Léo Loden : Massilia Aeterna

Léo Loden : Massilia Aeterna

Pour cette vingt-cinquième aventure du détective privé  méridional, ses auteurs nous emmènent dans un lointain passé… Dépaysement et sourires restent au rendez-vous !…

 

          Massilia Aeterna©Soleil

 

Eh oui, cela fait vingt-cinq ans que Léo Loden, ancien policier reconverti dans les enquêtes privées, vit  dans le Sud de la France des aventures mouvementées, parfois violentes, en compagnie de Marlène qui rêve de mariage et de Tonton Ulysse, un marin qui ne tangue jamais, même après plusieurs bonnes bouteilles…

Pour fêter cet anniversaire, Arleston, Nicoloff et Carrère ont décidé de s’immerger dans l’Antiquité romaine. Et d’y plonger, bien évidemment, leurs personnages qui ont quelque peu changé de nom : Leo Lodanum, Marlena, et l’ineffable Ulysse.

Marseille étant une ville éternelle, c’est au creux de ses ruelles, de son port, de sa campagne avoisinante que va se construire un récit qui laisse la part belle à l’humour.

 

          Massilia Aeterna©Soleil

 

L’humour, oui, mais pas seulement. Parce que l’enquête que va mener Leo Lodanum, même si elle se déroule à une époque lointaine, éveille des échos bien contemporains : on parle de mafia, on parle de constructions nouvelles qui défigurent le paysage et de mots de vin distribués à tour de bras. Meurtre et corruption ont toujours fait bon ménage, surtout sous le soleil du Midi, et nombreux sont les polars et les films qui se passent à Marseille.

Et donc, c’est à une enquête plus que mouvementée que va se livrer Léo… Courses de chars dans les rues de la ville, aqueduc qui s’écroule, repas fin sur une galère, visites dans un lupanar où l’orgie romaine prend tout son sens, tout participe dans le scénario concocté par Arleston et Nicoloff à restituer une époque épique.

La caractéristique de cette série a toujours été de mêler à l’aventure l’humour, et c’est encore le cas ici.

Mais je trouve que dans cet album-ci, l’humour se fait encore plus débridé que d’habitude, avec une multitude de jeux de mots, avec des clins d’œil nombreux, dans le dessin comme dans le dialogue, avec des références « bd » évidentes, références à Gotlib à certains moments, à Goscinny surtout, à Uderzo aussi…

On sent que les auteurs se sont vraiment amusés à recréer Léo Loden dans un autre monde, à profiter de cette récréation, ou re-création, pour se laisser aller complètement. Et le résultat est réussi, sans aucun doute, puisque le lecteur s’amuse aussi, et pas qu’un peu !…

 

          Massilia Aeterna©Soleil

 

Ce vingt-cinquième album de Léo Loden est probablement une parenthèse ludique dans l’univers du jeune et blond privé méditerranéen. Mais il s’agit d’une parenthèse qui tient toutes ses promesses : faire sourire, faire rire parfois, raconter une histoire policière en utilisant à la perfection les codes propres à ce genre de récit. Et le dessin de Serge Carrère, vif, nerveux, lumineux, classique, est toujours aussi agréable. Quant à la couleur de Cerise, elle restitue à la perfection les lumières, les ambiances, les réalités des différents lieux dans lessquels évolue Léo.

Un petit bémol, malgré tout : la couverture, aussi belle soit-elle, est mensongère, puisqu’à aucun moment, dans le livre, on ne voit Léo prisonnier !…

 

Jacques Schraûwen

Leo Loden : Massilia Aeterna (dessin : Serge Carrère – scénario : Christophe Arleston et Loïc Nicoloff – couleur : Cerise – éditeur : Soleil)

Home Sweet Home

Home Sweet Home

 Une fable en noir et blanc, avec peu de texte… Un petit livre qui mérite qu’on s’y attarde… Un auteur à suivre !

     Home Sweet Home©Y.I.L.

Un vieux marin borgne revient au pays, après de longues années en mer, des années qui ont suivie de non moins longues années de guerre.

Dans son village, les maisons sont les mêmes, rien n’a changé. Rien, sinon les habitants qui ne reconnaissent pas François et qui semblent se promener les yeux perdus dans le  lointain.

Un seul ancien, un vieil homme aveugle, donne quelques explications à François : la mort de sa mère, la construction d’une étrange tour vers laquelle tous les yeux se lèvent, comme hypnotisés…

Tous les regards, oui, sauf ceux des aveugles et des borgnes… Un peu comme si, au pays des voyants, les borgnes sont rois…

Et c’est là que la fable commence… Une fable terriblement moderne, tout compte fait, dont les symboles sont ceux d’une technologie que l’humain invente pour mieux s’en faire l’esclave.

