Mutations – épisode 1

 

Après « Mermaid Project », revoici Romane et El Malik, dans un futur proche, lancés dans une nouvelle enquête à tendance écologique… Les Cétacés se révoltent!

 

Mutations©Dargaud

 

Dans la série « Mermaid Project », on découvrait un duo d’enquêteurs efficace … Trop efficaces sans doute, puisque, après avoir réussi à démanteler des activités répugnantes de manipulations génétiques, ils se retrouvent, dans cette nouvelle série, renvoyés, au chômage, en fait. Romane et Brahim, cependant sont appelés à la rescousse, malgré le fait que Romane soit de peau blanche dans une société où l’Afrique et la peau noire ont pris le pouvoir…

Des mammifères marins, porteurs d’explosifs, se font exploser contre des bateaux de pèche… Un terrorisme animal qui ne peut qu’inquiéter le monde, un terrorisme animal que seuls Romane et Brahim peuvent probablement comprendre, eux qui, dans le cycle précédent, ont eu à communiquer, réellement, avec des dauphins…

Nous sommes, vous l’aurez compris, dans de la science-fiction, ou même de l’anticipation. Pour que fonctionne un tel scénario, il faut qu’il soit plausible, de bout en bout, il faut que toutes les inventions qui en accompagnent les péripéties tiennent la route, plus que ça, même, forment une trame qui ne peut jamais être prise en défaut.

A ce titre, le travail de la scénariste Corine Jamar et de son complice Leo sont exemplaires. Les sujets qu’ils abordent, les mutations génétiques, l’évolution de la planète et de sa faune, le racisme et ses futurs, tout cela participe à un récit extrêmement charpenté. Un récit qui, sous couvert d’imagination, s’inscrit pourtant totalement dans le monde tel qu’on le connaît de nos jours : changements climatiques, industrialisation à outrance, pêche intense, et impossibilité de l’âtre humain de se révéler autre chose qu’un prédateur…

 

Corine Jamar: scénario

 

Mutations©Dargaud

Le dessin de Fred Simon oscille entre réalisme et caricature, et ce graphisme fait merveille dans tout ce qui touche à la nature, aidé en cela par le coloriste, Jean-Luc Simon, dont les originalités enrichissent, sans aucun doute, les ambiances d’une part, mais les narrations elles-mêmes.

Des narrations qui pourraient quelque peu rebuter certains lecteurs, tant il est vrai que, à l’instar de la bd du temps de la ligne claire, le texte, ici, prend de la place, et de l’importance ! Une importance qui reste lisible, grâce à Fred Simon qui parvient, sans difficulté apparente, à aérer ses planches, voire même quelques dessins. Par son travail de découpage, mais aussi par le soin qu’il met, à certains moments, à peaufiner ses décors, tant extérieurs qu’intérieurs.

 

Fred Simon: dessin

 

 

Mutations©Dargaud

 

J’ai toujours bien aimé la science-fiction quand elle reste plausible, quand elle ne se perd pas dans des chemins de traverse qui éloigne le lecteur de la réalité, de SES réalités.

C’est pour cela que j’aimais Mermaid, c’est pour cela aussi que j’aime ce « Mutations ». Une série qui commence, qui réussit à associer poésie, réflexion et action… Une réussite, donc, incontestablement…

 

Jacques Schraûwen

Mutations – épisode 1 (scénario : Leo et Corine Jamar – dessin : Fred Simon – couleur : Jean-Luc Simon – éditeur : Dargaud)

Montana – Une Aventure de Tex

Montana – Une Aventure de Tex

Tex est un personnage mythique des fumetti, bandes dessinées italiennes publiées en petit format. Le voici aux mains de Giulio De Vita, interviewé dans cette chronique… Et la réussite est au rendez-vous!

