Jérôme K. Jérôme Bloche : 29. Perpétuité

Jérôme K. Jérôme Bloche : 29. Perpétuité

29 volumes, déjà, dans cette série qui continue à mêler, avec talent, enquêtes policières sans envergure mais importantes, sentiments amoureux à avouer, quotidien d’une rue normale dans une ville normale…

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Je parlerai ici, certainement, de quelques-unes des nouveautés de cette « rentrée ». Certainement également, j’aurai plaisir à rencontrer quelques auteurs, passionnés et passionnants…

Mais je ne sacrifie pas à cette mode à la fois médiatique et éditoriale, vieille de bien des années pourtant, qui tend à retirer des articles comme des étalages tout ce qui n’est pas « nouveauté » ! En bd encore plus qu’ailleurs, peut-être même !

Je me demande toujours, quand j’entre dans une libraire spécialisée en neuvième art, pourquoi un mur n’est-il pas consacré à des livres, sortis il y a bien des mois, et que le libraire considère comme importants, essentiels, à partager… A découvrir, donc…

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Vous l’aurez compris, je vais aujourd’hui, chroniquer un livre paru il y a pratiquement un an. Eh oui, je l’avoue, j’aime aussi laisser traîner quelques lectures, attendre que l’envie prenne le pas sur le quotidien, pour les feuilleter, les lire, les dévorer parfois… Les oublier aussi, quelquefois, il faut bien le dire ! Avec Dodier, le plaisir, je le sais, est toujours au rendez-vous… Plaisir de se plonger dans des intrigues bien agencées, dans lesquels les détails participent pleinement à l’action (ou au manque d’action), plaisir de sourire aux errances presque poétiques d’un héros qui n’en sera jamais un…

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Dans ce 29ème opus, de quoi nous parle Dodier ? Dans quelle enquête tarabiscotée a-t-il jeté son personnage ? On nous parle d’un doudou perdu par une petite fille… D’un tonton un peu paumé qui disparaît aussi… D’une prof de piano qui cache un secret… D’un homme captif dans une cave… Et d’un Jérôme fatigué qui ne rêve que de se reposer ! Le talent de Dodier a toujours été, dans cette série, de ne parler finalement que de plusieurs réalités plausibles se mêlant en un récit qui coule, limpide, en mots comme en dessin.

Cela dit, à la lecture de cette aventure-ci, on peut avoir l’impression d’un album un peu plus faible que les autres, comme si cette série semblait rechercher un second souffle. C’est, en tout cas ce que je me suis dit, avant de me poser une question : pourquoi ce titre, « perpétuité » ?…

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Et ce mot résume, à sa manière, tous les sentiments qui se croisent dans ce livre… Un peu comme pour dire que nous sommes toutes et tous, personnages de fiction ou lecteurs réels, soumis à de multiples perpétuités… Le prisonnier dans sa cave ne se souvient de rien, sinon de cette étrange condamnation qu’il subit… Le tonton a perdu la tête et ses remords envahissent tous ses présents… Le doudou symbolise toutes les enfances qu’il nous reste à vivre… Il y a l’Amour, ses hauts, ses bas, ses distractions, mais sa continuité pour que la vie reste vivable… Je dirais presque que même la fatigue de Jérôme correspond sans doute aussi à celle d’un auteur qui, créant un univers, s’y retrouve sans cesse plongé d’album en album, comme se jetant, avec Cocteau, dans un miroir aux liquides accueils…

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C’est peut-être par cela que cette série continue à me plaire, à m’envoûter même… Bien sûr, il y a le côté polar à l’américaine détourné par l’humour… Mais il y a surtout le talent de Dodier d’avoir inventé, en 29 albums, un véritable univers complètement réaliste, avec des tas et des tas de personnages qui, d’aventure en aventure, reviennent sur le devant de la scène, se révèlent et se dévoilent un peu plus… Le prêtre… Les voisins, les voisines, l’épicier… C’est dans un monde fourmillant de vérité qu’évolue Jérôme K. Jérôme, et la magie opère dans chaque nouvel opus : ce personnage de fiction, on l’a déjà rencontré… Et il y a en chaque autre personnage un peu de nous, et beaucoup des quotidiens qui nous entourent… Cette série mêle ainsi, en dessins et en textes, les humanismes tranquilles qui font qu’une existence est vivable et souriante…

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Vive Jérôme K. Jérôme, ses références, ses faiblesses, ses fatigues, ses regrets et ses sommeils ! Dodier en a fait, au fil des années, plus qu’un héros de papier, un compagnon que ses lecteurs sont toujours heureux de retrouver… Un ami, oui !!!

