Lady S : 15. Dans La Gueule Du Tigre

Lady S : 15. Dans La Gueule Du Tigre

Un album et une exposition à Bruxelles – Une interview in extenso à écouter !!!

C’est en 2004 que Lady S, héroïne pure et dure, mais emplie de failles aussi, a vu le jour. Et 15 albums plus tard, la série « Lady S » s’affirme comme une saga d’aventure classique, mais ancrée dans notre monde contemporain…

Dans le quinzième épisode de cette série commencée il y a quelque 17 ans, sur un scénario de Jean Van Hamme, le scénariste de Treize et de Largo Winch, nous retrouvons Shania Rivkas, en compagnie de sa tante, à la mémoire défaillante, en Indonésie. Avec un grand méchant aux ordres de la Chine, « Le Tigre », un agent des Etats-Unis qui est peut-être un traître, la disparition d’une liste secrète, une prison pour femmes, une accusation de meurtre, une évasion en fanfare, des morts, des faux-semblants…

Tous les éléments narratifs cher à Van Hamme se trouvent réunis, semble-t-il : de l’espionnage, des secrets familiaux, de l’érotisme, de l’aventure, de la politique, du combat pour le pouvoir, du fric…

Mais cela fait quelques albums déjà que Philippe Aymond est seul aux commandes du destin aventureux et aventurier de la belle Estonienne. S’il est vrai que le canevas reste le même, bien évidemment, Aymond n’ayant en rien modifié l’adn d’un personnage charismatique ayant fait ses preuves, je pense qu’on peut dire que les angles de narration, avec Aymond, ont progressivement évolué.

Ses personnages, à commencer par son héroïne, ont désormais un passé, une famille, une histoire, de la vraie consistance. Désormais, on entre plus dans l’émotion que dans l’aventure pure et dure… Avec un dessin dans lequel le décor a une importance capitale, dans lequel la couleur joue un rôle évident, dans lequel les femmes ne sont plus uniquement des bimbos sexy…

Philippe Aymond, outre ce nouvel album, a également a une autre actualité. Il expose dans une galerie bruxelloise, le Comic Art Factory, à la chaussée de Wavre, jusqu’au 18 décembre… Une exposition dans laquelle on peut voir toute

l’évolution du talent de Philippe Aymond, avec, par exemple, des originaux de son superbe Highlands, ou de sa reprise de Bruno Brazil…

Philippe Aymond est un dessinateur réaliste, efficace, classique. Ses albums sont les jalons d’une carrière qui, sans ostentation, se révèle solide et passionnante ! A découvrir, dans son dernier opus, et dans cette exposition simple, accueillante, intelligente…

Il est à écouter, tout au long de l’interview qu’il m’a accordée….

Jacques Schraûwen

Lady S : 15. Dans La Gueule Du Tigre (auteur : Philippe Aymond – éditeur : Dupuis – 48 pages – septembre 2021)

Philippe Aymond expose à Bruxelles jusqu’au 18 décembre (237, chaussée de Wavre – 1050 Bruxelles)

https://www.comicartfactory.com/

Lynx

Lynx

Une série de science-fiction et d’écologie, au sens large du terme !

On pourrait croire à une bd de plus surfant sur des thématiques à la mode, mais il n’en est rien. LYNX, c’est de la bonne bande dessinée d’aventures futuristes !

Lynx © Paquet

Le neuvième art a toujours aimé la science-fiction. Valérian, Blake et Mortimer, Le vagabond des limbes en sont des exemples européens parfaitement réussis.

Et ici, avec la série LYNX, dont deux albums sont déjà parus, la réussite est aussi au rendez-vous. Et si on y parle d’écologie, j’insiste sur le fait qu’il s’agit surtout d’une histoire qui tient la route, qui privilégie l’aventure, et qui s’intéresse d’abord à ses personnages. Des personnages qui ont une histoire, un passé, des personnages qui évoluent, des personnages qui parlent, et qui « sonnent » juste.

Serge Perrotin : les personnages

Résume le thème central de cette série dont deux volumes sont déjà parus est assez simple.

Lynx © Paquet

Dans un futur plus ou moins lointain, il existe un département interplanétaire de prévention des catastrophes écologiques. Les agents de ce département sont appelés les Lynx, ces animaux qu’on a réintroduits sur Terre, au vingt-et-unième siècle, pour rétablir un équilibre écologique mis en danger dans les forêts.

