Mausart

Mausart

Un album tout simplement  » beau  » !…

Gradimir Smujda, d’origine yougoslave, est un auteur de bande dessinée inclassable… Ou, plutôt, immédiatement reconnaissable, par son talent, d’abord, par le choix de ses thèmes, aussi… Ce qu’il nous raconte, toujours, ce sont des histoires qui se vivent dans l’univers de  » l’Art majuscule « …

Gradimir Smujda s’est intéressé à Van Gogh (« Vincent et Van Gogh »), à Toulouse-Lautrec (« Le cabaret des muses »), à la peinture en général (« Au fil de l’art »), et, en même temps, aux mondes dans lesquels vivaient ces artistes aujourd’hui reconnus… Parler de Van Gogh, c’est parler de sa folie… Parler de Toulouse-Lautrec, c’est aborder la réalité des bordels…

Outre ces thèmes d’inspiration extrêmement précis, le second point commun à trouver dans l’œuvre de Smujda réside dans le talent qui est le sien… Talent graphique, talent, aussi, de coloriste absolument phénoménal. Et c’est ce qu’il nous prouve dans cet album  » one shot  » qui, comme une fable, nous décrit la réalité au travers de traits animaliers.

 

Le titre de ce livre est sans équivoque, bien évidemment. C’est de l’existence de Mozart qu’il s’agit !… D’une toute petite partie de son existence en fait, et totalement fantasmée par bien de ses aspects. Fantasmée et poétiquement rêvée par le dessin somptueux de Smujda, certes, mais aussi par la légèreté pratiquement musicale du scénario de Thierry Joor.

Directeur chez Delcourt, Thierry Joor a à cœur de publier des livres qui peuvent être lus par tout le monde. Des livres  » jeunesse « , comme on dit, mais qu’il truffe de références… Par exemple, la flûte des Schtroumpfs est-elle vraiment à l’origine de la  » Flûte enchantée  » ?…

Le résumé de ce livre est simple, linéaire, même. Mausart, une souris (au nom qui est, lui aussi, une référence bd…) vit, avec sa famille, dans le piano du loup Salieri, musicien officiel de la cour. Fou de musique, Mausart joue sur le piano de Salieri une musique qui arrive aux oreilles du couple royal. Et Salieri se voit dès lors obligé de capturer cette souris pour l’obliger à jouer sa musique enchantée et enchanteresse lors de l’anniversaire de la reine en faisant croire que c’est lui, Salieri, qui en est l’artisan !

 

Mais c’est sans compter avec la famille de Mausart…

Il y a dans cette histoire tous les ingrédients d’un conte, vous l’aurez compris. La gentille petite souris, le méchant loup aidé de l’encore plus méchant chat, les volatiles un peu hautains et un peu stupides. Il y a des grands sentiments, aussi, de l’entraide, du courage, de la volonté d’aller au bout de ses rêves, même si ce rêve pousse une souris à sautiller sur les ivoires et les ébènes d’un piano pour faire la preuve de son talent. Il y a de l’humour, il y a de l’amour, il y a de la tendresse, de la gentillesse, une gentillesse qui, finalement, se révèle la seule victorieuse.

 

Ce livre est  » habité « … Par son histoire, virevoltante, souriante, amusante et amusée. Par les mouvements que Smujda impose à tous ses personnages qui, dans la démesure d’un geste, se dévoilent comme profondément humains. Par une mise en scène qui s’attarde avec délice sur des décors et qui, en un souffle, passe d’une scène intime à une grande double page aux détails tellement nombreux qu’aucun œil ne peut les percevoir en une seule fois ! Par la couleur, enfin, surtout peut-être, cette couleur qui ressemble presque aux coloriages de notre enfance… Mais qui, au-delà de la technique, laisse la lumière l’occuper, pleinement.

Dessinateur et peintre, Smujda a mille et un talents… Dont celui de restituer aux visages de TOUS ses personnages des expressions humaines qui sont à la fois expressionnistes et impressionnistes, dans le sens premier qu’on peut donner à ces deux termes.

 

 

Tous les livres de Gradimir Smujda m’ont énormément plu. Celui-ci est beaucoup moins  » adulte « , c’est vrai… Mais il n’en est pas pour autant mièvre, loin s’en faut !

Pour les fêtes de fin d’année, n’hésitez pas à glisser ce livre sous le sapin… Mais, bien sûr, vous n’êtes pas du tout obligés d’attendre aussi longtemps, pour l’offrir, ou VOUS l’offrir !

Mausart ?…. Un livre sans défaut, extrêmement charmant et charmeur !

Jacques Schraûwen

Mausart (dessin et couleur : Gradimir Smujda – scénario Thierry Joor – éditeur : Delcourt)

 

Une Mémoire De Roi

Une Mémoire De Roi

Un livre tout en rondeurs, qui mêle avec réussite une approche scientifique de la mémoire et une histoire souriante de bout en bout… Le tout dessiné par Mathieu Burniat, un auteur belge interviewé dans cette chronique.

