Gentlemind – Episode 1

Gentlemind – Episode 1

Un album et une exposition à Bruxelles

Quand Antonio Lapone, Teresa Valero et Juan Diaz Canales (scénariste de Black Sad) décident de travailler ensemble, le résultat ne peut qu’être une totale réussite… A découvrir aux cimaises de la Galerie Champaka à Bruxelles, jusqu’au 24 octobre 2020.

http://www.galeriechampaka.com/

1939. Une jeune danseuse, Navit, et un jeune dessinateur, Arch, pauvres tous les deux, vivent à New York. La jeune femme trouve un travail chez un homme d’affaires qui, amoureux d’elle, l’épouse avant de mourir et d’en faire son héritière.

Parallèlement, Waldo est un avocat extrêmement doué et terriblement retors, fils d’un entrepreneur riche à millions et peu intéressé par le sort de ses ouvriers et employés. Et un jour, dégoûté de ce qu’il a à plaider, il claque la porte au nez de sa famille et de ses richesses assurées

Ces trois destins vont se croiser, se mêler, se perdre et se retrouver, par le gré du magazine de charme que Navit conserve de son héritage. Un magazine qui laisse une large place aux pin-up, et dont elle va vouloir faire une vraie revue ouverte à tous les arts.

Lapone © Lapone

Tout cela pourrait faire penser à un mélo. Mais tel n’est pas le cas, et au travers d’une intrigue qui se démultiplie à certains moments, la mise en page, la construction graphique se révèlent, au-delà du seul récit, un véritable hommage à ces artistes souvent méconnus, dont les traits « sexy » ont enchanté bien des lecteurs !

Antonio Lapone : un livre-hommage

Vous l’aurez compris, ce livre se démarque quelque peu des œuvres précédentes de Lapone. Son style graphique lui-même a évolué, comme pour coller du plus près possible à ce foisonnement de personnages, d’une part, à l’évolution aussi, au fil des années, de la narration. Bien sûr, on reconnaît Lapone tout de suite, son trait très « design », très « dessin de mode » également, très « vintage » pour user d’un terme sans grand intérêt mais tellement à la mode ! Lapone dessine ainsi depuis toujours, avec, dans cet album-ci, moins de références à la  » Ligne Claire »

Lapone © Lapone

Cela dit, ce côté « Ligne claire » n’est pas totalement absent de ce livre… Le personnage de Arch, dessinateur talentueux mais vivant un peu en absence de lui-même et des autres, ce personnage est un peu l’auto-portait de Lapone lorsqu’il dessine…

Antonio Lapone : foisonnement de personnages et de récits
Antonio Lapone : le personnage d’Arch
Lapone © Lapone

S’il fallait trouver un thème central à ce « Gentlemind », en dehors de l’hommage vibrant qui y est rendu, avec une évidente nostalgie, à une époque et à ses rythmes d’existence, ses émerveillements, ses promesses, s’il fallait trouver un fil conducteur entre tous les protagonistes, ce serait sans doute « l’art »… Mais pas celui qui s’accroche aux cimaises des galeries à la mode, non. L’art qui accroche le regard, l’art qui fait du bien, l’art du quotidien, l’art que tout un chacun peut appréhender, l’art, tout simplement, qui raconte des histoires.

Lapone © Lapone
Antonio Lapone : L’art

Le travail de Lapone avec ses deux scénaristes l’a poussé également à s’ouvrir, au niveau de son dessin comme de son contenu, à s’écarter des chemins de ses habitudes. Depuis toujours, en effet, c’est le regard de l’homme sur la femme qui se trouve au centre de ses livres. Ici, il inverse ce mouvement, et il fait de la femme, de son héroïne, Navit, une héroïne qui rue dans les brancards, qui sait qu’elle est belle, donc désirable, mais qui n’en joue pas et qui trace sa route dans un monde d’hommes avec une conviction et une efficacité exceptionnelle.

Lapone © Lapone

Lapone en convient, d’ailleurs… La présence, comme scénariste, de Teresa Valero lui a offert cette opportunité, cette chance, oui, de nous raconter, demain sans doute, autrement les histoires qui lui tiennent à cœur.

Antonio Lapone : un livre presque féministe

Les galeries d’art, les salles d’exposition, tous les lieux culturels sont les laissés-pour-compte de cette pandémie et de ses peurs, raisonnables ou pas.

C’est pourquoi il faut continuer, encore et encore, à soutenir toutes celles et tous ceux qui défendent, à leur niveau, une part de notre culture, seul vrai patrimoine humain qu’il faut, à tout prix, sauver. L’art, sous toutes ses formes, est ce qui nous fait rêver, donc vivre.

Lapone © Lapone

Rêvez, en allant voir cette exposition, rêvez, en lisant ce livre, rêvez en laissant les artistes rêver avec vous !