Un de ces agents, Bor, se voit obligé d’accepter une jeune collègue, la jolie et tempétueuse Annet Pyriev, dont le père est un des grands entrepreneurs qui sont à la source de bien des dérèglements écologiques. Leurs enquêtes vont donc unir leurs destinées, de planète en planète.

Lynx © Paquet

Et chaque planète, donc chaque enquête, va dévoiler une dérive écologique bien précise, une dérive qui ressemble à celles que nous vivons, de nos jours, sur notre vieille planète. Serge Pwerrotin, le scénariste, a voulu, ainsi, dès le premier album, nous mettre dans cette ambiance de sauvetage de notre univers, et cela rend parfois le scénario trop plein, trop touffu… En tout cas dans le premier album. Le deuxième est plus linéaire…

Serge Perrotin : les thématiques

Cela dit, ce duo est un duo solide, dans la grande tradition des vais duos de bd, ou de cinéma : deux personnages qui ne se disputent pas la première place et qui, tout au contraire, apprennent à s’apprivoiser. Le tout, également, dans une ambiance de polar futuriste, puisque Bor est à la recherche de sa fille…

Un polar, oui, mais qui laisse cependant à l’avant-plan des préoccupations qui sont celles de notre temps. Comme le climat, par exemple… Et en abordant cet thème « par la bande », Perrotin nous parle de la différence entre changement et réchauffement, entre bouleversement écologique et bouleversement technologique, ces réalités ambivalentes se complétant les unes les autres dans la gravité de la folie humaine…

Serge Perrotin : le climat
Lynx © Paquet

Et la sf et l’écologie réussissent à faire bon ménage ! Parce que le scénario de Serge Perrotin est surtout l’occasion de parler de notre monde. Chaque album peut se lire comme un one-shot, et les thèmes qui nous sont proches y sont nombreux : on y parle de l’eau, élément essentiel à toute existence, on y parle de climat, de problèmes sanitaires, de pollution, de compromissions, d’industrie et de pouvoir, de corruption et de politique. Et le tout sans manichéisme.

Serge Perrotin : un scénario sans aucun militantisme

Le dessinateur, Alexandre Eremine, est d’un vrai classicisme réaliste. Il aime la mise en scène, c‘est évident, et c’est pourquoi il attache beaucoup d‘importance aux décors. Ce sont eux, de planète en planète, mais aussi dans les bureaux et dans les habitations, qui créent les ambiances, qui rythment en quelque sorte le récit. Eremine ne perd pas son temps à dessiner des éléments technologiques de toutes sortes et c’est ce qui rend sa science-fiction très proche, finalement, de nos quotidiens, c’est ce qui permet à ce livre de parler aussi de nous, de nos vécus, de nos présents, de religion, de la lutte contre le vieillissement, de la santé. C’est une belle symbiose, en fait, qui réunit les deux auteurs de cette série.

Lynx © Paquet
Serge Perrotin : le dessin

Une série intéressante, donc, pour mieux penser, aussi, peut-être, à la fragilité de toute existence…

Jacques Schraûwen

Lynx, deux albums déjà parus (dessin : Alexandre Eremine – scénario : Serge Perrotin – éditeur : Paquet)

Serge Perrotin
Lucky Luke Se Recycle

Lucky Luke Se Recycle

Un hommage de Mawil à Morris

Cela fait un certain temps que j’ai cet album dans ma bibliothèque, que je le prends, que je l’ouvre, que je le referme, peu enclin à en entamer la lecture. Eh bien, je me dois de le dire : j’avais tort !

Lucky Luke Se Recycle © Lucky comics

D’abord, redéfinissons, voulez-vous, ce que peut bien signifier le mot « hommage ». Le Larousse me dit qu’il s’agit d’un « don qui exprime le respect, l’admiration, la reconnaissance de quelqu’un, d’une marque de respect ».

« Rendre hommage » devient donc, d’après internet : « saluer l’action de quelqu’un par un acte de reconnaissance (un discours, une dédicace, une œuvre artistique) afin d’en souligner la valeur ».

