Londonish – un livre adorablement amoral !

Londonish – un livre adorablement amoral !

L’amitié, l’amour, les ravages du temps qui passe, les Stones et les Beatles… Une reconversion dans le crime de haut vol… La retraite n’est pas vraiment triste du côté de Londres !

copyright Bamboo

J’ai toujours aimé ces livres qui, sans en avoir l’air, aiment ruer dans les brancards, aiment mêler les genres, aiment surprendre, voire même provoquer.

J’ai toujours aimé être surpris, oui… Et comment ne pas l’être avec cette bande dessinée dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est atypique !

Atypique, mais « traditionnelle » dans son découpage, dans sa narration parfaitement assumée et assurée entre passé et présent.

Atypique parce que les trois personnages principaux de cet album ne sont ni beaux ni séduisants, ni jeunes ni bobos, ni bien-pensants ni adeptes de Panurge. Ils sont (presque) normaux, avec leurs failles, leurs mensonges, leurs désirs oubliés, leurs passions reniées…  et leurs mensonges !

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Trois personnages, oui…

Glenn, retraité et pauvre, avec l’impression horrible d’avoir raté sa vie.

Jude… La femme que Glenn a aimée, aime encore… Mais qui s’est mariée avec un autre, quarante ans auparavant.

Cet autre, c’est Max, tenancier d’un pub totalement voué au culte des Beatles et du Sergent Pepper.

Dans ce pub, Max va organiser une soirée en costume, pour honorer encore et encore les Beatles… Mais cette soirée va devenir le point d’orgue de ces trois existences mêlées, de leurs secrets inavoués et sans doute inavouables !

Et puis, il y a le hasard. Celui qui permet à Glenn de devenir un livreur de mallettes dont il ne connaît pas le contenu, mais dont il sait pertinemment que c’est illégal. Il y a un mort, aussi… Un cadavre à faire disparaître, un cadavre, surtout, qui finit par donner à nos trois amis des idées pas très orthodoxes !

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Un petit vieux tranquille, qui ne l’est pas vraiment… Un couple modèle qui cultive l’ennui bien plus que la passion… Des Beatles et des Stones qui sont peut-être des symboles détournés… Tout ce livre nous entraîne, en fait, dans une approche sombre et pessimiste de ce que sont les apparences, toujours mensongères, une approche qui, par des allers-retours narratifs entre passé(s) et présent, donne chair à des êtres de papier dans lesquels on ne peut que se reconnaître, en partie.

Est-ce une fable ?… Non, pas vraiment… Mais une manière peu conventionnelle de parler du vieillissement, de parler de l’amour, de l’amitié. De la haine, aussi… De la société et de ses dérives, également. Peu conventionnelle, pessimiste, sans aucun doute, mais avec un humour qui lie à merveille la sauce de ce récit !

Un récit, je le disais, qui mélange les genres et le fait avec talent.

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Le scénariste, Philippe Charlot, aime prendre son temps pour installer ses personnages… Il le fait avec talent, réussissant à créer petit à petit, avec un sens de la progression absolument réussi, une ambiance différente, réussissant à transformer un portrait presque sociologique et simplement humain en un polar et en un roman noir à l’américaine… On a toujours l’impression, avec lui, qu’il aime autant surprendre qu’être surpris par les méandres de son imagination.

Le dessin de Miras, lui, d’un semi-réalisme efficace parfois très proche de la caricature, est d’une superbe fluidité, d’une belle construction, aussi. D’une couleur, en outre, qui donne un relief évident aux objets et aux personnages de cet album !

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L’immoralité est une des composantes de la personnalité, probablement.

L’amoralité, elle, est un choix… Un choix passionnant, passionné, passionnel… Et c’est elle, cette façon que l’homme peut avoir de se vouloir exister sans dépendre d’une morale qui, de toute façon, est toujours la morale des autres, c’est cette amoralité, oui, qui est le centre de gravité de cet album, c’est elle qui permet finalement, à l’Amour, majuscule, de redevenir une réalité !