 

Une Mémoire De Roi © Premier Parallèle

 

On devait déjà à Mathieu Burniat un livre consacré à la théorie quantique. Son dessin et son sens de la narration avaient réussi à faire de ce sujet (qu’on peut qualifier, sans se tromper, de terriblement ardu, voire incompréhensible par le commun des mortels…) quelque chose de poétique, de surréaliste, de fantastique…
Ici, il décide, toujours avec ce plaisir qui est le sien, de nous emporter dans l’univers d’un spécialiste de la mémoire, le très médiatisé Sébastien Martinez. Et pour ce faire, il choisit le chemin de ce qui peut faire penser à un conte de fées…

 

Une Mémoire De Roi © Premier Parallèle

 

MATHIEU BURNIAT: THEME

 

 

Que serions-nous sans mémoire ?… La mémoire, c’est tout ce que nous avons été, c’est aussi l’initiale de tout ce que nous pouvons devenir ! Et c’est en effet le thème essentiel de cet album. A la fois une vraie bande dessinée et un manuel d’apprentissage.
Un peu des deux, oui, puisqu’il y a quelques exercices pratiques, au fil des pages de cet album.
Mais il y a une histoire, une véritable histoire, souriante, tout en rondeurs, tout en humour. Nous sommes au royaume de Léthésie (un nom dont l’étymologie parle d’oubli…), et son jeune roi n’a strictement aucune mémoire. Ce qui, au jour le jour, l’empêche de comprendre le monde qui l’entoure et, partant, d’assumer son rôle de monarque. Et, pire encore, il passe pour un être sans culture et se voit, dès lors, interdit de trouver l’amour !
Heureusement qu’apparaît Simonide, un vieux sage qui décide d’initier ce jeune roi aux mystères fabuleux de la mémoire et de ses apprentissages.

 

Une Mémoire De Roi © Premier Parallèle

 

MATHIEU BURNIAT: BD EXPLICATIVE

 

Comme le dit Sébastien Martinez, il n’y a pas de mauvaise mémoire, il y a un « pouvoir » qu’il faut apprivoiser, simplement, grâce à des trucs et ficelles faciles à appréhender… Et c’est grâce à ces trucs et ficelles que ce livre évite le côté par trop didactique, puisque, de page en page, on comprend que cultiver sa mémoire, c’est SE donner l’opportunité de rêver, d’imaginer, donc de créer… Et c’est là que ce livre, comme toujours avec Mathieu Burniat, prend une dimension totalement poétique… L’aspect didactique s’estompe, très vite, pour laisser la place à une aventure qui, pour rêvée qu’elle soit, nous parle des possibles qui sont les nôtres, nous parle de culture, au sens large du terme, cette culture qui naît et naîtra toujours des actes créatifs dont nous sommes capables, à quelque niveau que ce soit… On apprend à être soi en acceptant de se créer et de s’inventer au fil des âges…

Une Mémoire De Roi © Premier Parallèle

 

MATHIEU BURNIAT: APPRENDRE EN CREANT, EN RÊVANT

 

Et les petits exercices, les indications données dans ce livre fonctionnent parfaitement.
Pour le roi, en tout cas, puisqu’il finit par tomber amoureux et par découvrir que la culture, donc l’essence même de l’existence, a besoin, toujours, du souvenir autant que de l’avenir…
Pour le roi, oui, et pour tout un chacun, parce que, ma foi, ces exercices sont agréables à découvrir, à tenter, et sont, je l’avoue, porteurs de vraies réussites !…
Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce livre n’a rien de « pompeux », de « scientifiquement âpre »… L’important, avec Mathieu Burniat, ça a toujours et ce sera toujours, j’en suis persuadé, le plaisir… Celui de dessiner, celui de raconter une histoire, celui, simplement, du partage de sensations…
Et celui de créer des personnages attachants, attirants, qui, finalement, nous sont ressemblants…

Une Mémoire De Roi © Premier Parallèle

 

MATHIEU BURNIAT: PERSONNAGES

 

Cette « Mémoire de roi » est un livre de bd amusant, didactique, léger, qui mêle sans se prendre au sérieux science et bande dessinée…
C’est un livre qui se lit avec le sourire, tout en ouvrant quelques fenêtres ensoleillées, en même temps, dans la grisaille des habitudes et des préjugés…

 

Jacques Schraûwen
Une Mémoire De Roi (auteurs : Mathieu Burniat et Sébastien Martinez – éditeur : Premier Parallèle)

Les Moutons : make management great again !

Les Moutons : make management great again !

Un regard acerbe sur le monde de l’entreprise… Un livre qui fait à la fois rire et grincer des dents… Un livre à ne pas rater pour pouvoir encore rêver de liberté!…

 

Les moutons@Renaissance du livre

 

Ce livre, c’est de la bande dessinée, puisqu’il se construit autour de gags dessinés en quelques cases.

Ce livre peut s’apparenter aussi, de par le thème qui est le sien, à du dessin de presse. Un thème particulier… Une thématique qui ne peut que parler à tout le monde !

Ces « Moutons » nous parlent du monde du travail. De nous, donc, au jour le jour, dans les méandres de la vie active.