Lucky Luke Se Recycle © Lucky comics

A ce titre, cet album étonnant n’a rien de mensonger : Mawil, dessinateur allemand, nous y montre toute l’admiration qu’il a pour un des personnages les plus mythiques de la bande dessinée. Et pour son créateur…

Il s’agit bien d’un acte de « reconnaissance », pas d’une imitation, pas non plus d’une envie de faire du copier-coller, encore moins du souci d’une similitude graphique évidente. Mawil (comme Bonhomme par ailleurs) ne fait pas du Morris, ne veut pas le faire, mais désire, simplement, que tout un chacun reconnaisse Lucky Luke et accepte l’idée qu’on puisse lui permettre de quitter les voies bien tranquilles dans lesquelles il se balade depuis la mort de Morris en 2001.

Lucky Luke Se Recycle © Lucky comics

Dans cette série traditionnelle, riche de quelque 80 albums, le flambeau graphique a été repris depuis 2003 par le dessinateur Achdé, dans la filiation totale et totalement assumée du dessin de Morris. Mais du côté du scénario, force est de reconnaitre que les auteurs ont été nombreux, et, ma foi, peu « efficaces »… Certes, il y a eu l’un ou l’autre auteur qui n’ont pas démérité, comme Pennac ou Pessis. Et le premier scénario de Jul était plein de promesses… Son dernier, par contre, est affligeant…

Et donc, nous voici, après le Bonhomme et Bouzard, en présence d’un album « différent ».

Comme je le disais, n’essayez pas de retrouver le trait de Morris, ou de Achdé, dans ce cow-boy qui se recycle. Et pourtant, pas de doute, c’est bien en présence de Lucky Luke et de Jolly Jumper qu’on se trouve.

Le dessin est souple, caricatural, le découpage est cinématographique, les perspectives déformées, les décors minimalistes à l’exception de quelques décors naturels (désert, canyon). Et l’ensemble est d’une belle efficacité !

Lucky Luke Se Recycle © Lucky comics

Et puis, il y a le scénario.

Pas de Dalton… Pas de Rantanplan… Mais un canevas qui reste dans la continuité des codes chers à Morris : Lucky Luke prend sous son aile un individu qui, incontestablement, n’a pas vraiment sa place dans l’ouest américain.

Nous nous trouvons, dans cet album, en une époque où le « far West » est en train petit à petit de disparaître. Les cow-boys et leurs chevaux vont bientôt appartenir au folklore, à l’Histoire. Dans les grandes villes déjà, le bicycle prend de plus en plus de place. Et voilà qu’une course cycliste est organisée, la toute première de l’Histoire, une course à laquelle le sieur Overman décide de participer pour prouver que son prototype va révolutionner le monde de la mobilité. Mais voilà, il y a un grand méchant, fabricant de bicycles, qui voit d’un très mauvais œil arriver ce bizarre vélo aux deux roues de taille semblable. Et ce méchant mister Pope engage un couple de tueurs, Smith et Wesson.

Lucky Luke, comme à son habitude, va être l’homme de la situation… Mais pour se dépêtrer des tueurs, de quelques indiens, de cow-boys qui idolâtrent les chevaux, l’homme qui tire plus vite que son ombre va devoir apprendre à dompter un vélo, à le construire d’abord, à le réparer quand c’est nécessaire, provoquant ainsi la jalousie de son plus fidèle ami, sa monture Jolly Jumper !

Lucky Luke Se Recycle © Lucky comics

Tous les ingrédients d’un Lucky Luke sont là, vous l’aurez compris… Et, miracle, la sauce prend ! Passés les premiers instants de la lecture, le besoin d’accepter le dessin, voire les dialogues beaucoup moins policés que ceux de Morris, on se laisse entraîner par le récit, mais, bien plus, par l’humour sous-jacent, humour de situation, humour de répétition, humour de langage aussi. Un humour qui rappelle celui de Morris, mais aussi, à certains moments, l’inventivité de Goscinny !

Je le dis, tout de go, Jul peut retourner à ses chères leçons ! Mawil, en un hommage, nous restitue bien mieux Lucky Luke que Jul et ses approches déjà formatées !

Un bon livre, donc, tout simplement… Un véritable hommage, utilisant un sujet à la mode, la mobilité, sans cependant y ajouter un discours idéologique, de quelque ordre que ce soit !

Jacques Schraûwen

Lucky Luke Se Recycle (auteur : Mawil – éditeur : Lucky comics – juin 2021 – 64 pages)