La Minute Belge

La Minute Belge

Spécificités du langage belge et zwanze assurées !

La richesse savoureuse de ces expressions qu’on appelle belgicismes ! Une BD souriante et, ma foi, rendant hommage à la culture de la belgitude!… Une chronique dans laquelle les trois auteurs ont été interviewés.

la minute belge
la minute belge – © Dupuis

A l’heure où d’aucuns veulent à tout prix simplifier le langage, à l’heure où les tics de la téléphonie mobile détruisent peu à peu grammaire et orthographe, à l’heure où la mondialisation s’insinue jusque dans la communication entre les humains, il est réjouissant de se plonger dans un livre comme celui-ci !

A l’origine de cet album bd, il y a deux scénaristes qui ont uni leur goût immodéré pour un langage qui n’a pas peur de se moquer de lui-même, pour un langage, surtout, qui, toujours imagé, devient presque poétique. Le langage de tous les jours… Le langage des Belges, du nord au sud de ce petit royaume, en passant par Bruxelles, capitale de l’Europe, certes, mais capitale, surtout, de la  » zwanze « … Une manière bon enfant de se moquer des autres et de soi, mais en  » n’étant jamais contraire  » !

Fabrice Armand: l’origine de ce livre
Fabrice Armand et Dimitri Ryelandt: travailler ensemble
la minute belge
la minute belge – © Dupuis

En se lançant dans cette aventure à la fois linguistique, donc scientifique, et surréaliste, nos deux compères se sont surtout lancés à la poursuite d’expressions variées, imagées le plus souvent, comme je l’ai dit, mais des expressions, aussi, qui aiment  » spiter  » dans tous les sens pour faire sourire, pour oublier aussi et surtout d’attraper le  » dikkenek « .

Cela dit, au-delà de l’amusement pur, dans le choix des expressions et des mots à traiter, il y a de la part de ces deux complices un vrai travail de fond, un vrai boulot didactique, n’ayons pas peur des mots !

C’est que les belgicismes sont aussi, fréquemment, nés d’expressions anciennes, perdues dans les oubliettes d’une histoire aux mémoires sélectives… On  » soupe « , en Belgique, comme on le faisait en France jusqu’au début du vingtième siècle si mes souvenirs ne me racontent pas de  » carabistouilles « .

Chaque page de cet album, ainsi, nous parle d’un mot bien précis. En donnant son sens en bon français. Mais en élargissant le propos, également, nous donnant des synonymes, des mises en situation, des déclinaisons, en quelque sorte. Et, ce faisant, les auteurs démontrent, avec le sourire toujours, que la langue est partie prenante, totalement, de la culture, de l’appartenance à une culture plutôt.


Fabrice Armand et Dimitri Ryelandt: les belgicismes

Fabrice Armand et Dimitri Ryelandt: langue et culture
la minute belge
la minute belge – © Dupuis

Cela dit, on se trouve bien dans l’univers de la bande dessinée, n’ayez pas peur ! Il y a du texte, mais il y a aussi du dessin. Un dessin que je qualifierais d’intemporel, ancré bien plus dans les années 60 et 70 que dans le graphisme actuel. Il y a du  » Shadoks « , c’est évident, dans le trait de Medhi Dewalle, un ket qui peaufine en simplicité ses dessins qui ne ressemblent jamais à des  » ratchatcha  » !


Fabrice Armand, Dimitri Ryelandt et Mehdi Dewalle: le dessin

Livre d’humour intemporel, cette minute belge est passionnante et souriante, de bout en bout. Et je n’ai plus qu’une envie, en refermant cet album : celle d’aller jouer une bonne partie de  » kicker « , avec des amies aux chevelures pleines de  » crolles « , et de guindailler un peu, tout en babelant à tout va !

Le tout, bien sûr, loin de nos draches nationales, qui sont aussi, par ailleurs, celles du nord de la France !

http://www.laminutebelge.com

Jacques Schraûwen

La Minute Belge (dessin : Mehdi Dewalle – scénario : Fabrice Armand et Dimitri Ryelandt – éditeur : Dupuis)

Martin Milan Pilote D’Avion-Taxi : Intégrale 1

Martin Milan Pilote D’Avion-Taxi : Intégrale 1

Christian Godard fait partie intégrante de la grande Histoire du neuvième art !

