La Ligne De Sang

La Ligne De Sang

Un polar horrible teinté d’ésotérisme… Un roman, d’abord, une bd aujourd’hui!

Adaptant son propre roman, Doa nous plonge, avec le dessinateur Stéphane Douay, dans une histoire éclatée, dure, angoissante… A découvrir!

La ligne de sang © DOA et DOUAY/LES ARENES BD

Lyon… Un accident de moto… Le conducteur, toujours vivant, mais dans le coma, est emmené à l’hôpital. Rien que de très banal, sans doute. Mais sa  » petite amie  » a disparu, totalement, sans laisser de traces, sans prévenir personne. Et ce sont deux policiers, Marc Launay et une de ses anciennes stagiaires, Priscille, qui vont prendre en charge l’enquête sur cette disparition.

Tout cela pourrait former la trame d’un polar à la française, traditionnel, aux situations attendues, mais il n’en est rien. Tout cela a été un roman policier extrêmement sombre, presque  » gore  » dans son propos, très malsain dans son contenu, et c’est son auteur lui-même, Doa, qui en a fait l’adaptation en bande dessinée.  

Doa: du roman à la bd
La ligne de sang © DOA et DOUAY/LES ARENES BD

Dans le roman comme dans la bd, les personnages sont nombreux. Il y a les deux flics, il y a Paul, le motard blessé, il y a Madeleine, la disparue, il y a les autres policiers, les témoins, les amis, la mère de Madeleine, un curé de village, la mère de Paul.

On ne se trouve pourtant nullement dans un lire  » choral « , mais bien plus dans un livre qui, de par sa construction particulière, laisse vivre tous ces personnages, par petites touches, par descriptions et rencontres bien plus que par allusions.

Le découpage, oui, est particulier. On pourrait croire à des chapitres, et c’est un peu le cas, mais ce sont des chapitres qui nous plongent dans l’enquête, et qui, en même temps, nous enfouissent dans les quotidiens de tous les protagonistes de cette histoire.

Une histoire qui, finalement, s’avère être le portrait d’un personnage qu’on ne voit que dans le coma pendant la plus grande partie de l’album… Le portrait d’un homme qu’on découvre peu à peu totalement monstrueux. Le portrait d’une perversion… Le portrait d’un anonyme invisible qui se révèle être un tueur répugnant et méprisable.

Doa: une histoire polyphonique…
Doa: portrait d’un « homme invisible »
La ligne de sang © DOA et DOUAY/LES ARENES BD

Je ne vais pas déflorer le fond de l’intrigue. Mais sachez qu’on y parle d’une déshumanisation de l’âme chez un être infiniment pervers. Comme dans toute histoire noire bien ficelée, la réalité est, d’évidence, un des moteurs de l’imaginaire. On retrouve ainsi, dans cette « Ligne de sang », des références  à quelques affaires criminelles qui, ces dernières, années, ont fait la une de tous les journaux, De Dutroux à Fourniret. Mais Doa va plus loin encore dans l’indicible, dans l’innommable, et sa ligne de sang nous emmène dans un domaine d’horreur où se mêlent la pédophilie, le viol, et les  » souvenirs  » des crimes qui dépassent tout entendement.

A tout cela, Doa ajoute une note encore plus sombre, en ajoutant une trame ésotérique à son roman, à sa bd. Il y a du satanisme, des messes noires, et un homme qui cherche, peut-être, au travers des siècles, à se ressusciter par des naissances inacceptables.

L’ésotérisme, le fantastique, sont des éléments moteurs de ce livre, oui, mais qui n’enlèvent rien à l’inimaginable horreur spécifiquement humaine qui y est racontée.

Doa: ésotérisme
La ligne de sang © DOA et DOUAY/LES ARENES BD

Ce livre aurait pu, dès lors, être visuellement très  » hard « . Mais le talent de Stéphane Douay a été de garder une certaine pudeur dans son dessin, un non-voyeurisme essentiel à ce que l’histoire puisse se lire dans sa continuité sans en être atteint, en tant que lecteur.

Son dessin, sobre, tout en vivacité, utilisant les codes classiques de la bd pour les distordre par quelques plans inattendus, ce dessin s’appuie sur des couleurs aux tons parfois presque monochromes, des couleurs qui, elles aussi, participent à une ambiance de lecture lourde, c’est vrai, mais sans excès, au contraire de tout ce que ce livre nous raconte…

Doa: le dessin de Stéphane Douay

« La ligne de sang », c’est du polar, c’est du roman noir, c’est de l’horreur…

« La ligne de sang », c’est un album qui se lit presque comme se construit un puzzle…

C’est un livre passionnant, intéressant, horrifiant…

Fantastique et policier s’y mêlent pour une histoire qui ne pourra que vous faire froid dans le dos!… 

Jacques Schraûwen

La Ligne De Sang (dessin : Stéphane Douay – scénario : Doa – couleur : Galopin – éditeur : Les Arènes BD)

Léonard : 50. Génie, Vidi, Vinci

Léonard : 50. Génie, Vidi, Vinci

Une série à la longévité exemplaire ! Le dessin souriant de Turk et les idées en délires de Zidrou : un mélange détonnant pour tous les publics ! Et une belle exposition à Bruxelles !


