Les Grandes Batailles Navales

Les Grandes Batailles Navales

Maître de collection, le Belge Jean-Yves Delitte, grand connaisseur de la marine, s’en donne à cœur joie pour nous raconter des combats qui ont construit la grande Histoire !

Jean-Yves Delitte n’a sans doute pas toujours été passionné par la Mer, ses aventures, ses folies, ses couleurs changeantes, ses démesures humaines. Il a même touché un peu à tout, graphiquement, scénaristiquement, du polar au livre exotique, de l’illustration à l’aventure amoureuse.

Depuis plusieurs années, cependant, ce sont les océans qui font l’essentiel de ses inspirations, de ses aspirations, les océans et ce qui s’y vit de réalités humaines. On peut ainsi épingler dans son œuvre une série comme  » Black Crow « , bien évidemment, mais aussi  » U-boot « , ou  » Le Sang des Lâches « . C’est dire que quand les éditions Glénat sont venues sonner à sa porte pour lui proposer de diriger une collection, exclusivement axée sur les grandes batailles navales de l’Histoire, il ne lui a pas fallu beaucoup de temps de réflexion pour répondre affirmativement !

Cela dit, qu’on ne s’y trompe pas, surtout : il ne s’agit nullement pour lui, dans cette collection, de faire œuvre historique pure et dure, il ne s’agit nullement non plus de faire preuve de didactisme à la manière de l’Oncle Paul. Les temps ont changé, et c’est bien de bd moderne qu’il s’agit ici.

Une bd qui, cependant, reste ancrée dans la grande tradition du neuvième art populaire, celle qui consiste, d’abord et avant tout, à raconter des histoires passionnées, certes, mais passionnantes surtout !

C’est donc le romanesque qui reste au centre de tous les récits qui vont paraître dans cette collection, qu’ils soient totalement l’œuvre de Delitte ou uniquement dues à ses scénarios.

Un romanesque qui, pourtant, se veut également fidèle, tant que faire se peut, à la vérité historique.

Jean-Yves Delitte: le romanesque et la guerre
Jean-Yves Delitte: la vérité historique

L’homme a toujours rêvé à l’ailleurs… Un ailleurs qui, pour lui, s’est incessamment laissé découvrir par la violence du combat, celle de la guerre, de toutes les guerres. Un ailleurs qui ne pouvait que se situer au-delà de l’horizon, donc au-delà de la mer et de ses mystères.

Cette collection s’intéresse à ces ailleurs, c’est évident, et elle se veut aussi source de rêves, tout aussi évidemment, tant il est vrai que les vagues battant les coques de bois, le vent gonflant les voiles, le soleil changeant la consistance de l’écume des flots, tout cela appartient aussi au monde du rêve.

Et ce que j’aime dans cette collection dont trois albums sont déjà parus, c’est que le dessin, dans chaque livre, réussit à faire rêver, encore, toujours, malgré les scénarios qui, eux, parlent finalement d’horreur et de mort.

Et la mise en couleurs de ces albums mérite elle aussi le détour, elle qui ne se contente à aucun moment d’un tout-venant en la matière, et qui réussit à rendre compte des heures, des saisons, des vents, des embruns, des odeurs presque.

Jean-Yves Delitte: les dessinateurs
Jean-Yves Delitte: la couleur

Ce que j’aime aussi chez Jean-Yves Delitte, c’est qu’il n’oublie à aucun moment que l’Histoire majuscule n’est faite que d’histoires minuscules, et que seul l’humain peut donner du corps à un récit, quel qu’il soit.

Et c’est le cas dans cette collection, qui ne se contente pas de relater de grands faits historiques, mais qui le fait en prenant comme axe de vision des  » petites gens « , et le moins possible de personnages qui prennent les décisions.

Le monde, nous dit-on, s’est toujours construit au feu de guerres et de tueries, et c’est bien de ce monde-là que Delitte nous parle. Mais il le fait en voulant, essentiellement, laisser la place, la parole, et donc la critique, aux protagonistes les plus humbles de ses récits.

Jean-Yves Delitte: l’humain…

C’est un souffle à la fois épique et simplement humain qui souffle dans les voiles de cette collection. Jean-Yves Deliltte la dirige comme un amiral humaniste pourrait diriger son navire : avec un regard qui peut s’avérer critique, avec un sens de la construction qui ne manque jamais de puissance mais qui n’oublie jamais de se placer à taille d’homme.

Glénat a toujours été un éditeur soucieux de mettre l’Histoire à la portée de tous, grâce à de la bonne bande dessinée. Et c’est, ici, un pari encore une fois réussi !

