Wilfrid Lupano n’est pas seulement aux commandes des extraordinaires Vieux Fourneaux!… Il s’occupe aussi, du bout des mots, de ce fameux Loup en Slip qui enchante petits et grands!
« Le Loup en Slip » apparaît ici et là dans l’extraordinaire série des « Vieux Fourneaux ». Mais cet animal a également son existence propre, dans une collection de livres pour enfants. Pour enfants, et pour « grands », tant il est vrai que le contenu de ces livres nous parle d’abord et avant tout, avec des dessins simples et des mots qui le sont tout autant, de notre société et des problèmes (petits et grands, eux aussi!) qui y naissent au quotidien.
Mayana Itoïz, utilisant une figure iconographique des contes pour enfants, en a fait un être profondément humain, résolument humaniste. Avec lui, de livre en livre, les auteurs (Itoïz et Lupano), détruisent en souriant tous les préjugés, tous les jugements à l’emporte-pièce portant sur les apparences.
Et aujourd’hui, voici ce Loup en slip se livrant à des activités ludiques et à des jeux idiots. Des jeux, avouons-le, parfois un peu déjantés, toujours souriants, et qui gagnent, j’en suis certain, à être joués main dans la main par les enfants et leurs parents.
Wilfrid Lupano
On relie des points pour recréer des images, on colorie, on lit, on s’amuse avec des autocollants, on résout quelques labyrinthes, on s’intéresse à quelques dictons…
Ce cahier d’activités et ces jeux idiots se teintent d’un surréalisme parfois un peu provocateur, toujours intelligent, et méritent donc, croyez-moi, que vous vous y intéressiez!
Jacques Schraûwen Le loup En Slip – Cahier d’activités (dessin: Mayana Itoïz – scénario: Wilfrid Lupano – éditeur: Dargaud)
Signé Christophe Simon et Jean Van Hamme, ce livre permet de mieux découvrir le travail du prix Nobel de la Paix, le docteur Mukwege… Grâce surtout à un dessin classique et d’une superbe efficacité !
Une bd comme celle-ci s’ancre profondément dans l’actualité, c’est une évidence. D’autant plus qu’un des personnages croisés dans cet album vient de recevoir le Prix Nobel de la Paix.
Cela dit, si on s’en tient uniquement au scénario de Jean Van Hamme, cette personnalité extraordinaire n’est pas du tout le centre du récit que nous livre le scénariste. Van Hamme veut nous parler d’une situation qu’aucun pays civilisé ne devrait accepter, certes, mais il le fait en multipliant ses angles d’attaque, en se perdant dans des considérations généralistes, en ne parvenant pas à être un vrai dialoguiste, non plus… Ses scénarios tournent très souvent autour du pouvoir, de l’argent, et c’est à partir de ces deux thèmes qu’il aime construire ses intrigues, que ce soit pour Treize ou pour Largo Winch par exemple.
Ici, ce « truc » me semble occulter le fond du propos, essentiel, qui est celui, simplement, de l’humanisme héroïque du docteur Mukwege, et celui d’autres personnages aussi, trop vite esquissés, dans une région du monde où l’humain semble pourtant ne plus avoir sa place !
Cela dit, Christophe Simon parvient, avec talent, à sortir de ce canevas, et à nous livrer, graphiquement, une histoire qui, elle, laisse la place à l’humanisme, à l’émotion. Et même si le début de l’album se révèle, de par son dessin, assez dure, presque « voyeur » même, l’évolution du récit de « Kivu » se fait, progressivement, infiniment plus proche à la fois des humains et des paysages dans lesquels ils vivent.
C’est un livre important, sans aucun doute. Il nous plonge dans la réalité de cette province du Congo, une province dans laquelle la violence est quotidienne, dans laquelle vivre est une gageure de tous les jours… Dans ce livre, on suit les pas de plusieurs personnages… Des pseudo-militaires corrompus et vicieux… Un ancien mercenaire, un jeune Belge qui perd ses illusions, une gamine qui se fait presque violer, son frère enfermé et torturé. Et le docteur Mukwege, son dispensaire, son travail exceptionnel auprès des femmes au corps détruit par les réalités inacceptables d’une guerre qui cache son nom…
La partie la plus intéressante de ce livre, humainement parlant, est celle qui nous montre le travail, justement, de ce médecin exceptionnel. Christophe Simon réussit à nous le faire ressentir profondément, grâce, incontestablement, aux quelques jours qu’il a vécus, là-bas, dans cet hôpital de Panzi où le quotidien se vit d’horreur et d’espérance…
C’est un livre réussi, dans la mesure où il met en évidence, au travers d’une fiction, ce qui se vit aujourd’hui, au jour le jour, pour des êtres humains qui cultivent la haine en se faisant haïr pour des raisons qui ne sont que des raisons de pouvoir.