Avec un trait simple, en noir et blanc, presque minimaliste, au niveau du décor en tout cas, Goma, l’auteur, réussit à construire un récit qui pourrait être une simple resucée d’une histoire de zombies mais qui dépasse les apparences de la seule aventure pour s’enfouir aux nécessités de révolte de l’être humain s’il veut rester debout dans un monde où tout le monde s’agenouille.

Il faut souligner, dans cet album, le découpage sans fioritures, les cadrages graphiques sans effets spéciaux, la lisibilité immédiate de la narration, tant au niveau du texte que du dessin. Goma, l’auteur, avec un graphisme moderne, se révèle en même temps presque classique dans l’évolution de son récit et sa lisibilité. 

Un jeune auteur belge à suivre, que ce Goma, et une excellente surprise que ce « Home Sweet Home » tellement peu doux, tellement peu accueillant…. Un peu comme si survivre ne pouvait se faire, dans un monde aux dieux virtuels, que dans la seule solitude…

Jacques Schraûwen

Home Sweet Home (auteur : Goma – éditeur : Y.I.L.)

 

Le Loup en Slip : se les gèle méchamment

Le Loup en Slip : se les gèle méchamment

« Le loup en slip » est un personnage superbe, superbement dessiné, superbement inspiré, aussi, par « Les Vieux Fourneaux »…  Wilfrid Lupano (à écouter dans cette chronique) et Mayana Itoïz y font preuve d’une complicité sans faille !

 

     Le Loup en slip©Dargaud

 

Le loup qui, dans l’album précédent, faisait peur à tout le petit peuple de la forêt, est devenu un être accepté par tout le monde… Jusqu’au jour où, l’hiver venu, la froidure couvrant de blancheur et de frissons les arbres et les clairières, ce loup change d’attitude…

Lui qui était souriant, affable, toujours prêt à rendre service avec le sourire, le voilà devenu bougon, d’une mauvaise humeur presque agressive, et répondant à tout qui lui pose une question quelconque : « On se les gèle » !…

Et en même temps, des animaux disparaissent sans laisser de traces…

Le Loup en slip serait-il redevenu un redoutable prédateur ?….

Vous le saurez en lisant ce livre, bien évidemment, en le faisant lire à vos enfants, ou petits-enfants, en le leur lisant, aussi, et surtout !

Aujourd’hui que, dans la vraie vie, l’hiver est à nos portes, selon l’expression consacrée, ce livre arrive à son heure, pour nous montrer un monde dans lequel la peur est une seconde nature, dans laquelle la « différence », au sens large du germe, est un danger, dans lequel la solidarité n’est souvent qu’un vain mot. Un monde dans lequel, surtout, la rumeur est le vrai pouvoir !…

 

     Le Loup en slip©Dargaud

 

 

Au départ de ces albums pour jeune public (mais pas exclusivement, vous l’aurez compris…), il y a une série bd, « Les Vieux Fourneaux », dans laquelle « Le Loup en Slip » est le nom d’un théâtre ambulant de marionnettes. L’idée de prendre ce guignol comme base d’une nouvelle aventure, à la fois littéraire et graphique, était un pari… Un pari totalement réussi, sans aucun doute possible !

Le premier album était totalement construit comme un livre pour enfants, avec texte et illustrations… Ici, on se trouve beaucoup plus dans une construction bd… Mais une bd qui, de par la place que prennent les dessins, de par également la manière de rendre compte des dialogues, s’adresse frontalement à un jeune public !

De nos jours, c’est peut-être dans la littérature jeunesse que les auteurs osent le plus, osent le mieux. Graphiquement et littérairement, c’est une évidence dans ce livre-ci… Lupano y fait preuve d’une langue à la fois simple et riche de sous-entendus… Quant à la dessinatrice, Mayana Itoïz, elle crée un véritable univers animalier qui, même si on peut y retrouver des influences, celle des grands auteurs tchèques, par exemple, celle aussi de Macherot, est profondément personnel.

La simplicité dans le discours comme dans le dessin n’est pas synonyme de facilité ! Et les auteurs, ici, en font la preuve avec intelligence, avec sourire, avec humour, avec tendresse… Aidés par Cauuet, lui qui préside graphiquement aux destinées des Vieux Fourneaux, ils nous offrent un monde imaginaire dans lequel notre propre univers se reflète comme dans un miroir à peine déformant…

 

Jacques Schraûwen

Le Loup en Slip : se les gèle méchamment (dessin : Mayana Itoïz – scénario : Wilfrid Lupano – participation de Paul Cauuet – éditeur : Dargaud)