 

Jacques Schraûwen

Les Grandes Batailles Navales (une collection dirigée et scénarisée par Jean-Yves Delitte – albums parus : Trafalgar dessiné par Denis Béchu, Chesapeake dessiné par Jean-Yves Delitte, Jutland dessiné par Jean-Yves Delitte –  éditeur : Glénat)

Guirlanda

Guirlanda

Revoici (enfin!…) Mattoti et ses libertés graphiques toujours étonnantes, toujours envoûtantes… Un  » roman graphique  » aux rythmes de douceur et de contemplation.

Cela fait une quinzaine d’années que Mattoti se consacre à tout autre chose qu’à la bande dessinée. Le retour au neuvième art de ce trublion du graphisme était donc plus qu’espéré ! Avec la peur, peut-être, de retrouver un artiste plus sage, plus retenu !

Ce n’est, heureusement, pas le cas, et on peut parler, vraiment, de retour gagnant, même si la métaphore avec le tennis me semble tout compte fait trop osée !

Cela dit, avec Mattoti, pas question non plus de se trouver en face d’une histoire linéaire, loin s’en faut ! Ce qu’il aime, d’abord et avant tout, c’est surprendre, lui-même d’abord, les lecteurs ensuite.

Ainsi, avec Mattoti, il sera toujours impossible de résumer un de ses livres.

Dans Guirlanda, on parle d’un pays, d’un univers plutôt, peuplé de créatures plus ou moins humaines, des créatures tout en rondeur et sans méchanceté qui vivent en accord avec tout ce qui les entoure.

Mais cet univers va changer, on le sent, on le ressent. Et un de ces êtres, Hippolyte, va devoir intervenir, avec une espèce de nonchalance redoutable !

Au-delà d’un récit qui pourrait n’être que celui d’une aventure somme toute traditionnelle, il y a le style » Mattoti « , un style qui transparaît d’abord dans une construction qui, pour anarchique qu’elle soit, respecte sans cesse les codes de la bande dessinée, un style qui, surtout, est celui d’un plaisir évident pris à nous raconter cette histoire longue et passionnante dans laquelle tout le monde peut se reconnaître et reconnaître, surtout, ses propres plaisirs…

Lorenzo Mattoti: le plaisir
Lorenzo Mattoti: la construction du récit

Inventer, improviser… Mais le faire avec la présence d’un texte, des phrases écrites, réécrites, travaillées, des phrases qui se devaient de posséder, elles aussi, un rythme qui leur soit totalement personnel. Il faut dire qu’entre les deux auteurs de ce volumineux livre règne une belle osmose… Une osmose telle qu’on peut se demander, souvent, au fil des pages, si c’est le dessin qui a précédé le texte, ou si ce sont les mots qui se sont pliés aux exigences du graphisme…

Toujours est-il que, même discret, le texte de Jerry Kramsky est essentiel, il est un élément moteur du récit, de ses folies et de ses libertés.

Lorenzo Mattoti et Jerry Kramsky: le texte

 

L’expression  » roman graphique « , créée en son temps par Eisner pour définir une bd américaine en opposition totale avec les codes des comics et de leurs super-héros de toutes sortes, cette expression, de nos jours, est fort à la mode.

Il n’est pas évident de définir ce qu’est un roman graphique, d’ailleurs : ce n’est pas une œuvre traditionnelle, ce n’est pas un format habituel, cela raconte des histoires dont l’apport littéraire doit être évident, cela doit réussir à mêler fiction et introspection… entre autres !

Guirlanda répond à tous ces critères et, pourtant, je me refuse, personnellement, à donner ce nom à ce livre de quelque 400 pages sous couverture de carton simple, presque brut, mais à l’aspect solide.

Si cela ne tenait qu’à moi, j’inventerais pour Guirlanda une nouvelle définition bédéiste :  » poème graphique  »

Avec Guirlanda, on est dans la poésie, oui…. Celle du bateau ivre, mais vu des rives… Celle de Lautréamont, mais sans verbalité tonitruante… Mattoti et Kramsky sont les auteurs d’un long poème dans lequel la nature, au sens large du terme, appartient intégralement à l’humanité, dans le sens de  » particularité de l’humain « .

Lorenzo Mattoti: les personnages et la nature
Lorenzo Mattoti: un poème graphique

 

N’ayez peur du format de ce livre, ni de son aspect en noir et blanc à l’apparence quelque peu austère. Ce que les auteurs de Guirlanda, finalement, nous disent dans cet album, c’est que, finalement et définitivement, il ne faut jamais s’arrêter aux apparences !

Et ce « Guirlanda » est, sans aucun doute, un des grands moments de l’édition bd 2017!

 

Jacques Schraûwen

Guirlanda (dessin : Lorenzo Mattotti – scénario : Jerry Kramsky – éditeur : Casterman)

Gipi : Une exposition et un album !

Gipi : Une exposition et un album !

