Ne comptez pas sur moi, surtout, pour vous résumer, de quelque manière que ce soit, cet ouvrage qui nous parle d’un des aspects les plus étonnants de la science, celui de la physique quantique. Mais une des » pistes » du monde quantique devrait, cependant, vous livrer une clé pour entrer dans cet album avec plaisir : l’influence que peuvent avoir des événements qui ne se sont pas réalisés, mais dont on pense qu’ils auraient pu se produire… Et, qui sait, qu’ils se sont vécus dans des univers improbables mais existant, malgré tout, aux frontières parallèles de notre propre monde.
Et là, le côté ardu de la théorie quantique rejoint le fantastique et la poésie, c’est évident. Et c’est ce chemin-là que les auteurs ont choisi de suivre dans cet album extrêmement particulier. Un chemin qui a enchanté, sans aucun doute, le scénariste, par ailleurs scientifique, Thibault Damour.
Le scénario s’attache à la fois, donc, à la puissance scientifique de cette théorie quantique et à sa puissance évocatrice.
Mais pour que ce scénario » tienne la route « , pour qu’il ne débouche pas sur un pensum trop ardu, il fallait qu’un dessinateur réussisse à entrer de plain-pied dans cet univers scientifique. Et c’est bien le cas de Mathieu Burniat, grâce à la rondeur de son dessin, grâce à un certain classicisme dans le découpage agrémenté d’une audace quant à la trame narrative.
Ce jeune auteur belge aime les paris à l’aspect impossible, et ce prix FNAC couronne, déjà, son éclectisme toujours ouvert à la qualité !
Mathieu Burniat, le dessinateur
Un prix mérité, donc, pour l’inattendu d’un tel album, et pour la réussite qui en fait, en définitive, un livre tout à la fois scientifique et poétique, romanesque et plein de réflexions sur notre propre univers, notre propre existence…
Jacques Schraûwen
Le Mystère du Monde Quantique (dessin : Mathieu Burniat – scénario : Thibault Damour – éditeur : Dargaud)
Deuxième volume d’une saga à la fois truculente, ubuesque et terriblement moderne, ce livre nous montre une Europe et une Afrique politiquement totalement incorrectes ! Un petit régal !…
Dans le premier épisode, on suivait les tribulations de Madiba, obligé de quitter la France et de retourner dans son pays africain, imaginaire mais symbolique de ce grand continent sans cesse à la recherche de lui-même : la Balaphonie.
Dans ce livre-ci, il est donc de retour « chez lui »… Obligé de se faire passer pour un enseignant, obligé aussi de rembourser les sommes qui lui avaient été données pour qu’il aille faire fortune en Europe, il se sent abandonné par la chance et le bonheur!…
Son seul but, désormais, est double : en faire le moins possible, d’abord, et donc arrêter d’enseigner pour aller boire des bières avec des amis, et, ensuite, tout faire pour retourner en France d’où il a été expulsé.
Arnaqueur à la petite semaine, il va commencer par utiliser ce moyen que tous les utilisateurs d’Internet ont déjà croisé : envoyer des mails pleurnichards pour demander de l’argent !…
Mais ça ne fonctionne pas….
Rien ne semble, d’ailleurs, lui ouvrir des portes vers le continent européen !
Jusqu’au jour où il remarque, au cours de ses pérégrinations sur internet, que bien des agriculteurs célibataires français cherchent l’âme sœur en Afrique !
La décision de Madiba est vite prise : il » accroche » un de ces agriculteurs qui va venir l’épouser, vite fait, en Balaphonie. Il l’accueille, déguisé en femme, mais la supercherie est rapidement découverte, et il est jeté en prison, avec les homosexuels, dans un pays qui condamne l’homosexualité comme un » crime » !…
A son corps défendant, il devient, puisqu’il est » travesti « , symbole d’une lutte pour les droits de l’homme, de tous les hommes, surtout les gays! Et, à ce titre, il intéresse une avocate française qui va s’occuper de son cas… C’est dire que, à la fin de cet album, tous les espoirs d’un retour en France lui sont désormais permis !
C’est à une véritable galerie de portraits que nous invitent les auteurs de ce » Madiba « . Portraits de personnages, bien sûr, truculents comme je le disais, de Madiba lui-même à sa tante, du consul de France au paysan français, d’un commissaire de police véreux à un sorcier incompétent, de quelques femmes en espérance, elles aussi, de quitter ce pays où ne règnent que corruption et misère.
Et finalement, c’est le portrait d’un pays, imaginaire certes, mais terriblement vraisemblable, que nous découvrons dans ce livre. Un pays, ses habitants, leurs rêves de connaître des ailleurs meilleurs, leurs envies de migrations pleines de promesses rarement tenues. Le propos, tout en sourires, tout en situations d’humour incontestable, se fait ainsi, malgré tout, sérieux, en une époque comme la nôtre où l’Afrique, comme je le disais plus haut, se cherche une identité forte.