Jacques et Josiane Schraûwen

Jérôme K. Jérôme Bloche : 29. Perpétuité (auteur : Dodier – couleurs : Cerise – éditeur : Dupuis – octobre 2024 – 53 pages)

Jésus Aux Enfers – Trois jours de la vie du Christ dont les Evangiles « officiels » ne disent rien !

Jésus Aux Enfers – Trois jours de la vie du Christ dont les Evangiles « officiels » ne disent rien !

Un livre étonnant, un livre original, un livre à découvrir !

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En une époque où il est souvent de très bon ton de se moquer de la religion, des religions même, voire de les fustiger, on ne peut que s’étonner de voir apparaître un livre comme celui-ci ! On pourrait aussi croire, alors, que l’auteur d’un tel ouvrage fait là œuvre de croyant. Mais il n’en est rien… Thierry Robin, l’auteur de cet album, s’est bien plus intéressé à ce que sont les évangiles… A la façon qu’ils ont eue d’aider à la propagation d’une religion.

Thierry Robin

Thierry Robin, ainsi, a décidé de s’inspirer des évangiles que l’on connaît, du Credo également, cette prière catholique qui dit : « Jésus est mort, a été enseveli, est descendu aux enfers, le troisième jour est ressuscité des morts ».

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Et d’un évangile, celui de Nicodème, un évangile qui était présent dans l’Eglise jusqu’aux années 300, et qui parle justement de ces trois jours aux enfers…

Thierry Robin

C’est à partir de ce texte que Thierry Robin a décidé de parler de ces trois journées, en une bande dessinée qui s’enfouit résolument dans une forme de fantastique… Une vraie gageure…

Thierry Robin

Et c’est par ce biais du fantastique, incontestablement, que Thierry Robin crée une œuvre originale, qu’il transforme une histoire qui a donné vie à la religion catholique et qu’il en fait quelque chose de résolument humain… Le fantastique, en littérature, peut prendre bien des formes… Celle que choisit Thierry Robin est dans la continuité graphique de quelques anciens, comme Druillet… Dans la continuité littéraire de quelques textes du dix-neuvième siècle, également. Il s’agit bien d’une touche personnelle, sans aucun doute possible, d’un regard non formaté, aussi, sur l’histoire de cet évangile de Nicodème.

Thierry Robin

Thierry Robin a totalement réussi son pari de nous offrir un livre passionnant, tous publics, non engagé, ni religieusement, ni philosophiquement. Certes, cet album s’inscrit dans ce que notre culture a de judéo-chrétien comme on dit… Il n’a rien d’une œuvre « catho », mais, en même temps, il n’a rien d’agressif, rien de provocateur vis-à-vis de la religion chrétienne… Et il y a une vraie touche personnelle, dans la rencontre avec Satan par exemple, empreinte d’humour, de jeux de mots, même.

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Et on ne peut que savourer les dialogues de Jésus avec les âmes qu’il vient libérer, avec David, avec Noé, traumatisé d’avoir dû sauver des animaux et laisser mourir des humains, avec le couple Adam et Eve, tout cela est passionnant, souriant, intelligent aussi, et agrémenté de bien des notes venant des évangiles…

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Le dessin et ses couleurs font de cet album un ouvrage qui peut parfois faire penser à la bd sud-américaine, par son travail soigné des aplats noirs, font surtout de ce livre une œuvre originale, avec un superbe sens de la mise en scène. Avec, également, des références cinématographiques, à Cocteau ou à Bergmann, par exemple. Un livre étonnant, donc, et qui mérite le détour !

Thierry Robin

C’est un livre étonnant, oui ! Et à quoi servirait l’art, dites-moi, le neuvième en l’occurrence, s’il n’était pas capable de nous surprendre ! Et, ce faisant, de nous faire réfléchir à cette société dans laquelle nous vivons et dans laquelle, finalement, le « fantastique » occupe une vraie place souvent prépondérante ! Bien plus « humaine » que la sacro-sainte raison qui occupe, de nos jours, le haut du pavé !