Christian Godard m’a toujours semblé être un des grands oubliés du neuvième art ! Il fut pourtant, n’en déplaise aux analystes intellos, une des vraies chevilles ouvrières de l’évolution de cet art, en compagnie de quelques autres auteurs, comme Craenhals ou Derib !

Martin Milan © Le Lombard

Il n’y a pas eu que Hergé, Goscinny et Gotlib ! La bande dessinée, certes, leur doit beaucoup… Mais elle doit tout autant, à mon humble avis, à des gens comme Saint-Ogan, ou Forget, ou encore à ces auteurs qui, dans les années 60 et 70, ont osé, dans l’univers de la « bd jeunesse », dans des magazines comme Spirou ou Tintin, sortir des sentiers battus… Des auteurs qui ont osé parler de la vie, telle qu’elle était, qui ont osé des scénarios soucieux d’intelligence et pas uniquement de divertissement !

Mon adolescence a été bercée, ainsi, par deux séries extraordinaires. Chevalier Ardent, avec un héros qu’on voit vieillir d’album en album, un gamin plein de défauts qui devient un adulte révolté… Un jeune qui ressemblait à tous les jeunes.

Et puis, il y avait Martin Milan, un héros, un vrai… Mais un héros qui disait ce qu’il pensait, qui se lançait dans des aventures qui nous montraient le monde tel qu’il était et pas tel qu’imaginé et imposé par tant de séries traditionnelles et, ma foi, souvent cucul la praline !… Martin Milan ?… Un véritable anarchiste de la bd, au franc parler, au regard critique et ironique, aux opinions tranchées et totalement assumées.


Martin Milan © Le Lombard

Christian Godard, l’auteur complet de ce pilote d’avion « politiquement incorrect », a été l’auteur, chez un autre éditeur, de l’excellente série «Norbert et Kari», tout aussi iconoclaste, d’ailleurs, avec un des meilleurs albums de l’époque sur l’adolescence : « Au Royaume d’Astap ». Il a été aussi scénariste pour la série d’humour « La Jungle en Folie », inspirée quelque peu par une bd américaine ou, de manière réaliste, de la série de SF « Le Vagabond des Limbes ». Il a scénarisé aussi une série légère et hilarante : « Les Ghlomes ». Et même écrit un roman policier dans le milieu du catch !

Et voici (enfin !) que paraît une intégrale de son personnage emblématique, Martin Milan.

Une intégrale qui reprend aussi, et c’est tant mieux, tous les récits «courts» qui ont été la naissance de cet anti-héros diablement sympathique !

Des récits qui racontent ses débuts, qui le montrent aussi dialoguant avec un enfant et lui affirmant que tous les rêves peuvent être vécus.

Il achète un vieil avion qui perd ses pièces, devient « taxi » volant, participe aussi à des opérations de commande, pour des privés qui peuvent se payer ses services, pour des campagnes publicitaires…

Ses aventures, ainsi, le conduisent à côtoyer des personnages parfois attachants, parfois solidement repoussants, des adultes ou des enfants, et même des animaux…

Des personnages variés, qui permettent à Christian Godard de se faire le chantre de la liberté… Liberté de penser, mais aussi liberté de dire, et de le faire haut et fort !…


Martin Milan © Le Lombard
Christian Godard: liberté de penser et de dire

Il y a dans ce premier volume de l’intégrale des aventures de Martin Milan (qui, à l’époque, furent éditées en album, d’une part, mais aussi dans le journal de Tintin et dans « Tintin Pocket », en histoires courtes) toute la genèse de Martin Milan, de Godard aussi, grâce à un dossier dû au talent de Patrick Gaumer. Il y a les premiers albums, surtout… « Les Clochards de la Jungle, « Destination Guet-Apens » et, surtout, l’extraordinairement poétique « Eglantine de ma Jeunesse »… L’histoire d’un adolescent friqué qui ramène à la vie sauvage la lionne qui a grandi avec lui… Une réflexion, en fait, à la fois sur le pouvoir de l’argent, sur l’écologie, sur la sauvegarde des animaux, mais aussi sur l’amitié et sur la nécessité, un jour ou l’autre, de se vouloir adulte. A ce sujet, j’épingle cette phrase dite par cet ado qui voit s’éloigner définitivement sa lionne : « J’ai l’impression d’être devenu vieux, d’un coup ! ».