Jacques Schraûwen

Gentlemind – Episode 1 (dessin : Antonio Lapone – scénario : Juan Diaz Canales et Teresa Valero – éditeur : Dargaud – 88 pages – août 2020) Exposition jusqu’au 24 octobre 2020: galerie Champaka, rue Ernest Allard, 1000 Bruxelles

Lapone © Jacques Schraûwen

Lucien et les mystérieux phénomènes : 2. Granit Rouge

Lucien et les mystérieux phénomènes : 2. Granit Rouge

Alexis Horellou et Delphine Le Lay, les auteurs de cette série qui en est à son deuxième tome, s’adressent à un public jeune… Et ils ont reçu, le 17 septembre dernier, le prix « Atomium des enfants ». Un prix bien mérité !

Lucien et les mystérieux phénomènes : 2. © Casterman

« Lucien », c’est un héros pour jeune public, sans aucun doute possible. Un gamin débrouillard, souriant, aventurier, qui ne peut, en effet, que plaire aux enfants… et à leurs parents !

Bien sûr, dans cet album, les adultes sont présents. Ils sont même acteurs, totalement, mais acteurs de second plan ai-je envie de dire… Parce que l’essentiel, pour Delphine Le Lay, c’est l’enfance… L’enfance, qui est bien plus qu’une période de l’existence, l’enfance qui est un pays que l’on porte en soi, (pour plagier quelque peu Gilles Vigneault), l’enfance qui est le seul moteur du rêve, du sourire, de l’envie de modifier les choses et de les rendre souriantes. Et c’est bien ce que cette série, et ce livre en particulier, font, avec un talent souriant, entraînant. Avec une bonne humeur et un sens positif de l’existence.

Delphine Le Lay : l’enfance
Delphine Le Lay : positiver…

Lucien est un gamin qui aime se confronter à des événements qui sortent de l’ordinaire, qui peuvent même, pour le commun des mortels, revêtir une apparence « extra-ordinaire », fantastique.

Lucien et les mystérieux phénomènes : 2. © Casterman

Et c’est bien le cas à Douarnenez, où il passe quelques jours de vacances chez ses grands-parents. Les festivités du carnaval, grand moment de cette ville bretonne et de l’île de Tristan, toute proche, sont perturbées par des agressions qui semblent dues à un cruel fantôme, celui d’un brigand du dix-septième siècle !

L’île Tristan est très symbolique, très emblématique. Il s’agit d’une île qui, depuis assez peu de temps finalement, est (re)devenue un lieu privilégié, préservé, tant pour la nature qui y vit et y renaît que pour les partages de vie qui y unissent les habitants. C’est une île qui fut, il y a bien longtemps, celle de l’immense poète oublié, Jean Richepin… Une île symbolique, donc, de l’importance de la poésie, au sens large du terme, pour qu’une existence soit enrichie et enrichissante.

Delphine Le Lay : l’île Tristan

Et donc, face à ces événements qui paraissent improbables, la réaction de note héros est sans surprise : Lucien et sa cousine Inès décident de se lancer à l’aventure, et de tout faire pour découvrir qui et quoi se cachent derrière ce violent fantôme !

Lucien et les mystérieux phénomènes : 2. © Casterman

L’histoire est simple et simplement traitée, avec des codes habituels qui ne sont pas déstabilisants, avec un dessin souple, gestuel ai-je envie de dire, avec une mise en page qui, ici et là, fait presque penser aux romans de Jules Verne.

Le talent du dessinateur est de parvenir à créer un rythme visuel à ce récit enfui dans la nature. Certes, les décors sont importants, mais, sous le pinceau d’Alexis Horellou, ils laissent la place aux personnages. Moins à leurs expressions, d’ailleurs, qu’à leurs mouvements… S’il me fallait qualifier son dessin, je dirais qu’il est efficace et terriblement « gestuel »…

Alexis Horellou : un dessin tout en simplicité
Alexis Horellou : un dessin de gestes !

Mais ce qui caractérise aussi ce livre, c’est son scénario qui se révèle « militant » pro-nature sans être lourdement insistant, pour qu’un monde meilleur puisse prendre vie, et ce grâce à l’enfance, moteur du récit, moteur aussi de la possibilité de faire de chaque fête un moment de vrai partage.

C’est dans ce cadre-là d’éducation, au sens le plus large et le plus ludique du terme, que les auteurs ferment leur livre sur une sorte de dossier didactique qui, en fait, donne des conseils aux jeunes lecteurs pour des bricolages qui embellissent les fêtes sans pour autant utiliser des produits peu naturels… J’avoue ne pas être très fan des œuvres militantes, n’y voyant, le plus souvent, que des propos d’abord idéologiques et doctrinaires.