Jacques et Josiane Schraûwen

Jésus Aux Enfers (auteur : Thierry Robin – éditeur : Soleil/Quadrants – avril 2025 – 120 pages)

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Jeremiah – 41. Casino Céleste

Jeremiah – 41. Casino Céleste

Non, la bande dessinée ne vit pas que dans les salons de Paris, d’Angoulème ou de Bruxelles! Et c’est à Ath, tout simplement, que j’ai le plaisir de croiser la route, et les dessins, d’Hermann…

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Hermann appartient totalement, et le nier serait mensonger, à l’histoire du neuvième art. Son évolution graphique, son évolution au niveau de l’écriture, son caractère bien trempé, son mépris pour les modes imbéciles font de son œuvre, tout simplement, un chemin de liberté que très peu d’autres auteurs ont réussi à tracer !

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Les « pisse-vinaigre », les bien-pensants « pisse-copies » ont pris l’habitude, depuis quelque temps, de dénigrer Hermann… Plus que de la jalousie, il s’agit de la preuve évidente que la triste connerie humaine devient de plus en plus une réalité…

On peut ne pas aimer tel ou tel album… On peut trouver, pourquoi pas, que le trait a changé, que la construction devient chaotique. Mais ces « posts », ces articles aussi qui se permettent de ne dire que du mal me font penser vraiment à une sorte de guerre ouverte de la part d’imbéciles parvenus vis-à-vis d’un talent qu’ils n’auront jamais !

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Voilà qui est dit, n’en déplaise aux décérébrés qui se pensent experts et qui ne sont même pas amateurs !

Et donc, je peux reconnaître que ce 41ème opus de la saga « Jeremiah » est déconcertant à bien des niveaux… Mais le plaisir d’être déconcerté et de découvrir un album de ce que je pourrais appeler de la « bd-rythme », permet de dépasser cette première sensation. Hermann est un artiste qui a toujours évité, le plus possible, les habitudes et leurs routines, leurs tics. Et, oui, j’ai été déconcerté par ce « Casino céleste », et j’ai surtout été séduit…

Du côté du scénario, on retrouve Jeremiah et Kurdy, engagés pour une mission dont ils ne semblent pas plus que les lecteurs connaître le sens, perdus dans un lieu de violence, de haine, de pouvoirs, et aussi de révolte contre deux frères psychopathes…

Ce qui me frappe, en fait, dans ce scénario, c’est qu’il semble suivre le rythme du dessin et de la couleur, s’écrire, en quelque sorte, automatiquement, emporté non par l’imagination de son auteur, mais par celle du dessin, de la lumière, de la couleur.

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« Jeremiah » est une série étrange… On encense, et on a mille fois raison de le faire, l’époustouflant « La Route » de Larcenet… Un album « postapocalyptique » comme l’est toute la saga de « Jeremiah », une série qui se révèle être une véritable fresque « du hasard ». Et d’un côté comme de l’autre, au travers de cette route et de ce casino céleste, ce sont d’identiques points de fuite qui se dessinent… La nécessité d’une révolte, la lutte constante contre l’horreur, la petitesse de tant et tant d’humains… Larcenet déploie un génie graphique sublime pour pénétrer dans cet univers glauque, Hermann se laisse porter par des ambiances crépusculaires, par des couleurs omniprésentes et estompant le réel pour mieux en dessiner les turpitudes et les violences… Il y a chez lui une certaine forme littéraire, visuelle, proche parfois des illuminations d’un Tarentino… Ou du sens des regards que Leone avait…

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Hermann s’amuse à touiller dans toutes les nostalgies qu’il croise… Il aime aussi, de ci de là, agrémenter son livre de quelques références, parfois humoristiques… Par une forme d’amitié entre « confrères », puisqu’on retrouve, dans un personnage terriblement ambigu, l’ami Walthéry. Il a besoin aussi, et Larcenet ne fait pas autre chose d’ailleurs, de garder une forme d’espérance… L’ultime planche de ce « Casino céleste » n’est-elle pas, à ce titre, l’espoir infini que l’Amour puisse rester, finalement, la seule valeur véritablement humaine…

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J’ai eu le plaisir de rencontrer Hermann, au sujet de ce livre, et de le laisser parler… J’ai eu le plaisir de retrouver, une fois encore, un homme droit, un homme sans compromissions, un artiste complet… Oui, je l’ai laissé parler, et je vous propose donc de l’écouter, in extenso… Fidèle à ce qu’il a toujours été !… Un ours à moitié léché, comme le disait La Fontaine !…

Hermann

Jacques et Josiane Schraûwen

Jeremiah – 41. Casino Céleste (auteur : Hermann – éditeur : Dupuis – octobre 2024 – 48 pages)