Lucien et les mystérieux phénomènes : 2. Granit Rouge

Lucien et les mystérieux phénomènes : 2. Granit Rouge

Alexis Horellou et Delphine Le Lay, les auteurs de cette série qui en est à son deuxième tome, s’adressent à un public jeune… Et ils ont reçu, le 17 septembre dernier, le prix « Atomium des enfants ». Un prix bien mérité !

Lucien et les mystérieux phénomènes : 2. © Casterman

« Lucien », c’est un héros pour jeune public, sans aucun doute possible. Un gamin débrouillard, souriant, aventurier, qui ne peut, en effet, que plaire aux enfants… et à leurs parents !

Bien sûr, dans cet album, les adultes sont présents. Ils sont même acteurs, totalement, mais acteurs de second plan ai-je envie de dire… Parce que l’essentiel, pour Delphine Le Lay, c’est l’enfance… L’enfance, qui est bien plus qu’une période de l’existence, l’enfance qui est un pays que l’on porte en soi, (pour plagier quelque peu Gilles Vigneault), l’enfance qui est le seul moteur du rêve, du sourire, de l’envie de modifier les choses et de les rendre souriantes. Et c’est bien ce que cette série, et ce livre en particulier, font, avec un talent souriant, entraînant. Avec une bonne humeur et un sens positif de l’existence.

Delphine Le Lay : l’enfance
Delphine Le Lay : positiver…

Lucien est un gamin qui aime se confronter à des événements qui sortent de l’ordinaire, qui peuvent même, pour le commun des mortels, revêtir une apparence « extra-ordinaire », fantastique.

Lucien et les mystérieux phénomènes : 2. © Casterman

Et c’est bien le cas à Douarnenez, où il passe quelques jours de vacances chez ses grands-parents. Les festivités du carnaval, grand moment de cette ville bretonne et de l’île de Tristan, toute proche, sont perturbées par des agressions qui semblent dues à un cruel fantôme, celui d’un brigand du dix-septième siècle !

L’île Tristan est très symbolique, très emblématique. Il s’agit d’une île qui, depuis assez peu de temps finalement, est (re)devenue un lieu privilégié, préservé, tant pour la nature qui y vit et y renaît que pour les partages de vie qui y unissent les habitants. C’est une île qui fut, il y a bien longtemps, celle de l’immense poète oublié, Jean Richepin… Une île symbolique, donc, de l’importance de la poésie, au sens large du terme, pour qu’une existence soit enrichie et enrichissante.

Delphine Le Lay : l’île Tristan

Et donc, face à ces événements qui paraissent improbables, la réaction de note héros est sans surprise : Lucien et sa cousine Inès décident de se lancer à l’aventure, et de tout faire pour découvrir qui et quoi se cachent derrière ce violent fantôme !

Lucien et les mystérieux phénomènes : 2. © Casterman

L’histoire est simple et simplement traitée, avec des codes habituels qui ne sont pas déstabilisants, avec un dessin souple, gestuel ai-je envie de dire, avec une mise en page qui, ici et là, fait presque penser aux romans de Jules Verne.

Le talent du dessinateur est de parvenir à créer un rythme visuel à ce récit enfui dans la nature. Certes, les décors sont importants, mais, sous le pinceau d’Alexis Horellou, ils laissent la place aux personnages. Moins à leurs expressions, d’ailleurs, qu’à leurs mouvements… S’il me fallait qualifier son dessin, je dirais qu’il est efficace et terriblement « gestuel »…

Alexis Horellou : un dessin tout en simplicité
Alexis Horellou : un dessin de gestes !

Mais ce qui caractérise aussi ce livre, c’est son scénario qui se révèle « militant » pro-nature sans être lourdement insistant, pour qu’un monde meilleur puisse prendre vie, et ce grâce à l’enfance, moteur du récit, moteur aussi de la possibilité de faire de chaque fête un moment de vrai partage.

C’est dans ce cadre-là d’éducation, au sens le plus large et le plus ludique du terme, que les auteurs ferment leur livre sur une sorte de dossier didactique qui, en fait, donne des conseils aux jeunes lecteurs pour des bricolages qui embellissent les fêtes sans pour autant utiliser des produits peu naturels… J’avoue ne pas être très fan des œuvres militantes, n’y voyant, le plus souvent, que des propos d’abord idéologiques et doctrinaires.

