Les Moutons : make management great again !

Les Moutons : make management great again !

Un regard acerbe sur le monde de l’entreprise… Un livre qui fait à la fois rire et grincer des dents… Un livre à ne pas rater pour pouvoir encore rêver de liberté!…

 

Les moutons@Renaissance du livre

 

Ce livre, c’est de la bande dessinée, puisqu’il se construit autour de gags dessinés en quelques cases.

Ce livre peut s’apparenter aussi, de par le thème qui est le sien, à du dessin de presse. Un thème particulier… Une thématique qui ne peut que parler à tout le monde !

Ces « Moutons » nous parlent du monde du travail. De nous, donc, au jour le jour, dans les méandres de la vie active.

En cette époque où le monde de l’entreprise voit fleurir par brassées des managers, des managers adjoints, des référents, des pôles de compétence, et Dieu sait quoi encore, ces Moutons sont un livre d’humour absolument réjouissant !… Jouissif, même, osons le dire ! Un livre dans lequel tout le monde retrouvera, sans doute, son propre environnement quotidien ! Tout le monde sauf, comme aurait pu le dire Brassens, ceux qui décident, ça va de soi !…

 

Les moutons@Renaissance du livre
ALSY: L’ENTREPRISE

 

Les auteurs (ils sont deux), réunis sous le pseudonyme d’Alsy, publient leurs strips dans le journal l’Echo. Et pour totalement crédibiliser leur BD, ils y ont véritablement construit une entreprise, avec les décideurs, les autres, avec le patron aussi… qui dirige d’un air bienveillant… D’un air seulement !

Dans leur livre, on parle énormément de concepts, bien évidemment ! Des concepts énoncés dans un langage abscons et, tout aussi évidemment, hyper-américanisé !

Alsys nourrit son imagination dans tous les articles lus dans ce journal qui leur ouvre ses pages en même temps qu’il les ouvre très souvent aux acteurs premiers de l’économie. De cette manière, on peut dire que l’imaginaire d’Alsy rejoint très souvent la réalité ! Ou vice-versa…

Quelques exemples ?…

Un gag, d’abord, sur cette mode qui, de nos jours, et sous l’alibi de rendre l’environnement du travail plus convivial, tend à démultiplier les réunions… Deux dessins suffisent, deux petits textes : la secrétaire de direction, au cours d’une réunion, dit : « Quand vous êtes en réunion, vous devez veiller à la qualité de votre présence. Demandez-vous « pourquoi je suis là ». Le dessin suivant montre un des participants, un employé, les yeux au ciel, la moue interrogative, ou ennuyée, et qui dit : « Oui, au fond, pourquoi ?… »

Un autre gag, encore, vécu dans bien des entreprises de nos jours, même et surtout celles qui mettent en avant la notion « sacrée » de « communication » !

Le patron dit : « La réussite de notre stratégie dépendra donc de notre approche 360 degrés orientée clients. Des questions ? »

Et un employé répond, tout simplement : « Ne risque-t-on pas de tourner en rond avec ce type d’approche ? »

Ce qui est passionnant dans ce recueil, c’est qu’il ne se contente pas de brocarder les « dirigeants »… Mais aussi les adjoints, aussi tous ceux qui se pensent décideurs parce qu’ils portent un beau titre (en anglais, bien entendu), et les employés, les quidams qui, comme un seul homme, obéissent, suivent, en troupeau sage et discipliné!

 

Les moutons@Renaissance du livre
ALSY: TITILLER TOUT LE MONDE
ALSY: CONCEPTS

 

Le graphisme est simple, il se met au service du texte et du « message », et j’ai souri, et j’ai ri, souvent… C’est un livre qui fait du bien, oui ! Un livre qui, certes, parle de la déshumanisation du monde du travail, avec des alibis qui sont de plus en plus mensongers… Mais c’est surtout un livre qui remet les choses à plat…

Tout compte fait, même si tous les employés sont des moutons qui se laissent diriger comme de braves esclaves modernes, on peut se dire, de page en page, qu’il ne tient qu’à nous tous, ici, ailleurs, partout, d’oublier Panurge et de reprendre le temps de vivre et de communiquer, vraiment !

