Léonard : 50. Génie, Vidi, Vinci

Léonard : 50. Génie, Vidi, Vinci

Une série à la longévité exemplaire ! Le dessin souriant de Turk et les idées en délires de Zidrou : un mélange détonnant pour tous les publics ! Et une belle exposition à Bruxelles !


Léonard 50 © Le Lombard

Cela fait presque cinquante ans que Léonard, génie farfelu, nous offre ses gags en albums. Des gags décapants, certes, mais tous inspirés par des inventions (les siennes et bien d’autres…) qui ont marqué, en bien ou en mal, l’histoire de l’humanité.

Ce personnage, né un peu par hasard au détour d’une aventure de Robin Dubois, a comme parents le scénariste Bob de Groot et le dessinateur Turk. Et si Bob de Groot a laissé la place à Zidrou depuis quelques albums, Turk, lui, continue à donner vie à Léonard avec un talent classique, bon enfant par moments, mais capable aussi de folies dans le trait comme dans le mouvement.

Et donc, aujourd’hui, il y a Zidrou, et ses idées qui, toujours, s’amusent à filer dans tous les sens, ce qui donne à ses scénarios plusieurs niveaux de lecture. Il est vrai qu’il parle de mort, d’euthanasie, d’entreprises modernes esclavagistes, de cryptomonnaie… Il est vrai aussi qu’il utilise des mots qu’on n’a pas l’habitude de voir dans des albums destinés prioritairement à la jeunesse, des mots comme matutinal, oxymore, subodorer…

On doit à Zidrou aussi l’arrivée de Mozarella, la fille adoptive du génie Léonard. Et la magie opère toujours, grâce au dessin, grâce à l’art de la mise en scène dont Turk fait preuve avec Zidrou, scénariste « ovni », grâce à la manière dont ils utilisent, tous les deux, les environnements et les décors dans lesquels évoluent leurs personnages, en les faisant sortir du cadre trop étroit qui est celui de leur seule époque historique…


Turk et Zidrou: le dessin et le scénario

Turk et Zidrou: la mise en scène

Turk et Zidrou: les décors…

Léonard 50 © Le Lombard

Zidrou a accepté avec entrain, avec plaisir, de gérer l’héritage de De Groot. Un héritage léger, tout compte fait, un héritage fait de rires, de sourires, de gags tonitruants et démesurés à la manière de Tex Avery. Un héritage qui lui permet aussi de laisser libre cours à son plaisir de donner une place importante aux personnages secondaires, aux personnages perdus dans le décor, un peu comme Gotlib, avec sa coccinelle par exemple…

Des personnages secondaires qui deviennent par la même occasion un vrai plaisir graphique pour Turk.


Zidrou: l’héritage de de Groot

Turk: les personnages secondaires

Léonard 50 © Le Lombard

Et c’est ce mot, « plaisir », qui, en définitive, fait toute la qualité de cette série. Qui permet qu’au fil des années son lectorat se renouvelle. Et Zidrou est entré dans cet univers sans apparente difficulté.

Cela dit, la longévité d’une série, en bd, tient à bien des choses. Mettre face à face deux personnages antinomiques (ici, Léonard et son disciple) est un moyen indémodable (et indémodé !) pour accaparer l’attention souriante des lecteurs. Surtout quand comme dans « Léonard », une part inconsciente de rapports familiaux s’ajoute à ce « truc » scénaristique…


Turk et Zidrou: la longévité de cette série

Léonard 50 © Le Lombard

Cela dit, cette série, de par ses auteurs, est quelque peu atypique… Bien sûr, Turk est un des grands routiers de la bonne bande dessinée populaire, celle qui, accessible à tous les publics, maintient avec intelligence une véritable qualité. Bien sûr, aussi, Zidrou est un scénariste qui, après une carrière du même genre (Ducobu, Tamara…), s’est, depuis quelques années, et avec un talent incontestable, enfoui dans des scénarios très différents, comme « Les mentors », paru très récemment.

Mais il n’y a chez lui aucune schizophrénie, loin s’en faut ! Il n’y a que le plaisir, le sien et celui de tous ses lecteurs (et admirateurs…)


Zidrou, un scénariste éclectique

Turk © Huberty & Breyne

Parallèlement à la sortie de ce cinquantième album des aventures du génie Léonard (en même temps que le 500ème anniversaire de la mort de son illustre prédécesseur Léonard De Vinci), une galerie bruxelloise, Huberty & Breyne consacre une très belle exposition à Turk, jusqu’au 21 mai prochain. Vous pourrez y admirer, outre la très belle voiture du colonel Clifton, des inédits qui vous prouveront, si besoin en était, tout le talent de ce dessinateur discret.