Lucien et les mystérieux phénomènes : 2. © Casterman

Mais ici, ce n’est pas le cas, et tout est fluide et sans rien vouloir imposer, dans ce livre extrêmement agréable à lire et à faire lire.

Delphine Le Lay : un livre « militant »

« Lucien », c’est de la bd dans l‘air du temps, c’est aussi de la bd sans tape-à-l’œil, intelligente, qui renoue avec des valeurs simples sans jamais être simplistes. C’est de la bd éducative, à sa façon, mais de manière souriante, toujours, de manière « libre »…

Un livre à offrir à ses enfants, à lire aussi, en même temps qu’eux !

Jacques Schraûwen

Lucien et les mystérieux phénomènes : 2. Granit Rouge (dessin : Alexis Horellou – scénario : Delphine Le Lay – éditeur : Casterman – 96 pages – septembre 2020)

Alexis Horellou et Delphine Le Lay © Jacques Schraûwen

Homo Politicus

Homo Politicus

Un ministre du travail, rattrapé par ses enrichissements professionnels, découvre le vrai monde du vrai travail. Un livre réjouissant, cynique, et tellement d’actualité, toujours, toujours, toujours…

Homo politicus © Fluide Glacial

Henri-Xavier de Lapègre était un ministre en vue. On le voyait, oui, partout, de télé en télé, de ruban tricolore à couper en match de foot à admirer… Il semblait prendre son rôle à cœur, serrait des mains, souriait à tout le monde, pérorait sur l’admirable fonction du travail dans l’élaboration d’une société équilibrée.

Enfin, tout cela, c’était avant ! Avant que ses notes de frais ne fassent l‘objet d’un contrôle dont le constat est immédiat : Henri-Xavier Lapègre n’est plus ministre. Il se sent abandonné dans un univers que, finalement, il ne voyait que de loin. Dès lors, ex-ministre du travail et de l’emploi, il se dit qu’il se doit de ne pas se laisser aller, et de donner l’exemple. Donc, de se rendre à Pôle Emploi et de chercher un nouveau métier.

Homo politicus © Fluide Glacial

Et tout ce petit livre merveilleusement incorrect, fantastiquement poujadiste, extraordinairement humoristique, parle de cette recherche d’emploi, des différents boulots que ce personnage fort en gueule et incapable de se départir des plis pris tout au long de ses quelques temps ministériels, que ce chômeur donc va essayer de faire siens !

Boulanger, serveur, facteur, facteur en grève, porteur de café, enfin, dans les couloirs du ministère, Henri-Xavier va voyager, ainsi, dans des « bulles » qui ne conviennent pas à ce qu’était son train de vie.

Il fait encore la une des journaux, mais pour s’y voir décrit comme un loser, comme un reconverti raté, comme le mari d’une femme qui a besoin d’un psy pour sauver la face !

Cela se passe en France, avec l’infrastructure officielle française, avec les médias à la française. Mais cela pourrait (devrait ?…) se passer partout, pour le plus grand bien d’un système politique de plus en plus en phase d’essoufflement !…

Homo politicus © Fluide Glacial

Ce petit livre sans d’autre prétention que de nous faire sourire, réussit cependant à dessiner les contours de ce qu’est devenu « LE » politicien, au fil des années. Loin, très loin même d’un homme au service des autres, du peuple, du pays, le politicien n’est plus, finalement, qu’un fonctionnaire comme les autres. La politique est devenue un métier, rien de plus, se drapant derrière les voiles transparents d’un idéal qui n’est le plus souvent qu’une idéologie carriériste !

Alors, oui, c’est un livre «caricatural», manichéen ! Mais, Bon Dieu, qu’est-ce que ça fait du bien ! Qu’est-ce qu’on aimerait bien, en France comme en Belgique, voir nos dirigeants ne plus être impunis par une Justice qui oublie, semble-t-il, ce qu’est la séparation des pouvoirs !

Homo politicus © Fluide Glacial

C’est un bouquin sans ambition, certes, mais qui vient à son heure, dans une société, la nôtre, qui, de plus en plus, idéalise celles et ceux qui nous gouvernent ! Et j’ai toujours aimé ces œuvres, quelles qu’elles soient, qui font tomber de leur piédestal des gens imbus d’eux-mêmes et fiers de l’être dans des gouvernements où, finalement, ils se donnent l’illusion de travailler en faisant état d’un agenda surbooké !