Léonard 50 © Le Lombard

Cela fait presque cinquante ans que Léonard, génie farfelu, nous offre ses gags en albums. Des gags décapants, certes, mais tous inspirés par des inventions (les siennes et bien d’autres…) qui ont marqué, en bien ou en mal, l’histoire de l’humanité.

Ce personnage, né un peu par hasard au détour d’une aventure de Robin Dubois, a comme parents le scénariste Bob de Groot et le dessinateur Turk. Et si Bob de Groot a laissé la place à Zidrou depuis quelques albums, Turk, lui, continue à donner vie à Léonard avec un talent classique, bon enfant par moments, mais capable aussi de folies dans le trait comme dans le mouvement.

Et donc, aujourd’hui, il y a Zidrou, et ses idées qui, toujours, s’amusent à filer dans tous les sens, ce qui donne à ses scénarios plusieurs niveaux de lecture. Il est vrai qu’il parle de mort, d’euthanasie, d’entreprises modernes esclavagistes, de cryptomonnaie… Il est vrai aussi qu’il utilise des mots qu’on n’a pas l’habitude de voir dans des albums destinés prioritairement à la jeunesse, des mots comme matutinal, oxymore, subodorer…

On doit à Zidrou aussi l’arrivée de Mozarella, la fille adoptive du génie Léonard. Et la magie opère toujours, grâce au dessin, grâce à l’art de la mise en scène dont Turk fait preuve avec Zidrou, scénariste « ovni », grâce à la manière dont ils utilisent, tous les deux, les environnements et les décors dans lesquels évoluent leurs personnages, en les faisant sortir du cadre trop étroit qui est celui de leur seule époque historique…


Turk et Zidrou: le dessin et le scénario

Turk et Zidrou: la mise en scène

Turk et Zidrou: les décors…

Léonard 50 © Le Lombard

Zidrou a accepté avec entrain, avec plaisir, de gérer l’héritage de De Groot. Un héritage léger, tout compte fait, un héritage fait de rires, de sourires, de gags tonitruants et démesurés à la manière de Tex Avery. Un héritage qui lui permet aussi de laisser libre cours à son plaisir de donner une place importante aux personnages secondaires, aux personnages perdus dans le décor, un peu comme Gotlib, avec sa coccinelle par exemple…

Des personnages secondaires qui deviennent par la même occasion un vrai plaisir graphique pour Turk.


Zidrou: l’héritage de de Groot

Turk: les personnages secondaires

Léonard 50 © Le Lombard

Et c’est ce mot, « plaisir », qui, en définitive, fait toute la qualité de cette série. Qui permet qu’au fil des années son lectorat se renouvelle. Et Zidrou est entré dans cet univers sans apparente difficulté.

Cela dit, la longévité d’une série, en bd, tient à bien des choses. Mettre face à face deux personnages antinomiques (ici, Léonard et son disciple) est un moyen indémodable (et indémodé !) pour accaparer l’attention souriante des lecteurs. Surtout quand comme dans « Léonard », une part inconsciente de rapports familiaux s’ajoute à ce « truc » scénaristique…


Turk et Zidrou: la longévité de cette série

Léonard 50 © Le Lombard

Cela dit, cette série, de par ses auteurs, est quelque peu atypique… Bien sûr, Turk est un des grands routiers de la bonne bande dessinée populaire, celle qui, accessible à tous les publics, maintient avec intelligence une véritable qualité. Bien sûr, aussi, Zidrou est un scénariste qui, après une carrière du même genre (Ducobu, Tamara…), s’est, depuis quelques années, et avec un talent incontestable, enfoui dans des scénarios très différents, comme « Les mentors », paru très récemment.

Mais il n’y a chez lui aucune schizophrénie, loin s’en faut ! Il n’y a que le plaisir, le sien et celui de tous ses lecteurs (et admirateurs…)


Zidrou, un scénariste éclectique

Turk © Huberty & Breyne

Parallèlement à la sortie de ce cinquantième album des aventures du génie Léonard (en même temps que le 500ème anniversaire de la mort de son illustre prédécesseur Léonard De Vinci), une galerie bruxelloise, Huberty & Breyne consacre une très belle exposition à Turk, jusqu’au 21 mai prochain. Vous pourrez y admirer, outre la très belle voiture du colonel Clifton, des inédits qui vous prouveront, si besoin en était, tout le talent de ce dessinateur discret.