Lucien et les mystérieux phénomènes : 2. © Casterman

Mais ici, ce n’est pas le cas, et tout est fluide et sans rien vouloir imposer, dans ce livre extrêmement agréable à lire et à faire lire.

Delphine Le Lay : un livre « militant »

« Lucien », c’est de la bd dans l‘air du temps, c’est aussi de la bd sans tape-à-l’œil, intelligente, qui renoue avec des valeurs simples sans jamais être simplistes. C’est de la bd éducative, à sa façon, mais de manière souriante, toujours, de manière « libre »…

Un livre à offrir à ses enfants, à lire aussi, en même temps qu’eux !

Jacques Schraûwen

Lucien et les mystérieux phénomènes : 2. Granit Rouge (dessin : Alexis Horellou – scénario : Delphine Le Lay – éditeur : Casterman – 96 pages – septembre 2020)

Alexis Horellou et Delphine Le Lay © Jacques Schraûwen

Homo Politicus

Homo Politicus

Un ministre du travail, rattrapé par ses enrichissements professionnels, découvre le vrai monde du vrai travail. Un livre réjouissant, cynique, et tellement d’actualité, toujours, toujours, toujours…

Homo politicus © Fluide Glacial

Henri-Xavier de Lapègre était un ministre en vue. On le voyait, oui, partout, de télé en télé, de ruban tricolore à couper en match de foot à admirer… Il semblait prendre son rôle à cœur, serrait des mains, souriait à tout le monde, pérorait sur l’admirable fonction du travail dans l’élaboration d’une société équilibrée.

Enfin, tout cela, c’était avant ! Avant que ses notes de frais ne fassent l‘objet d’un contrôle dont le constat est immédiat : Henri-Xavier Lapègre n’est plus ministre. Il se sent abandonné dans un univers que, finalement, il ne voyait que de loin. Dès lors, ex-ministre du travail et de l’emploi, il se dit qu’il se doit de ne pas se laisser aller, et de donner l’exemple. Donc, de se rendre à Pôle Emploi et de chercher un nouveau métier.

Homo politicus © Fluide Glacial

Et tout ce petit livre merveilleusement incorrect, fantastiquement poujadiste, extraordinairement humoristique, parle de cette recherche d’emploi, des différents boulots que ce personnage fort en gueule et incapable de se départir des plis pris tout au long de ses quelques temps ministériels, que ce chômeur donc va essayer de faire siens !

Boulanger, serveur, facteur, facteur en grève, porteur de café, enfin, dans les couloirs du ministère, Henri-Xavier va voyager, ainsi, dans des « bulles » qui ne conviennent pas à ce qu’était son train de vie.

Il fait encore la une des journaux, mais pour s’y voir décrit comme un loser, comme un reconverti raté, comme le mari d’une femme qui a besoin d’un psy pour sauver la face !

Cela se passe en France, avec l’infrastructure officielle française, avec les médias à la française. Mais cela pourrait (devrait ?…) se passer partout, pour le plus grand bien d’un système politique de plus en plus en phase d’essoufflement !…

Homo politicus © Fluide Glacial

Ce petit livre sans d’autre prétention que de nous faire sourire, réussit cependant à dessiner les contours de ce qu’est devenu « LE » politicien, au fil des années. Loin, très loin même d’un homme au service des autres, du peuple, du pays, le politicien n’est plus, finalement, qu’un fonctionnaire comme les autres. La politique est devenue un métier, rien de plus, se drapant derrière les voiles transparents d’un idéal qui n’est le plus souvent qu’une idéologie carriériste !

Alors, oui, c’est un livre «caricatural», manichéen ! Mais, Bon Dieu, qu’est-ce que ça fait du bien ! Qu’est-ce qu’on aimerait bien, en France comme en Belgique, voir nos dirigeants ne plus être impunis par une Justice qui oublie, semble-t-il, ce qu’est la séparation des pouvoirs !

Homo politicus © Fluide Glacial

C’est un bouquin sans ambition, certes, mais qui vient à son heure, dans une société, la nôtre, qui, de plus en plus, idéalise celles et ceux qui nous gouvernent ! Et j’ai toujours aimé ces œuvres, quelles qu’elles soient, qui font tomber de leur piédestal des gens imbus d’eux-mêmes et fiers de l’être dans des gouvernements où, finalement, ils se donnent l’illusion de travailler en faisant état d’un agenda surbooké !

« Homo Politicus », c’est un livre marrant, c’est du poil à gratter cher à la revue Fluide Glacial. C’est un livre vraiment positif, parce qu’il fait sourire !

Jacques Schraûwen

Homo Politicus (dessin : Thibaut Soulcié – scénario : Nena – éditeur : Fluide Glacial – 96 pages – août 2020)