Chats

Chats

Un animal étrange qui nous domestique et occupe nos horizons…

Chabouté est un dessinateur dont le talent exceptionnel se conjugue dans la bande dessinée comme dans l’illustration. Et chacun de ses dessins devient, à lui tout seul, dans ce livre superbe, une histoire à imaginer !

Chats © Chabouté

De tous les animaux que l’on dit domestiqués, le chat est le maître absolu de l’indépendance. Une indépendance qu’on croit indifférente… Une indépendance qui aime s’oublier…

De tous les animaux que l’on croit domestiqués, le chat est le seul à savoir que c’est lui qui, un jour lointain, a décidé de domestiquer l’homme !

Et c’est cet animal que Chabouté traque de dessin en dessin, dans des univers citadins sur lesquels cet animal se dessine en ombres et en lumière.

Avec Chabouté, le chat ne se cache pas. Il s’enfouit aux décors des toits, des escaliers, des appartements.

Le chat ne se perd pas. Il semble attendre, simplement, qu’un regard parvienne à le caresser.

Chabouté, c’est cela, tout compte fait : un regard qui prend vie en un dessin, un regard qui aime s’attarder sur l’impalpable, un regard qui parvient à dénicher dans le plus quotidien des mondes une beauté qui n’a rien d’éphémère.

Chats © Chabouté

Ce livre regroupe une cinquantaine de dessins qui sont autant de gestes d’artiste offerts à ces compagnons étranges que nous sont ces félins domestiques.

Et pour accompagner ces dessins, un écrivain, Gonzague, écrit quelques hommages rimés à cet animal qui, riche de ses mystères, appartient à l’éternité.

Ces poèmes de quelques vers sont doux, sans d’autre ambition que de nous parler des chats, de tous les chats, et, ainsi, d’accompagner des illustrations dont ils deviennent eux-mêmes l’illustration.

J’eusse aimé, cependant, voir d’autres rimes, plus riches encore, plus essentielles aussi, possédant la même intensité que le dessin de Chabouté.

Chats © Chabouté

Je pense à Baudelaire, bien sûr.

  • « Ils prennent en songeant les nobles attitudes
  • Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
  • Qui semblent s’endormir ans un rêve sans fin ;
  • Leurs reins féconds sont pleins d’étincelles magiques,
  • Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,
  • Étoilent vaguement leurs prunelles mystiques »
Chats © Chabouté

Ou à Maurice Carème.

  • « Le chat ouvrit les yeux
  • Le soleil y entra
  • Le chat ferma les yeux
  • Le soleil y resta »
Chats © Chabouté

Et à Georges Chelon, aussi.

  • « Je sens ton poids sur mes genoux
  • J’ te vois partout
  • Je t’entends toujours ronronner
  • Dévaler l’escalier
  • J’ai tes yeux dans les miens
  • Ta tête dans ma main
  • J’ai beau savoir que t’es plus là
  • J’y crois pas »

C’est aussi cela, cette envie de réminiscences poétiques, qui fait toute la beauté, toute la puissance des dessins de Chabouté. Dessinateur, narrateur muet, il se fait poète, joue avec les lumières, avec de superbes noirs, avec des contrastes lumineux, avec les perspectives, et il nous prouve que le chat est le poète de nos cités, qu’il nous observe alors que ne faisons que le voir.

Chats © Chabouté

Et les mots de Gonzague, finalement, accompagnent très bien ce livre. Ceux-ci, par exemple :

  • « Vous ne l’adoptez pas
  • Il vous engage
  • Pour devenir celui
  • Qui à travers ses âges
  • Prendra soin de lui »

Amoureux des chats, ce livre est pour vous.

Amoureux des mots, ce livre vous éveillera des échos et des souvenances aux vraies sensualités.

Amoureux du dessin lorsqu’il nous raconte des histoires qu’il nous appartient de nous raconter, cet album se doit de trouver sa place dans votre bibliothèque !