C’est un propos sérieux, sans aucun doute possible, traité avec humour… Avec une certaine forme d’humour…

L’humour n’est-il pas la politesse du désespoir comme le disait Breton ?…

Et si ce livre, tout compte fait, nous livre un discours sombre, il ouvre, en même temps, les yeux, nos yeux…

Et ouvrir les yeux, finalement, n’est-ce pas déjà le premier pas vers l’envie de poser ses regards sur des choses essentielles, sur ce qui n’est pas préfabriqué, sur ce qui ne nous est pas imposé ?

 

Les moutons@Renaissance du livre
ALSY: HUMOUR ET GRAPHISME

 

ALSY: HUMOUR ET RECUL

 

En lisant ce livre, en plongeant dans l’existence quotidienne de ces employés qui ne sont que des moutons et qui croient s’en porter bien, je me suis pris à rêver… A imaginer que, parmi ces adeptes de l’obéissance, arrive un loup… Un loup qui refuse de porter la peau d’un mouton… Un loup qui réussisse, par la force de la résistance et, donc, de l’intelligence, à faire changer les choses.

Mais mon rêve s’est arrêté net quand je me suis aperçu que le directeur de l’entreprise (à peine) imaginée par Alsys s’appelait Monsieur Wolf !…

 



Les moutons@Renaissance du livre
ALSY: MONSIEUR WOLF

 

« Les moutons », c’est un livre à lire, à relire, à faire lire, à offrir, dans ce monde qui est le nôtre et qui perd de plus en plus la notion même d’humanisme, donc d’humanité !

 

Jacques Schraûwen
Les Moutons (auteur : Alsy – éditeur : Renaissance du Livre)

Marion

Un manga intelligent, qui nous emmène dans le Paris des années 40…

Une jeune fille quitte sa campagne et monte à Paris, ville de toutes les espérances et de toutes les turpitudes… Et la guerre approche à grands pas !

 

Marion©Komikku

 

Je ne suis pas fan de la bd japonaise… Mais lorsque je découvre un manga qui dénote, dans lequel les  » caricatures  » de mouvements et de physionomie ne sont pas la règle générale, et qui, en outre, se construit autour d’une narration telle que celle de ce  » Marion « , je ne peux qu’en parler ici, c’est évident !
Ce qui me gêne souvent dans les mangas, c’est cette façon qu’ils ont de tirer en longueur leurs narrations, des narrations qui, finalement, le plus souvent même, s’avèrent simples, voire même simplistes.
Ici, avec Marion, héroïne charismatique, il n’en est rien, que du contraire, puisque deux tomes seulement sont prévus pour en raconter l’histoire, une histoire perdue dans la grande Histoire.

 

Marion©Komikku

 

Marion, orpheline, quitte l’institution dans laquelle elle est hébergée, attirée par les lueurs factices de la ville… Elle débarque à Paris, et s’y retrouve dans une maison close, y perdant, en même temps que son intimité, toutes ses illusions.
Révoltée, elle devient l’égérie, la dirigeante d’un groupe d’enfants qui cherchent leur subsistance et leur survie dans les poches des passants.
Agile, belle, adulte et décidée, Marion va attirer l’attention du directeur d’un prestigieux music-hall. Sa voix, qui déjà au pensionnat d’où elle vient éblouissait tout un chacun, cette voix va lui permettre, dès lors, de quitter la rue…
Mais l’apprentissage d’une chanteuse, fût-elle de  » cabaret « , d’une danseuse, n’est pas chose évidente… Cet apprentissage artistique est fait d’obligations, de travail, d’entraînement. Des réalités qui ne correspondent vraiment pas au caractère de Marion !…
Ce premier volume est donc, en quelque sorte, celui de la formation de cette jeune fille dont on devine qu’elle a en elle tous les possibles, toutes les qualités pour transformer son existence.
Mais voilà…
Cet homme qui la prend sous sa protection et qui lui fait oublier les outrages vécus à son arrivée à Paris, cet homme est Juif… Et les Allemands, eux, sont à l’aube d’un conflit de haine et de domination dont on connaît les horreurs…

