Lonesome : 1. La Piste Du Prêcheur

Lonesome : 1. La Piste Du Prêcheur

Chronique de Jacques Schraûwen publiée su le site de la RTBF le mardi 23 janvier 2018 à 14h59

 

Le retour d’Yves Swolfs au western, avec un personnage puissant, et une époque qui annonce de grands bouleversements de société. Un livre à découvrir, un auteur à écouter dans cette chronique !

 

Au tout début des années 80, le western en bande dessinée, c’était Giraud, évidemment, et Hermann, tout aussi évidemment. Et ce fut aussi Swolfs, avec un personnage directement inspiré des « western-spaghetti », le silencieux  » Durango  » et son arme fétiche.

Avec lui, on s’éloignait totalement des codes américains d’un genre que Sergio Léone, au cinéma, avait révolutionné, mais tout en recréant, graphiquement, d’autres codes, toujours comme Leone, ou Corbucci.

Les personnages se devaient de ne pas être sans reproches, ils se devaient aussi de s’inscrire dans une époque où les apparences et les habitudes n’étaient pas celles d’aujourd’hui ni du cinéma de John Wayne. Durango était un héros, certes, mais un être dont en sentait, charnellement, au travers de ses représentations dessinées, qu’il était rugueux de contact, sale sans doute, sans beaucoup de convictions, et n’ayant de sentiments altruistes qu’au hasard des pérégrinations de son existence.

Durango était un anti-héros solitaire.

Lonesome, le nouveau personnage de Swolfs l’est tout autant !

Comme dans Durango, Yves Swolfs construit une intrigue autour d’un être humain qu’on devine blessé par son enfance, un être dont l’unique combat semble être la vengeance, sans pitié, sans états d’âme.

A ce titre, Lonesome vient tout droit des goûts de Swolfs, bien sûr, mais aussi des codes illustrés au cinéma par un Clint Eastwood silencieux et guerrier. Là où John Wayne était toujours un personnage, à sa manière, convivial, Eastwood, ou même Gary Cooper, ne l’étaient plus du tout. Comme Durango. Comme Lonesome, aujourd’hui, dont la solitude volontaire semble être sa seule façon d’exister, de survivre…

 

Par contre, ce qui différencie Lonesome de Durango, c’est que Swolfs abandonne ici l’aventure pure, avec ses codes efficaces mais, tout compte fait, simples, voire parfois simplistes, pour enfouir son personnage dans un univers de violence, de violences plurielles, mais un univers dans lequel toute aventure s’inscrit aussi dans un contexte historique précis.

Nous sommes, dans ce premier album, à l’aube d’une guerre qui n’a pas encore commencé mais dont les premiers soubresauts se font ressentir à la frontière séparant le Kansas du Missouri. D’un côté de cette frontière, ce sont les adversaires de l’esclavage qui ont la parole, de l’autre côté, au Missouri, l’esclavagisme est une réalité que la population veut voir perdurer. Et un prêcheur qui se revendique de l’abolitionnisme passe de ville en ville, de village en village, pour prôner une nouvelle sorte de croisade armée.

Ce prêcheur est poursuivi, pour des raisons qui n’apparaissent que peu à peu, au gré de quelques flash-backs, par Lonesome. Et sur la route de ce dernier, les cadavres se multiplient, et la mort lui est compagne fidèle et terrible.

Cela dit, qu’on ne s’y trompe pas : la guerre de sécession, qui approche à grands pas, n’est qu’une trame de fond dans une histoire qui mêle bien des thèmes différents.

Il y a la force de persuasion de la religion, au sens large du terme, il y a le fanatisme, religieux mais aussi politique, il y a l’alibi d’un grand et noble sentiment, l’abolitionnisme, pour des raisons qui, finalement, ne sont que mercantiles. Il y a, surtout, de part en part, une avidité de pouvoir qui donne naissance à des dérives déshumanisées.

Tous ces thèmes, il est vrai, ne sont là qu’en paysage d’une intrigue aux codes évidents. Mais ces thèmes  éveillent,  et c’est tout aussi évident, des échos dans le monde d’aujourd’hui, où l’embrigadement mène à la mort, où les belles idées débouchent sur l’horreur, où le monde se révèle incapable d’empêcher l’Histoire, la grande Histoire, de bégayer !