Jacques Schraûwen

Chats (dessins : Chabouté – texte : Gonzague – éditeur : Huberty & Breyne – 77 pages – mars 2021)

www.hubertybreyne.com

Les Artilleuses – 2. Le portrait de l’antiquaire

Les Artilleuses – 2. Le portrait de l’antiquaire

Trois héroïnes dans un Paris réinventé !…

Cette série, qui en est à son deuxième tome, s’amuse à mélanger les genres, nous entraînant dans des aventures échevelées aux imaginaires féconds !

Les Artilleuses – 2.© Bamboo-Drakoo

La bande dessinée est affaire de goût, comme tous les arts. Ce que j’aime, personnellement, dans cet univers graphique et littéraire, c’est sa capacité à surprendre, à utiliser des codes bien connus pour les distordre, leur offrir quelques dérives.

Et ct c’est exactement ce qu’il se passe avec la série « Les Artilleuses »… Ces artilleuses, ce sont Lady Remington, magicienne anglaise, Miss Winchester, Américaine possédant une salamandre magique, et Mam’zelle Gatling, une fée parisienne.

Les Artilleuses – 2.© Bamboo-Drakoo

Nous sommes en 1911, dans un Paris qui n’est ni tout à fait le nôtre, ni tout à fait un autre !… On reconnaît les lieux, les bâtiments, les décors… L’ambiance, même, très début de siècle, avec les chaussures à clou des forces de l’ordre, avec des services secrets qui semblent déjà annoncer une future guerre…

Mais on se trouve également, en même temps, dans un univers où ce monde côtoie l’outremonde… Et, de ce fait, il est naturel dans ce Paris qu’on reconnaît, des Trolls, des animaux bizarres, des faunes, des elfes, des magiciennes…

Cela dit, ces Artilleuses ne sont pas seulement une série d’héroïc fantasy.

Les auteurs s’amusent, de bout en bout, à distordre les codes parfois trop spécifiques de ce genre littéraire… Avec le scénariste Pierre Pevel et le dessinateur Etienne Willem, je parlerais plutôt de « merveilleux »…

Pierre Pevel et Etienne Willem : le merveilleux

Dans le premier tome, trois aventurières, les fameuses artilleuses, ont volé une sigillaire, une bague qui, disparue, peut provoquer bien des remous dans l’outremonde. Dans ce deuxième tome, les auteurs mettent en scène une véritable enquête policière à l’ancienne, dans une ambiance proche des feuilletons de la fin de dix-neuvième siècle, voire du vingtième siècle… Je pense à Eugène Sue, entre autres… Du côté des drames, cette enquête qui va mettre en face à face les espions allemands, les espions français, et les artilleuses, cette enquête, donc, va provoquer des fusillades, avec, à la clé, des cadavres à la pelle… Mais tout reste toujours dans le domaine de l’aventure, de l’humour aussi…

Les Artilleuses – 2.© Bamboo-Drakoo

C’est un livre ardu à résumer… Mais c’est surtout un livre passionnant et, ma foi, jouissif ! On y trouve des tas de références, de sourires, un commissaire cher à Nestor Burma, par exemple, ou un rédacteur en chef de Spirou très emblématique… C’est dire qu’il y a plusieurs lectures possibles… Des lectures « feuilletonnesques », souriantes sans jamais être mièvres…

Pierre Pevel : les influences

Et puis, il y a aussi, narrativement, des encarts narratifs originaux… Des voix « off », en couleur jaune, qui ne se contentent pas comme avec les dessinateurs de la Ligne Claire, de décrire ce qui se passe, mais qui, tout au contraire, fluidifient le récit en y apportant des raccourcis de bon aloi.

Pierre Pevel et Etienne Willem : les inserts narratifs

Et le dessin d’Emmanuel Willem, venu du monde de l’animation, joue avec les perspectives, avec les mouvements, aussi, usant d’angles de vue qui distordent le graphisme tout comme le scénario le fait avec le récit. Etienne Willem, par ailleurs dessinateur d’une autre série excellente, « La fille de l’exposition », prouve d’album en album que son talent devient de plus en plus évident.