Un artiste éclectique et complet au Centre Belge de la Bande Dessinée et un roman graphique au désespoir parfois lumineux !

L’Exposition : Gipi ou la Force de l’Émotion

A 54 printemps, Gian Alfonso Pacinotti, plus connu dans le monde de l’art sous le pseudonyme de Gipi, est un artiste étonnant. Un artiste, oui, un vrai, qui n’aime pas se cantonner dans un seul aspect de la création. Auteur de bd, illustrateur, musicien, cinéaste, que sais-je encore, tout ce qui touche à l’âme humaine l’intéresse.

A l’âme humaine et, surtout, à l’émotion. Lorsqu’il s’intéresse à l’illustration, comme lorsqu’il se plonge dans la construction d’un album de bande dessinée, ce qui le passionne, ce qu’il rend passionnant en le partageant avec ses lecteurs, ses spectateurs, c’est cette réalité profondément humaine et humaniste : l’émotion, celle des possibles de l’errance, celle de la poésie, aussi. Ses albums, ainsi, me semblent vraiment être des bateaux à l’ivresse contrôlée qui voguent sur les vagues du quotidien, aussi improbable puisse-t-il être.

Et cette exposition qui lui est consacrée jusqu’en mars prochain au Centre Belge de la Bande Dessinée, à la rue des Sables, à Bruxelles, laisse la place, ainsi, en une scénographie simple mais parfaitement agencée, à tous les aspects de son graphisme. Non réaliste, mais sans cesse inspiré par la réalité, son dessin a vibré de couleurs dont il usait à la manière d’un peintre, avant de se simplifier et de réussir, en noir et blanc, à s’épurer sans pour autant épurer les sentiments qu’il raconte et décrit.

Gipi : un véritable artiste multiforme à redécouvrir, sans cesse !

 

(Centre Belge de la Bande Dessinée)

Gipi: un artiste éclectique

La Terre Des Fils (auteur : Gipi – éditeur : Futuropolis – 2017)

On est loin, ici, de  » Paroles sans papiers « , graphiquement du moins. Pas de couleur, mais du noir et blanc, travaillé à la plume, nourri de hachures, d’attitudes, de mouvements et de regards. De décors, aussi, tantôt à peine esquissés, tantôt vibrant d’une présence narrative essentielle.

C’est un livre post-apocalyptique. Un sujet maintes fois abordé en bd comme en littérature. Mais ici, l’œil de Gipi abandonne totalement le spectaculaire pour s’attacher exclusivement à l’humain, non pas celui qui reste, mais celui qui est né  » après la fin « …

En quatrième de couverture, d’ailleurs, Gipi nous livre les clés de son livre :  » Sur les causes et les motifs qui menèrent à la fin on aurait pu écrire des chapitres entiers dans les livres d’histoire. Mais après la fin aucun livre ne fut plus écrit.  »

Nous sommes donc après la  » fin « …. Survivre est un combat de chaque jour, combat que mènent différents survivants : un homme, ses deux fils, un autre homme, une femme qu’on appelle la sorcière, des jumeaux à la grosse tête…

La mort survient, et les deux fils se retrouvent seuls avec leurs questions. Avec une question, surtout, essentielle : leur père, désormais définitivement absent, écrivant chaque jour, qu’écrivait-il, que racontait-il au silence?… Mais ils ne savent pas lire ! Et c’est donc à leur errance et à leurs recherches d’identité et de passé qu’on assiste dans ce livre au rythme lent, parfois terriblement brutal, mais d’abord et avant tout vécu à taille de ces survivants à qui tous les sentiments humains sont encore à découvrir.

Une errance à laquelle les mots qu’ils ne comprennent pas refusent de donner un sens, une existence qui ne prend de force qu’à partir du moment de la découverte d’une espèce de sentiment inconnu, celui d’une forme d’amour…

J’ai rarement ressenti une telle ambiance, à la fois lourde et légère, au long de mes lectures. Gipi raconte une histoire, oui, mais il le fait avec des mots qui deviennent des souvenances, avec des regards qui se perdent dans l’impossible d’un futur, avec une beauté qui est à totalement réinventer.

Il y a chez cet auteur, à travers l’apparente « simplicité » de son dessin, une âme d’enfant, oui, une âme poétique, aussi, une âme attendrissante et envoûtante, une âme qui vibre de page en page et fait de ce livre un roman dessiné d’une qualité exceptionnelle !

Gipi: le dessin

Ne ratez ni l’exposition, ni l’album, croyez-moi, pour découvrir qu’en bande dessinée tout est possible, même le meilleur !… Pour aller, le plus simplement du monde, à la rencontre d’un artiste comme on en fait peu, et qui, à aucun moment, ne se prend au sérieux !….

Jacques Schraûwen