Tex©Le Lombard

C’est en 1948 que ce cox-boy aventureux et quelque peu solitaire a pris vie en Italie sous la plume d’Aurelio Galleppini au dessin et de Gian Luigi Bonelli au scénario. Très vite, ce héros sans peur ni reproche, inscrit totalement dans la tradition du western traditionnel, a remporté les suffrages du public, jusqu’à devenir, d’année en année, la bd la plus vendue en Italie.
70 ans plus tard, Tex existe toujours… Je vous conseille, d’ailleurs, de retrouver les nombreux albums qui ont été édités en français, chez l’éditeur « Clair de Lune »…
Et aujourd’hui, revoici donc Tex, mais en grand format, et en couleurs. Le premier volume est paru chez l’éditeur Mosquito, superbement dessiné par le non moins superbe Serpieri, loin de l’érotisme torride de Druuna.
Et c’est au Lombard que la deuxième renaissance Tex est éditée.
Le dessinateur, Giulio de Vita, a choisi un style beaucoup plus classique que celui de Serpieri, c’est évident. Je dirais qu’il est plus dans la continuité du héros mythique de la bd italienne populaire, mais qu’il l’est avec un vrai sens de la modernisation. Tex est infiniment moins manichéen que dans les fumetti, il a un côté humain qui n’était pas toujours évident dans les petits formats dessinés, il faut bien le reconnaître, à la chaîne et avec une simplicité proche, souvent, du simplisme…

Giulio De Vita: Modernisation

Tex©Le Lombard

La modernisation de ce personnage se trouve également dans la narration. Là où, auparavant, Tex se contentait de vivre des aventures linéaires, tout à fait traditionnelles, Manfredi, le scénariste de ce « Montana » a quelque peu modifié la manière de raconter une histoire, la façon de mettre en scène ce cow-boy et ses errances, et ses combats.
Disons, plutôt, qu’il a respecté, dans la forme, l’esprit même des aventures de Tex : il y a des bons, des méchants, des cavalcades solitaires dans la nature, des coups de feu, des bagarres, de l’amitié…
Mais il y a aussi, en trame de fond, d’autres thèmes qui sont abordés : la trahison, l’amour, la lâcheté, le pardon, la violence gratuite, la bêtise humaine, le racisme.
Deux lectures sont possibles avec ce « Montana », et le dessin de de Vita accompagne parfaitement le scénario, réussissant ici à être spectaculaire, là à se faire intimiste.
Un scénario qui nous montre Tex à la poursuite d’une bande d’assassins tueurs d’Indiens, pour une vengeance qui ne peut être que sanglante…

Giulio De Vita: Thèmes

 

Tex©Le Lombard

Parlons-en de ce dessin…
Réaliste, classique, il ne cherche à aucun moment à éblouir, il se met au service d’une histoire solide, d’un personnage tout aussi solide, d’un environnement fabuleux aussi et surtout.
S’il est vrai que, quand on parle de western en bd, on pense immédiatement à Giraud et à son Blueberry, on ne peut cependant pas dire du tout que le graphisme de Giulio de Vita s’en inspire. Ce dessinateur est bien plus dans la filiation d’un Hermann, mitonné d’un Swolfs. Son dessin est lumineux, grâce entre autres à une couleur qui met en évidence, en les éclairant avec un vrai talent, les différents plans utilisés par de Vita. Son dessin est, comme la couleur d’ailleurs, cinématographique… Mais là aussi, de Vita se différencie des auteurs de western dessiné en ne privilégiant pas le côté « spaghetti », mais en se replongeant dans un classicisme qui n’empêche cependant nullement le réalisme dans la représentation des corps et des paysages.
Des paysages omniprésents… Tex, dans les fumetti, ne se confrontait pratiquement jamais à son environnement. Les cases, petites, ne le permettaient pas. Ici, l’environnement joue un rôle essentiel ! Décors de nature, décors de neige, décors de ville, décors d’intérieurs, le soin apporté par les auteurs à tous ces détails qui font que la représentation de la vie se fait avec fidélité, ce soin est absolument remarquable !

