Kivu

Signé Christophe Simon et Jean Van Hamme, ce livre permet de mieux découvrir le travail du prix Nobel de la Paix, le docteur Mukwege… Grâce surtout à un dessin classique et d’une superbe efficacité !

 

Kivu © Le Lombard

 

Une bd comme celle-ci s’ancre profondément dans l’actualité, c’est une évidence. D’autant plus qu’un des personnages croisés dans cet album vient de recevoir le Prix Nobel de la Paix.
Cela dit, si on s’en tient uniquement au scénario de Jean Van Hamme, cette personnalité extraordinaire n’est pas du tout le centre du récit que nous livre le scénariste. Van Hamme veut nous parler d’une situation qu’aucun pays civilisé ne devrait accepter, certes, mais il le fait en multipliant ses angles d’attaque, en se perdant dans des considérations généralistes, en ne parvenant pas à être un vrai dialoguiste, non plus… Ses scénarios tournent très souvent autour du pouvoir, de l’argent, et c’est à partir de ces deux thèmes qu’il aime construire ses intrigues, que ce soit pour Treize ou pour Largo Winch par exemple.
Ici, ce « truc » me semble occulter le fond du propos, essentiel, qui est celui, simplement, de l’humanisme héroïque du docteur Mukwege, et celui d’autres personnages aussi, trop vite esquissés, dans une région du monde où l’humain semble pourtant ne plus avoir sa place !
Cela dit, Christophe Simon parvient, avec talent, à sortir de ce canevas, et à nous livrer, graphiquement, une histoire qui, elle, laisse la place à l’humanisme, à l’émotion. Et même si le début de l’album se révèle, de par son dessin, assez dure, presque « voyeur » même, l’évolution du récit de « Kivu » se fait, progressivement, infiniment plus proche à la fois des humains et des paysages dans lesquels ils vivent.

Kivu © Le Lombard

GENESE
EVOLUTION DU RECIT

 

C’est un livre important, sans aucun doute. Il nous plonge dans la réalité de cette province du Congo, une province dans laquelle la violence est quotidienne, dans laquelle vivre est une gageure de tous les jours… Dans ce livre, on suit les pas de plusieurs personnages… Des pseudo-militaires corrompus et vicieux… Un ancien mercenaire, un jeune Belge qui perd ses illusions, une gamine qui se fait presque violer, son frère enfermé et torturé. Et le docteur Mukwege, son dispensaire, son travail exceptionnel auprès des femmes au corps détruit par les réalités inacceptables d’une guerre qui cache son nom…
La partie la plus intéressante de ce livre, humainement parlant, est celle qui nous montre le travail, justement, de ce médecin exceptionnel. Christophe Simon réussit à nous le faire ressentir profondément, grâce, incontestablement, aux quelques jours qu’il a vécus, là-bas, dans cet hôpital de Panzi où le quotidien se vit d’horreur et d’espérance…

Kivu © Le Lombard

SUR PLACE

 

C’est un livre réussi, dans la mesure où il met en évidence, au travers d’une fiction, ce qui se vit aujourd’hui, au jour le jour, pour des êtres humains qui cultivent la haine en se faisant haïr pour des raisons qui ne sont que des raisons de pouvoir.
Un livre réussi par son graphisme, celui de Christophe Simon, un dessin classique qu’on avait admiré dans sa reprise de Corentin… Un dessin qui, incontestablement, se nourrit des regards qui ont été les siens dans ce pays déchiré depuis tant de temps. De cette région du monde dans laquelle le coltan, minerai essentiel pour toutes les technologies qui paraissent essentielles à la société occidentale, provoque les pires des exactions et, finalement, a plus d’importance que la vie d’un enfant ou d’une femme… Là, le scénario de Jean Van Hamme atteint parfaitement son but, avec le soutien du dessin de Christophe Simon.
Un dessinateur de bd, avec un livre comme celui-ci, oui, c’est un témoin…

Kivu © Le Lombard

TEMOIN

 

Je me dois aussi de souligner l’excellent travail du coloriste, Alexandre Carpentier, qui ne se contente pas de nous donner des ambiances tant de fois vues… Il parvient à capter les lumières propres à la RDC, à en faire des éléments de décor presque palpables… Il y a dans ses couleurs de la moiteur, des senteurs, de la vie…

 

Kivu © Le Lombard

COLORISTE

 

C’est un livre qui doit être lu, croyez-moi, même si mes propos vis-à-vis du scénario sont mitigés… Van Hamme a le talent de pouvoir, c’est évident, « raconter une histoire, créer une aventure ». Je pense que ce biais-là aurait pu être évité ici…
Mais cela reste, outre le propos important, humaniste, cela reste, oui, un livre agréable à lire… Intéressant, à condition de dépasser, en tant que lecteur, la passivité à laquelle tellement souvent Van Hamme soumet ses lecteurs ! Et pour ce faire, tout un chacun pourra s’attarder sur le dossier qui termine cet album…