Turk: l’exposition

Il ne faut jamais bouder son plaisir ! Et les aventures burlesques et intelligentes du vieux Léonard continuent à être un vrai plaisir ! A lire, donc, à partager, comme se partagent, dans la vie, les bons moments…

Jacques Schraûwen

Léonard : 50. Génie, Vidi, Vinci (dessin : Turk – scénario : Zidrou – éditeur : Le Lombard – couleur : Kaël – exposition à la place du Châtelain, à Bruxelles, dans la galerie Huberty Breyne, jusqu’au 21 mai 2019)


Léonard 50 © Le Lombard
Léo Loden : 26. Fugue En Rave Mineure

Léo Loden : 26. Fugue En Rave Mineure

Plus d’un quart de siècle d’existence pour cette série qui s’inscrit dans la continuité évidente de ce qu’on a appelé l’école de Charleroi… Et n’en déplaise aux nostalgiques purs et durs,  » Léo Loden  » est également d’une évidente qualité !…


Léo Loden 26 © Soleil

Dans cet album, Arleston laisse totalement la place, pour le scénario, à Nicoloff. Mais cela se fait sans aucune rupture de ton, fort heureusement. Il faut dire que l’album précédent,  » Massilia Aeterna « , qui se conjuguait au passé, ressemblait fort, lui, à un épisode de transition lorgnant quelque peu vers une espèce d’Astérix marseillais !

Et donc, dans ce livre-ci, nous voici replongés totalement dans l’aujourd’hui de la cité phocéenne.

Léo Loden n’est toujours pas marié, mais il est père de deux adorables bambins qui adorent hurler quand ils ont faim ou quand ils doivent être changés… Choses que leur papa se doit de réaliser bien souvent, avec plus l’aide de  » Tonton  » que de Marlène, il faut bien le reconnaître. Une Marlène, policière efficace, plongée dans une enquête au sein de laquelle Léo Loden, pour une fois, n’intervient pas. Il faut dire que lui aussi, ancien flic reconverti dans le privé, a fort à faire pour retrouver un ado bourgeois disparu depuis plusieurs jours.


Léo Loden 26 © Soleil

Les ressorts narratifs sont les mêmes, bien entendu, que dans tous les classiques de la bd, comme du cinéma d’ailleurs… Les personnages centraux, au nombre de trois, se doivent d’être typés, et, surtout, d’être complémentaires. Avec toujours un de ceux-ci plus proche de la caricature que de la réalité.

C’est aussi, incontestablement, une bd  » avec l’accent « . Une bd hommage, en quelque sorte, à Marseille, aux Marseillais, mais sans angélisme, loin s’en faut !

Parce que, même si on se trouve dans de la bande dessinée d’humour, la trame dans laquelle se déroulent les enquêtes de Leo Loden est toujours bien accrochée à la réalité.

Ici, par exemple, on parle de drogue, de rave-partie, de jeunesse qui s’assourdit pour oublier son ennui, de mondialisation, aussi, de la vérité sur les labels de qualité de l’industrie locale… On parle de couple, également, de divorce. Et de modernité et de déshumanisation…

Et Nicoloff fait merveille dans cet épisode-ci pour réussir un mélange de genres qui fonctionne parfaitement, avec des situations endiablées qui démarrent au quart de tour, avec des portraits de personnages secondaires, parfois à peine esquissés, mais qui, tous, réussissent à définir une personnalité.

Et le dessin de Carrère, lui, classique et tout en rondeurs, continue à être d’une belle efficacité, tant dans les décors que dans les scènes qui s’approchent du plus près des visages. Il aime dessiner le mouvement, ce qui était, ma foi, essentiel pour se lancer dans l’aventure d’une série policière animée, mais il le fait en prenant un vrai plaisir à varier les plans, les angles de vue, le découpage des séquences, la puissance des perspectives.


Léo Loden 26 © Soleil

Oui, j’aime cette série, depuis le premier épisode, et je continue à l’apprécier pour ce qu’elle est : de l’excellente bd populaire qui ne choisit pas le chemin de la facilité pour nous raconter des histoires qui, finalement, au-delà de l’humour omniprésent (jusque dans les publicités découvertes dans les rues de Marseille…), nous parle avec lucidité du monde qui est le nôtre, ou, plutôt, de celui que nous sommes en train de construire (ou de détruire…) !

Jacques Schraûwen

Léo Loden : 26. Fugue En Rave Mineure (dessin : Serge Carrère – scénario : Loïc Nicoloff – couleurs : Cerise – éditeur : Soleil)


Léo Loden 26 © Soleil
Lou: 8. En Route Vers De Nouvelles Aventures

Lou: 8. En Route Vers De Nouvelles Aventures

Créé en 2004, le personnage de Lou en arrive aujourd’hui à sa huitième « aventure », pour une fin de « cycle » qui annonce une prochaine « saison » s’éloignant de l’adolescence. Cette série à succès, qui a rencontré un large public jeune, ne manque vraiment pas d’intérêt.