Giulio De Vita: Dessins
Giulio De Vita: Couleur

Tex©Le Lombard

Amateurs de western amateurs de dessin réaliste particulièrement abouti, amateurs de bonnes histoires qui aiment aussi les digressions, vous ne serez pas déçus, croyez-moi, par cet excellent retour du cow-boy Tex !…

Jacques Schraûwen
Montana – Une Aventure de Tex (dessin: Giulio de Vita – scénario: Gianfranco Manfredi – couleur : Matteo Vattani – éditeur: Le Lombard)

La Mère Et La Mort / Le Départ

La Mère Et La Mort / Le Départ

On connait les rapports étroits qui existent, en Amérique latine, entre vivants et morts, et les hommages presque carnavalesques que font ceux qui sont à ceux qui ont été…

Le départ – © Le Tripode

Et cet album baroque participe pleinement à ce miroir constant qu’offre la vie de l’au-delà, qu’offre l’ailleurs de l’ici.
Deux Argentins et un Mexicain se sont emparés du thème du deuil, dans ce qu’il peut avoir de plus horrible, de plus injuste même, pour nous livrer deux récits courts aux textes plus que discrets, au graphisme inspiré et puissant.
Deux histoires qui se font face, par les mots comme par le dessin, et qui parlent d’une même réalité : la perte d’un enfant par une mère prête à tout pour le retrouver et lui redonner vie.
Dans  » La mère et la mort « , le texte est de l’Argentin Alberto Laiseca, et nous raconte le périple d’une mère à qui la mort va rendre son fils, une restitution que cette mère paiera de sa chair.
On est dans la tragédie à la grecque, sans aucun doute, le voyage aux enfers pour retrouver l’être aimé, et l’inéluctable destin d’une telle quête inhumaine.  Ce qui pourrait être un conte du dix-huitième siècle devient, par la magie du dessin, quelque chose d’indéfinissable, un récit dont tous les personnages, même vivants, portent déjà les stigmates de la mort, un récit dont les paysages, les vêtements et les mouvements des lieux traversés ne peuvent que faire penser à des guerres toujours impitoyables.

La mère et la mort – © Le Tripode

Le deuxième récit, qui fait miroir au premier, et se lit en retournant le livre sur lui-même, se construit autour d’un texte du Mexicain Alberto Chimal illustré également par Nicolás Arispe.
On n’est plus dans une ambiance de guerre, mais, tout au contraire, dans une situation d’aujourd’hui : un tremblement de terre qui détruit maisons et paysages, qui détruit aussi de façon définitive la vie et ses espérances. Et dans cette histoire, une mère attendrit la Mort qui redonne vie à son enfant. Mais si l’âme anime le corps de ce  » revenu d’ailleurs « , la chair, elle, n’est que lente pourriture…
Le dessin se fait ici tout aussi baroque et symbolique, fouillé et  » fantastique  » que dans le premier récit, mais avec une certaine dose d’humour noir, macabre même, qui accentue encore les questionnements que nous impose cet ouvrage.

La mère et la mort – © Le Tripode

Entre l’espoir déçu d’un au-delà possible et l’impitoyable et inévitable destruction du corps, ce livre étrange et prenant est un livre d’illustrateur bien plus que de dessinateur de bande dessinée. C’est un livre d’artiste, aussi et surtout. Et il est remarquable de voir que des écrivains s’y effacent, grâce à une immédiateté de leurs textes, pour laisser le dessin tout raconter, tout montrer, tout imposer du rythme comme du contenu.
On est dans le baroque, oui, on est aussi dans l’expressionnisme allemand de l’entre-deux-guerres, on est tout autant dans des descriptions qui sont celles des grands graveurs français du dix-neuvième siècle.
On se trouve surtout, dans ce livre d’art qui n’a pas peur de la laideur, dans une œuvre qu’on ne peut définir que d’une seule manière : en soulignant sa force évocatrice, la simplicité du texte, le flamboiement à la fois vivant et morbide du dessin !
C’est un livre qu’on lit, qu’on feuillette, qu’on relit, c’est un livre qu’on a du mal à abandonner, c’est un dessinateur à découvrir, ABSOLUMENT !

Jacques Schraûwen
La Mère Et La Mort / Le Départ (dessin : Nicolás Arispe – textes : Alberto Laiseca et Alberto Chimal – éditeur : Le Tripode