Yves Swolfs: Plusieurs thèmes…
Yves Swolfs: la grande Histoire

Et pour parvenir à mêler tout cela en une bd qui reste de bout en bout passionnante, pour parvenir à créer un personnage emblématique dans un univers qui ne l’est pas moins, Yves Swolfs, au sommet de son talent, construit son scénario comme un metteur en scène crée son film. Il varie les plans, mais sans que cela se révèle jamais pesant ou inutile. Il s’approche au plus près des visages, et surtout des regards, pour que s’expriment, dans le silence d’une page dessinée, des sentiments de haine, de pitié, de détresse, de colère.

Et ce qui ajoute encore à la véritable force de ce premier album d’une série qui s’avère déjà  une belle réussite, ce qui ajoute encore à la clarté du dessin, c’est la mise en couleurs de Julie Swolfs, la fille du dessinateur et scénariste.

Elle magnifie, encore une fois comme dans les films de Sergio Leone, les superbes paysages dans lesquels évolue Lonesome, mais aussi les scènes plus intimistes.

Yves Swolfs: la couleur

Le Western, au cinéma comme en bande dessinée, c’est peut-être le seul genre qui peut se rattacher à la  tragédie, celle des Racine ou Corneille, celle d’Œdipe ou d’Agamemnon !

Mais pour y parvenir, à cette tragédie qui, tout comme le cinéma, a ses propres codes, celui du chœur, entre autres, celui des observateurs qui se refusent à toute intervention mais qui jugent, décrivent, déforment, pour arriver à, graphiquement, montrer cette ressemblance, il fallait le talent d’un grand auteur. Et Yves Swolfs est un grand raconteur d’histoires, un grand auteur populaire, aussi, surtout. Et Lonesome est un personnage qui a du corps, qui a de la chair, qui m’a séduit et dont j’attends d’ores et déjà la suite avec impatience…

 

Jacques Schraûwen

Lonesome : 1. La Piste Du Prêcheur (auteur : Yves Swolfs – couleurs : Julie Swolfs – éditeur : Le Lombard)

Léo Loden : Massilia Aeterna

Léo Loden : Massilia Aeterna

Pour cette vingt-cinquième aventure du détective privé  méridional, ses auteurs nous emmènent dans un lointain passé… Dépaysement et sourires restent au rendez-vous !…

 

          Massilia Aeterna©Soleil

 

Eh oui, cela fait vingt-cinq ans que Léo Loden, ancien policier reconverti dans les enquêtes privées, vit  dans le Sud de la France des aventures mouvementées, parfois violentes, en compagnie de Marlène qui rêve de mariage et de Tonton Ulysse, un marin qui ne tangue jamais, même après plusieurs bonnes bouteilles…

Pour fêter cet anniversaire, Arleston, Nicoloff et Carrère ont décidé de s’immerger dans l’Antiquité romaine. Et d’y plonger, bien évidemment, leurs personnages qui ont quelque peu changé de nom : Leo Lodanum, Marlena, et l’ineffable Ulysse.

Marseille étant une ville éternelle, c’est au creux de ses ruelles, de son port, de sa campagne avoisinante que va se construire un récit qui laisse la part belle à l’humour.

 

          Massilia Aeterna©Soleil

 

L’humour, oui, mais pas seulement. Parce que l’enquête que va mener Leo Lodanum, même si elle se déroule à une époque lointaine, éveille des échos bien contemporains : on parle de mafia, on parle de constructions nouvelles qui défigurent le paysage et de mots de vin distribués à tour de bras. Meurtre et corruption ont toujours fait bon ménage, surtout sous le soleil du Midi, et nombreux sont les polars et les films qui se passent à Marseille.

Et donc, c’est à une enquête plus que mouvementée que va se livrer Léo… Courses de chars dans les rues de la ville, aqueduc qui s’écroule, repas fin sur une galère, visites dans un lupanar où l’orgie romaine prend tout son sens, tout participe dans le scénario concocté par Arleston et Nicoloff à restituer une époque épique.

La caractéristique de cette série a toujours été de mêler à l’aventure l’humour, et c’est encore le cas ici.