« Eglantine de ma jeunesse », c’est un livre tendre, intelligent, un livre d’humour, aussi, avec des jeux de mots, incessants, avec un dessin qui s’attarde sur les regards pour mieux exprimer les sentiments et les sensations.

C’est un livre qui reprend tous les codes de la bd pour la jeunesse, de l’époque (fin des années 60 et début des années 70) pour, insidieusement, les détourner…

Martin Milan, dans la veine, en quelque sorte, d’un Nestor Burma, est un personnage profondément écrit… Pour Godard, dessiner, c’est plus que raconter, c’est aussi SE raconter et, surtout, ouvrir des fenêtres vers la réflexion, certes, mais aussi vers l’accomplissement de ses rêves. Avec Martin Milan, les jeunes lecteurs de ces années-là ont appris l’importance de la liberté, celle, surtout, de réfléchir, et de se construire leur(s) propre(s) avenir(s)…


Martin Milan © Le Lombard
Christian Godard: écriture, codes, jeunesse

Chaque année, ce sont des milliers d’albums qui se retrouvent sur les étalages et dans les vitrines de vos libraires. Pourquoi, dès lors, me direz-vous, prendre encore le temps de s’attarder sur une bd datant d’il y a pratiquement un demi-siècle ?

Ma réponse est simple… Martin Milan, bien sûr, appartient, comme je l’ai dit, à la grande Histoire de la bande dessinée et de son évolution, mais c’est surtout un personnage qui n’a strictement pas vieilli. Les thèmes abordés dans ses albums sont toujours d’une brûlante actualité. Au travers de ses aventures qui font sourire, ou qui provoquent de vraies émotions, Martin Milan nous dresse le portrait d’une époque qui est encore et toujours la nôtre ! Avec humanisme. Avec poésie, aussi, surtout ! Et le monde d’aujourd’hui ne manque-t-il pas cruellement de poésie ?

J’ai lu ce livre et j’ai, instantanément, retrouvé toutes les sensations qui étaient miennes au début des années 70.

J’ai lu ce livre, je l’ai autant adoré qu’avant-hier.

J’ai lu ce livre, et je ne comprendrais pas que cette intégrale ne se retrouve pas dans les bibliothèques de tous les amoureux du neuvième art !

Jacques Schraûwen

Martin Milan Pilote D’Avion-Taxi : Intégrale 1 (auteur : Christian Godard – éditeur : Le Lombard)


Martin Milan © Le Lombard
Une Maternité Rouge

Une Maternité Rouge

Le regard que porte un  » grand  » du neuvième art sur les migrants… Un livre à ne pas rater !!!

Christian Lax est un artiste hors-pair, qui, de livre en livre, semble ne traiter, vraiment, que les sujets qui le touchent profondément. C’est encore le cas dans cette  » Maternité Rouge « , qui s’ancre à la fois dans l’universel et le contemporain !

maternité rouge
maternité rouge – © futuropolis

Les éditions Futuropolis, en collaboration avec  » Louvre éditions « , permettent à la bande dessinée à s’enfouir profondément dans le monde de l’art, le neuvième et tous les autres… Et de le faire en permettant à l’imagination des auteurs d’aujourd’hui de coller du plus près possible avec la réalité d’un lieu mythique, lieu de cultures plurielles plus que musée national !

Christian Lax, lui, nous parle à la fois de la richesse des collections d’art premier du Louvre et d’un aujourd’hui, à Paris comme dans toutes les cités qui ont la chance de se trouver loin des guerres, qu’elles soient militaires ou économiques, d’un aujourd’hui de peur, de honte, d’espérances trop souvent déçues.

En nous racontant l’histoire du jeune Alou, découvrant, en fuyant les djihadistes, une statue dans un vieux baobab, en nous décrivant la façon dont un vieux  » sage  » lui donne mission d’aller mettre cette statue, une « maternité », à l’abri à Paris, en nous montrant tout le trajet de ce jeune garçon jusqu’à Paris, Christian Lax nous dessine une longue ligne brisée, la ligne de la vie, la ligne du temps… Le « temps » de ce jeune héros, le temps, aussi, qui fut le sien pour rédiger cet album superbe.

