Jojo – Intégrale 2

Jojo – Intégrale 2

Deuxième tome d’une intégrale que tous les vrais amateurs de bandes dessinées se doivent de posséder! Et une interview, dans cette chronique, du « préfacier » de ce superbe livre…

Jojo©Dupuis

La fin des années 70 et le début des années 80 ont vu, dans le paysage de la bande dessinée, se côtoyer deux réalités très différentes. D’une part, il y avait toute la bd « adulte » née des années 60, de l’ouverture, de l’underground américain aux apparitions, en Europe d’auteurs comme Forest. Une bd qui se révélait souvent érotique et provocatrice et qui osait –enfin- explorer des univers narratifs jusque-là interdits aux auteurs des petits Mickeys.
Et d’autre part, il y avait également la persistance de la bd classique, la fameuse franco-belge, dans des revues comme « Tintin » ou « Spirou ». Mais là aussi, les choses bougeaient… Les choses devaient bouger ! Comment oublier l’apparition de Corto Maltese dans « Pif Gadget », celle de Martin Milan dans le journal de Tintin, et les aventures de Bidouille et Violette dans les pages de Spirou !
Et la naissance, dans le tout débit des années 80, d’une série qui a marqué, par sa poésie et son observation amusée de la société, bien plus qu’une seule génération.
Je parle, bien évidemment, des extraordinaires aventures quotidiennes de « Jojo » !
André Geerts, son auteur, a construit en peu de temps, finalement, puisqu’il est mort bien trop jeune, une véritable œuvre qui osait parler de familles monoparentales, de la réalité de l’enfance, avec humour, certes, mais jamais avec simplicité ni propos mièvres et débilitants…
Derrière Jojo, se cachait un homme dont les convictions, pourtant, et les travaux, n’étaient pas toujours souriants. Et c’est le premier intérêt de cette intégrale, d’ailleurs, que de nous permettre de découvrir qui était André Geerts, grâce à Morgan Di Salvia, qui éclaire de son analyse fouillée tout ce qui fait Jojo, personnage de papier, et l’homme qui se cache derrière lui !

 

Jojo©Dupuis

Morgan Di Salvia: Geerts

 

Grâce à cette préface, on se souvient qu’une œuvre d’art, quelle qu’elle soit, ne peut naître qu’au travers de rencontres, d’amitiés, de trahisons parfois, de ruptures aussi, qu’au travers, finalement, d’une existence résolument ouverte à l’inattendu… Et même si la préface de Morgan Di Salvia peut sembler parfois un peu « people », elle s’avère finalement importante pour comprendre l’évolution à la fois du dessin et du scénario dans le travail de Geerts.
Un travail qui, au fil des albums, frappe, encore aujourd’hui, par la justesse de ton. Ce que Geerts nous montre, ce sont des histoires d’enfants et d’adultes, des vrais enfants, avec un vrai discours d’enfants, et des vrais adultes, avec des vraies volontés de maturité.
Il y a une justesse de ton, oui… Et, de ce fait, une immense modernité, également. Même si le style de l’école dans laquelle Jojo va, n’existe plus de nos jours, elle n’en est pas moins symbolique de tout ce qui fait, encore et toujours, l’enseignement, l’apprentissage… Apprentissage de la connaissance, certes, mais aussi et surtout peut-être de la vie en groupe. Parce que c’est là aussi la force et l’intelligence de la série « Jojo » : nous montrer un monde dans lequel tous les personnages ont leur importance, une importance capitale… C’est une série « chorale », oui, comme on dit de nos jours !

Jojo©Dupuis

 

Morgan Di Salvia: justesse
Morgan Di Salvia: modernisme

 

Mais, bien évidemment, l’univers de Jojo, essentiellement, c’est celui de l’enfance. Une enfance qui expérimente tous les aléas de l’existence, la perte d’un parent, la colère, la jalousie, l’amitié, la violence. Une enfance qui s’inscrit, sans simplisme, dans un monde réel, même si le dessin de Geerts, dans la lignée de Sempé pour les graphisme, mais s’en éloignant par le soin qu’il a toujours porté aux décors, même si son graphisme est non réaliste. Mais ce qui est réaliste, ce sont les thèmes abordés, oui, de la famille monoparentale à la délinquance dans les rues de nos cités, de la fougue de l’enfance à la fatigue de la vieillesse, du plaisir de vivre à la réalité de la mort.
Il y a tout cela, chez Jojo.
Mais il y a surtout, et c’est ce qui en fait l’universalité, une poésie tranquille qui n’a pas besoin de rimes pour offrir aux lecteurs mille et une heures enchantées… Mille et un rêves qui aident à vivre, à sourire, à faire sourire !