Mais je trouve que dans cet album-ci, l’humour se fait encore plus débridé que d’habitude, avec une multitude de jeux de mots, avec des clins d’œil nombreux, dans le dessin comme dans le dialogue, avec des références « bd » évidentes, références à Gotlib à certains moments, à Goscinny surtout, à Uderzo aussi…

On sent que les auteurs se sont vraiment amusés à recréer Léo Loden dans un autre monde, à profiter de cette récréation, ou re-création, pour se laisser aller complètement. Et le résultat est réussi, sans aucun doute, puisque le lecteur s’amuse aussi, et pas qu’un peu !…

 

          Massilia Aeterna©Soleil

 

Ce vingt-cinquième album de Léo Loden est probablement une parenthèse ludique dans l’univers du jeune et blond privé méditerranéen. Mais il s’agit d’une parenthèse qui tient toutes ses promesses : faire sourire, faire rire parfois, raconter une histoire policière en utilisant à la perfection les codes propres à ce genre de récit. Et le dessin de Serge Carrère, vif, nerveux, lumineux, classique, est toujours aussi agréable. Quant à la couleur de Cerise, elle restitue à la perfection les lumières, les ambiances, les réalités des différents lieux dans lessquels évolue Léo.

Un petit bémol, malgré tout : la couverture, aussi belle soit-elle, est mensongère, puisqu’à aucun moment, dans le livre, on ne voit Léo prisonnier !…

 

Jacques Schraûwen

Leo Loden : Massilia Aeterna (dessin : Serge Carrère – scénario : Christophe Arleston et Loïc Nicoloff – couleur : Cerise – éditeur : Soleil)

Le Loup en Slip : se les gèle méchamment

Le Loup en Slip : se les gèle méchamment

« Le loup en slip » est un personnage superbe, superbement dessiné, superbement inspiré, aussi, par « Les Vieux Fourneaux »…  Wilfrid Lupano (à écouter dans cette chronique) et Mayana Itoïz y font preuve d’une complicité sans faille !

 

     Le Loup en slip©Dargaud

 

Le loup qui, dans l’album précédent, faisait peur à tout le petit peuple de la forêt, est devenu un être accepté par tout le monde… Jusqu’au jour où, l’hiver venu, la froidure couvrant de blancheur et de frissons les arbres et les clairières, ce loup change d’attitude…

Lui qui était souriant, affable, toujours prêt à rendre service avec le sourire, le voilà devenu bougon, d’une mauvaise humeur presque agressive, et répondant à tout qui lui pose une question quelconque : « On se les gèle » !…

Et en même temps, des animaux disparaissent sans laisser de traces…

Le Loup en slip serait-il redevenu un redoutable prédateur ?….

Vous le saurez en lisant ce livre, bien évidemment, en le faisant lire à vos enfants, ou petits-enfants, en le leur lisant, aussi, et surtout !

Aujourd’hui que, dans la vraie vie, l’hiver est à nos portes, selon l’expression consacrée, ce livre arrive à son heure, pour nous montrer un monde dans lequel la peur est une seconde nature, dans laquelle la « différence », au sens large du germe, est un danger, dans lequel la solidarité n’est souvent qu’un vain mot. Un monde dans lequel, surtout, la rumeur est le vrai pouvoir !…

 

     Le Loup en slip©Dargaud

 

 

Au départ de ces albums pour jeune public (mais pas exclusivement, vous l’aurez compris…), il y a une série bd, « Les Vieux Fourneaux », dans laquelle « Le Loup en Slip » est le nom d’un théâtre ambulant de marionnettes. L’idée de prendre ce guignol comme base d’une nouvelle aventure, à la fois littéraire et graphique, était un pari… Un pari totalement réussi, sans aucun doute possible !

Le premier album était totalement construit comme un livre pour enfants, avec texte et illustrations… Ici, on se trouve beaucoup plus dans une construction bd… Mais une bd qui, de par la place que prennent les dessins, de par également la manière de rendre compte des dialogues, s’adresse frontalement à un jeune public !

De nos jours, c’est peut-être dans la littérature jeunesse que les auteurs osent le plus, osent le mieux. Graphiquement et littérairement, c’est une évidence dans ce livre-ci… Lupano y fait preuve d’une langue à la fois simple et riche de sous-entendus… Quant à la dessinatrice, Mayana Itoïz, elle crée un véritable univers animalier qui, même si on peut y retrouver des influences, celle des grands auteurs tchèques, par exemple, celle aussi de Macherot, est profondément personnel.

La simplicité dans le discours comme dans le dessin n’est pas synonyme de facilité ! Et les auteurs, ici, en font la preuve avec intelligence, avec sourire, avec humour, avec tendresse… Aidés par Cauuet, lui qui préside graphiquement aux destinées des Vieux Fourneaux, ils nous offrent un monde imaginaire dans lequel notre propre univers se reflète comme dans un miroir à peine déformant…

 

Jacques Schraûwen

Le Loup en Slip : se les gèle méchamment (dessin : Mayana Itoïz – scénario : Wilfrid Lupano – participation de Paul Cauuet – éditeur : Dargaud)