestablement, peut revendiquer une filiation avec cette bande dessinée proche toujours de la réalité, de celle des ressemblances des personnages avec ce qu’ils furent réellement par exemple, une bd didactique, parfois manichéenne certes, mais efficace et agréable à l’œil comme à la lecture.

 

            Les fantômes de Katyn 1940 @ éditions du Triomphe

 

Ce qui est intéressant dans un livre comme celui-ci, c’est qu’il nous permet d’ouvrir les yeux sur ce qui est et reste notre propre histoire. Une histoire qui, souvent, trop souvent, a le hoquet, comme le prouve notre époque où l’indifférence politique et l’inefficacité de l’ONU fait bien souvent penser aux années 30 de l’inutile SDN…

Ces fantômes de Katyn, comme ceux d’Oradour, se doivent de ne pas être oubliés, et, à ce titre, cet album est une vraie réussite !…

 

Jacques Schraûwen

Les Fantômes de Katyn 1940 dessin : Philippe Glogowski – scénario : Patrick Deschamps – éditeur : Editions du Triomphe)

 

Face Au Mur

Face Au Mur

Braquages, casses, évasions… Ce livre est le portrait fragmenté d’un truand  » à l’ancienne « , mais il est aussi le portrait d’une société, la nôtre, et de ses mille enfermements… Il est le fruit d’une rencontre passionnée et passionnante!

Toute œuvre d’art naît d’une rencontre entre un auteur et son sujet. Ici, c’est un être humain que l’auteur a rencontré, et c’est cet être-là, avec toutes ses dérives, qui est devenu le sujet de son livre.

Dès le départ de cet album, le ton est donné par une phrase en exergue… Il s’agit de fiction inspirée par des faits réels. Des faits qui ont été racontés à Laurent Astier, le dessinateur et scénariste, par Jean-Claude Pautot, crédité dès lors comme coscénariste. Des faits qui sont ceux du grand banditisme. Des faits relatés par un braqueur multirécidiviste, condamné à perpétuité, à un dessinateur, au long d’une relation qui s’est faite amitié.

Laurent Astier: l’origine de ce livre

 

 » Face au mur « , c’est un album puissant, sombre, mais, en même temps, animé par une forme d’espoir. C’est un livre qui plonge dans la vie d’un prisonnier qui se souvient, qui nous parle de lui. Un prisonnier qui, bien évidemment, ressemble à Jean-Claude Pautot, aujourd’hui libre. Un ex-prisonnier, désormais, qui se retrouve dans ce livre tel qu’il a vécu, marginal de la société, vivant de règles qui n’avaient jamais rien de moral mais qui répondaient toujours à l’urgence du moment, en une trajectoire humaine à la poursuite d’une sorte de liberté impossible. Un ex-taulard qui a livré au dessinateur son passé, au rythme de sa seule mémoire.

Le résultat en et un album dans lequel la chronologie est absente, puisque aucune souvenance humaine ne suit les diktats d’une quelconque fidélité au temps qui passe.

Le personnage central de ce livre se retrouve face au mur, le mur de l’asociabilité, le mur de ses propres absences, le mur de ses passés, fragmentés, qui lui reviennent par petites touches… Des petites touches qui, grâce au talent narratif de Laurent Astier, deviennent des chapitres, des chapitres qui, comme dans un roman, nous restituent d’abord et avant tout l’humanité d’un être, au travers de sa voix, une voix qui raconte, une voix qui rythme tout le récit, une voix sans laquelle les aventures  » policières  » racontées ne seraient que polar de seconde zone.

Jean-Claude Pautot: la force de ce livre
 Jean-Claude Pautot: le passé fragmenté
Laurent Astier: le personnage

 

Outre Jean-Claude Pautot, le second personnage de cet album, c’est la prison, l’enfermement, la solitude de la condamnation, l’obligation pour un humain de n’être plus qu’un matricule pour la société, un truand pour les autres prisonniers.

Alors, bien entendu, on retrouve dans cet album bien des influences, littéraires plus que graphiques d’ailleurs. Le ton de la narration est un ton  » parlé « , mais parlé à  la manière des grands dialoguistes du cinéma d’antan, Spaak, Prévert, Audiard… Parlé à la manière, tout simplement, de Jean-Claude Pautot, pour qui, derrière les murs de chaque prison, subsiste toujours une forme de fratrie. Pas d’honneur, non ! L’honneur, c’est bon dans les films qui ont besoin de grands sentiments. La fratrie, c’est simplement la notion d’appartenance à une sorte d’ordre parallèle de la société, celui des bannis.

Ainsi, au-delà de l’histoire racontée dans ce  » Face au mur « , ce livre est  également une réflexion, comme au travers d’un miroir très actuel, de ce qu’est la prison, de ce qu’elle a été, de ce qu’elle devient. A ce titre, Laurent Astier ne se contente pas d’être le biographe d’un ami, mais il interroge, au travers de cette biographie parfois imaginaire ce qu’est, profondément, l’enfermement légal et ce qu’il sous-entend comme évolution de notre société.

Laurent Astier: la prison
Jean-Claude Pautot: fratrie et honneur

Jean-Claude Pautot est désormais un être libéré. De ses démons ?… Pas totalement sans doute, loin s’en faut. Mais réinséré, à sa manière, dans un monde auquel tout, il y a peu encore, l’opposait. Cette  » sortie d’écrou  » est née d’une réalité qui dépasse tout réalisme : l’art. C’est en commençant à peindre, derrière les barreaux, dans l’ombre des grands murs inhumains, que Jean-Claude Pautot, tout en appréhendant des règles de composition qui lui étaient jusque-là inconnues, a appris à se regarder et à se voir différemment, autrement. Aujourd’hui, il peint, il expose, dans un quartier chic de Paris, un de ces quartiers qui, autrefois, n’auraient été pour lui que terrain de chasse. Aujourd’hui, même si ses tableaux sont habités, profondément, par tout ce qu’il a vécu, tout ce qu’il a souffert et fait souffrir, et vu souffrir, même si la violence de son existence trouve un exutoire dans sa peinture, Jean-Claude Pautot sait qu’on peut changer la vie. Et son message, dans ce livre comme dans son quotidien, désormais, c’est celui-là : rien n’est jamais totalement détruit, et l’espérance folle de s’en sortir par la curiosité, par l’écoute, par le respect, cette espérance peut être une réalité pour ses nouveaux amis, les rappeurs, et par leur public auquel il veut faire passer ce message-là : la mort n’est pas et ne sera jamais une solution, même à l’injustice !

Jean-Claude Pautot: l’art

Pour parler de ce livre, j’ai rencontré les deux auteurs, vous l’aurez compris. Et vous aurez compris également toute la puissance que me fut cette rencontre avec un homme comme Jean-Claude Pautot. Je connaissais déjà Laurent Astier, j’aimais son travail, sa collaboration avec un scénariste comme Dorison par exemple. Mais ici, sans aucun doute possible, il devient un des grands auteurs de la bd, un de ces auteurs capables de s’effacer derrière un sujet qui le dépasse mais qu’il réussit à rendre présent grâce à son talent graphiste fait de réalisme et d’ellipses, grâce aussi à la façon dont il use de la couleur pour qu’elle soit là, continuellement, afin de souligner la puissance des faits relatés, et la force son propos d’auteur. Un auteur à part entière!

 

Jacques Schraûwen

Face Au Mur (dessin et scénario : Laurent Astier – scénario : Jean-Claude Pautot – éditeur : Casterman)