 

 

Marion©Komikku

 

Tout est donc en place, avec cet épisode initial, pour une histoire haute en couleurs, en rebondissements, avec des références historiques réelles.
Ce « Marion », c’est du mélo… Du mélodrame, oui, à la manière des grands feuilletonistes du dix-neuvième siècle. C’est du sentiment, de l’action… C’est du Dickens, mâtiné de Maurice Leblanc…
C’est aussi du dessin vif, sans exagération, un découpage sans temps morts, des personnages qui ont de la réalité… Ce sont des décors qui ne se contentent pas d’ébaucher une ville, mais qui la montrent…
Ce livre, c’est, en fait, un nouveau « mystère de Paris »…
Et c’est une très belle réussite, une très bonne surprise… De l’excellente bd, oui, dont j’attends d’ores et déjà la suite…

Jacques Schraûwen
Marion (auteur : Yuu Hikasa – éditeur : komikku)

 

Marion©Komikku

Morts par la France : l’histoire de soldats oubliés parce qu’ils étaient noirs…

Nicolas Otero au dessin, Patrice Perna au scénario : deux auteurs à écouter dans cette chronique, un livre, surtout, qui mêle avec intelligence le racisme d’hier et le silence d’aujourd’hui.

Morts par la France©Les ArènesBD

 

Ce sont les pas d’une historienne, Armelle Mabon, que nous suivons dans ce livre, une historienne qui, pendant des années, et dès la rédaction de sa thèse, a voulu découvrir la vérité sur la mort de soldats sénégalais juste après la guerre de 40/45. Des soldats qui se sont battus POUR la France, qui ont été emprisonnés POUR la France aussi, et qui, finalement, ont été assassinés PAR la France !
Armelle est un des personnages centraux de ce livre qui, par bien des aspects, ressemble en même temps à un livre d’Histoire et à un carnet de voyage.
Tout simplement par la magie du dessin de Nicolas Otero qui, en compagnie du scénariste Patrice Perna, est parti au Sénégal, a suivi, comme nous, les lecteurs, le périple d’Armelle et de ces soldats oubliés -reniés !- par l’Histoire majuscule d’une France souvent indigne des idéaux qui fleurissent aux frontons de ses mairies…
Le dessin d’Otero, ainsi, nous montre des univers, des lieux, très différents les uns des autres, en leur donnant à chaque fois un cachet très personnel, très différencié. La Bretagne et les villes française n’ont, bien évidemment, pas le même aspect, la même réalité que le quotidien du Sénégal, et son dessin le montre, sa mise en scène aussi… Et, surtout peut-être, les gammes chromatiques utilisées par la coloriste. Selon les heures, selon les endroits, elle utilise d’autres constantes de couleurs qui, dès lors, proches parfois d’un certain monochromatisme, participent pleinement à l’ambiance du récit, à sa construction et à son découpage.

 

Morts par la France©Les ArènesBD

 

Nicolas Otero: la couleur

 

Nicolas Otero: mise en scène

 

Patrice Perna: le silence

 

Des soldats africains, pendant cette guerre qu’on continue à appeler la dernière, alors que, depuis, la guerre n’a jamais arrêté d’exister aux quatre horizons de la planète, des soldats africains, donc, prisonniers sur le sol français, humiliés et torturés par l’occupant allemand autant que par certains bons Français, sont morts, ensuite, sur leur propre sol, après la victoire, assassinés froidement, pour des raisons d’argent entre autres, pour des raisons de racisme, aussi, assassinés à la mitrailleuse par d’autres soldats français, blancs eux. Voilà tout le contenu de ce livre. Une trame dramatique qui, malgré quelques libertés imaginatives avec le réel, respecte totalement les recherches de l’historienne à la base de cet album.
Et moi qui avais beaucoup aimé un des livres précédents de Nicolas Otero, « Confessions d’un enragé », j’ai été surpris, mais de manière positive, par le soin qu’il a mis à changer de façon de dessiner pour s’approcher au plus près de ce qu’il raconte, de ce qu’il met en scène. La violence, puisqu’elle fut vécue par ces militaires qu’il nous montre, est certes présente. Elle est sanglante, mais elle reste, puissamment, pudique. Cette violence n’en prend que plus de poids, plus de présence ! Elle est au creux des mots de Perna, elle se transforme en fureur silencieuse au fil des traits de Otero, mais elle n’empêche à aucun moment à l’humain d’être au centre de gravité de tout le récit !