Etienne Willem : le dessin

Un dessin qui pourrait se suffire à lui-même, sans doute, mais qui prend encore plus de vie, encore plus de présence grâce à un travail sur la couleur qui, en ombres et en lumière, dépasse et de loin le simple coloriage !

Etienne Willem : la couleur

Et comme dans les feuilletons du dix-neuvième siècle, ce « tableau de l’antiquaire » se termine sur une planche qui donne envie de vite tourner la page pour en découvrir la suite !

Les Artilleuses – 2.© Bamboo-Drakoo

Mais, pour cela, il va falloir attendre que paraisse, dans quelques mois, « Le secret de l’elfe »…

Jacques Schraûwen

Les Artilleuses – 2. Le portrait de l’antiquaire (dessin : Etienne Willem – scénario : Pierre Pevel – couleurs : Tanja Wenish – éditeur : Bamboo-Drakoo – 48 pages – mai 2021)

Les Artilleuses – 2.© Bamboo-Drakoo

A Fake Story

A Fake Story

Entre fiction et réalité, entre vérité et mensonge, une enquête passionnante !

En 1938, Orson Welles, nous dit-on, a provoqué un vent de panique dans tous les Etats-Unis avec une pièce radiophonique consacrée à une invasion de Martiens… Est-ce la réalité ou une « fake news » propagée par la rumeur ?… On en parle, dans ce livre à découvrir !

A Fake Story © Futuropolis

Tout commence, en effet, dans cet album, avec la voix de Orson Welles sur les ondes de CBS mettant en scène, comme un journaliste, « La guerre des mondes » de son presque homonyme H. G. Wells. Les gens écoutent, les gens ont peur, et, dans une petite ville loin de tout, Grovers Mills, un homme tue sa femme, blesse son fils et se suicide pour ne pas tomber entre les mains des envahisseurs.

Il n’en faudrait pas plus, dans cette époque qui voit les différentes radios s’affronter avec de plus en plus de hargne, pour que CBS en soit tenue pour responsable. Et risque, dès lors, de disparaître.

A Fake Story © Futuropolis

Le patron de cette chaîne de radio décide d’envoyer un de ses anciens journalistes, Douglas Burroughs, pour enquêter… Pour vérifier si cet horrible fait divers peut réellement être imputé à la « fiction » de Orson Welles.

Et c’est cette enquête, menée par un homme soucieux de vérité, d’une part, mais s’apprêtant à écrire un roman, d’autre part, qui va nous mener, lecteurs, à nous promener dans les méandres du quotidien, du réel et de ses imaginaires.

A Fake Story © Futuropolis

Parce que, déjà, il faut se rendre compte que le chaîne CBS n’avait en 1938 qu’une audience de 2%… Et que la panique que la rumeur a décrite et continue à décrire n’était pas une réalité ! Il y eut des mouvements épars de peur, d’angoisse, c’est évident… Mais seuls les auditeurs n’ayant pas entendu le tout début de cette émission consacrée à des pièces radiophoniques pouvaient croire en un reportage réel…

Parce que, ensuite, l’être humain est ainsi fait qu’il finit toujours par croire à ses propres mensonges. Et à réussir à y faire croire ceux qui l’entourent… Ne sommes-nous pas toutes et tous des petits Tartarin de Tarascon méconnus ?

Ce livre nous parle donc, vous l’aurez compris, de faux semblants. Mais, ce faisant, le scénariste Laurent Galandon nous offre un récit qui dépasse, et de loin, la seule anecdote historique. S’inspirant de l’unique roman de ce fameux Douglas Burroughs, dans une sorte de mise en abyme vertigineuse, c’est des apparences qu’il nous parle… Et des miroirs déformants qui, sans arrêt, font d’une enquête policière une espèce de labyrinthe dans lequel culpabilité et innocence se mêlent et parfois même se confondent.

A Fake Story © Futuropolis

Des apparences et, également, de réalités qui, de nos jours, éveillent encore de bien tristes échos.