C’est bien de culture, au sens large du terme, que ce livre, amusant de bout en bout, nous parle. De mélange de cultures, aussi, tant il est vrai que tout acte culturel ne peut qu’être pluriel !
Le scénario d’Edimo est endiablé, mouvementé, sans temps mort.
Le dessin d’Al’Mata a des airs de naïveté qui ne sont qu’apparents : de construction tout à fait classique, ses planches rythment parfaitement le récit, et sa couleur, lumineuse, nous restitue plus que des ambiances fabriquées : une vraie vision d’un pays de chaleur et de beauté naturelle !
Je me dois aussi de souligner le plaisir vraiment tangible que le dessinateur a de dessiner des » trognes « , de pousser jusqu’à la presque caricature les expressions de ses personnages.
J’avais aimé le premier tome… J’aime tout autant, plus même, ce deuxième volume ! L’éditeur, c’est vrai, n’est pas distribué partout… Mais n’hésitez pas à demander ce livre (et le précédent !…) à votre libraire, ou sur internet, vous ne le regretterez pas !…
Jacques Schraûwen
Le Retour en France d’Alphonse Madiba Dit Daudet (dessin : Al’Mate – scénario : Edimo – éditeur : L’HarmattanBD)
Berthet continue à éblouir par sa noirceur dans la collection » Ligne Noire » de chez Dargaud… Ecoutez-le, dans cette chronique, et suivez-le dans des paysages suédois lumineux…
La collection » Ligne Noire « , c’est, d’évidence, une collection de livres consacrés à la part sombre de l’individu confronté au monde ou à lui-même… ou aux deux, en même temps !
Maître d’œuvre de cette collection, de cette série, Philippe Berthet. Un auteur dont on connaît le plaisir qu’il a à se plonger dans l’ambiance américaine des années 50, à laisser son dessin s’enfouir dans le roman noir le plus épais.
Ici, ce n’est pas vraiment le cas, même si l’entrée dans ce livre se fait au travers d’une mode vivace en Suède, » le raggare « , cette culture alternative qui consiste à se passionner pour les signes extérieurs de l’existence américaine des années 50, les voitures et la musique.
Mais l’important n’est pas là dans le scénario de Sylvain Runberg que Philippe Berthet met en scène.
Nous nous trouvons, cette fois, dans une vraie intrigue policière, à la britannique, avec des fausses pistes, et vécue dans un environnement auquel Berthet n’était pas habitué. La Suède, un commissariat, des flics en uniforme comme personnages principaux, la disparition d’un jeune homme, et l’enquête qui s’ensuit, voilà la trame narrative de cet album.
Un scénario dans lequel les personnages ont tous, même les » secondaires « , une vérité, une présence solide, tant au niveau du scénario que du dessin. Un scénario qui met en évidence également la Suède, un pays que Sylvain Runberg connaît extraordinairement bien. Ces deux axes de son scénario réussissent, ici, à renouveler la manière dont Berthet raconte une histoire, et la réussite est au rendez-vous !
La présence de Sylvain Runberg aux commandes du scénario amène le dessinateur, Philippe Berthet, à affiner, en quelque sorte, son classicisme naturel. A abandonner, entre autres, les décors dans lesquels il se sentait comme chez lui, pour en découvrir d’autres, ceux des grands espaces lumineux de la Suède, ceux de certains intérieurs où faire vivre ses personnages. Et il le fait avec un sens de l’observation graphique qui me semble, dans cet album-ci, plus présent et plus puissant encore que dans ses livres précédents.
Le décor, ici, très peu urbain, occupe vraiment une place essentielle. Et les couleurs de Dominique David, complice depuis bien longtemps de Berthet, sont différentes, elles aussi, de ce qu’elles sont d’habitude. Je dirais qu’il y a une sorte de sérénité dans la plupart des planches, tout en gardant un côté plus sombre, plus envoûtant, dans les vignettes qui s’enfoncent, elles, dans l’horreur de l’enquête policière.
Le total nous offre un livre qui, pour classique qu’il puisse avoir l’air d’être, n’en est pas moins assez neuf dans la carrière et l’œuvre de Berthet. Un livre qui est la promesse que nous fait cet auteur important de la bd de nous étonner, encore, et encore !
Philippe Berthet: le classicisme
Philippe Berthet: le décor et les couleurs
J’ai toujours aimé le travail de Philippe Berthet, pour l’ambiance qu’il réussit, avec un dessin sans fioritures, à créer de bout en bout de ses livres.
Ce qu’il réalise dans cette collection » Ligne Noire » est fait de variété, par la multiplicité des scénaristes, par le plaisir qu’il prend, aussi, à accepter de changer ses axes de narration.
Un livre donc, vous l’aurez compris, qui aura sa place dans votre bibliothèque !…
Jacques Schraûwen
Motorcity (dessin : Philippe Berthet – scénario : Sylvain Runberg – couleurs : Dominique David – éditeur : Dargaud)