 

Jacques Schraûwen
Kivu (dessin : Christophe Simon – scénario : Jean Van Hamme – couleurs : Alexandre Carpentier – éditeur : Le Lombard)

Le Livre des Livres

Un chef d’œuvre de l’inclassable Marc-Antoine Mathieu

D’accord, ce livre a déjà quelques mois d’existence. Mais pourquoi les bons livres n’ont-ils pas la chance de durer plus longtemps sur les étals des librairies ? Que cette chronique soit l’occasion, pour ce livre-ci, d’une seconde vie, dans vos bibliothèques à toutes et à tous…

Le livre des Livres©Delcourt

 

 

Ce qu’il faut souligner, d’abord, avec cet « album », c’est l’excellent travail d’édition : des pages cartonnées, solides, un rendu du noir et blanc absolument parfait, une mise en page sans aucun accroc…
Ce qu’il faut souligner ensuite, et surtout, c’est la beauté graphique du travail de Mathieu qui, ici, entre simplicité et démesure, s’affirme pleinement.
Marc-Antoine Mathieu ne fait pas de la bande dessinée. Il utilise ce média artistique pour explorer les territoires toujours inconnus de la création, sous toutes ses formes. Au premier abord, face à ses dessins, on a l’impression de se retrouver face à un illustrateur particulièrement doué, inventif, original. Mais il faut toujours, avec cet auteur, dépasser les simples apparences, et on s’enfouit alors dans l’univers à la fois mathématique et littéraire d’un raconteur d’histoires… Avec quelques mots, avec un dessin, il se rattache ainsi à la grande famille des Gourmelin, des Fred aussi, à sa manière, mais également des Sternberg en littérature, ou des Topor…

 

Le livre des Livres©Delcourt

 

L’imagination est au pouvoir, sans aucun doute, dans ce livre… Ce « livre des livres », qui, de par son titre, pourrait faire penser à une bible contemporaine…
Mais il n’en est rien… Ou pas uniquement… Parce que tout ce qui sous-tend les différents livres inventés dont Mathieu nous offre les couvertures et les résumés, tout ce qui se dit, se montre et s’écrit dans cet album se construit autour d’un point commun : la « question », sous toutes ses formes.
Ce « Livre des livres », c’est une œuvre artistique posée aux pieds du pourquoi !… Parce que, comme le dit l’auteur caché derrière les mots d’une fable : « la vérité est une question, non une réponse ».
Jeux d’images, jeux de mots (jusque dans les intitulés des éditeurs inventés), ce livre nous entraîne, avec un sens presque poétique du vertige, dans un monde où ne subsistent plus de la culture littéraire que quelques couvertures, quelques mots, rien de plus… Des éléments épars que Mathieu, en archéologue de l’avenir, a recueillis pour nous montrer à la fois l’inventivité de notre époque et son immense déshumanisation en devenir.

 


Le livre des Livres©Delcourt

 

Marc-Antoine Mathieu est, je le disais, un auteur totalement inclassable. Mais un artiste, dont chaque page se fait l’écho de la littérature, porteuse de ce qu’est notre civilisation, pour peu qu’on puisse appeler ainsi le quotidien de nos intelligences… Il y a des références au K de Buzzati, à Borgès, à Perec, Peeters, au théâtre de Mnouchkine… Chaque page se fait aussi l’écho de quelques dessinateurs essentiels du neuvième art, comme Masse, Schuiten, Gébé…
Ce « Livre des Livres » est à lire, certes… Il est à regarder, aussi… Il est à oublier sur une planche de votre bibliothèque, pour pouvoir le retrouver, par hasard, le relire, le feuilleter encore et encore…
Et si vous ne le trouvez pas dans les rayonnages de votre libraire préféré, n’hésitez surtout pas à le commander !….

Jacques Schraûwen
Le Livre des Livres (auteur : Marc-Antoine Mathieu – éditeur : Delcourt)


Le livre des Livres©Delcourt

Gagner la Guerre – Livre 1. Ciudalia

Du roman à la BD : une adaptation qui ne manque pas d’intérêt !

De la trahison, de la haine, du sang, du pouvoir absolu, des tortures, un univers imaginaire qui ressemble au nôtre… Tous les ingrédients d’une bonne série d’heroic fantasy sont réunis !

