Une femme dans les coulisses du plus grand guide gastronomique du monde… Une bd tout en sourires, une chronique qui laisse la parole à Emmanuelle Maisonneuve, son personnage central…
Le personnage central de ce livre n’a rien d’imaginaire. Emma (Emmanuelle Maisonneuve) existe vraiment, et elle fut la première femme à être inspectrice dans le fameux guide rouge Michelin.
Cette jeune femme a derrière elle un trajet de vie tout à fait étonnant, puisque c’est très jeune qu’elle s’est découvert un don pour la gastronomie, pour le goût, pour la découverte de saveurs, et pour le talent de pouvoir partager en mots ses sensations. Un don, en fait, pour un de ces plaisirs qui permettent à l’existence de se construire en accord avec les possibles de ses sens…
Et c’est une partie de sa vie que nous raconte ce livre. Une partie importante, qui nous la montre en apprentissage dans le célèbre guide gastronomique, en inspection aussi, mais, en parallèle, qui nous la révèle également dans les méandres parfois difficiles de son quotidien.
Et tout cela fait de ce » Goût d’Emma » un livre de plaisir, un livre qui nous montre que le plaisir naît de l’éveil de tous ses sens, et qu’un don, quel qu’il soit, demande toujours à se concrétiser dans l’apprentissage…
Emmanuelle Maisonneuve: un livre de plaisir
L’existence d’Emma se plonge totalement dans ce qu’est sa passion première : la cuisine, les produits, le talent des cuisiniers et cuisinières capables d’imprimer à un plat leur propre personnalité, leur propre identité, sans jamais en dénaturer la qualité, LES qualités, et ce dans un restaurant étoilé comme dans un petit caboulot perdu loin de tout. Ce sont des rencontres, avec des plats, avec des créations artistiquement gastronomiques, avec des gens, aussi et surtout, dont ce livre nous parle, que ce livre nous montre. Sans éviter, et c’est ce qui fait sa richesse, la difficulté pour un être humain d’avoir en même temps une telle passion et une vie privée enrichissante…
Emmanuelle Maisonneuve: cuisine et vie privée
Ce livre est donc le portrait d’une femme. Mais pas uniquement… Il est aussi, et de manière très didactique ai-je presque envie de dire, le portrait d’un métier, le métier que cette femme a pratiqué pendant quatre ans, celui d’inspectrice du fameux guide rouge de chez Michelin !
Ce guide est pratiquement considéré comme une bible par nombre d’amateurs de bonne cuisine. Et de bons hôtels, aussi, bien sûr. Et même si, depuis quelques petites années, des voix s’élèvent pour critiquer ce guide, même si quelques grands chefs ont décidé d’abandonner volontairement leurs étoiles, il n’en demeure pas moins que, dans la profession comme dans le grand public, les appréciations qui émaillent ce guide sont une vraie référence.
Et » Le goût d’Emma » nous permet de découvrir les coulisses de cette bible… Il nous permet de vivre, de l’intérieur, la manière dont sont formés les inspecteurs (et l’inspectrice…), la façon dont sont jugés les restaurants et les hôtels visités. La manière, aussi, dont sont accordées les » reconnaissances » qui ne passent pas uniquement par l’attribution d’étoiles !
Et j’avoue avoir été conquis par la description que nous fait cette bd d’un quotidien qui est loin de celui qu’on imagine… Inspectrice ou inspecteur du guide Michelin, c’est un métier… Un métier artistique qui ne s’intéresse pas aux modes… Un métier avec des obligations pesantes… Mais un métier dans lequel l’élément moteur ne peut être que la passion !
Emmanuelle Maisonneuve: le guide Michelin
Et de passion, il est aussi questions dans le traitement graphique de cet album. La dessinatrice japonaise, Kan Takahama, ne se contente pas, en effet, d’un simple dessin » manga « . Chez elle, pas de démesures caricaturales dans les expressions des personnages. Pas de multiplication de cases pour que s’accélère la lecture. Il y a, en fait, dans son dessin comme dans le texte des deux scénaristes, un vrai mélange de genres, presque de styles même. Littérairement, il y a des envolées poétiques, parfois lyriques, à côté de phrases pratiquement banales. Et, dans le dessin, il y a les habitudes japonaises, certes, dans le plaisir à dessiner les sourires par exemple, mais il y a aussi un découpage qui se veut plus » à l’européenne. Et puis, il y a surtout la couleur ! Une couleur qui permet à Takahama de nous dessiner des plats avec une sensualité évidente… Une sensualité que partagent, d’ailleurs, le texte et les dialogues d’Emma, elle qui, incontestablement, est tombée sous le charme de la cuisine autant que du dessin venus du Japon !
Emmanuelle Maisonneuve: le dessin
Un livre pour tous les amateurs de bonne et belle cuisine, d’inventivité dans la présentation comme dans l’élaboration… Un livre pour toutes celles et tous ceux qui aiment qu’une bande dessinée ose s’aventurer loin des sentiers battus de la simple et souvent banale aventure… Un livre passionné, c’est vrai, et, ma foi, passionnant à lire…
Jacques Schraûwen
Le Goût D’Emma (dessin : Kan Takahama – scénario : Emmanuelle Maisonneuve et Julia Pavlowitch – éditeur : Les Arènes BD)