 

Jojo©Dupuis

Morgan Di Salvia: les enfants

 

Dans cette intégrale, outre la réédition des albums 5 à 8, on peut aussi découvrir d’autres facettes du talent de Geerts. Ses gags en un dessin, par exemple… Ou, aussi, quelques-unes des illustrations qui ont émaillé le magazine e Spirou, mais qui ont aussi construit quelques-uns des plus beaux calendriers scouts belges, à l’époque du bénévolat d’une fédération qui s’appelait encore « FSC » et qui n’avait pas peur de sourire d’elle-même !

Morgan Di Salvia: l’illustrateur

 

Qu’ajouter à tout cela ?…
Si vous connaissez déjà Jojo, vous ressentirez un plaisir, d’abord nostalgique, ensuite mélancolique, à la lecture de cette intégrale….
Et si vous ne connaissez pas encore Jojo, vous découvrirez dans ce livre un des personnages les plus attachants de l’histoire de la bande dessinée moderne !
Un livre à s’offrir, à offrir, à faire lire !

Jacques Schraûwen
Jojo – Intégrale 2 (auteur : André Geerts – préface de Morgan Di Salvia – éditeur : Dupuis)

Geisha ou le jeu du shamisen

Geisha ou le jeu du shamisen

Une bd et une superbe exposition au Centre Belge de la Bande Dessinée à Bruxelles !

Des années 20 à la fin du vingtième siècle, le portrait d’une enfant qui devient geisha, dans un Japon en perpétuelle mutation. Le portrait d’une époque, du temps qui passe, et une chronique qui laisse la parole au dessinateur.

Geisha – © Futuropolis

Force est de reconnaître que la bande dessinée, quand elle s’est aventurée dans des récits qui mettent en scène des Geishas, s’est très souvent fourvoyée. Avec talent, parfois, comme avec Pichard ou Magnus, mais toujours de manière très outrancière.  Ici, il n’en est rien, et Christian Perrissin a construit son scénario de façon très douce, très intuitive aussi, un peu comme un haïku ou un livre de Kawabata, ou un film d’Ozu…
Au début du récit, Setsuko est une enfant, une enfant que son père, qui fut sans doute un samouraï avant d’être un ivrogne, vend à une  » école de geishas « . Au fil de la narration, on voit cette gamine livrée à une éducation stricte, à un enfouissement dans un monde où le plaisir n’est que soumission à des codes pesants. Et l’histoire de cette bande dessinée continue en nous montrant cette enfant devenir jeune femme, puis geisha reconnue, malgré un  » gros nez « , qui, d’une certaine manière, fait référence à ce nom péjoratif que les Japonais donnent aux Occidentaux :  » les longs nez « …
Et ainsi, c’est aussi à un portrait du Japon, de ses codes, de son histoire, même si ce n’est qu’en trame de fond, que ce  » Geisha  » s’attarde à nous offrir, avec plaisir, avec douceur, avec une tranquille passion…

Christian Durieux: Setsuko, l’héroïne

 

Christian Durieux: le Japon en trame de fond

 

Geisha – © Futuropolis

En fait, ce livre, très doux dans son déroulement, même quand il aborde des réalités qui, elles, ne conjuguent nullement la douceur, est une série de portraits. Certains ne sont qu’esquissés, épurés presque, d’autres prennent le temps de s’approfondir…

Le plus important, peut-être, dans cette histoire, c’est l’ambiance, la sensation, étrange et délicate, presque délétère même, de ressentir réellement, à la lecture, la volonté du temps de passer, doucement, lentement, au rythme d’errances humaines plus qu’historiques…

Christian Durieux: le temps qui passe

 

Geisha – © Futuropolis

Cela dit, qu’on ne s’y trompe pas, c’est bien à découvrir toute l’existence d’une professionnelle de l’amour que nous sommes conviés. Christian Perrissin s’est attardé, dans son scénario, à rendre compte de la réalité de ce qu’est, véritablement, une geisha selon les codes japonais. Une enfant prise en charge dès son plus jeune âge, éduquée, formatée, et qui se doit d’être séduisante et cultivée. D’où le sous-titre de ces deux albums :  » le jeu du shamisen « , un instrument de musique traditionnel qui va devenir l’arme de séduction et de liberté de l’héroïne, Setsuko. Une enfant devenant femme, pour qui l’amour n’est jamais qu’un leurre…
Un scénario extrêmement bien construit, pudique sans être prude, pour lequel le dessin de Christian Durieux fait des merveilles… Un dessin qu’on pourrait qualifier de ligne claire à la japonaise inspirée de Hokusai ou même du méconnu Varenne, avec un sens aigu mais discret de l’érotisme… Et l’exposition qui a lieu au CBBD jusqu’au 24 juin met en totale évidence le graphisme à la fois très précis, très poétique aussi, de Christian Durieux ! C’est bien de séduction, d’art et d’érotisme qu’il s’agit ici !