Jacques et Josiane Schraûwen

Londonish (dessin : Miras – scénario : Philippe Charlot – éditeur : Grandangle – 72 pages – janvier 2022)

Ginette : l’humour grivois et bienveillant de Florence Cestac !

Ginette : l’humour grivois et bienveillant de Florence Cestac !

Florence Cestac fait, sans aucun doute, partie des grandes autrices de la bande dessinée. Elle a d’ailleurs gagné le grand prix de la ville d’Angoulème en 2000 (sans les magouilles habituelles…), et le prix Saint-Michel en 2014. Et la voici présente dans un domaine qu’on ne peut que qualifier de hautement grivois !

copyright bd-cul

L’œuvre de Florence Cestac est extrêmement variée. Elle a toujours voyagé entre la bd adulte et la bd pour jeune public, avec des personnages aux gros nez qui, même dans des scénarios sérieux, font preuve de dérision… D’auto-dérision, tant il est vrai que, ces dernières années surtout, Florence Cestac s’est lancée dans des albums résolument axés sur sa propre existence, son enfance, son éducation, sa famille.

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Les gros nez… Le terme est lâché… Il a longtemps défini ce qu’on a appelé l’école de Charleroi, et Florence Cestac ne s’est jamais cachée de l’influence que Franquin avait eue sur sa passion pour le dessin. Mais on retrouve aussi dans son trait tout en courbes, des réminiscences de Calvo ou de Marijac. En fait, le style, extrêmement personnel de Florence Cestac, s’inscrit dans la continuité d’un art en mouvement mais fidèle, aussi, à ceux et celles qui en ont fait, justement, un art !

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Et la voilà aujourd’hui nous plongeant dans une histoire vive, animée, souriante et, ma foi, « X » !

Le nom de la collection dans laquelle est éditée sa « Ginette » est d’ailleurs sans équivoque : « BD-CUL » !

Qui est cette fameuse Ginette ?

Une professionnelle de la « chose » qui tout au long de sa belle carrière « en a déroulé du câble », et toute seule, sans mac, sans souteneur! Grâce à l’aide protectrice et musclée de Léon Chinchard, un fic de choc qui a été un des premiers clients de la belle allongée en sa belle jeunesse.

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Et Ginette se raconte… Elle décrit ses clients, et Florence Cestac s’en fait l’illustratrice, sans tabou, avec une grivoiserie qui fait du bien, avec un sens de l’humour qui n’est pas sans rappeler celui d’un Bunuel mettant en scène Francis Blanche dans « Belle de jour ».

L’humour est dans les mots, dans les gestes, dans les attitudes, dans les nudités, dans les étreintes.

Il ne s’agit nullement, vous l’aurez compris, d’une œuvre à ambition sociologique ! Et pourtant… Florence Cestac a toujours été une femme engagée, féministe souvent, affrontant les ordres établis par des pouvoirs toujours bien-pensants.

Elle n’échappe pas à cette force qui est la sienne dans ce petit livre que je qualifie, pleinement, de jouissif ! Mais le portrait qu’elle nous fait d’une « putain » ne manque pas de provocation, loin des images habituelles, qu’elles soient morales ou d’Epinal. On est loin, aussi, de l’approche intellectuelle qu’un Sartre en a faite…

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L’érotisme, la pornographie, ce sont des réalités qui font partie intégrante de la condition humaine (pas celle de Malraux, non…). Prendre ces réalités avec humour, c’est leur offrir une place de choix, la place qui est la leur : celle du plaisir, tout simplement…

Et Florence Cestac y parvient avec une simplicité et un constant sourire qui font de ce petit album, vite lu, vite aimé, un moment de lecture bien agréable !

Jacques et Josiane Schraûwen

Ginette (auteure : Florence Cestac – éditeur : BD-CUL – septembre 2021 – 100 pages)

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La Ligue Des Chats Contre L’Humain Ecolo

D’un côté, Pascal, un matou qui fait ce qu’il veut des humains qui pensent le « posséder… De l’autre côté, ces fameux humains qui, bobos en diable, décident de nourrir leurs chats avec des croquettes bio… La guerre ne peut que les opposer !