Morts par la France©Les ArènesBD

Nicolas Otero et Patrice Perna: la violence

 

Nicolas Otero: adaptation

 

Patrice Perna est de ces scénaristes qui ont besoin de se coltiner avec la réalité, telle qu’elle est et pas uniquement telle qu’on peut la rêver. Il est aussi de ces scénaristes qui refusent absolument tout manichéisme pour nous donner, au plus près de l’humain toujours, des portraits sans pré- ni post-jugés ! On peut, sans se tromper, dire de lui qu’il est un scénariste « engagé », dont le cœur penche à gauche, certes, mais dont l’esprit reste avant tout humaniste, au sens le plus large du terme, sans chercher à être moralisateur… Il serait plutôt, comme le disait Ferrat, a-moralisateur !
Cela dit, ici, il se différencie quelque peu de ses constructions précédentes, puisque, pour approcher de ses personnages, il fait le choix d’un portrait de groupe… D’un portrait de paysage, d’ambiance, de lieux pluriels… De moments pluriels, aussi, précis dans l’histoire du vingtième siècle.
Replacer le racisme dans son contexte historique, ce n’est pas en diminuer l’horreur, c’est, simplement, permettre de mieux le comprendre aujourd’hui et, donc, de pouvoir mieux le combattre…
Comme il le dit à peu près dans ce livre, rien n’est compliqué, dans l’existence, dans la grande Histoire, sauf la vérité ! Celle de rappeler ces phrases terribles qui, pourtant, ont émaillé l’époque dont il nous parle : « ils vont finir par se prendre pour nos égaux… », « vous avez tout à vous faire pardonner »…

Morts par la France©Les ArènesBD

 

Patrice Perna : portrait

 

Le talent de Patrice Perna est varié. Il est celui d’un raconteur d’histoires, d’Histoire aussi… Il est également celui d’un dialoguiste, tant il est vrai qu’on a la sensation d’entendre les accents des personnages qu’il met en scène.
Et quand il nous parle de paternalisme, il nous donne à voir des vrais personnages, jamais des caricatures, tout comme il le fait quand il nous parle de révolte, de convictions, de désespoirs ou de dégoûts…
Patrice Perna, je le disais, a toujours besoin de replacer les faits dans leur contexte d’origine. Ce contexte est fait de mille choses… De mille réalités… De mille mots, aussi… Et j’ai particulièrement apprécié, dans ce « Morts par la France », le plaisir qu’il a à placer de ci de là des citations qui éclairent d’autres surfaces que les seules surfaces de son récit… Senghor, Césaire, Clémenceau même, deviennent à la fois témoins et passeurs de mémoire et de réflexion dans ce livre puissant. Ils nous disent, en quelque sorte, comme le dit Perna lui-même : on peut toujours choisir ses racines !

Morts par la France©Les ArènesBD

 

Patrice Perna: l’écriture

 

La BD est un art à part, un art qu’on pourrait qualifier de « distractif ». Mais quand cette distraction, par la magie de la fusion entre un sujet, un dessinateur et un scénariste, réussit à se faire également réflexion, cet art devient véritablement important.
Et j’avoue qu’avec les livres de Patrice Perna comme de Nicolas Otero, c’est le cas, toujours. Et c’est cela qui fait de ce « Morts par la France » un livre à lire, à faire lire, à partager…

 

Jacques Schraûwen
Morts par la France (dessin : Nicolas Otero – scénario : Patrice Perna – couleur :1ver2anes – éditeur Les Arènes BD)