Christian Lax: des lignes brisées
maternité rouge
maternité rouge – © futuropolis

Pour parler d’art, quel qu’il soit, on peut écrire des essais savants, on peut montrer des œuvres dans toutes les positions, on peut faire de la bd historique et didactique, explicative.

Mais on peut aussi le faire par des moyens détournés, des moyens qui, en vérité, furent aussi ceux, le plus souvent, des  » créateurs « , du plus reconnu au plus anonyme.

Les arts premiers sont ceux de l’humain, avant tout, de l’humain qui, par le biais de la création, se rapproche en même temps de lui et des dieux. Un album de bande dessinée pour parler de cet art-là ne pouvait donc que le faire en parlant d’abord et avant tout de l’humain !

Livre humaniste, livre symbolique aussi, livre terriblement actuel, cette  » Maternité rouge  » s’adresse directement à nous, les yeux dans les yeux, sans rien cacher de l’horreur de la migration mais en montrant un trajet d’homme avec une pudeur évidente.


Christian Lax: un livre humaniste

Christian Lax: la pudeur
maternité rouge
maternité rouge – © futuropolis

On pourrait croire, en suivant le trajet d’existence d’Alou, que l’Art est plus essentiel que l’existence. Mais ce que Christian Lax nous dit, c’est tout autre chose… Sans art, l’homme n’aurait aucune prise sur le monde qui est sien. L’art est mémoire, également, et toutes les civilisations ont toujours eu besoin, pour se perpétuer, d’artistes capables de dépasser les codes du passé pour éclairer le présent.

L’art est aussi, peut-être, utopiquement sans doute, l’ultime rempart contre la barbarie !

C’est pour cela que l’objet axial de cette narration éclatée dans le temps comme dans les lieux est une statue de  » maternité « . Une maternité rouge comme le sang, comme la mort, donc.

Les symboles sont extrêmement nombreux dans ce livre, et permettent mille et une lectures… Des symboles qui, tous, nous ramènent à des réflexions élémentaires, propres à tout un chacun depuis toujours : le hasard  existe-t-il ?… L’art se révèle-t-il éternel ?… Et quels sont les rapports à construire avec le monde, la nature, et le divin !…


Christian Lax: l’art

Christian Lax: le symbolisme de la maternité
maternité rouge
maternité rouge – © futuropolis

Le dessin de  Christian Lax est d’une superbe efficacité, mais sans aucun  » effet spécial « , sans aucun manichéisme. Lax  aime le portrait, c’est évident, et sa façon de s’approcher au plus près des visages en est une preuve. Tout comme sa manière de dessiner tout simplement le quotidien, dans ses gestes, dans ses regards, dans ses sourires. Et les mots qui accompagnent ce récit sont, eux aussi, des portraits rapprochés, ceux des personnages, certes, ceux de l’une ou l’autre culture, aussi… J’épingle à ce sujet une petite phrase d’un migrant africain apprenant à parler le français :  » j’habite votre lange  » !

Ce livre est fait de dessins, de mots, et de longs silences, aussi, le silence d’une traversée humaine, le silence d’une horreur quotidienne qui ne peut que se dévoiler avec moins encore que des demi-mots.

Outre les portraits, Christian Lax adore aussi nous plonger dans des paysages puissants, véritables acteurs de son récit, que ce soit en pleine Afrique ou en plein Paris.

Et puis, il y a cette tonalité pratiquement monochromatique de cet album, avec, uniquement, ici et là, quelques touches de couleur… Le blanc des cheveux, le rouge de la Maternité, le bleu de la mer…


Christian Lax: le silence des cases

Christian Lax: couleurs et dessins
maternité rouge
maternité rouge – © futuropolis

Migrer, c’est à  la fois voyager vers la mort et vers un renouveau rêvé.

Voyager, c’est aussi vouloir dépasser les apparences, celle du physique comme de l’espérance intime.

Cette  » Maternité Rouge  » sera, j’en suis totalement persuadé, un des plus beaux albums de bd de l’année 2019. Par son dessin, sa narration, et tout ce que Christian Lax réussit à y intégrer, avec lucidité, intelligence, et poésie…

Ne ratez pas ce livre, croyez-moi ! Il est la preuve que la bande dessinée est un art essentiel parce que proche de chacune et de chacun !  

Jacques Schraûwen

Maternité Rouge (auteur : Christian Lax – éditeur : Futuropolis et Louvre éditions)