Lou © Glénat

J’avais découvert Julien Neel à l‘occasion d’un livre superbe, chroniqué ici d’ailleurs en son temps, « Le Viandier de Polpette ». Un livre qui, je le pense, aurait mérité une suite… Mais Julien Neel a préféré voler de ses propres ailes, faire ses propres scénarios… Et grand bien lui a pris, sans aucun doute, puisque, avec LOU, il a rencontré, tout de suite, un public jeune enthousiaste, un public qui s’est immédiatement reconnu, retrouvé, dans les aventures de cette « gamine » vivant sa jeunesse et son adolescence avec un sens de l’indépendance la rendant à la fois sympathique et espiègle. Faisant d’elle, en quelque sorte, un résumé de toute adolescence… De toute vie humaine en train de se définir.

Au fil des albums, Julien Neel nous a donc raconté la vie quotidienne de cette gamine qui, peu à peu, vieillit. Une vie avec sa mère, avec un « petit ami », avec des rencontres, avec des habitudes, des sourires, des peurs, des larmes aussi.

Dans cet album-ci, elle s’émancipe, elle s’en va de chez elle, elle coupe le cordon ombilical qui la relie depuis si longtemps à sa maman, elle décide de découvrir le monde et ses possibles !

Lou © Glénat

A partir de ce départ, qui n’a rien d’une fuite, Lou, adolescente et se voulant adulte, fait de nouvelles rencontres. Rencontres de gens, de lieux, rencontres de sensations, de sentiments. Rencontres aussi avec ses propres souvenirs qui s’égrènent au fil des pages, des souvenirs qui sont souvent ceux de rendez-vous manqués… Avec l’amour peut-être, et Tristan, avec un père absent, aussi.

Pour raconter ce « voyage » à la fois intime et ouvert sur les autres, Julien Neel continue à utiliser un dessin simple, moderne, vif, avec un vrai sens du mouvement, avec des couleurs simples elles aussi, presque primaires même, mais qui réussissent parfaitement à rythmer le récit.

Son découpage, par contre, tient du défi, puisque Julien Neel invite le lecteur à suivre Lou dans toutes ses rencontres, dans toutes ses souvenances, aussi… Il s’agit, pour Neel, de découper l’histoire en un gaufrier traditionnel, mais, en même temps, de découper le temps… Le temps vécu par Lou… Le temps pris par elle à se re-trouver… Et c’est une réussite.

Lou © Glénat
Julien Neel: Découper le temps

En fait, la toute première nouvelle aventure de Lou, dans ce huitième album, c’est de vieillir. Et de le faire sans rien renier de ce qu’elle a vécu, de ce qu’elle a aimé, de ceux qu’elle aime.

Et la question qui finalement sous-tend toutes ses pérégrinations, tous ses dialogues avec des inconnus, tous les regards qu’elle porte sur l’univers non-familial qu’elle découvre, la question essentielle qui se pose à elle touche au « voyage » : faut-il s’arrêter, ou continuer à voyager ? Et en continuant, où faudra-t-il s’arrêter ?…

Dans la description intime (et littéraire…) de Lou, Julien Neel a choisi de ne jamais insister, de ne jamais ouvrir totalement des portes. Il entrouvre des fenêtres, plutôt, et c’est au lecteur d’accompagner Lou dans sa maturité en naissance !

Et c’est ainsi que le récit de Julien Neel se construit à la fois d’ellipses et de symboles.

Lou parle, souvent, et souvent seule… A elle-même… Elle est une fille d’aujourd’hui, « connectée », et, en même temps, ce huitième album lui permet, et lui offre la chance, de découvrir qu’une vie « non-connectée » est possible, aussi…

Mais tout est dit et raconté, par l’auteur, sans qu’il soit jamais donneur de morale, et c’est aussi ce qui fait la richesse de ce livre !

Lou © Glénat
Julien Neel : ellipses, symbolismes

C’est une série « jeune public », c’est évident… Une série qui voit ses lecteurs vieillir en même temps que son héroïne, c’est tout aussi évident… Une série, surtout, qui n’a rien d’infantilisant, ni de moralisateur, qui est de bout en bout souriante, amusée et amusante.

Lou est une héroïne d’aujourd’hui, dans une famille éclatée d’aujourd’hui, et son succès réside dans le simple fait que ses aspirations sont celles de tout un chacun… Des adolescent(e)s, mais aussi de leurs parents, qui se plongeront avec bonheur, j’en suis certain, dans ce huitième album !

Jacques Schraûwen

Lou: 8. En Route Vers De Nouvelles Aventures (auteur : Juien Neel – éditeur : Glénat)