Un livre réussi par son graphisme, celui de Christophe Simon, un dessin classique qu’on avait admiré dans sa reprise de Corentin… Un dessin qui, incontestablement, se nourrit des regards qui ont été les siens dans ce pays déchiré depuis tant de temps. De cette région du monde dans laquelle le coltan, minerai essentiel pour toutes les technologies qui paraissent essentielles à la société occidentale, provoque les pires des exactions et, finalement, a plus d’importance que la vie d’un enfant ou d’une femme… Là, le scénario de Jean Van Hamme atteint parfaitement son but, avec le soutien du dessin de Christophe Simon.
Un dessinateur de bd, avec un livre comme celui-ci, oui, c’est un témoin…
Je me dois aussi de souligner l’excellent travail du coloriste, Alexandre Carpentier, qui ne se contente pas de nous donner des ambiances tant de fois vues… Il parvient à capter les lumières propres à la RDC, à en faire des éléments de décor presque palpables… Il y a dans ses couleurs de la moiteur, des senteurs, de la vie…
C’est un livre qui doit être lu, croyez-moi, même si mes propos vis-à-vis du scénario sont mitigés… Van Hamme a le talent de pouvoir, c’est évident, « raconter une histoire, créer une aventure ». Je pense que ce biais-là aurait pu être évité ici…
Mais cela reste, outre le propos important, humaniste, cela reste, oui, un livre agréable à lire… Intéressant, à condition de dépasser, en tant que lecteur, la passivité à laquelle tellement souvent Van Hamme soumet ses lecteurs ! Et pour ce faire, tout un chacun pourra s’attarder sur le dossier qui termine cet album…
Jacques Schraûwen Kivu (dessin : Christophe Simon – scénario : Jean Van Hamme – couleurs : Alexandre Carpentier – éditeur : Le Lombard)
Un chef d’œuvre de l’inclassable Marc-Antoine Mathieu
D’accord, ce livre a déjà quelques mois d’existence. Mais pourquoi les bons livres n’ont-ils pas la chance de durer plus longtemps sur les étals des librairies ? Que cette chronique soit l’occasion, pour ce livre-ci, d’une seconde vie, dans vos bibliothèques à toutes et à tous…
Ce qu’il faut souligner, d’abord, avec cet « album », c’est l’excellent travail d’édition : des pages cartonnées, solides, un rendu du noir et blanc absolument parfait, une mise en page sans aucun accroc…
Ce qu’il faut souligner ensuite, et surtout, c’est la beauté graphique du travail de Mathieu qui, ici, entre simplicité et démesure, s’affirme pleinement.
Marc-Antoine Mathieu ne fait pas de la bande dessinée. Il utilise ce média artistique pour explorer les territoires toujours inconnus de la création, sous toutes ses formes. Au premier abord, face à ses dessins, on a l’impression de se retrouver face à un illustrateur particulièrement doué, inventif, original. Mais il faut toujours, avec cet auteur, dépasser les simples apparences, et on s’enfouit alors dans l’univers à la fois mathématique et littéraire d’un raconteur d’histoires… Avec quelques mots, avec un dessin, il se rattache ainsi à la grande famille des Gourmelin, des Fred aussi, à sa manière, mais également des Sternberg en littérature, ou des Topor…
L’imagination est au pouvoir, sans aucun doute, dans ce livre… Ce « livre des livres », qui, de par son titre, pourrait faire penser à une bible contemporaine…
Mais il n’en est rien… Ou pas uniquement… Parce que tout ce qui sous-tend les différents livres inventés dont Mathieu nous offre les couvertures et les résumés, tout ce qui se dit, se montre et s’écrit dans cet album se construit autour d’un point commun : la « question », sous toutes ses formes.
Ce « Livre des livres », c’est une œuvre artistique posée aux pieds du pourquoi !… Parce que, comme le dit l’auteur caché derrière les mots d’une fable : « la vérité est une question, non une réponse ».
Jeux d’images, jeux de mots (jusque dans les intitulés des éditeurs inventés), ce livre nous entraîne, avec un sens presque poétique du vertige, dans un monde où ne subsistent plus de la culture littéraire que quelques couvertures, quelques mots, rien de plus… Des éléments épars que Mathieu, en archéologue de l’avenir, a recueillis pour nous montrer à la fois l’inventivité de notre époque et son immense déshumanisation en devenir.
Marc-Antoine Mathieu est, je le disais, un auteur totalement inclassable. Mais un artiste, dont chaque page se fait l’écho de la littérature, porteuse de ce qu’est notre civilisation, pour peu qu’on puisse appeler ainsi le quotidien de nos intelligences… Il y a des références au K de Buzzati, à Borgès, à Perec, Peeters, au théâtre de Mnouchkine… Chaque page se fait aussi l’écho de quelques dessinateurs essentiels du neuvième art, comme Masse, Schuiten, Gébé…
Ce « Livre des Livres » est à lire, certes… Il est à regarder, aussi… Il est à oublier sur une planche de votre bibliothèque, pour pouvoir le retrouver, par hasard, le relire, le feuilleter encore et encore…
Et si vous ne le trouvez pas dans les rayonnages de votre libraire préféré, n’hésitez surtout pas à le commander !….
Jacques Schraûwen Le Livre des Livres (auteur : Marc-Antoine Mathieu – éditeur : Delcourt)