« Homo Politicus », c’est un livre marrant, c’est du poil à gratter cher à la revue Fluide Glacial. C’est un livre vraiment positif, parce qu’il fait sourire !

Jacques Schraûwen

Homo Politicus (dessin : Thibaut Soulcié – scénario : Nena – éditeur : Fluide Glacial – 96 pages – août 2020)

Léo Loden : 27. Sète à Huîtres

Léo Loden : 27. Sète à Huîtres

Je l’avoue : chaque année, j’attends avec plaisir l’arrivée d’un nouveau Léo Loden. Même si, en effet, le style graphique peut faire trop penser à Tillieux, j’aime le dessin de Serge Carrère. Le scénario, par contre, dans ce 27ème opus, me semble un peu faible !

Les ressorts de cette série, active depuis 1991, sont bien connus. Léo Loden, ancien flic devenu détective privé, résout ses enquêtes avec l’aide de plusieurs personnes, dont sa compagne Marlène commissaire de police et mère de ses enfants, et l’ineffable Tonton.

Le deuxième ressort de cette série, c’est le plaisir que les auteurs ont à plonger les lecteurs dans des récits pleins d’humour, mais aussi de violence, ancrés tous dans la réalité, dans des lieux connus, avec des intrigues le plus souvent inspirées du quotidien de ce sud de la France où on ne se contente pas de jouer aux boules !

Léo Loden 27 © Soleil

Et c’est bien le canevas de cet épisode. Dans l’étang de Thau, du côté de Sète, un ostréiculteur est trouvé mort, noyé. La gendarmerie locale conclut vite à un accident, ou même à un suicide. Ce que Léo Loden ne croit pas. Et le voilà donc embarqué dans une enquête qui va permettre à Tonton de se gaver d’huîtres, et à Léo de découvrir un univers professionnel dans lequel, comme partout ailleurs, le rendement prend de plus en plus la place de la qualité.

Les décors sont des environnements de rêve, comme d‘habitude, des mondes de soleil et de douceur de vivre… Ils appartiennent pleinement, et ce depuis le tout début de cette série, au rythme-même des aventures policières de Léo Loden.

Le scénario nous parle de réalités, comme je le disais, de ces entrepreneurs qui usent de la science pour créer des organismes modifiés, des huîtres en l’occurrence. Il y a des méchants, des très méchants, il y a des morts, il y a toute cette horreur tempérée par l’intempérance de Tonton. La force de Léo Loden, outre ces paysages somptueux, c’est ce mélange d’humour et de récit réaliste, toujours à la manière de Tillieux, voire de Walthéry.

Léo Loden 27 © Soleil

Mais ce scénario, cette fois, dû à Loïc Nicoloff, manque pour moi de consistance. Certes, il est bien documenté, le problème n’est pas là. Mais j’ai l’impression que Nicoloff, trop occupé par le fond de l’enquête qu’il nous raconte, perd prise face à l’intrigue qui se devrait d’agripper le lecteur. Il y a des vides, des raccourcis, et, surtout, une fin d’album qu’on sent « vite faite », parce qu’il fallait bien arriver à boucler l’histoire en 44 planches !

Cela dit, je ne boude pas mon plaisir, et j’ai souri, et je me suis amusé à la lecture de cet album. Et je suis certain que Loïc Nicoloff, dans son prochain scénario, évitera les écueils et les facilités qui brisent un peu le rythme de ce scénario-ci.

Léo Loden 27 © Soleil

Léo Loden reste pour moi une bd classique, populaire, à défendre face à une certaine propension à l’intellectualisme qui semble, de nos jours, vouloir régimenter la création jusque dans le neuvième art. C’est grâce à la variété, et seulement grâce à elle, que la bd est un art, et je défendrai toujours les auteurs qui aiment s’adresser avec réflexion et intelligence au plus grand nombre !

Jacques Schraûwen

Léo Loden : 27. Sète à Huîtres (dessin : Serge Carrère – scénario : Loïc Nicoloff – éditeur : Soleil – 44 planches – septembre 2020)