Christian Durieux: l’art et la séduction
Christian Durieux: l’érotisme

 

J’ai rarement pris autant de plaisir à une exposition qu’à celle-ci ! Elle permet vraiment d’admirer le talent de Christian Durieux, ses  » découpages « , par exemple, pour mettre en évidence une forme, une présence, un visage… un mouvement… Une opposition entre les noirs, les blancs, les gris… Ou un regard, puisque, comme il le dit lui-même, il attache énormément d’importance aux yeux de ses personnages…


Geisha – © Futuropolis

Christian Durieux: les regards

Si je devais résumer mon impression, ce serait assez facile : il s’agit d’une histoire superbe, simple, humaine, poétique et littéraire, une histoire qui semble flotter au-dessus d’une musique intemporelle, une histoire de sons, d’images, d’impressions… Le tout accompagné d’une exposition d’une totale réussite, jusque dans la simplicité des cimaises qui l’accueillent…

 

Jacques Schraûwen

Geisha ou le jeu du shamisen (dessin : Christian Durieux – scénario : Christian Perrissin – éditeur : Futuropolis )

 

Exposition au Centre Belge de la Bande Dessinée jusqu’au 24 juin 2018

 

Island: 1. Deus Ex Machina

Island: 1. Deus Ex Machina

Un livre pour jeune public, qui aborde, grâce à un bon récit d’aventure, des thèmes très actuels… Dans cette chronique, écoutez le scénariste!

 

Island – © rtbf

Oui, c’est une bédé tous publics, comme on dit, destinée, plus particulièrement même, aux jeunes lecteurs, à partir de 10 ans…
Ce que ça raconte ?… L’arrivée, sur une île, d’une bande de gamins…. Ils ne savent pas comment ils en sont arrivés là, ils se souviennent, tout au plus, d’un stage de voile, d’une brume épaisse, et puis, c’est le trou noir.
Et, sur cette île, ils sont confrontés à des monstres, à des événements bizarres : tremblement de terre, éruption volcanique, tornade…
On peut penser très vite, donc, à de la science fiction pour adolescents, et il faut reconnaître que, dans les premières pages, on a une impression de déjà lu, de déjà vu… Cela ressemble, oui, au début de l’histoire de  » Seuls « , excellente série bd de chez Dupuis.
C’est vrai qu’il y a les codes habituels au genre « littérature pour la jeunesse »: un groupe de gosses, un souffre-douleur, un empoté, une fille, un costaud qui se prend pour le nombril de l’univers…
Mais tout ce que vit cette bande de gosses obligés de s’unir pour survivre est totalement explicable, finalement ! Cette île appartient à un magnat du cinéma et de la télévision qui a compris que le public a besoin, en guise d’effets spéciaux, de réalités plutôt que de virtualités. Et cette île lui sert de laboratoire pour tester ses inventions, pour filmer, aussi…. Et s’il y a des blessés, réels, des mots même, tant mieux, cela se retrouvera dans des séries télé comme Lost, ou Prison Break, ou dans des films de Lucas ou de Spielberg !

Sébastien Mao: l’inspiration

 

Sébastien Mao: les explications

 

Sébastien Mao: les références cinématographiques

 

Island©Bamboo

 

Ce n’est donc pas uniquement de la  » distraction  » pour jeunes, vous l’aurez compris !…
Certes, ce n’est pas une « grande bd »… Le dessin est simple, passe-partout presque, dans la lignée de ce que produit l’éditeur Bamboo… La couleur, par contre, ajoute à ce dessin une lumière et une variation d’impressions et d’ambiances qui ne manquent vraiment pas d’intérêt!

Finalement, c’est un livre intelligent, avec un fond qui, sous couvert d’une bonne bd d’aventures, parle de vrais problèmes de société, et le fait en s’adressant aux adolescents sans mièvrerie !
Dans notre univers où la virtualité offre, en télé comme au cinéma, sur tablette ou téléphone, des images plus que percutantes, cet album dépasse les apparences, nous montre que la manipulation de l’image est aussi celle qui asservit les êtres humains… C’est fait de manière bon enfant, ce message, mais il est bien présent ! Et le propriétaire de cette île fait penser à ces magnats, des médias comme de la politique, qui croient avoir toutes les libertés pour assouvir leur soif de richesse et, donc, de pouvoir…  Mais, je le répète, c’est une bonne bédé tous publics, et qui, intelligemment, ne cherche pas à perdre ses lecteurs en cours de route…

Sébastien Mao: le dessin

 

Sébastien Mao: la couleur

Jacques Schraûwen

Island: 1. Deus Ex Machina (dessin: Pierre Waltch, scénario: Sébastien Mao, éditeur: Bamboo édition)