Galandon crée ainsi des personnages qui vivent dans une époque bien précise et qui, de ce fait, subissent au quotidien des réalités qui ne devraient plus être de mise aujourd’hui.

Galandon nous enfouit dans ce qu’on a pu appeler un « racisme ordinaire », par exemple… Et un dessin superbe de la page 34 en raconte bien plus sur ce qu’était ce racisme dans les années trente que tous les beaux discours : un dessin qui montre l’étonnement dans le regard ‘un Noir qui voit un Blanc lui tendre la main !

Galandon nous parle aussi de l’horreur qu’une femme peut vivre parce qu’elle est considérée par d’aucuns comme inférieure, comme n’étant qu’un objet. Là aussi, notre vingt-et-unième siècle prouve que l’âme humaine n’a pas beaucoup évolué !

Ce que j’aime dans ce scénario, c’est que Galandon ne post-juge pas des attitudes avec un regard contemporain. Il nous donne à voir, simplement, ce qu’était le monde, ce qu’étaient les préjugés, ce qui était considéré, alors, et pas seulement aux Etats-Unis, comme étant « normal »… Cela dit, restituer un récit dans une perspective historique précise, ce n’est pas excuser cette discrimination, que du contraire. Et c’est pour éviter ces deux écueils, d’une part le jugement a posteriori et d’autre part la froideur d’un regard sans distance, que Laurent Galandon fait de Douglas Burroughs, le méconnu, un personnage humaniste, convaincu du bien-fondé de sa recherche de vérité. Un témoin subjectif, bien plus qu’un simple observateur !

A Fake Story © Futuropolis

Et, en choisissant de nous raconter une histoire se vivant dans le milieu du journalisme, avec, en trame de fond omniprésente la présence de l’immense génie qu’était Orson Welles, Galandon élargit encore plus son propos. Il nous parle de déontologie journalistique, il nous rappelle que les faits divers construisent aussi l’Histoire d’un pays, et il amorce déjà ce qui fut le début de la multiplication des « fake news », à savoir le pouvoir médiatique pris par la télévision.

Ce livre, ainsi, devient l’illustration d’une société qui passe de l’écrit à l’image, inéluctablement, sans pour autant supprimer l’art de la manipulation… De la propagande, chère à quelques dictatures de triste mémoire !

Tout cela a l’air bien sérieux, mais ce livre est quand même, d’abord et avant tout, un excellent roman noir à l’américaine, entre Chandler et Steinbeck aurais-je envie de dire…

Un livre choral, en quelque sorte, comme souvent avec Galandon qui aime ses personnages, qui a le besoin de leur donner corps, de leur accorder chairs…

Un récit dont le dessin de Jean-Denis Pendanx réussit parfaitement à rendre l’ambiance. Et ce malgré un découpage dans lequel les raccourcis pourraient se révéler perturbants. Son graphisme réussit, malgré les différentes histoires racontées, à nous les rendre toutes lisibles… linéaires, pratiquement…

Et, pour rendre palpable l’atmosphère de ce livre, il y a aussi les couleurs, quelques peu surannées, créant narrativement des séquences presque monochromatiques, qui ont une importance capitale…

Un excellent livre, donc, comme la plupart des œuvres scénarisées par Laurent Galandon. Une adaptation en bd d’un roman qui doit sans doute être réussie, même si ce roman est plus que méconnu…

A Fake Story © Futuropolis

Une belle mise en abyme, aussi… Dont voici un semblant de définition, qui pourrait vous permettre de lire ce livre autrement » : il s’agit d’un procédé littéraire qui place, dans le déroulé d’une œuvre, une autre œuvre du même genre, comme pour créer un écho…

Une mise en abyme, ici, ne serait-elle pas, finalement, un « fake » présent dès la couverture ?…

Jacques Schraûwen

A Fake Story d’après le roman de Douglas Burroughs (dessin : Jean-Denis Pendanx – scénario : Laurent Galandon – éditeur : Futuropolis – 90 pages – novembre 2020)