En cette époque où le monde de l’entreprise voit fleurir par brassées des managers, des managers adjoints, des référents, des pôles de compétence, et Dieu sait quoi encore, ces Moutons sont un livre d’humour absolument réjouissant !… Jouissif, même, osons le dire ! Un livre dans lequel tout le monde retrouvera, sans doute, son propre environnement quotidien ! Tout le monde sauf, comme aurait pu le dire Brassens, ceux qui décident, ça va de soi !…

 

Les moutons@Renaissance du livre
ALSY: L’ENTREPRISE

 

Les auteurs (ils sont deux), réunis sous le pseudonyme d’Alsy, publient leurs strips dans le journal l’Echo. Et pour totalement crédibiliser leur BD, ils y ont véritablement construit une entreprise, avec les décideurs, les autres, avec le patron aussi… qui dirige d’un air bienveillant… D’un air seulement !

Dans leur livre, on parle énormément de concepts, bien évidemment ! Des concepts énoncés dans un langage abscons et, tout aussi évidemment, hyper-américanisé !

Alsys nourrit son imagination dans tous les articles lus dans ce journal qui leur ouvre ses pages en même temps qu’il les ouvre très souvent aux acteurs premiers de l’économie. De cette manière, on peut dire que l’imaginaire d’Alsy rejoint très souvent la réalité ! Ou vice-versa…

Quelques exemples ?…

Un gag, d’abord, sur cette mode qui, de nos jours, et sous l’alibi de rendre l’environnement du travail plus convivial, tend à démultiplier les réunions… Deux dessins suffisent, deux petits textes : la secrétaire de direction, au cours d’une réunion, dit : « Quand vous êtes en réunion, vous devez veiller à la qualité de votre présence. Demandez-vous « pourquoi je suis là ». Le dessin suivant montre un des participants, un employé, les yeux au ciel, la moue interrogative, ou ennuyée, et qui dit : « Oui, au fond, pourquoi ?… »

Un autre gag, encore, vécu dans bien des entreprises de nos jours, même et surtout celles qui mettent en avant la notion « sacrée » de « communication » !

Le patron dit : « La réussite de notre stratégie dépendra donc de notre approche 360 degrés orientée clients. Des questions ? »

Et un employé répond, tout simplement : « Ne risque-t-on pas de tourner en rond avec ce type d’approche ? »

Ce qui est passionnant dans ce recueil, c’est qu’il ne se contente pas de brocarder les « dirigeants »… Mais aussi les adjoints, aussi tous ceux qui se pensent décideurs parce qu’ils portent un beau titre (en anglais, bien entendu), et les employés, les quidams qui, comme un seul homme, obéissent, suivent, en troupeau sage et discipliné!

 

Les moutons@Renaissance du livre
ALSY: TITILLER TOUT LE MONDE
ALSY: CONCEPTS

 

Le graphisme est simple, il se met au service du texte et du « message », et j’ai souri, et j’ai ri, souvent… C’est un livre qui fait du bien, oui ! Un livre qui, certes, parle de la déshumanisation du monde du travail, avec des alibis qui sont de plus en plus mensongers… Mais c’est surtout un livre qui remet les choses à plat…

Tout compte fait, même si tous les employés sont des moutons qui se laissent diriger comme de braves esclaves modernes, on peut se dire, de page en page, qu’il ne tient qu’à nous tous, ici, ailleurs, partout, d’oublier Panurge et de reprendre le temps de vivre et de communiquer, vraiment !

C’est un propos sérieux, sans aucun doute possible, traité avec humour… Avec une certaine forme d’humour…

L’humour n’est-il pas la politesse du désespoir comme le disait Breton ?…

Et si ce livre, tout compte fait, nous livre un discours sombre, il ouvre, en même temps, les yeux, nos yeux…

Et ouvrir les yeux, finalement, n’est-ce pas déjà le premier pas vers l’envie de poser ses regards sur des choses essentielles, sur ce qui n’est pas préfabriqué, sur ce qui ne nous est pas imposé ?

 

Les moutons@Renaissance du livre
ALSY: HUMOUR ET GRAPHISME

 

ALSY: HUMOUR ET RECUL

 

En lisant ce livre, en plongeant dans l’existence quotidienne de ces employés qui ne sont que des moutons et qui croient s’en porter bien, je me suis pris à rêver… A imaginer que, parmi ces adeptes de l’obéissance, arrive un loup… Un loup qui refuse de porter la peau d’un mouton… Un loup qui réussisse, par la force de la résistance et, donc, de l’intelligence, à faire changer les choses.

Mais mon rêve s’est arrêté net quand je me suis aperçu que le directeur de l’entreprise (à peine) imaginée par Alsys s’appelait Monsieur Wolf !…

 



Les moutons@Renaissance du livre
ALSY: MONSIEUR WOLF

 

« Les moutons », c’est un livre à lire, à relire, à faire lire, à offrir, dans ce monde qui est le nôtre et qui perd de plus en plus la notion même d’humanisme, donc d’humanité !

 

Jacques Schraûwen
Les Moutons (auteur : Alsy – éditeur : Renaissance du Livre)