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Bénédicte Moret, l’auteure de ce livre, est, sans aucun doute possible, une femme « engagée » dans l’univers de l’écologie. Elle milite, dans la vie comme dans sa profession d’illustratrice, pour l’agriculture bio, pour le « zéro déchet », pour le climat… Mais cela n’en fait pas une idéologue pure et dure, au contraire de ces moralisateurs qui se présentent aux élections et y perdent leur plumage et leur ramage en même temps ! (si, si, voyez la France…)

Non, Béatrice Moret a choisi le biais de l’humour, de la dérision, de l’auto-dérision aussi, pour sensibiliser ses lecteurs, certes, mais aussi et surtout pour dédramatiser ce qui, finalement, n’est qu’une somme de gestes quotidiens dépendant d’habitudes… Et même si les habitudes peuvent être essentielles à l’équilibre humain, certaines d’entre elles ont peut-être à gagner à évoluer, à changer !

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Cela dit, changer ses habitudes, c’est aussi, lorsqu’on vit en famille, changer celles de chacune et de chacun ! Même celles des animaux de compagnie, ces chats, chiens, hamsters, que sais-je encore, qui nous aident à vivre.

Et c’est là tout le thème de ce livre.

La famille Zéro Déchet vit en compagnie de deux chats. Michel, d’abord, un de ces chats domestiques qui se laisse vivre, qui abuse des nourritures terrestres comme spirituelles, de gamelle en caresses et en ronronnements.

Et puis, Pascal.

Lui, il s’est construit une philosophie activiste pour que les humains dont il dépend deviennent ses sujets volontaires. Et cette philosophie conquérante, il tente d’en apprendre les méandres au brave Michel qui adore les humains puisqu’ils le nourrissent.

Dur apprentissage, donc…

Encore plus dur à partir du jour où Madame Zéro Déchet lit dans un journal (et y croit…) que le chat est l’ennemi numéro un pour la biodiversité ! Et qu’il va falloir donc, l’entraîner à l’écologie, en commençant par l’obliger à manger des croquettes bio !

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L’heure de la lutte a donc sonné !

Et pas moyen de compter, pour Pascal, sur le seul Michel, loin de là ! Le matou dominant décide donc de créer la L.C.C.H.E. : la « Ligue des Chats Contre l’Humain Ecolo ».

Une ligue qui, au fil des combats d’influence quotidiens, s’ouvre peu à peu à une foule bigarrée et hétéroclite… Il y a des oiseaux, des insectes, un hamster, des souris, des hérissons, que sais-je encore. Et chaque assemblée générale devient ainsi une occasion de discussions sans fin, parfois oiseuses, mais, étrangement, respectueuses de la personnalité de chacun.

C’est là pour Pascal un apprentissage auquel il ne s’attendait pas : celui de la tolérance,  celui de l’acceptation de l’autre tel qu’il est et pas tel qu’il veut qu’il soit, celui de la forme la plus élémentaire de la démocratie, en quelque sorte.

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Le chat et ses soldats qui n’ont rien de félin arriveront-ils à vaincre la générosité bio de quelques humains bobos et fiers de l’être ?

Peut-être… Peut-être pas… A vous de le découvrir !

Et de le faire dans un livre qui, je me répète, n’a rien d’idéologique.

Un livre à l’humour constant…

Un livre dans lequel le dessin est extrêmement expressif, tout en étant résolument simple.

Le graphisme de Bénédicte Moret est d’une véritable efficacité, grâce à un sens aigu de l’observation. Observation de chacun des personnages mis en scène, observation des mimiques, des gestuelles aussi…

Et j’apprécie énormément que, malgré le sujet, l’auteur de ce livre évite l’écueil du message bien-pensant et « mode », au profit d’une sorte de témoignage souriant et réjouissant !

Jacques et Josiane Schraûwen

La Ligue Des Chats Contre L’Humain Ecolo (auteure : Bénédicte Moret – éditeur : Le Lombard – janvier 2022 – 120 pages)