 

Ciudalia © Le Lombard

 

Je l’avoue… Ce genre littéraire ne fait pas vraiment partie de mes préférences ! Ses avatars BD et cinéma/télé non plus… J’éprouve depuis toujours une difficulté à me plonger dans des histoires interminables qui privilégient le plus souvent l’imagination pure à la force d’une narration, qui préfèrent le contenant au contenu.
Il y a des exceptions, bien évidemment…
Et ce « Gagner la Guerre » me semble en faire partie, à la lecture, en tout cas, du premier opus de cette nouvelle série dessinée.
Pourquoi ?… Parce que, au-delà de l’imaginaire, l’auteur nous balade dans un univers qui ne nous est pas totalement inconnu, un monde dans lequel les références à notre propre environnement sont nombreuses, une cité qui, moyenâgeuse d’apparence, n’est pas éloignée de ce que nous pouvons toutes et tous imaginer, iconographiquement parlant, du passé de notre propre Histoire.

 

Ciudalia © Le Lombard

 

Cela dit, résumer cette aventure est ardu. Le personnage principal est un tueur, affilié à une confrérie… Engagé pour tuer un homme masqué, il est trahi, risque la mort, en réchappe en prêtant allégeance à celui qui devait être sa victime. Le tout se déroule sur fond de souvenirs d’une tuerie passée et sur la possibilité d’une nouvelle guerre avec un peuple voisin…
C’est dire que le découpage de cet album, qui oblige le lecteur à passer d’hier à aujourd’hui, de scènes intimistes à des grandes envolées lyriques sanglantes et guerrières, c’est dire que ce découpage n’est pas toujours évident.
Mais ce qui est évident, par contre, c’est le charisme de ce fameux Don Benvenuto, anti-héros rappelant « Le Scorpion » de Marini, au sourire carnassier. Un charisme qui naît malgré sa personnalité, la personnalité d’un homme sans foi ni loi, ni sentiments… Un homme qui tue pour tuer, sans plaisir mais sans déplaisir. Un humain aux ordres de pouvoirs qui le dépassent mais qu’il va, on le sait, on le sent, contrer pour son intérêt personnel…
Benvenuto, c’est un méchant, sans aucun doute possible… Mais un méchant intelligent, rusé, sournois, et qui, de par ce fait, finit même par devenir sympathique. Ou, en tout cas, attachant !

 

Ciudalia © Le Lombard

 

Je n’ai pas lu les romans de Jean-Philippe Jaworski. Mais je sais que toute adaptation en bd d’une œuvre littéraire, quelle qu’elle soit, est une opération particulièrement « casse-gueule ».
Or, ici, en dehors des difficultés de lecture dues au découpage quelque peu anarchique, l’univers que crée Genêt tient parfaitement la route. Son dessin, dans la lignée d’un réalisme expressif cher à pas mal de dessinateurs de ces dernières années, réussit à se démarquer par l’utilisation qu’il fait des traits, de la plume, dans les ombrages comme dans les décors aux détails souvent esquissés.
Et sa couleur est d’une belle unité… Utilisant essentiellement, de bout en bout, des tons ocres, rouges, bruns, Frédéric Genêt évite avec soin les trouées de lumière, sauf en quelques endroits qui nous révèlent un ciel d’un bleu limpide et puissant. A ce titre, l’utilisation qu’il fait de la couleur participe pleinement à la narration, à l’ambiance générale, en tout cas, de ce livre d’heroic fantasy qui, étrangement, fait parfois penser au Parrain et à Don Corleone…

Ciudalia © Le Lombard

 

Le monde créé dans cet album est logique, ne souffre aucune improbabilité majeure. C’est le premier point positif de ce début de série. Le personnage central, Benvenuto, occupe tout l’espace, toute la place, ne laissant que peu de champ aux autres personnages, et cela permet au lecteur de suivre totalement l’intrigue en suivant les pas de cet anti-héros charismatique. C’est le deuxième point positif. Le troisième point à mettre en évidence, et je l’ai fait plus haut, c’est l’utilisation que Frédéric Genêt fait de la couleur.
Du côté négatif, il y a le découpage, pas toujours évident à suivre pour les néophytes dans ce genre de bd. Il y a aussi le fait que ce premier album soit un album de présentation des protagonistes et des enjeux de l’histoire qui va nous être racontée tout au long d’une série aux vraies promesses.
Parce que, oui, j’ai apprécié ce « Gagner la Guerre »… La variété des angles de vue, la variété des paysages, le plaisir des gros plans, tout cela fait de la lecture de ce livre un vrai plaisir… Et j’attends la suite avec l’espoir qu’elle aille plus loin dans un récit qui devrait se révéler passionnant et passionné !

 

Jacques Schraûwen
Gagner la Guerre – Livre 1. Ciudalia (auteur : Frédéric Genêt d’après l’œuvre de Jean-Philippe Jaworski – éditeur : Le Lombard)