Turk: l’exposition

Il ne faut jamais bouder son plaisir ! Et les aventures burlesques et intelligentes du vieux Léonard continuent à être un vrai plaisir ! A lire, donc, à partager, comme se partagent, dans la vie, les bons moments…

Jacques Schraûwen

Léonard : 50. Génie, Vidi, Vinci (dessin : Turk – scénario : Zidrou – éditeur : Le Lombard – couleur : Kaël – exposition à la place du Châtelain, à Bruxelles, dans la galerie Huberty Breyne, jusqu’au 21 mai 2019)


Léonard 50 © Le Lombard
Léo Loden : 26. Fugue En Rave Mineure

Léo Loden : 26. Fugue En Rave Mineure

Plus d’un quart de siècle d’existence pour cette série qui s’inscrit dans la continuité évidente de ce qu’on a appelé l’école de Charleroi… Et n’en déplaise aux nostalgiques purs et durs,  » Léo Loden  » est également d’une évidente qualité !…


Léo Loden 26 © Soleil

Dans cet album, Arleston laisse totalement la place, pour le scénario, à Nicoloff. Mais cela se fait sans aucune rupture de ton, fort heureusement. Il faut dire que l’album précédent,  » Massilia Aeterna « , qui se conjuguait au passé, ressemblait fort, lui, à un épisode de transition lorgnant quelque peu vers une espèce d’Astérix marseillais !

Et donc, dans ce livre-ci, nous voici replongés totalement dans l’aujourd’hui de la cité phocéenne.

Léo Loden n’est toujours pas marié, mais il est père de deux adorables bambins qui adorent hurler quand ils ont faim ou quand ils doivent être changés… Choses que leur papa se doit de réaliser bien souvent, avec plus l’aide de  » Tonton  » que de Marlène, il faut bien le reconnaître. Une Marlène, policière efficace, plongée dans une enquête au sein de laquelle Léo Loden, pour une fois, n’intervient pas. Il faut dire que lui aussi, ancien flic reconverti dans le privé, a fort à faire pour retrouver un ado bourgeois disparu depuis plusieurs jours.


Léo Loden 26 © Soleil

Les ressorts narratifs sont les mêmes, bien entendu, que dans tous les classiques de la bd, comme du cinéma d’ailleurs… Les personnages centraux, au nombre de trois, se doivent d’être typés, et, surtout, d’être complémentaires. Avec toujours un de ceux-ci plus proche de la caricature que de la réalité.

C’est aussi, incontestablement, une bd  » avec l’accent « . Une bd hommage, en quelque sorte, à Marseille, aux Marseillais, mais sans angélisme, loin s’en faut !

Parce que, même si on se trouve dans de la bande dessinée d’humour, la trame dans laquelle se déroulent les enquêtes de Leo Loden est toujours bien accrochée à la réalité.

Ici, par exemple, on parle de drogue, de rave-partie, de jeunesse qui s’assourdit pour oublier son ennui, de mondialisation, aussi, de la vérité sur les labels de qualité de l’industrie locale… On parle de couple, également, de divorce. Et de modernité et de déshumanisation…

Et Nicoloff fait merveille dans cet épisode-ci pour réussir un mélange de genres qui fonctionne parfaitement, avec des situations endiablées qui démarrent au quart de tour, avec des portraits de personnages secondaires, parfois à peine esquissés, mais qui, tous, réussissent à définir une personnalité.

Et le dessin de Carrère, lui, classique et tout en rondeurs, continue à être d’une belle efficacité, tant dans les décors que dans les scènes qui s’approchent du plus près des visages. Il aime dessiner le mouvement, ce qui était, ma foi, essentiel pour se lancer dans l’aventure d’une série policière animée, mais il le fait en prenant un vrai plaisir à varier les plans, les angles de vue, le découpage des séquences, la puissance des perspectives.


Léo Loden 26 © Soleil

Oui, j’aime cette série, depuis le premier épisode, et je continue à l’apprécier pour ce qu’elle est : de l’excellente bd populaire qui ne choisit pas le chemin de la facilité pour nous raconter des histoires qui, finalement, au-delà de l’humour omniprésent (jusque dans les publicités découvertes dans les rues de Marseille…), nous parle avec lucidité du monde qui est le nôtre, ou, plutôt, de celui que nous sommes en train de construire (ou de détruire…) !

Jacques Schraûwen

Léo Loden : 26. Fugue En Rave Mineure (dessin : Serge Carrère – scénario : Loïc Nicoloff – couleurs : Cerise – éditeur : Soleil)


Léo Loden 26 © Soleil